Chapitre 9 : Un couple qui tombe à l'eau

Notes de l’auteur : Hello tout le monde ! Je remercie encore toutes les personnes qui lisent et qui commentent (celle qui lisent juste aussi ;P).
Sinon, je l'avais déjà dit avant, mais dans une vingtaine de ligne, vous aurez...euh... une grosse révélation. ^^" Voilà, et pour ce qui est du titre, à prendre au sens propre ou au figuré ? Il faut voir un peu !
Bonne lecture !

Chapitre Neuf : Un couple qui tombe à l’eau

 

 

Ce fut la lumière du soleil qui réveilla Gabrielle, le lendemain matin. Valentin n’avait visiblement pas pensé à baisser le store. Après s’être longuement étirée, elle s’assit sur le lit, rabattit le drap contre sa poitrine, et regarda autour d’elle. La chambre était presque vide. Il y’avait très peu de meubles. Elle était seule. Elle aurait pu pleurer, pensant que le jeune homme l’avait une fois de plus abandonnée. Elle aurait pu tout casser. Mais elle n’avait rien fait. Parce que Valentin venait d’apparaître dans l’encadrement de la porte, tenant un petit plateau.

 

- P’tit déjeuner ! claironna-t-il haut et fort, comme si de rien n’était.

 

Il déposa le plateau à côté d’une Gabrielle agréablement surprise, et fonça se recoucher, sans ôter sa robe de chambre. Une fois au chaud, il se recroquevilla sur lui-même.

 

- Brrr…il fait froid. Ça va ?

 

Il n’y eut aucune réponse. La jeune femme, pour qui tout allait trop vite, regardait le petit déjeuner d’un air étonné. Son esprit était encore flou. Valentin le remarqua et se releva.

 

- Ma petite Gabrielle, qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il en la prenant dans ses bras.

- Rien, fit-elle d’une voix perdue.

- Je vous vois venir. Vous allez me gifler parce qu’on a couché ensemble.

- Non.

- Ah !

- Mais on travaille ensemble. Alors ça me fait bizarre.

- Vous savez, il ne faut pas tout mettre dans le même panier. Au boulot, on travaille. Et en dehors du boulot, on…

- C’est bon, j’ai compris.

- Il ne faut pas vous inquiéter. On s’en sortira.

- Puis…c’est aussi la première fois qu’on m’apporte le petit déjeuner au lit.

 

Valentin cligna des yeux, stupéfait.

 

- Ah bon ?

- Oui.

- Vos anciens petits amis ne l’ont jamais fait ?

- Non.

- Les jeunes de nos jours n’ont vraiment aucun respect ! Vous êtes sortie avec combien d’hommes ?

- Sans vous compter vous, et les autres exceptions…trois.

- Trois ?! hurla le jeune homme. Vous avez compté les p’tits copains du collège ?

- Non. Ni ceux du lycée, puisque je n’en ai pas eu. Trois hommes en un an, en fait.

- Et ben…Pour ma part, je ne pourrai pas vous dire le nombre de femmes avec qui je suis sorti, parce que je ne sais pas compter plus loin que cent !

 

Gabrielle lui décocha un regard noir. Valentin, soudainement angoissé, se cacha sous les draps.

 

- Pas de panique ! Je rigole ! s’exclama-t-il.

 

La jeune femme ne répondit pas, et avança le plateau vers elle. Elle commença à manger tranquillement, tandis que son compagnon ressortait sa tête du dessous du drap. Il se colla à elle, posa sa grosse tête blonde et touffue contre sa hanche nue, et se mit à observer son nombril. Au bout de plusieurs minutes, il sembla sortir de ses réflexions.

 

- Gabrielle…

- Oui ?

- Vous prenez la pilule ?

- Bien entendu, répondit-elle vivement. Pourquoi me posez-vous cette question ?

- Pour savoir, c’est tout. Je pense juste que j’étais censé être au courant…et maintenant, je le suis, donc voilà.

 

La pièce retomba dans le silence. Gabrielle soupçonna Valentin de s’être rendormi.

 

- Vous savez, fit-elle d’une voix presque silencieuse, j’ai peur de me confier à vous, mais peut-être que cela serait bien pour notre relation que je vous le dise…non…si…enfin, bref…

 

Le jeune homme avait toujours les yeux fermés, et tout portait à croire qu’il dormait vraiment.

 

- J’ai été violée à l’âge de 18 ans.

- Quoi ?! rugit Valentin, en se redressant comme un ressort.

 

Non. Il ne dormait pas. Il avait écouté attentivement ce qu’elle lui disait. Ses yeux étaient bien ouverts, ronds comme des soucoupes, et il était en colère.

 

- C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! s’écria-t-il, en secouant Gabrielle comme un prunier.

- Si, c’est vrai.

- Non !

- Si.

- Et pourquoi tu me l’as pas dit, hein ? Pourquoi je le sais que maintenant ? Rien n’aurait été pareil, si j’avais su !

- Qu’est-ce qui aurait changé ? demanda la jeune femme, énervée.

- Mais…tout ! Je ne me serai pas conduit comme un con !

 

Gabrielle haussa les épaules. Elle se demandait si cela avait été une bonne idée d’en parler à Valentin. Cependant, celui-ci se radoucit et la prit tendrement dans ses bras.

 

- Oh ma petite Pitchounette…je suis désolé.

 

Il paraissait calme, mais il ne l’était pas. Son sang bouillait.

 

- Et tu sais, continua Gabrielle, le truc marrant dans cette histoire, c’est qu’il a fait pareil à d’autres petites filles, sauf qu’il les a ensuite tués. Ils en parlaient souvent dans le journal. Et tu sais quoi ? Il n’a jamais été arrêté.

- Hein ? Comment ça, pas arrêté ?

- Les flics ne l’ont jamais retrouvé, et ils ont fini par baisser les bras.

- Non ! s’écria Valentin, horrifié.

- Si.

- Oh, mais c’est, mais c’est…

 

C’était l’une des raisons pour laquelle Gabrielle s’était engagée dans la police judiciaire. Pas pour elle, mais pour toutes ces petites filles, qui n’avaient pas plus de dix ans lorsqu’elles avaient été assassinées. Voyant que la jeune femme était perturbée, Valentin décida de lui changer les idées. Il la fit basculer en arrière, et plongea sur elle.

 

- Bon, c’est pas tout mais je m’ennuie un peu…

 

Ils s’embrassèrent, longtemps, et lorsqu’ils commencèrent leurs caresses, la sonnette de l’appartement retentit. Gabrielle soupira.

 

- Putain, mais ça n’arrive qu’à moi ! s’énerva Valentin, le visage caché dans le creux du cou de la jeune femme.

- Vous devriez aller ouvrir…

- Hors de question.

- Qui a votre nouvelle adresse ?

- Euh…je l’ai donnée aux flics, hier, je crois.

- Donc, c’est les flics. Allez ouvrir. C’est sûrement urgent.

- Mais…

- Allez Valentin ! s’exclama Gabrielle, en le poussant en dehors du lit.

- Okay, mais seulement parce que c’est vous ! D’abord, je vais lui péter sa gueule !

 

Il se leva, sortit de la chambre et alla ouvrir rageusement la porte à son visiteur. C’était Berthier.

 

- Quoi ?! rugit Valentin. Qu’est-ce que tu veux ?! J’étais occupé ! Tu sais ce que ça veut dire « occupé » ?! Et c’est mon jour de repos aujourd’hui ! Alors merde !

- Val’, laisse tomber la femme qui est dans ton lit, faut que tu viennes !

- T’as qu’à demander à un autre flic !

- Non, non et non ! riposta Berthier, lui aussi énervé. Moi, on me donne des ordres, et je les exécute ! Faut absolument que tu viennes, on vient de localiser le mec qu’on cherche depuis six mois !

- Je m’en balle les…

- C’est un ordre ! hurla le gardien de la paix.

- Hey, c’est moi qui donne les ordres normalement !

- Tu ne discutes pas ceux du commissaire ! Tu viens et puis, basta ! Dans une demi-heure aux Orfèvres, sinon ça ira mal pour toi ! Moi, je vais chercher Gabrielle ! Tchao !

 

L’information mit du temps à parvenir jusqu’au système nerveux de Valentin. Quand il comprit que Berthier se rendait chez la jeune femme, mais qu’il ne l’y trouverait pas parce qu’elle était chez lui, il paniqua.

 

- Non, non, non, non ! Berthier, revient, merde !

- Quoi ? fit celui-ci, surpassé, en revenant vers lui.

- Pas la peine d’aller chez elle ! Je vais l’appeler, comme ça, ça t’évitera de faire un détour !

 

Le gardien de la paix arqua un sourcil, surpris.

 

- T’as son numéro ?

- Ouais, ouais, t’inquiètes pas !

- Okay.

 

Le « flic logique », comme se plaisait à l’appeler Anthony, haussa les épaules en silence. Il allait dire à nouveau quelque chose à Valentin, mais il se ravisa à la dernière minute.

 

- Okay, répéta Berthier. Dans une demi-heure aux Orfèvres…tous les deux.

 

Lorsqu’il s’en alla, l’officier essuya la sueur qui perlait sur son front.

 

- On a eu chaud…

- J’ai tout entendu !

 

Valentin se retourna. Gabrielle venait de sortir de sa cachette, enveloppée dans le drap du lit.

 

- Je vous avais bien dit que c’était urgent.

- Ouais, mais je suis dégoûté. J’aurais largement préféré passer la matinée avec vous, au chaud, dans mon lit.

- Une prochaine fois. Avant d’aller au boulot, il faut qu’on passe en vitesse chez moi.

- Pourquoi ?

- Parce que je ne vais pas aller travailler en robe de soirée.

- Vous avez raison, il faut qu’on se dépêche.

 

Le jeune homme courut un peu partout dans l’appartement, à la recherche de ses vêtements. Il les enfila sans tenir compte de leurs états. Dès que Gabrielle eut terminé d’enfiler sa robe mauve et ses talons-aiguilles, il la poussa à l’extérieur du logement.

 

- Allez, allez, on se presse !

 

Ils arrivèrent chez la jeune femme, dix minutes plus tard, après avoir enfreint plusieurs fois le Code de la Route. Dans le hall, ils tombèrent nez à nez avec la concierge, très surprise de voir une Gabrielle pressée et en robe de soirée.

 

- Mademoiselle de Caumont ? Mais qu’est-ce qu’il se passe ?

- Retourne te coucher Mémé ! s’exclama Valentin, en se ruant vers la cage d’escalier.

- Oh ! s’étouffa la vieille dame, outrée.

 

Elle attendait que Gabrielle prenne sa défense, mais celle-ci se contenta d’éclater de rire avant de reprendre sa course jusqu’à son appartement. Une fois à l’intérieur, le jeune homme sortit un chemisier blanc, une jupe noire et une paire de collant de l’armoire et les jeta sur le lit, pendant qu’elle se déshabillait. Quand elle eut enfilé ses vêtements -plus convenables qu’une robe de soirée mauve avec un décolleté, ils ressortirent en vitesse, et dévalèrent les escaliers en sens inverse. Ce fut dans la voiture qu’ils reprirent leurs souffles.

 

- Ça va…on est…dans les temps ! articula Valentin tout en lorgnant sa montre.

- On a dix minutes pour aller au boulot.

 

Le jeune homme jeta un coup d’œil à Gabrielle. Elle transpirait, et elle n’était ni coiffée, ni maquillée. Elle entreprit d’arranger sa chemise et de plisser sa jupe.

 

- Oh mince ! J’ai pas pris mon sac ! Je n’ai pas mes papiers sur moi !

- C’est pas grave. Je suis dans le même cas. J’ai laissé tous mes papiers sur la table de mon salon !

- Vous roulez sans permis ?

- Vous êtes étonnée ? Vous n’étiez pas au courant que je suis un hors-la-loi ? Pire même ! Un fou dangereux !

- Ah ça…

 

Gabrielle profita d’un feu rouge pour essayer de se faire un chignon. En vain, le résultat n’était pas satisfaisant. Puis, ils arrivèrent au 36, où leur commissaire, Berthier, Anthony et d’autres flics les attendaient. Quand ils virent le couple, leurs yeux s’arrondirent.

 

- Désolé ! s’exclama Valentin. Le temps que j’aille la chercher chez elle, ça a pris un temps fou ! Pauvre fille, elle n’a même pas eu le temps de s’arranger correctement !

 

Au même moment, le chignon de Gabrielle se défit lentement, et les cheveux de la jeune femme tombèrent mollement sur ses épaules. Anthony et Berthier éclatèrent de rire. Valentin, que sa qualité de gentleman obligeait, tenta de le refaire.

 

- Aïe ! Vous me tirez les cheveux !

- Vous ne pouvez pas vous arrêter de râler deux minutes ?!

- Euh…Val’, heureusement que t’es flic, parce que tu ferais un très mauvais coiffeur ! fit Berthier.

- C’est si horrible que ça ? s’inquiéta Gabrielle.

- Mais non, voyons, rassura l’officier.

- Franchement, c’est pas horrible…expliqua Anthony. C’est seulement catastrophique ! Pire qu’avant en fait.

- Même pas vrai ! Vous êtes jaloux, c’est tout ! Il est très réussi mon chignon ! Regardez comme Gabrielle a de l’allure avec !

- Bon, ça suffit, coupa le commissaire. On y va.

- Cool ! s’extasia l’élève. Val’, Val’, Val’, je peux monter avec vous, hein, dis, dis, dis ?!

- Nan. Pas envie de te coltiner tout le long du chemin. Gabrielle, elle, elle sait rester calme, au moins !

 

Anthony était très déçu. Tellement déçu qu’il insista davantage pour monter avec le couple. Ce fut Berthier qui régla le problème.

 

- Écoute Anthony, si Valentin veut rester avec Gabrielle, alors laisse-le tout seul avec elle ! Toi, tu montes avec moi et le commissaire. Une autre voiture de flics nous suivra, et Gabrielle et Valentin passeront devant. Okay ?

 

Il avait dit cela en lançant un regard malicieux à Valentin. Sitôt, celui-ci fronça les sourcils, et pensa que Berthier avait deviné qu’il sortait avec Gabrielle. Lorsqu’il fut en retrait avec la jeune femme, il lui glissa discrètement ses pensées au creux de l’oreille.

 

- Tu crois que Coco’ est au courant pour nous ?

- Aucune idée. Si ça t’inquiètes, t’as qu’à lui poser la question. Mais, je t’en prie, laisse-moi en dehors de ça.

- Je lui demanderai plus tard. Là, on doit y aller.

 

 

L’homme recherché, et dont il était question, avait été localisé dans le 17ème arrondissement de Paris. Il avait fallu une bonne demi-heure à l’ensemble des flics pour arriver à leur destination. Cependant, Valentin ne s’était pas encore garé que Gabrielle remarqua qu’une voiture démarrait en trombe.

 

- Euh Val’…ce n’est pas lui qui prend la fuite ?

- Oh putain !

 

Le jeune homme eut tôt fait de sortir de l’emplacement où il voulait stationner. Pendant ce temps, Gabrielle appela son supérieur avec le téléphone de son collègue.

 

- On le suit ? demanda-t-elle à son interlocuteur.

 

Elle raccrocha.

 

- Accélère Val’, il faut qu’on le rattrape.

- Cool ! Une course-poursuite ! J’adore !

- C’est ça…Dîtes-moi, c’est moi qui rêve ou c’est vous qui avez tendance à confondre la boîte à vitesse avec mon genou ?

- Hum…je pense que vous devez rêver.

- Allez, enlevez vos sales pattes de là ! Ouste !

 

La jeune femme balaya la main de Valentin tranquillement posée sur son genou, et celui-ci en profita pour accélérer davantage. Jusqu’à passer la sixième vitesse.

 

- J’ai toujours rêvé de passer la sixième…fit-il, les yeux pleins d’étoiles.

- Oh, oh ! Mais fais attention, t’as failli embrocher une voiture !

- Pas grave ! Je ne vais pas rouler doucement quand même !

- Théoriquement, c’est limité à cinquante.

- Mais là, on n’a pas le temps !

- Alors, soyez plus vigilent ! Vous n’avez pas de gyrophare ?

- Il ne manquait plus que ça ! Je tiens à ma réputation !

 

Heureusement, les deux voitures de police qui les suivaient, avaient actionné leurs signaux sonores. Bientôt, tous les autres véhicules cédèrent le passage à Valentin, qui manqua moins de créer des accidents.

 

- Il a tourné ? s’informa-t-il, alerté.

- Oui, à gauche.

- Mais c’est un sens interdit !

- Pas grave, suivez-le.

 

Dix minutes plus tard, ils arpentaient encore les avenues de Paris, en file indienne. L’homme en fuite devant ; Valentin et Gabrielle juste après ; puis, Berthier, Anthony et le commissaire ; et enfin, cinq flics entassés les uns sur les autres dans la dernière voiture.

 

- Val’, il va sortir de Paris, prévint la jeune femme.

- Appelle les flics des villes les plus proches alors. Faut qu’on le coince dans les banlieues.

- D’accord.

 

Au fur et à mesure que la voiture avançait, Valentin était obligé de ralentir. Il y’avait des embouteillages à la sortie de la ville.

 

- Putain ! Des bouchons ! Il ne manquait plus que ça, tiens !

 

La personne poursuivie était, elle aussi, bloquée. Il y’avait seulement quelques voitures entre elle et le couple. Gabrielle pensa sortir du véhicule pour aller l’arrêter mais, au moment où elle détacha sa ceinture de sécurité, celui-ci fit un écart sur la voie de gauche, et continua sa route. Valentin décida de l’imiter.

 

- Bouclez votre ceinture ! s’énerva-t-il.

- Oui, oui ! fit Gabrielle, tout aussi agacée.

 

Ils roulaient sur une chaussée où ils faisaient face aux voitures venant en sens inverse. Celles-ci étaient obligées de faire des écarts pour ne pas percuter le couple de plein fouet. Plusieurs minutes, semblables à des heures, passèrent, et les officiers se trouvèrent ensuite hors de Paris.

 

- Je suis fatiguée…soupira Gabrielle, épuisée par sa matinée mouvementée.

- J’en ai marre, grogna Valentin.

 

La voiture qu’ils poursuivaient était juste devant eux. L’homme essayait visiblement de fuir les banlieues parisiennes et les flics. Soudain, il bifurqua et s’engagea sur une petite route boueuse, déformée par des crevasses.

 

- Ah…je sens qu’on va l’avoir ! s’exclama le jeune homme, avec un sourire diabolique.

 

Il accéléra davantage, mais ils se retrouvèrent encore plus secoués qu’avant. Valentin fixait avidement la voiture devant lui. Gabrielle essayait de déchiffrer un panneau qu’elle avait vu auparavant. Et l’homme poursuivi freina brutalement.

 

- C’est un quai ! hurla soudainement la jeune femme, dès qu’elle eut réalisé la signification du panneau.

 

L’officier n’eut pas la même réaction que sa proie. Il n’eut pas le temps de freiner. Il roulait beaucoup trop vite. Avant qu’il n’ait pu réagir, la voiture de Valentin fit un plongeon dans un lac. Les voitures de police s’y arrêtèrent devant. Celle de l’homme recherché l’était aussi. Il ne pouvait aller nul part, parce qu’il était dans une impasse. Il savait qu’il allait être arrêté. Ce qui compensait son désespoir, c’était le fait d’avoir noyé deux flics.

 

 

Le bruit d’une ceinture de sécurité qui se détachait. Le bruit d’un airbag rabattu sur le volant. Quelqu’un qui bougeait dans la voiture. Gabrielle avait peut-être les yeux fermés, mais elle entendait distinctement ce qui se passait autour d’elle.

 

- Hey Gabrielle ! Réveille-toi !

 

C’était Valentin, qui était en train d’ôter tranquillement ses chaussures. Puis, il vint se placer près d’elle, avec difficultés. Au final, elle ouvrit les yeux. Le jeune homme remarqua qu’elle saignait un peu à la tempe, et il caressa aussitôt son visage.

 

- C’est…balbutia-t-elle, perdue.

- Bel aquarium, n’est-ce pas ? ironisa Valentin, avec un rire amer.

 

Gabrielle regarda par la fenêtre. Il y’avait des algues, des poissons, et surtout, de l’eau bleue presque noire. Pendant qu’elle réalisait leur situation, il la libéra de sa ceinture de sécurité.

 

- J’ai peur…

- Mais non, assura Valentin.

- On va mourir.

- Mais non. Les vitres vont bientôt céder sous la pression de l’eau, et nous allons vite manquer d’oxygène. Il faut qu’on remonte à la surface. Enlevez vos chaussures s’il vous plaît.

 

Elle observa ses magnifiques talons-aiguilles. Elle n’avait pas la moindre envie de les laisser périr en même temps que la voiture.

 

- Je vous en rachèterai, insista calmement l’officier.

 

Valentin était l’une des rares personnes qui savait garder son sang-froid dans les situations les plus critiques. La jeune femme se demandait même s’il se rendait compte qu’ils étaient sous l’eau, emprisonnés dans une voiture. Finalement, elle obéit, et enleva à son tour ses chaussures.

 

- Bien, fit-il, satisfait.

 

Il grimpa sur le siège de Gabrielle pour prendre sa place. Il la poussa doucement, et s’y accroupit. Au même moment, l’une des vitres du véhicula se brisa sous la pression de l’eau. La jeune femme paniqua mais Valentin l’attira vers lui et la força à s’accroupir devant lui. Le niveau d’eau montait rapidement.

 

- C’est froid…s’écria-t-elle, dont son corps se trouvait à moitié dans l’eau glacée.

- Ne vous inquiétez pas. Vous allez prendre une grande inspiration…et dès que je brise la fenêtre, on s’expulse hors de la voiture, d’accord ?

 

En disant cela, il l’avait calée entre ses genoux. Il pensait que le fait d’être accroupi pourrait agir comme un ressort. Il suffirait de pousser sur ses jambes, dos à l’eau, pour pouvoir sortir du véhicule.

 

- Il faut qu’on essaye.

- J’ai dû mal à respirer.

 

L’eau montait à vue d’œil. L’oxygène se faisait de plus en plus rare. Valentin serra Gabrielle contre lui.

 

- On y va, fit-il dans un souffle.

 

Il prit son élan, et frappa violemment deux fois la vitre avec son coude.

 

 

Sur le ponton, Berthier et Anthony observaient l’eau. Ils étaient désespérés. Surtout l’élève. Derrière eux, les autres flics discutaient, visiblement contrariés.

 

- T’es vraiment sûr qu’on ne peut rien faire ?!

- Non, répéta le gardien de la paix, lassé.

- Mais on ne peut pas les laisser là-dedans !

- Je sais ! Mais Anthony, réfléchis un peu ! Que veux-tu qu’on fasse ? Que j’ouvre un passage dans l’eau, comme Moïse ?!

- Mais…Valentin et Gabrielle…

- Rends-toi à l’évidence. On ne peut plus rien faire pour eux. Et dire que…

- Mais ça te fait rien qu’ils crèvent noyé ? hurla Anthony.

- Bien sûr que ça me fait quelque chose ! riposta Berthier, les yeux brillants de colère. Tu crois que ça m’amuse de voir mes deux supérieurs tomber dans un lac sous mes yeux ?! Si je pouvais faire quelque chose, j’le ferais, figure-toi ! Mais je suis réaliste ! Je sais bien que…

- Du calme ! tonna le commissaire, qui venait d’arriver derrière eux.

 

Le vieil homme semblait aussi malheureux que les deux gardiens de la paix.

 

- J’ai appelé les secours. On attend qu’ils arrivent et après, on rentrera sur Paris.

- Attendez, annonça soudainement Berthier, les yeux rivés sur le lac.

 

Il avait cru apercevoir des bulles d’air à la surface de l’eau. Il allait à nouveau dire quelque chose mais, au même moment, les visages de Gabrielle et Valentin réapparurent. Ils respiraient bruyamment. Tous les efforts qu’ils avaient fournis les avaient beaucoup fatigués.

 

- Par ici ! s’écria le fonctionnaire.

 

Ils remarquèrent tous les flics perchés sur le ponton et essayèrent de se rapprocher d’eux. Gabrielle était suspendue au cou du jeune homme, et celui-ci avait des difficultés pour nager. Berthier et Anthony s’accroupirent en tendant leurs mains vers le couple.

 

- Vous nous avez fait une peur bleue, assura le gardien de la paix. Je ne vous dis pas dans quel état nous étions. Surtout Anthony.

 

Il souriait. Il était soulagé que Valentin et Gabrielle s’en étaient sortis indemnes. Berthier et Anthony aidèrent d’abord Gabrielle à sortir de l’eau. Une fois qu’elle fut assise sur le ponton, plusieurs flics s’empressèrent de déposer leurs vestes sur elle. La jeune femme n’était pas grièvement blessée. Ses jambes avaient subi quelques entailles lorsqu’elle était sortie de la voiture par la fenêtre brisée. Par contre, l’état de Valentin était plus grave. Outre la fatigue, son coude était en sang. Il n’avait pas trouvé d’autres moyens pour casser la fenêtre, à part d’utiliser son bras. Dès qu’il fut remonté sur le ponton, il s’évanouit.

 

- Valentin ! s’écria Gabrielle, affolée.

 

Ils se penchèrent tous sur lui, mais la jeune femme les renvoya sèchement à leurs occupations.

 

- Poussez-vous ! Il a besoin d’air !

- Tu vas lui faire le bouche-à-bouche ? s’informa Anthony, qui avait retrouvé le sourire.

- Si c’est nécessaire, répondit-elle en prenant le pouls de l’officier.

 

Heureusement, elle n’eut pas besoin de le faire, puisque Valentin ne tarda pas à recracher toute l’eau qu’il avait avalée sur les chaussures neuves de son commissaire. Quand il eut repris son souffle, il regarda ses collègues d’un air étrange.

 

- Où est le mec qui… ? commença-t-il d’une voix rauque, tout en frictionnant Gabrielle qui grelottait.

- On l’a arrêté, rassura Berthier. De toutes façons, dans cette impasse, il n’aurait pas pu aller bien loin.

- Très bien. Vous le mettrez en garde-à-vue. Je l’interrogerai. Et je le tuerai de mes propres mains.

 

Les flics se regardèrent, paniqués. Personne ne savait de quoi était capable Valentin contre une personne qui avait failli causer la perte de la femme de sa vie.

 

- L’ambulance est là, avertit alors le commissaire.

- Pas la peine, assura le jeune homme, on va rentrer à pied.

- Mais vous êtes blessés !

- Pas du tout ! C’est juste quelques égratignures !

 

Gabrielle observa le coude en sang de l’officier. C’était une vraie blessure.

 

- Déposez-nous seulement devant une bouche de métro. On va rentrer chez nous. On sera bien.

- Mais…vous n’avez pas de chaussures.

- C’est pas grave…rassura Valentin, tranquillement.

 

Finalement, ses collègues acceptèrent de le laisser, lui et la jeune femme, devant la première entrée de métro qu’ils avaient trouvé sur leur chemin.

 

- Bon, vous avez de quoi payer ? demanda-t-il, devant les barrières qui les empêchait d’avancer plus loin.

- Non, avoua Gabrielle.

- Génial. Moi non plus.

- Comment va-t-on faire ?

- Et bien…avec les moyens du bord. Vérifiez s’il n’y a personne derrière nous.

- Nous n’allons quand même pas sauter par-dessus la barrière ?!

- Bien sûr que si.

- Si on se fait prendre, on risque 60 euros d’amende !

- Il n’y a personne ! Et puis, de toutes façons, on n’a pas le choix ! N’ayez pas peur, je vous rattraperai ! Regardez !

 

Après avoir jeter quelques coups d’œil à droite et à gauche, Valentin prit son élan et sauta de l’autre côté du tourniquet. Il ignorait totalement son coude blessé.

 

- Allez Gabrielle ! À votre tour !

 

Il tendit ses bras vers elle pour la rassurer. La jeune femme vérifia à son tour si personne ne pouvait la voir, puis, elle s’élança par-dessus la barrière de fer. Valentin la rattrapa au vol, et lorsqu’elle eut ses pieds nus à nouveau sur le sol, une voix forte retentit.

 

- Hey ! Vous, là-bas !

 

C’était le contrôleur, qui avait pour mission de surveiller les passages sur les quais et de recueillir les personnes qui le prenaient clandestinement. Des clandestins, voilà ce qu’étaient à cet instant Valentin et Gabrielle. Le jeune homme saisit en vitesse la main de sa compagne, et se mit à courir en la tirant derrière lui. Il riait aux éclats.

 

- J’ai l’impression d’avoir 18 ans ! s’exclama-t-il, tout sourire, en poussant une grand-mère qui était sur son passage.

- Seigneur, il faut qu’il y’ait une navette ! Sinon, on est fichu !

 

Ils déboulèrent sur le quai, en sueur, et découvrirent avec joie que la prière de la jeune femme avait été entendue. Ils s’engouffrèrent dans la rame juste au moment où les portes allaient se refermer.

 

- Sauvés, murmura Valentin.

 

Il y’avait beaucoup de voyageurs dans le métro, la plupart étant des vacanciers. Ils s’obligèrent à se pousser pour laisser un peu de place au couple. Les deux officiers formaient le centre d’attention de toute la rame. En effet, on voyait rarement des adultes trempés jusqu’aux os, sans chaussures, essoufflés, les cheveux poisseux et en bataille, et empestant l’eau sale d’un lac. Une vieille dame alla même jusqu’à penser que Valentin était un homme hors-la-loi qui s’était enfui avec une prostituée. En effet, l’allure de Gabrielle faisait penser à tous qu’elle était une femme de la rue. Elle était collée, tremblante de froid et languissante, contre Valentin, et on pouvait voir son soutien-gorge sous sa chemise blanche. De plus, sa jupe mouillée la moulait abusivement.

 

- Mais qu’est-ce qui vous est arrivé ? demanda alors curieusement une petite fille, qui se posait elle aussi des questions.

- C’est le boulot, tu vois, expliqua Valentin, qui ne pouvait résister aux enfants. Course poursuite, virage, et plouf, à l’eau !

- Oh comme ça craint ! Et tu fais quoi comme boulot ?

- Flic.

 

L’histoire d’amour d’un homme qui avait enlevé une prostituée de la rue parce qu’il l’aimait et voulait la sauver de cet enfer fut littéralement brisé ; et la grand-mère, triste d’avoir été contredite, fusilla du regard la petite fille pour avoir casser son rêve.

 

- C’est pas vrai ! s’écria la petite fille. Tu mens ! T’es pas flic ! Ça se voit !

- Ah ouais ? ironisa Valentin, vexé.

- Ouais, les flics, ils ont tous la moustache, un chapeau-melon, et ils mettent des contraventions ! Et en plus, ils sont vieux !

- Alléluia…

 

 

Une demi-heure plus tard, ils étaient dans l’appartement de Gabrielle, bien heureux de s’y trouver. La jeune femme s’était empressée de pousser Valentin dans la salle de bain. Elle voulait non seulement soigner sa blessure, mais aussi éviter que le sang tâche sa précieuse moquette grise. Elle lui fit un bandage provisoire, et le mit ensuite à la porte.

 

- Faut que je prenne une douche. Après vous prendrez la vôtre, et je vous referai un meilleur bandage. Maintenant, dehors ! Et ne vous asseyez pas sur mon canapé, vous allez le pourrir !

- Mais…brailla Valentin, non content d’être expulsé de la salle de bain.

- Pas de mais ! Ouste ! J’en ai pour dix minutes !

 

Vingt minutes plus tard, le jeune homme tambourinait à la porte.

 

- Gabrielle, t’avais dit dix minutes ! Ça va faire une demi-heure que t’es là dedans ! Fais gaffe, je vais entrer !

 

Il s’aventura dans la pièce et découvrit avec stupeur la jeune femme allongée dans sa baignoire, avec de l’eau bouillante et de la mousse parfumée jusqu’au cou.

 

- Ah ouais, c’est comme ça ? grogna Valentin, les mains sur les hanches.

 

 

 

Une heure passa, et toute l’eau qui était dans la baignoire se trouvait sur le carrelage. Valentin était vautré sur Gabrielle ; ils baignaient dans un fond d’eau glacé et rouge sang, plus épuisés que jamais. La jeune femme le remarqua.

 

- Val’…vous saignez…

- C’est pas moi…

- C’est moi peut-être ?

- Oui. Vous avez vos règles.

- Même pas vrai.

 

Valentin lui tira la langue et reposa sa tête sur sa poitrine. Gabrielle jeta un rapide coup d’œil à sa blessure, et vit que son coude continuait de saigner. Puis, elle se demanda s’il allait bientôt faire un malaise, puisqu’il se vidait petit à petit de son sang depuis qu’ils étaient sortis de la voiture.

 

- Vous avez mangé ce matin ? demanda-t-elle, méfiante.

- Non.

- Oh ! Allez, levez-vous, il faut que vous avalez quelque chose !

- Je ne peux pas, répondit doucement le jeune homme.

 

Couché sur elle, il l’écrasait de tout son poids.

 

- Je vous demande pardon ? Qu’est-ce que vous ne pouvez pas faire ?

- Me lever.

- Essayez !

- J’y arrive pas.

 

Valentin n’avait plus de forces. Gabrielle essaya de le pousser sur le côté, et lorsqu’elle y arriva, elle se releva.

 

- Vous savez ce qu’on va faire ? fit-elle, en observant le jeune homme toujours allongé dans la baignoire Je vais vous rincer à l’eau chaude, et après, je vous aiderai à sortir. Okay ?

- Okay.

 

Elle s’exécuta. L’humeur de Valentin se dégradait comme l’état de son coude. Il râla dès que Gabrielle lui aspergea le visage d’eau chaude sans l’avoir prévenir, et il fit de même lorsqu’elle marcha intentionnellement sur son pied. Dès qu’il eut été rincé comme il le fallait, la jeune femme sortit de la baignoire et s’enveloppa dans une serviette de bain. Valentin en profita pour lui faire remarquer qu’il avait froid, qu’il était fatigué, et qu’elle le faisait attendre. À ce moment-là, elle avait été fort tentée de le gifler, mais elle s’était retenue et avait fait preuve d’une patience exemplaire.

 

- Mon dieu ! L’état de ma salle de bain ! Quelle horreur ! Et dire que je vais devoir nettoyer tout ça !

- C’est ça, le sport…fit remarquer Valentin, avec un sourire pervers. Bon, euh…c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?!

 

Gabrielle se pinça pour ne pas s’énerver et s’assit sur le rebord de la baignoire, les mains tendues vers lui.

 

- Je veux bien vous aider, mais je n’arriverai pas à vous relever comme ça ! Il faut que vous fassiez un effort !

- Je vais essayer, promit le jeune homme.

 

Il agrippa ses mains et Gabrielle le tira de toutes ses forces. Finalement, il arriva à s’asseoir dans la baignoire.

 

- Bon, fit-elle, déterminée. Il faut qu’on passe au stade supérieur. Tenez-vous d’une main au rebord et donnez-moi l’autre. Voilà, comme ça. Essayez de vous mettre debout maintenant. Attention, ça glisse.

 

Après beaucoup d’efforts et l’aide de la jeune femme, Valentin réussit à sortir de la baignoire. Dès lors, Gabrielle le poussa jusqu’au lavabo et mouilla le coude ensanglanté. Elle le désinfecta pour la seconde fois, et lui appliqua une nouvelle compresse. Ensuite, elle l’aida à enfiler un peignoir de bain blanc et le fit sortir de la salle de bain.

 

- Voilà ! Donc, vous allez manger un peu, et ensuite, au dodo !

- J’ai pas faim.

- Je m’en fous, s’entêta la jeune femme en ouvrant le frigo. Vous ne pouvez pas résister à la charcuterie corse, quand même ?

 

Elle savait qu’il en raffolait. Dès que le jambon et le saucisson furent sortis, Valentin se jeta dessus, et les dévora sans les savourer. Pendant ce temps, Gabrielle astiquait sa salle de bain. Le jeune homme vint la voir plusieurs fois pour lui mendier quelques baisers, mais elle le renvoyait toujours sèchement dans le salon. Il se contenta donc de l’attendre sur le canapé, sage comme une image.

 

- J’ai fini ! claironna Gabrielle en sortant de la pièce, plus tard dans l’après-midi.

- C’est pas trop tôt !

 

Valentin bailla jusqu’à s’en décrocher la mâchoire. Il avait attendu que la jeune femme finisse sa tâche pour pouvoir s’endormir. Il tapota sur le canapé, en signe d’attente. Gabrielle se coucha auprès de lui, et ils s’endormirent, épuisés, jusqu’au petit matin.

 

 

Deux jours plus tard. Gabrielle lisait tranquillement La Septième Femme (le dernier roman policier qui avait été élu par le Quai des Orfèvres) et Valentin se refaisait une beauté dans la salle de bain. Lorsqu’il en sortit, il avait l’air contrarié.

 

- Gab’ ?

- Oui ?

- Il faut qu’on parle sérieusement.

- Je vous écoute.

- Je veux un bébé.

- Et pourquoi pas cent balles et un Mars, tant que vous y êtes !

 

Valentin ne répondit pas. Il saisit doucement le menton de la jeune femme et la força à abandonner sa lecture pour le regarder.

 

- Je vous en prie, supplia-t-il, en prenant la mine d’un chien battu.

- Savez-vous depuis combien de temps nous sommes ensemble ? Trois jours !

- Quatre.

- Que ce soit trois ou quatre jours, cela revient au même ! Ce n’est pas assez !

- Mais je sais que c’est sérieux entre nous, hein ?

- Probablement, répondit Gabrielle en reprenant son livre. Mais ça ne fait que quelques jours qu’on sort ensemble, je n’ai que 28 ans, et en plus, je n’ai pas encore envie d’avoir des enfants.

- On n’aura plus le temps après !

- Ne dîtes pas de bêtises. J’ai jusqu’à cinquante ans !

- À partir de quarante ans, il s’agit de grossesses à risques ! Et vous avez trente ans !

- 28, corrigea la jeune femme.

- Mais, croyez-vous qu’en dix ans…

- Suffit, Valentin !

 

Elle posa un doigt sur la bouche de l’officier.

 

- Non, pas d’enfant pour le moment. Maintenant, fin de la discussion.

 

Au même moment, le téléphona sonna. Le jeune homme, dont l’humeur s’était dégradée entre temps, décrocha dans un grognement.

 

- Ouais, allô !… Oui, c’est moi. Qui êtes-vous ?

 

Il y eut un silence de mort, dans lequel Gabrielle n’osa plus bouger. Le visage de Valentin était devenu livide.

 

- Oui, d’accord. Je viendrai demain. Je vous remercie. Au revoir.

- Val’, qu’est-ce qui se passe ?

- C’est ma mère. Elle est entrée à l’hôpital.

 

 

Le lendemain, Valentin et Gabrielle avaient essayé d’abréger leur journée. L’officier avait été pressé de rendre visite à sa mère et il souhaitait, en plus, lui présenter la jeune femme. Dans l’après-midi, il avait interrogé l’homme poursuivi d’une façon assez brutale mais toutefois efficace, puisqu’il ne mit pas plus de deux heures pour se déclarer coupable.

 

- Bon, on va y aller ! prévint Valentin, en rangeant le dossier dans un casier. Mais avant ça, je dois parler à Berthier.

- Je vais vous attendre dans ma voiture, fit Gabrielle, d’une voix peu assurée.

- Je n’en ai pas pour longtemps.

 

Ils se séparèrent aux escaliers, et le jeune homme eut tôt fait d’arriver dans le bureau de Corentin. Le gardien de la paix avait l’air fort occupé, et il ne leva même pas les yeux sur lui lorsqu’il fit son entrée dans la pièce.

 

- Je te dérange ? s’informa Valentin.

- Non, non…

- T’es sûr ?

- Ouais, ouais. Qu’est-ce que tu veux ? s’enquit Berthier, sans lever le nez du rapport qu’il était en train de lire.

- Bah, c’est-à-dire que je voulais te parler. En fait, tu vois, hier, juste avant qu’on parte, j’ai refusé à Anthony qu’il vienne avec Gabrielle et moi dans la voiture, et…

- Et t’as eu raison, parce qu’il aurait coulé avec vous.

- Oui, c’est vrai, admit l’officier, en se balançant d’un pied à un autre. Mais, en fait, t’as dit à Anthony que si j’avais envie de rester avec Gabrielle, qu’il fallait me laisser avec elle. M’enfin, t’as dit ça comme si on sortait ensemble (Gabrielle et moi, hein ?)…

 

Valentin avait beaucoup mal à s’expliquer, d’autant plus qu’il était très gêné. Cependant, cela ne sembla poser problème à Berthier, puisqu’il daigna enfin le regarder dans les yeux.

 

- Mais tu sors avec elle, fit-il, impassible.

 

Ce n’était pas une question, mais une simple constatation qui fit paniquer le jeune officier.

 

- Euh…ben, c’est-à-dire que…non, tu vois.

- Non ?

- Non.

- Val’, tu prends qui tu veux pour un con, mais pas moi, s’il te plaît.

- Mais comment tu sais ?! s’écria Valentin, qui transpirait à grosses gouttes.

- Je le sais, c’est tout, répondit modestement le gardien de la paix.

- Ça se voit beaucoup ?

- Non. Pas du tout. Ça se voit seulement chez celui qui prend le temps de vous observer.

- Bon. Ça va alors.

 

Il allait quitter le bureau, mais Berthier le rappela.

 

- Tu sais que, si la direction découvre votre liaison, elle vous séparera ?

- Je sais.

- Faites attention.

- Ouais…Bon, je dois aller voir ma mère, ciao !

- Ciao ! Oh, et Val’ ?

- Quoi ?

- Ne t’inquiètes pas ! Avec moi, ton secret est bien gardé !

 

 

- Berthier sait pour nous, déclara Valentin, une fois assis dans la voiture de Gabrielle.

- C’est évident.

- Comment ça, c’est évident ?

- Personne ne peut rien cacher à Corentin.

- Ouais mais quand même, ça fout le stress !

- On peut lui faire confiance.

- Heureusement.

 

Leur véhicule s’arrêta à un feu rouge, et la jeune femme en profita pour changer le sujet de la conversation.

 

- Valentin ?

- Ouais ?

- Vous êtes sûr que vous ne voulez pas aller à l’hôpital tout seul ?

- Hors de question. Vous venez avec moi.

- Mais…c’est pas un peu tôt ? Enfin, je veux dire, je ne me sens pas très rassurée et…

- Après, ce sera trop tard. Ne vous inquiétez pas, elle ne bouffe que les fonctionnaires, plaisanta le jeune homme. Oh, mais j’oubliais ! Vous êtes une fonctionnaire ! Ne fais pas cette tête Gabrielle, je rigolais. Je sais déjà qu’elle va t’adorer. Tu peux me croire.

 

Le coupla arriva finalement à l’Hôpital Saint-Louis. C’était sans doute le lieu que détestait le plus Valentin, pour la simple raison que sa mère s’y trouvait. Dès qu’ils entrèrent dans le bâtiment, ils se disputèrent.

 

- C’est au deuxième étage !

- Mais non, c’est la maternité au deuxième !

- Mais non, ça, c’est tout en haut !

- Vous faites chier !

- Vous aussi !

- Gabrielle ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? s’étonna une voix.

 

Les deux officiers se retournèrent et tombèrent nez à nez avec Lucile, qui poussait un chariot rempli de draps propres.

 

- C’est jamais bon de te voir ici, confia la jeune infirmière à son amie.

- C’est pas pour moi. C’est…euh…comment dire…

- Ma mère, expliqua vaguement Valentin.

- Ta mère est ici ? Quelle chambre ?

- 101.

 

La jeune femme parut réfléchir. Elle connaissait les chambres par cœur, ainsi que leurs hôtes. Elle cherchait un visage à mettre sur la chambre 101.

 

- Oh…fit-elle, quelques secondes plus tard. C’est ta mère ?

 

Valentin hocha la tête, et Lucile soupira.

 

- Quoi ?! Pourquoi tu fais cette tête ? Ça va pas ?! Elle a eu quelque chose de grave ?!

- Non, Val’, t’inquiètes pas. Elle va…mieux, depuis qu’elle est entrée ici. Tu sais, c’est la première fois que je rencontre une personne comme elle qui est si docile à soigner. Elle ne râle jamais. Même pour les piqûres.

- C’est une première différence avec le fils, remarqua Gabrielle, ironique.

- Hey !

- Elle est très courageuse…continua Lucile.

- Bah ouais, comme moi !

- Dommage qu’elle soit si pessimiste, sinon ce serait un véritable plaisir à lui donner les soins.

- Mais dis-moi, s’informa la jeune femme, la chambre 101 est à quel étage ?

- Premier.

- Ah ! Qu’est-ce que je disais Valentin ?

- Pff… C’est pas du jeu, j’étais certain que vous étiez au courant parce que votre amie bosse ici !

- Quoiqu’il en soit, vous n’avez pas voulu m’écouter !

- Oh ça va hein ! Je ne suis pas votre toutou !

- Vous êtes simplement ma GBR !

- Votre GBR ?

- Grosse Bouille Râleuse !

- Oh l’insulte ! Lucile, t’entends ça ?! Elle vient de me traiter de GBR ! Grosse Bouille Râleuse !

- Et toi, tu m’appelles bien Pitchounette ! C’est pas mieux, crois-moi !

- Pitch oh mon Pitch, chacun sa brioche…choco-pépite, fraise, quand tu veux…

- Arrête de chanter ça, ça m’énerve !

- Euh…excusez-moi, mais je crois que j’ai loupé un épisode.

 

Valentin et Gabrielle oublièrent leur querelle et regardèrent Lucile, étonnés.

 

- Ah, mais c’est vrai ! s’exclama le jeune homme. Elle n’est pas au courant ! Vous préférez passer du temps avec moi, plutôt qu’avec vos amies !

- Croyez-moi, ça va changer.

- Attendez, je ne veux pas être totalement exclu non plus, hein !

- En fait, Lucile, l’histoire, c’est que je sors avec cet imbécile depuis trois jours.

- Quatre, corrigea machinalement Valentin.

- Non ?! s’exclama l’infirmière, stupéfaite.

- Si.

- Mais c’est incroyable !

- Oui, même moi, je n’y crois pas…

- Bon, mesdemoiselles, vous m’excuserez de vous interrompre, coupa le jeune homme, mais j’ai un besoin vital de voir ma petite maman malade.

- Je vous conduis jusqu’à sa chambre, déclara Lucile.

 

Elle les guida dans l’hôpital immense, et lorsqu’ils arrivèrent devant la chambre, Valentin se rua à l’intérieur sans attendre Gabrielle.

 

- Tu ne crois pas que je devrais les laisser seuls pendant un petit moment ? C’est assez gênant d’arriver comme ça dans une telle situation.

- Tu sais Gabrielle, profite de faire connaissance avec elle aujourd’hui, parce que je crains fort que les prochaines visites soient moins joyeuses.

- Oui, si tu le dis.

- J’espère seulement que ton Valentin ne la fatiguera pas trop…soupira Lucile, en observant le jeune homme faire un grand plongeon sur le lit de sa mère.

 

Allongé sur le lit de sa mère, il n’arrêtait pas de lui parler, tout en lui caressant ses cheveux blonds.

 

- Ma petite maman chérie ! Si tu savais comme je suis content de te voir ! Ça va, toi ?

- Ça va très bien, je te remercie, mon poussin ! Q’est-ce que tu racontes de beau ?

- J’ai pommé ma bagnole dans un étang. Donc, il va falloir que je m’en rachète une. J’ai pommé aussi mon portable !

- Comment t’as encore fait ton compte ?

- Ben…je suis tombé à l’eau…j’ai pas tourné à temps et plouf !

- Oh Valentin…soupira la mère. Tu es vraiment incroyable…

- Je sais, je sais…plaisanta le jeune homme, en se grattant la nuque.

 

De l’autre côté du mur, Gabrielle ne savait toujours pas si elle devait entrer dans la chambre ou pas. Lucile avait beau essayer de la faire pénétrer à l’intérieur, la jeune femme était malgré cela toujours hésitante.

 

- Allez Gabrielle ! Elle ne va pas te manger !

- Mais je ne vais pas la déranger alors qu’elle est avec son fils !

 

Lucile remonta les manches de sa blouse blanche et empoigna son amie.

 

- Hop ! s’exclama-t-elle, en la poussant dans la chambre.

- Hey !

 

Gabrielle manqua de percuter de peu un fauteuil. Valentin et sa mère la regardèrent, étonnés. Elle leur fit un sourire gêné, tout en plissant sa jupe.

 

- Désolée. C’est Lucile qui…

- Viens, coupa le jeune homme, en lui faisant signe de s’approcher.

 

Elle s’exécuta, obéissante. Valentin se releva, lui prit la main, et la tira vers lui pour la faire asseoir sur le lit.

 

- C’est Gabrielle, expliqua-t-il à sa mère.

- Je m’en doutais. Voilà plus d’un an qu’il n’arrête plus de me parler de toi…

 

La jeune femme rougit et baissa la tête. La mère de Valentin avait un teint très pâle, mais ses yeux bleus pétillaient de malice -du moins, c’était ce qu’ils laissaient paraître. Gabrielle ne doutait pas un instant qu’elle était au plus mal. Elle sentit que quelqu’un lui prenait la main, et elle revint aussitôt dans la réalité. La pauvre femme massait doucement sa paume, tout sourire.

 

- Tu avais raison Valentin, fit-elle, après un moment. Elle est exactement comme tu me l’avais décrite.

- Ah…répondit Gabrielle, gênée.

- Bah évidemment, pourquoi je t’aurais menti ? demanda le jeune homme à sa mère.

 

Il y eut un grand silence où personne n’osait parler. La mère de Valentin caressait toujours la main de Gabrielle, et celle-ci ne savait plus où se mettre. Finalement, ce fut elle qui parla la première, afin de détendre l’atmosphère.

 

- Vous savez, j’ai un gros problème. Votre fils ne veut pas me donner la recette de son sauté de porc.

- Maman, je te préviens, tu n’as pas intérêt à lui dire ! C’est un secret de famille, qui se transmet de mère en fils et de…

- En fait, coupa la mère, il faut juste cuisiner le porc avec de l’huile d’olive et le parfumer avec des herbes de Provence.

- Ah d’accord. Ça va Valentin ? demanda Gabrielle, voyant le jeune homme se tirer les cheveux.

- J’ai été trahi…

- Juste ça. Et la sauce, comment faites-vous la sauce ?

 

Au fur et à mesure qu’elle parlait avec la mère de l’officier, elle se rendit compte qu’il n’existait pas une femme plus gentille qu’elle. Gabrielle avait noté quelques ressemblances physiques et morales avec Valentin. Elle s’aperçut aussi que, comme lui avait dit Lucile, elle ignorait totalement sa maladie. Elle disait même à son fils qu’elle rentrerait très bientôt chez elle. Celui-ci hochait la tête, silencieux. La jeune femme remarqua qu’elle attendait, elle aussi, avec impatience la venue de ses petits-enfants. Des petits-enfants qui n’étaient pas encore prêts à voir le jour, puisque Gabrielle préférait visiblement attendre avant de les concevoir.

 

Une heure plus tard, Lucile fit son entrée dans la chambre, avec un plateau-repas et un chariot chargé de médicaments.

 

- C’est l’heure des soins !

- Vous allez encore me bousiller l’estomac pour rien.

- Je suis navrée de vous décevoir, mais ici, nous ne sommes pas du genre à baisser les bras ! riposta l’infirmière.

 

Valentin aida sa mère à s’asseoir et lui cala son oreiller derrière le dos.

 

- Je peux les lui donner ? demanda-t-il.

- Bien sûr. Mais prenez bien votre temps. C’est inutile de lui faire avaler tout d’un seul coup.

 

Le jeune homme aimait s’occuper de sa mère, mais elle le torturait avec ses remarques pessimistes. De plus, ce n’était pas très rassurant de voir tant de médicaments à administrer. Il y’en avait beaucoup. Lucile s’était assise à côté de Gabrielle, et elles regardaient Valentin soigner sa mère.

 

- Je crois que je vais prendre quelques semaines de congés, expliqua-t-il aux deux amies.

- Pourquoi ? demanda sa mère.

- Ça m’énerve de te laisser toute seule ici. D’autant plus que tu ne reçois presque pas de visites.

- Il a raison, approuva Lucile. Un peu de compagnie vous ferait le plus grand bien.

- Mais tu vas gaspiller tous tes congés pour moi ?

- Oui.

- Je croyais que tu voulais descendre à Nice.

- Je ne descendrais pas à Nice tant que tu seras à l’hôpital. Et puis, les congés, je m’en balance.

- Si vous voulez, proposa Gabrielle, Valentin et moi pouvons poser deux semaines chacun, comme ça, il y’aura toujours quelqu’un avec vous et cela nous permettra d’économiser nos congés.

- Ça me ferait très plaisir.

- Tu ferais vraiment ça pour nous ? s’exclama le jeune homme, émerveillé.

- Évidemment.

- Je crois que j’ai vraiment trouvé la femme parfaite.

- Bon, ça va, pas la peine d’en faire tout un char non plus !

- Je suis désolée les enfants, interrompit Lucile, mais les visites sont terminées maintenant.

- Oh non…fit Valentin, déçu.

- Vous reviendrez une prochaine fois, mais là, je suis obligée de vous mettre à la porte.

 

Gabrielle mit dix minutes à décoller le jeune homme de sa mère, qu’il ne voulait plus lâcher. Après cela, ils l’embrassèrent et quittèrent la chambre.

 

- Gabrielle, je peux te parler ? demanda Lucile, une fois dans le couloir.

- Bien sûr.

 

L’infirmière jeta un regard insistant sur Valentin.

 

- Okay, j’ai compris, capitula ce dernier. Je vous laisse entre femmes.

 

Il s’éloigna, et se cacha derrière le premier mur d’où il pouvait entendre leur conversation.

 

- Tu sais…commença la jeune femme, gênée.

- Oui ?

- La santé de la mère de Valentin se dégrade de jour en jour…

- C’est ce que je pensais…murmura la jeune femme, triste.

- Tu ne comprends pas, Gabrielle.

- Quoi ?

- Elle ne passera pas l’été.

 

La jeune femme ouvrit la bouche, horrifiée, mais aucun son n’en sortit. Valentin n’était pas mieux. Dès qu’il avait saisi ce que Lucile avait confié à Gabrielle, il avait senti ses jambes le lâcher et avait glissé le long du mur. Les larmes lui étaient venues. Il voulait croire à une plaisanterie, mais il savait très bien que l’infirmière ne blaguait pas dans ce genre de situation. Il n’y avait pas d’erreur. Elle disait la vérité. Il le savait depuis longtemps mais il n’était jamais arrivé à se faire à l’idée. Elle allait mourir.

 

 

Le mois de juillet commençait bel et bien à Paris. Comme toutes les femmes, Gabrielle désirait avoir des jambes parfaites pour l’été. Pour cela, Jessica lui avait prêté sa cire à épiler. Assise sur son lit, elle était bien déterminée à faire la chasse aux poils.

 

- Opération « faisons plaisir à nos hommes ».

 

Elle prit une grande inspiration et arracha brutalement le papier collé à sa jambe. Dès lors, elle poussa un hurlement qui retentit dans tout son appartement. Alerté, Valentin sortit de la salle de bain, une serviette autour de la taille. Il était pris d’une grande panique.

 

- Gabrielle ?! Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Tu es tombée ? Tu t’es fait mal ? T’as mal où ? Qu’est-ce qui t’es arrivée ? Tu m’as fait peur ! Ma chérie, réponds, merde !

- Ça va, répondit simplement la jeune femme.

- Hein ? fit Valentin, qui ne comprenait pas.

- Je m’arrachais les poils des jambes.

- T’es devenue dingue ?

- Pas du tout.

- Brrr… Je ne cernerais jamais les femmes.

- C’est pour éviter aux hommes dans ton genre de râler davantage.

- C’est ça, marmonna-t-il, ronchon.

 

Il observa Gabrielle renouveler l’opération, et c’est sans doute lui qui hurla le plus fort dès qu’elle tira rudement sur la feuille.

 

- Mais quelle horreur ! Vous êtes cinglée ! Ça devrait être interdit aux moins de 18 ans ! C’est digne d’un film d'épouvante ! Qu’est-ce que je suis content d’être un garçon !

- Qu’est-ce que je suis contente d’être une fille, riposta la jeune femme. Ça m’a évitée de débiter des tonnes de conneries à la minute…

 

Valentin allait riposter mais le téléphone sonna et il dut répondre. C’était Jessica.

 

- Envoie le téléphone ! réclama Gabrielle, en tendant les bras.

 

Le jeune homme s’exécuta et le lança sur elle. Elle sut le rattraper au vol. Dès qu’elle colla l’appareil à son oreille, Jessica en profita pour la foudroyer à distance.

 

- Putain ! Tu trouves normal que ce soit Lucile qui m’apprenne que tu sortes avec Valentin, hein ?! C’est vraiment indigne d’une meilleure amie ! Gabrielle, tu me déçois !

- Mais…

- Franchement, j’aurai pensé que tu me préviendrais sur-le-champ, tu sais, dès le premier bisou, mais apparemment…

- Jessica…

- Quand je pense que je me suis tuée à…

- Jessica !

- Quoi ?

- J’ai été très occupée ces derniers temps, et…

- Assez occupée pour en parler à Lucile et pas à moi !

- Mais on s’est croisée !

- Traîtresse ! Depuis quand tu sors avec ?!

- Euh…samedi dernier.

 

Il y’eut un silence à l’autre bout du fil, mais Gabrielle connaissait Jessica sur le bout des doigts. Quand elle s’arrêtait, c’était pour mieux repartir.

 

- Tout ce temps ! hurla la photographe. Tout ce temps sans me prévenir ! Putain, tu déconnes vraiment là ! Je sais bien que les brunes comptent pour des prunes, mais quand même, je suis très importante moi !

- Oui, Jessica. Et tes photos, alors ?

 

Il suffisait de parler de l’art photographique pour dévier une conversation avec Jessica de 360 degrés. Cela était très pratique pour les disputes dont Gabrielle voulait se débarrasser.

 

- Figure-toi que je suis allée à Montmartre la dernière fois. Je suis montée à pied, jusqu’au Sacré Cœur ! Puis là, tu vois, y’avait des gens pauvres qui jouaient de la musique et qui…

 

La machine était repartie. Gabrielle écouta les aventures de sa meilleure amie pendant près d’une heure. Elle remercia le ciel de lui avoir donné une amie si bavarde. Dès qu’elle eut raccroché, sa joue et son oreille étaient rouge de sueur. Valentin, qui avait lu un livre durant sa conversation téléphonique, se leva du canapé et s’approcha d’elle.

 

- Alors comme ça, tu oses me zapper pendant une heure ? Méchante ! Tu vas être brûlée vive !

- Pitié Valentin !

- Tiens, s’étonna le jeune homme, c’est la première fois que tu me demandes pitié.

- C’est pour mieux te manger mon enfant.

 

Elle le fit basculer sur le lit, mais manque de chance, il tomba sur elle.

 

- C’est con que tu te sois faite prendre dans ton propre piège.

- C’est con, en effet.

- On mange plus tard, ce soir ?

- Puisque ça peut vous faire plaisir, je n’y vois aucun inconvénient. En plus, c’est l’été, et le soleil se couche plus tard.

- Au top ! s’exclama Valentin, en roulant avec la jeune femme sur le lit.

 

Il saisit la jambe de Gabrielle et la caressa.

 

- C’est bon, t’as fait du bon boulot. C’est tout doux.

 

Ils allaient sans doute commencer une série de longs câlins, mais le téléphona sonna à nouveau.

 

- Je te préviens, s’énerva l’officier, si c’est encore ta copine, tu l’envoies se faire foutre ! C’est à mon tour de t’avoir une heure rien que pour moi !

 

Au lieu de répliquer, elle décrocha. La jeune femme parla quelques minutes avec un interlocuteur mystérieux. Lorsqu’elle raccrocha, elle lança un regard d’excuse à Valentin, qui comprit rapidement ce qui se passait.

 

- Oh non ! Vous allez me quitter pour aller au 36 !

- Oui.

- Non !

- Oui.

- Non !

- Poussez-vous !

- Non !

- Laissez-moi m’habiller !

- Non !

- Valentin !

- Et pourquoi je ne peux pas venir d’abord ?

- Parce que vous n’êtes pas convoqué. C’est juste un petit truc.

- Et tu reviens quand ? Cette nuit ?

- Non. Demain soir, au plus tard.

- Hein ?! Tu me laisses tout seul ici, pendant tout ce temps ! Je refuse ! T’as pas le droit ! Fais gaffe, on va tout droit au divorce là !

 

Gabrielle ne l’écoutait pas. Elle allait partir mais Valentin lui avait barré le passage.

 

- Tu reviens vite, promis, hein ?

- Oui…

- Mais je vais m’ennuyer, moi, sans toi…

- Tu n’as qu’à appeler Jessica. Tu ne risques pas de t’ennuyer avec elle !

- Bon…d’accord. Je t’autorise à y aller.

- Avec ou sans ton accord, cela revient au même !

- Un dernière chose…

- Oui ?

- Bisou, réclama le jeune homme.

 

 

Valentin était le premier à savoir qu’un flic pouvait s’absenter longtemps, à cause de son travail. En effet, Gabrielle passa la nuit entière au Quai des Orfèvres, ainsi que la journée qui suivit. Certains flics pouvaient passer près de trois jours dans une voiture à attendre qu’une voiture remplie de drogues se pointe. La jeune femme était aussi passée par-là, puisqu’elle avait fait ses débuts dans la police dans la Brigade des Stupéfiants, une brigade où la chasse aux trafiquants est permanente. Elle était donc habituée à passer du temps hors de chez elle. Valentin, lui, n’était pas vraiment heureux de voir Gabrielle si longtemps absente, et il avait donc téléphoné à Jessica, comme elle le lui avait recommandé. Celle-ci arriva très rapidement, avec des albums-photos sous les bras, dans le but d’occuper le flic jusqu’au retour de la jeune femme. Ils contenaient des photos d’elle et de Gabrielle, quand elles étaient encore au lycée.

 

- C’est mes premières photos. Quand je suis entrée en C.A.P., j’ai tout de suite pris Gabrielle pour modèle !

 

Sur les premières photographies, elle était une jeune fille très souriante. Seulement, au fil des pages, elle paraissait plus distante et moins chaleureuse. Valentin remarqua ce changement soudain.

 

- Vous aviez quel âge, là ?

- Autour de 18 ans, répondit Jessica.

- Mais, pourquoi Gabrielle change brusquement de tête ?

 

Il connaissait la réponse, mais il voulait savoir si la photographe la connaissait aussi.

 

- Je ne sais pas. C’est venu du jour au lendemain.

- Ah…fit Valentin, gêné.

 

Gabrielle n’avait visiblement pas parlé de son viol à sa meilleure amie. Jessica discerna l’angoisse sur le visage du jeune homme.

 

- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y’a Valentin ?

- Rien, rien.

- Si ! Tu me caches quelque chose !

- Non, non.

- Val’ ! Tu sais pourquoi elle a changé de tête ?

- Non, mentit l’officier.

- Dis-moi pourquoi ! Si tu sais quelque chose sur elle dont je ne suis pas au courant, c’est le moment de me le dire, sinon je t’étrangle de mes propres mains, c’est bien compris ?

- Bah…en fait, je pensais que Gabrielle t’en avait parlée, mais apparemment…

- Me parler de quoi ?

- Disons qu’elle a été…enfin, bref, comment dire…un petit peu…euh…abusée…En tout cas, c’est ce qu’elle m’a dit, mais bon, bref…

 

Jessica blêmit et lâcha la nuque de Valentin. Elle enfouit sa tête dans ses bras.

 

- C’est pas vrai Val’, dis-moi que c’est pas vrai ! Elle n’a quand même pas été violée ?!

- Je suis désolé, je pensais que tu étais au courant.

- Je ne l’étais pas ! Elle ne m’a jamais rien dit !

 

Gabrielle revint dans la soirée, comme prévu. Elle fut contente de trouver Jessica qui l’attendait chez elle, avec Valentin. Cependant, elle remarqua que quelque chose n’allait pas. Sa meilleure amie ne souriait pas. Elle était en colère.

 

- Gabrielle, tu peux m’expliquer cette histoire de viol ?

 

La jeune femme chancela et se rattrapa à la table. Elle ne s’attendait pas à aborder ce sujet de conversation. Valentin perçut son malaise et décida d’intervenir.

 

- Jessica, elle est fatiguée. Ce n’est peut-être pas le bon moment pour discuter de ça.

- Non, non. C’est le moment parfait ! Je veux savoir pourquoi elle ne m’en a jamais parlé !

- Mets-toi à sa place ! Comment tu réagirais toi, si on te violait du jour au lendemain ?!

- Ah, mais figure-toi que le mec capable de poser le petit doigt sur moi de cette façon, il n’est pas encore né ! Parce que celui qui ose me faire ça, je lui tranche sa gueule avant qu’il fasse quoique ce soit d’autre !

 

Jessica fonctionnait comme une bombe atomique. Dès qu’elle était activée, elle faisait beaucoup de dégâts désastreux, et rien ne pouvait l’arrêter. À ce moment-là, elle fit pleurer Gabrielle.

 

- Voilà, t’es contente ! marmonna Valentin.

 

Pourtant, Jessica pouvait ressentir des remords (ce qu’une bombe nucléaire n’était justement pas capable de faire). Elle prit sa meilleure amie dans ses bras.

 

- Oh, je suis désolée, s’excusa-t-elle doucement, mais tu sais, c’est hyper difficile pour moi de…

- C’est pas difficile pour moi peut-être ? s’écria Gabrielle.

- Mais pourquoi tu n’en as pas parlé ? demanda la photographe, qui avait elle aussi les larmes aux yeux.

- J’avais peur.

- Peur de quoi ?

- Mais je ne sais pas !

- Vous devriez peut-être arrêter de vous prendre la tête les filles, conseilla Valentin en leur tendant à chacune un mouchoir. C’est le passé, on ne peut pas le changer, et Gabrielle doit oublier. C’est fini, d’accord ?

 

Gabrielle se recroquevilla contre Jessica.

 

- Tu as raison, fit-elle en reniflant, c’est fini de toutes façons.

- Bon, j’ai bien envie de bouffer une salade niçoise, moi ! s’exclama la photographe. Val’, va aux fourneaux, s’il te plait ! Les émotions, ça creuse !

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Seja Administratrice
Posté le 11/08/2009
"Un couple qui tombe à l'eau", hein ? En fait, je m'attendais à un truc plus ou moins semblable ^^ Faut croire qu'en côtoyant des auteurs sadiques (et en en étant une soi-même), on commence à voir clair dans leur jeu, mwahaha.
Et effectivement, la chute valait le coup d'oeil ^^
Mais c'est aussi un chapitre qui nous fait avancer sur le pourquoi du comment concernant les personnages. Enfin, Gabrielle tout du moins, victime d'un viol quelques 10 ans deçà. En effet, ça explique des choses, beaucoup d'entre elles même et ça permet de cerner un peu plus le personnage. Hum, par contre, sur la fin, j'ai trouvé Jessica au poil pour la méthode bourrine. Un peu de délicatesse, que diable !
Mais ce n'est pas la seule révélation du chapitre. Enfin, révélation, peut-être pas, mais c'est enfin l'occasion de faire la connaissance de la mère de Valentin qui n'en a malheureusement plus pour longtemps...
Très bon chapitre, donc, qui nous entraine à cent à l'heure à la suite de nos tourtereaux :))
La Ptite Clo
Posté le 11/08/2009
Raaah zut ! Sej n'est pas tombée dans le panneau ! T_T
Je l'aurai, un jour, je l'aurai ! (Efficace et pas chère, c'est la MAF que j'préfère XD)
Bon, plus sérieusement, merci pour ta review ! ^^ Chapitre révélateur mais qui me flanque le moral à zéro, rien qu'en pensant au viol de Gabruelle et à la mère de Valentin... Mmmoui, la maman de Val ne va pas tarder à... T_T
Enfin, merci à toi, pour la énième fois, et à la prochaine ! ^^ Mouwak
Sunny
Posté le 15/10/2007
" un couple qui tombe à l'eau "... groarrr !! je te hais je te hais je te hais !! XD Nan je plaisante. ^^ Vilaine... MDR.
Moui, ça explique pas mal de choses qu'elle ait été violée...
:) J'ai beaucoup aimé ce chapitre.
Reponse de l'auteur: :P :P :P :P :P  (crise de sadisme aigu)
Très contente que ça t'ait plu ! =D Mais y'aura d'autres titres pièges, je te le promets ! 
Merci beaucoup, beaucoup ! Muaaaks ! 
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