Chapitre 94 : Des billes pour une balle

Par Kieren

« Un deux trois, elle te dévore le foie,

Quatre cinq six, dans la toile qu'elle tisse.

Sept huit neuf, elle y pondra un œuf.

Dix onze douze, ton épouse, très jalouse. »

« Qu'est ce que vous faites Vieux Gamin ? »

« Je chante Gamine, je chante pour ne pas boire, même si j'en ai envie. Mais ce n'est pas l'heure, ni le lieu. Je surveille mes moutons, alors je ne bois pas. Je vous attends, alors je ne bois pas. L'envie est là toute fois. »

« Pourquoi boire ? Vous avez soif d'être ivre ? »

« Un peu, oui. Mais comme disait un type il y a longtemps : ''Tu bois le soir pour noyer ton chagrin, mais dès le lendemain, tu t'aperçois qu'il savait nager.'' »

« … J'ai déjà bu de l'alcool durant notre voyage. C'est un poison qui endort les sens, ça brûle la gorge et ça ne nourrit même pas. »

« Tu penses que ça ne sert à rien ? »

« Bien sûr que si, c'est un poison. C'est très facile de voler de la nourriture lorsque le propriétaire n'arrive pas à faire la différence entre toi et son ombre. »

« Très juste... Vous êtes rentrés depuis longtemps ? »

« À l'instant. Mon frère est avec Billy, ils essayent les nouveaux jouets que l'on a récupérés. Qu'est ce que vous avez fait de votre journée ? »

« Pas grand chose de spécial : j'ai fait des courses, j'ai discuté avec Théo (d'ailleurs on va faire une fricassée de sauterelles pour ce soir) et je suis revenu pour prendre la relève de ma chienne, résultat elle dort à côté de moi. Et vous trois ? Qu'est ce que vous avez fait dans les Ruines ? »

« On s'est promené déjà. C'est une grande ville, avec quelques immeubles qui ont trébuché, et qui ne se relèveront pas. Les herbes ont perforé le bitume et forment maintenant un champ lézardé de goudron. Du lierre enserré aux lampadaires, comme une écharpe. Des cailles et des lapins qui trottinent discrètement . On y a vu quelques humains chaparder des objets des temps anciens : bouteilles en plastique, vêtements, artefacts divers et variés, d'une utilité plus ou moins vraisemblable.

Billy nous a fait montés dans des ''cadis'' (des cages en métal avec des roues), et on a fait des courses dans les bâtiments. On a tenté de libérer des nuages mais d'autres l'ont fait avant nous. Tant mieux. On a fait des pyramides avec des canettes à boissons, et on a tiré dessus avec des balles jaunes avec de la moquette dessus, grosses comme ma main. Les balles de Tennis, mais on a pas vu Tennis, alors on ne lui a pas rendu. On s'est aussi amusé à les lancer du sol aux fenêtres des immeubles, le plus haut possible. On a lancé des trucs des fenêtres aussi. C'était stupide de péter des trucs, mais c'était drôle. On a bien fait gaffe de rien lancer sur les deux ou trois humains qui passaient, ça ne m'aurait pas fait marrer de toutes façons. On a regardé la galerie des ''tags'', de toutes les peintures qui ont traversées le temps, qui ont été rajoutées aux murs il y a des décennies...

« C'était beau ?»

« Très. Ou très moche, c'est selon. »

« Tu sais, Sifil peint elle aussi. » Cela piqua la curiosité de la Gamine, elle s'accroupit, me prit par l'épaule et me tourna vers elle.

« C'est vrai ? Vrai de vrai ?? Elle arrive à peindre ? »

Elle avait les yeux qui pétillaient. J'ai pu aussi voir qu'elle avait récupéré un nouveau T-shirt, jaune, avec un gros matou qui dormait enroulé à un poulet qui, lui, suait à grosse gouttes. « Absolument Gamine, elle a une galerie de toiles dans le sous-sol de Théo, elle en rajoute de temps à autre. Chouette T-shirt par ailleurs. »

Elle rougit un petit peu. « C'est Billy qui me l'a donné. On devait en choisir un dans les Ruines pour le donner à l'autre. Je devais choisir pour mon frère, lui pour Billy et Billy pour moi. »

« D'accord, et qu'est ce que tu as donné à ton frère ? »

« Vous verrez bien. Ensuite il y a eu un ballon rouge qui flottait devant une porte du sous-sol d'un immeuble,et lorsque l'on se rapprochait, lui, il descendait de plus en plus dans les escaliers. Billy l'a pas vu mais la ficelle était tirée par une grosse main noire et visqueuse. Dégueulasse. Mais comme elle allait dans les sous-sol, on y est pas rentré. »

« Merci d'avoir suivi mes conseils. »

« De toutes façons, Billy tremblait comme une feuille en pensant aux sous-sols, on n'allait pas lui faire ça, le pauvre. »

« Le pauvre te dit d'aller te faire cuire un œuf, l'Amazone ! » hurla Billy en dépassant le haut de la colline. Il était accompagné du Gamin qui tenait un filet en plastique dans sa main. Billy avait un costume d'arlequin, et le Gamin avait une écharpe légère. « C'est tout de même incroyable ça ! Ce n'est quant même pas un tord d'avoir peur des créatures qui grouillent dans le noir ! »

« Tant que vous ne tombez pas dans leurs pièges... » Le Gamin me tira par la manche, il souriait de toutes ses dents et me donna le filet en plastique. Dedans se trouvaient un tas de petites billes en verre. Elles étaient belles. « Elle sont pour moi Gamin ? » Il hocha la tête, surexcité. « Et bien alors là, merci, mais je n'ai jamais joué aux billes. Vous pourrez m'apprendre ? »

Billy eut un sourire espiègle, mais c'est la Gamine qui parla la première. Elle dégaina sa propre bourse de billes qui était suspendue à sa taille, alors qu'elle n'y était pas ce matin. « C'est très simple Vieux Gamin : vous pariez une bille, vous la posez par terre et votre adversaire doit la toucher deux fois de suite avec sa propre bille. S'il réussi, il gagne la bille ; s'il se rate, il laisse sa bille à terre, vous reprenez la votre et vous la lancez à votre tour sur la sienne. On a trouvé une bourse de bille pour moi et mon frère, Billy avait la sienne, et j'ai parié la mienne avec un étranger encapuchonné. Il voulait que je devine dans quelle main était sa balle. J'ai gagné et j'ai eu ce que j'avais parié. »

« … Il t'a demandé ce que tu pariais, et il t'a donné exactement ce que tu avais parié ? »

« Il avait une grosse carriole de bric-à-brac qu'il traînait derrière lui. Il y avait tout et surtout n'importe quoi. »

« Moi, je le trouvais bizarre ce monsieur. » ajouta Billy.

« C'est parce qu'il avait une voix bizarre, un peu comme le vent qui souffle. Enfin, j'ai gagné et maintenant on va faire une partie. En garde Vieux Gamin ! Je te défie en duel ! Ta belle bille jaune contre ma petite bille noire ! »

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez