Chapitre Cinq // Partie Deux

14 Novembre, Alexandre

J'étais resté seul pendant de longues minutes, qui avaient semblé être des heures. Mon frère ne semblait pas pressé de revenir et, pendant un instant, j'avais envisagé de rejoindre tout le monde dans la cuisine, tout en sachant que ça serait inutile: je suis loin d'être un bon cuisinier, et ma maladresse rendrait les choses beaucoup trop gênantes.

Finalement, mon frère sort de la pièce. Sans dire un mot, il revient dans le salon et s'installe dans le canapé qui fait face au fauteuil dans lequel je suis moi-même assis. Un silence prend place entre nous, troublé par les voix distantes d'Ezra et Denise, qui sont toujours dans la cuisine.

— Alors... Ils manigancent quelque chose contre nous, au final?

Charlie, qui semblait perdu dans ses pensées, sort de sa torpeur.

— Hein, quoi?

Je répète ma question.

— Oh..., commence-t-il . Honnêtement, je n'en sais rien. Quand je suis arrivé, ils parlaient du livre d'Ezra, je pense. En tout cas, c'est ce que j'ai compris!

Ah oui, Ezra et son roman. Je me souviens, il m'en avait parlé au mariage. Intrigué, tout en sachant que mon frère n'en sais probablement pas plus que moi et qu'il ne pourra pas me répondre, je demande:

— D'ailleurs... Tu sais de quoi il parle, son livre?

Une voix retentit, mais ce n'est pas celle de mon frère.

— Si je me souviens bien, je t'avais déjà dit que c'était de la fantasy.

Ezra était sorti de la cuisine et s'était faufilé derrière mon fauteuil.

— Oui, ça je m'en souviens., je répond. Ca fait longtemps que tu es là?

— T'inquiète pas, je viens juste d'arriver, donc si vous parliez mal de moi je n'ai rien entendu.

Il s'installe dans le dernier fauteuil de libre, qui est juste à côté du mien. Il continue:

— Alors comme ça, tu t'intéresse à mon livre, hein?

Je rougis, bien qu'il n'y aie aucune raison. Je lui répond honnêtement que oui, j'aimerais en savoir plus. Il change de position, pour se retrouver plus ou moins face à moi.

— Alors... Par où commencer? Déjà, tu sais que c'est de la fantasy, c'est déjà ça. C'est le style de fantasy avec les dragons, les rois, les chevaliers, tout ça tout ça. Et pour l'histoire en elle même, ça parle d'un paysan qui doit sauver sa tante malade et qui...

Ezra se lance dans le résumé de son roman. Je remarque rapidement qu'il a du mal à se concentrer sur la trame principale, car il divague souvent avant de revenir sur le sujet principal. Je fais pareil, donc je le remarque facilement chez les autres! Il lui faut plusieurs minutes, mais il parvient à me raconter son roman de façon à ce que je comprenne sans problème.

— Je suis impressionné, ça a l'air trop génial! Quand, et si, tu le fais éditer, préviens moi, que j'achète une copie!

Cette fois-ci, c'est lui qui s'empourpre.

— Ouais... Enfin, avant de pouvoir l'éditer, il faudrait déjà que je le finisse! Ca fait deux ans que je travaille dessus, et je n'en vois pas le bout. En plus, ça fait plusieurs semaines que je n'arrive pas à écrire, je bloque. Donc bon...

Même si je n'ai jamais écrit autre chose que des dissertations quand j'étais encore à l'école, j'arrive à comprendre ce qu'il ressent. La frustration, l'énervement, l'agacement... Je connais.

Ma main se pose d'elle-même sur son épaule dans un geste réconfortant. Un peu trop longtemps, peut-être, car Charles racle sa gorge après quelques secondes en me regardant bizarrement.

Un silence s'installe entre nous trois, que personne n'ose briser. Cependant, après plusieurs dizaines de secondes, il est interrompu: la sonnette de l'entrée résonne. Charlie s'empresse de se lever pour aller ouvrir, et après quelques minutes, il revient avec trois autres personnes.

— Alors... Il ne me semble pas que vous vous connaissiez, je vais faire les présentations, du coup.

Il commence par la femme sur la droite.

— Voici Cassandra, ma collègue. On s'occupe de la même classe! Et voici André, son compagnon, et Claire, leur petite fille. C'est aussi l'une de mes élèves!

Je serre la main d'André et fait la bise à Cassandra, et Ezra fait la même chose mais dans l'autre sens, et on se présente. Lorsque j'arrive à la petite fille, je m'accroupis devant elle et lui tend la main. Je ne veux pas la forcer à me faire la bise, ça ne sert à rien, et au moins elle peut refuser de serrer la main. Cependant, elle fait une chose à laquelle je ne m'attend pas: au lieu de prendre ma main dans la sienne, elle... Fait un check? Je dois faire une drôle de tête, car tous les autres rigolent en me regardant. La petite, elle, me regarde en faisant un sourire auquel il manque quelques dents.

— Moi, c'est Claire. T'es mon copain, maintenant.

Elle pointe son petit doigt vers Ezra, et continue:

— Toi aussi, t'es mon copain. On est toooooous copains maintenant. Vous voulez jouer à la poupée?

Claire court pour aller s'assoir dans le salon, et commence à sortir des poupées de son sac à dos. Je me relève, et me tourne vers Cassandra et André:

— Elle est vraiment adorable. Juste pour être sûr, ça ne vous dérange pas si on joue à la poupée avec elle, hein?

La maman fait un geste de la main dans le vague, pendant que le papa me répond:

— Non, ne vous inquiétez pas. Claire fait souvent ça, et elle va râler si vous ne jouez pas à la poupée avec elle. Et puis, si Charles vous fait confiance, nous n'avons pas de soucis à nous faire!

Maintenant, c'est moi qui sourit comme un imbécile. Je passe mon bras autour des épaules d'Ezra, et l'emmène dans le salon.

— Maintenant, on joue à la poupée. Meilleure soirée que j'aie jamais vécue!

*

*              *

Le dîner est passé à une vitesse incroyable, tellement tout le monde s'entend bien. Cassandra et André sont des personnes incroyables, qui ont une fille des plus adorables. Avec Claire et Ezra, nous avons joué aux super-héros, au final. Ezra avait kidnappé les poupées, et Super-Claire et son acolyte, Supra-Alex, devaient les sauver avant que le méchant ne leur coupe les cheveux. Nous avons gagné, évidemment, parce que nous sommes les meilleurs, et Ezra a dû rester au coin pendant trente minutes - une punition juste et efficace, décidée par Super-Claire elle même! Mais Ezra n'avait pas pu purger toute sa peine, car Denise nous avait appelés pour pouvoir aller manger. Mais attention! Comme l'a dit la super-héroïne, "Si tu recommences, t'auras pas de dessert!". Il a intérêt à bien se tenir!

Denise déteste gaspiller, donc elle a fait en sorte de ne pas faire trop de plats différents, tout en ayant quand même du choix. C'était impressionnant de voir tout ce qu'elle avait pu préparer! Tout le monde y trouvait son compte, même Cassandra, qui est végétarienne, et Charlie qui a une intolérance au lactose.

Tout le monde est entrain de parler joyeusement, lorsque je décide de me lever pour commencer à débarrasser. Ezra décide de faire pareil, et nous nous retrouvons tous les deux dans la cuisine.

— Alors, tu passes une bonne soirée?

Il est appuyé contre le bord du comptoir, et me regarde intensément. Je continue de vider le contenu des assiettes dans la poubelle, tout en lui répondant:

— Superbe! Claire est adorable, et j'aime bien l'ambiance qu'apportent ses parents. Et toi, comment ça va?

— Ma foi, je passe une bonne soirée aussi. Une de mes meilleurs, d'ailleurs!

Je pose la dernière assiette, et me tourne vers lui, m'appuyant contre le plan de travail.

— Je dois avouer que moi aussi. L'année dernière, j'étais malade donc je n'ai pas pu fêter l'anniversaire de Charlie. J'étais seul avec mon chat, c'était pas la joie.

Il éclate de rire, et je le rejoins. Je finis par lui demander:

— Et toi, tu faisais quoi l'année dernière? Je sais que t'étais pas ici, sinon Charlie m'aurait parlé de toi bien avant notre rencontre!

Son regard se tourne vers le sol, et il me répond.

— Alors... Si je me souviens bien, l'année dernière, mon meilleur ami m'avait traîné à un match de foot. Puis je ne suis pas très proche de ton frère, ça aurait été bizarre de m'inviter...

Je me décolle du plan de travail et me dirige vers le frigo, dans lequel j'attrape deux bières. Je reviens à mon emplacement initial, et lui en tend une après les avoir décapsulée.

— Dans ce cas, nous devons créer une nouvelle tradition: chaque année, les clans Barbier et Ramirez devront se rejoindre ici pour les anniversaires! Enfin, nous quatre en tout cas. De ce que j'ai compris, tes parents sont pas funs non plus, alors on va les garder hors d'ici!

Ezra lâche un petit rire, et tend sa bouteille vers moi.

— Je trinque à ça!

Le bruit de nos bouteilles s'entrechoquant résonne dans la cuisine, alors que nous buvons une gorgée. Après un instant, il demande:

— Bon, on fait quoi maintenant? On retourne là-bas, ou on reste ici?

Mon regard se balade et finit par se poser sur la pile de vaisselle sale sur le bord de l'évier.

— Je sais pas toi, mais moi, j'ai pas envie de déjà y retourner. Je commence à avoir mal à la tête, je vais rester encore un peu ici, faire la vaisselle, tout ça...

Sans prononcer le moindre mot, il se dirige vers l'un des placard, et en sort deux essuies-vaisselles ainsi que deux éponges.

— Let's go, alors! Cette vaisselle ne va pas se faire toute seule, monsieur!

 

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