Chapitre 97 : La légende des 1000 grues

Par Kieren

Mince... Cela va devenir problématique...

« Les gosses, qu'est ce que c'est que ça ? »

Le Gamin me regarda avec le sourire et commença à agiter ses bras comme s'il battait des ailes.

« Ce sont des oiseaux Vieux Gamin » répondit sa sœur. « Des grues pour être précise. »

« Des oiseaux, hein ? Et pour être précis, est qu'ils se mangent ? »

« Ils sont en papier Vieux Gamin. »

« C'est bien ce qu'il me semble, et il y en a combien ? Toujours pour être précis ? »

« … 126. »

« Et est ce que vous pouvez m'expliquer, précisément, à quoi vont vous servir 126 grues en origami dispatchées dans toute la maison ? »

La Gamine haussa les épaules. « Ils vont nous permettre de réaliser notre vœu. »

« … En quoi faire des grues en papier va vous permettre de réaliser votre vœu ? »

« C'est la légende que nous a raconté Sifil (enfin, ce que l'homme noir nous a traduit) : il faut faire beaucoup de grues pour que notre vœu marche. »

« Beaucoup ?... Beaucoup comment, précisément ? »

« … 1000. »

« 1000 grues ?... 1000 grues ?! Vous avez que ça à faire ? »

« Et vous Vieux Gamin ? Vous avez rien de mieux à faire que surveiller vos moutons ? À pêcher la truite et à refaire jour après jour les mêmes gestes ? Qu'est ce que vous essayez d'accomplir, mis à part oublier de créer, d'exister, de vivre ? »

« Non sens Gamine, si je ne bosse pas, personne ne mange. »

« Non sens Vieux Gamin, vous parlez de survivre. Nous, nous parlons de vivre, avec mon frère. Sortez de votre caverne ! »

« Ah bah voilà ! Vous sortez de votre propre caverne pour allez voir la grande mante religieuse et d'un seul coup, vous devenez plus vivant ! Plus existant ! Vous savez mieux que quiconque comment marche la vie en communauté ?! »

Le Gamin me jeta une grue au visage, l'air renfrogné. Il en ramassa une deuxième et me la jeta à nouveau dessus, puis une troisième, puis une quatrième. Je réceptionnai cette dernière et la lui lança dessus. Son front se déplissa et il répliqua. Sa sœur croisa les bras et resta de marbre devant la bataille qui faisait rage devant elle. Elle servit de bouclier à son frère et se prit la majorité des projectiles sans sourciller. Cela dura dix bonnes minutes, je l'avoue : cela me fit bien rire, et le Gamin aussi. Lorsque la tension retomba, la Gamine retira calmement les grues coincées dans ses cheveux.

« Vous savez Vieux Gamin, ces grues sont des œuvres collectives : j'ai peint le papier, et mon frère les a transformées en oiseaux. Nous sommes assez fiers de notre journée. Travail d'équipe, sous la direction de Sifil. J'ai vraiment aimé peindre, et ce n'était pas très beau, mais mon frère en a fait quelque chose de vivant. Vous ne pouvez pas faire comme si notre journée n'avait servi à rien. »

« … Soit. Mais comment allez vous vous fournir en papier et en peinture la prochaine fois ? Ce ne sont pas des ressources illimitées dans les ruines ces machins là. »

« … On pourrait demander ça dans notre vœu des 1000 grues ! »

« … Vraiment ? Ce n'est pas le serpent qui se mord un peu la queue cette histoire ? »

« Non, vous avez raison Vieux Gamin, on devrait demander assez d'argent pour pouvoir acheter assez de papier et de peinture pour être tranquille jusqu'à la fin de nos jours. »

« Jusqu'à la fin de votre lubie, plutôt. Mais cela me donne une idée... Pourquoi ne pas vendre vos origamis au marché du village, juste pour voir ? »

« Vous déconnez Vieux Gamin ?

« Non, pas encore Gamine, pas encore. Ça vous apprendrait le sens du commerce et la difficulté de se faire une place dans un domaine qui vous est inconnu : celui de la société, deux petites choses utiles, si j'en crois ma modeste expérience. Et qui sait ? Peut être que vous en trouverez le goût, que vous vous sentirez investis dans votre tâche et que vous vous appliquerez pour faire encore mieux que la fois d'avant. Pour vous sentir fier de vous, lorsque vous réussirez à vendre vos œuvres. »

« Mais... On commence par quoi ? »

« On commence déjà par ramasser tout ce joyeux bordel qui est à nos pieds, et on sort des aiguilles, de la ficelle et une grande branche : on va les accrocher toutes ensemble, comme ça on aura un seul arbre à vœux sur lequel il y aura 1000 grues, plutôt que 1000 grues éparpillées par terre, au gré du vent. »


 

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