Chapitre cinquième

Notes de l’auteur : Un chapitre un peu plus court que les autres. Avant une inévitable accélération des événements...

Le mercredi avant le concert, Marie et le Dude terminaient une de leurs promenades à pied. Grâce à la discussion qu’elle avait eu avec ses amis, après la répétition, elle avait les idées plus claires. Ils allaient aider Max à traverser cette mauvaise passe.  

Le duo arriva en vue du petit parc qui bordait la rivière, non loin de leur appartement. Le soleil n’était couvert par aucun nuage, et la végétation foisonnait. A cette heure-ci, en fin de matinée, il n’y avait presque personne pour profiter de la douce chaleur du ciel d’été qui couvait l’endroit… Ils avaient croisé des joggeurs (très peu) et aussi quelques anciens, la plupart assis sur les bancs qui jalonnaient le chemin qu’ils empruntaient quotidiennement.

Depuis que Marie avait emmené le Dude voir la vétérinaire, ils prenaient le même chemin deux fois par jour. Un circuit d’une vingtaine minutes. « Pas plus » avait insisté la Doc, alors que la veille de la consultation, la chanteuse l’avait traîné sur plus d’une heure, juste pour voir comment il s’en tirait physiquement ! Le pauvre vieux labrador ne s’était plaint à aucun moment, et Marie s’en était voulu à mort quand on lui avait expliqué qu’à son âge, il était plus que recommandé pour le Dude d’avoir une activité physique modérée. Le pauvre chien ! Elle faisait vraiment une maîtresse à chier parfois. Et ce bon toutou qui la regardait toujours comme si elle était Dieu Elle-même… Depuis, elle s’était promis de faire preuve de plus de régularité avec les habitudes du brave canidé.

Ces temps-ci, elle devait souvent s’absenter les week-ends, et à chaque fois, elle s’en voulait d’abandonner son gros poilu à Delphine, ou à sa vieille voisine, Mme Dayan… Celle-ci vivait seule depuis la mort de son mari, dix ans plus tôt et adorait la compagnie du Dude :

« Il est mieux éduqué que ne l’était mon mari, paix à son âme… Même si l’haleine est similaire. » Aimait-elle à répéter. Marie avait beau avoir entendu cette sortie une bonne vingtaine de fois (au bas mot), elle riait à chaque fois.

Dans l’ensemble, la jeune femme avait été rassurée par la visite chez la vétérinaire. Le labrador, avec son habituel stoïcisme empreint d’une confiance aveugle, avait supporter un check-up complet sans broncher. Et les résultats s’étaient avérés parfaitement normaux, du moins pour un gros chien de son âge. Le docteur Besson avait dit à Marie de ne pas s’inquiéter pour les éventuels pipis par terre, comme celui de ce fameux matin où elle s’était réveillée dans la confusion, et où elle avait eu une peur bleue que son chien soit déjà en train de mourir (même si, sur le coup, elle n’avait pas osé y penser en ces termes). Elle avait bien l’intention de faire tout ce qui était en son pouvoir pour que son chien reste le plus longtemps possible avec elle. A condition qu’il n’en souffre pas trop, bien entendu…

Tout en marchant, avec une lenteur délibérée, Marie regarda le Dude, qui lui rendit son regard avec une bonhommie toute canine, tranquille, langue pendante, et légèrement haletant.

Son portable vibra dans la poche arrière de son jean. Elle regarda l’écran. Franck. Il voulait savoir ce qu’elle faisait ce soir.

Elle n’avait pas vraiment envie de sortir ce soir, mais d’un autre côté, cela faisait un moment qu’elle n’avait pas vu le grand brun. Ils avaient passé pas mal de soirées ensemble, et, malgré ses invitations, elle n’avait jamais passé la nuit chez lui. Alors que lui était resté dormir chez elle plusieurs fois. Elle lui avait expliqué, avec sa franchise habituelle :

« Le prend pas mal, mais moi je la trouve flippante ta baraque. A deux là-dedans, perdue dans le lit King-size, je ne me sens pas bien du tout. Je suis plus genre « petit cocon » que « grand château » je crois… »

Franck avait eu l’air (un peu) déçu. Et n’avait plus insisté pour qu’elle reste. Même s’il avait bien précisé que la porte lui était toujours ouverte.

En gros, il avait réagi à la façon du parfait gentleman qu’il était. Comme à chaque fois…

Elle devait bien se l’avouer, une fois passés les premiers moments, plutôt intenses, de leur rencontre, il devenait de plus en plus barbant.

Alors oui, elle était toujours aussi contente (« et excitée, tu peux employer le terme ma petite, ce n’est pas un gros mot » se dit-elle à elle-même) à l’idée de passer du temps avec lui, mais alors… De deux choses l’une : soit il était réellement parfait (chiant) à en mourir. Soit il cachait quelque chose de vraiment pas net…

Leurs seuls intérêts communs étaient la musique, la baise et le cinéma de genre : tout spécialement les films d’horreur  dits « bis », qui avaient le don de les faire rire aux éclats, mais rarement aux même moments…

Bon, elle aurait pu se dire que ce n’était déjà pas mal, mais le hic arrivait : la communication, la liaison, ou l’étincelle… Appelez ça comme vous voulez. Eh bien… Elle celle-ci était pour ainsi dire inexistante.

Et ça, c’était un souci majeur si vous vouliez faire un bout de chemin avec quelqu’un.

Marie ne pensait pas qu’elle en ferait beaucoup avec Franck, à moins qu’il ne se mette soudain à partager de vraies émotions avec elle. Parce qu’en vérité, il avait souvent cet air absent quand ils étaient ensemble. Il avait l’air de penser à autre chose tout en lui parlant ou (le plus souvent) en lui posant des questions. Sauf quand ils faisaient l’amour. Ce qui n’était pas rare. Dans ces moments-là, il la regardait vraiment, la dévorant de ses yeux avides comme cette première fois dans son immense living-room… Au début, quand il avait ce regard-là, cela avait le don de noyer sa petite culotte presque instantanément. Une vraie petite fontaine… Mais maintenant, il y avait certains moments où elle se sentait presque gênée par l’intensité de ces iris bleu acier qui semblaient la passer au scan dès qu’elle retirait ses fringues. Marie était cependant consciente qu’il fallait lui accorder le bénéfice du doute : peut-être que tout cela était sa façon à lui d’être là, dans l’instant, avec elle…

Une fois ou deux, elle avait commencé à évoquer son passé. Pour créer du lien justement. Parce que, pour la première fois de sa vie, elle avait rencontré un homme avec qui elle avait couché et qui ne s’était pas répandu en confessions sur l’oreiller.

D’après son expérience, après le sexe, tous les mecs devenaient volubiles. A tel point qu’elle s’était posé la question de savoir si elle n’avait pas une tronche de psy qui les poussait à se confier…

Mais ce n’était pas le cas avec Franck. Il posait des questions, toutes pertinentes. Au moins cela prouvait qu’il l’écoutait vraiment.

Mais quand venait le moment de parler de lui… Alors là, il semblait plus détaché que jamais. Comme s’il récitait un texte appris par cœur, sans y mettre le ton. Et c’étaient toujours des généralités. Aucun souvenir précis de son enfance comme ces petits riens qu’on aime évoquer, qui peuvent paraître au premier abord sans importance, mais qui, mis bout à bout, forment une frise qui racontent la personne. Avec lui, n’apparaissaient que les grandes lignes. Aucun de ces détails qui donnaient à ces frises une beauté particulière et faite d’aspérités, de défauts qui forgeaient leur identité. Tout était lisse, plat… Emmerdant. Et finalement… Troublant.

Il avait aussi un autre défaut majeur : l’antiquaire n’avait pas l’air d’aimer vraiment les animaux. Et le sentiment était vraisemblablement réciproque ; il donnait bien une caresse ou deux au Dude quand il était à proximité, avec son habituel air détaché, mais elle sentait que c’était pour la forme. Le chien se laissait faire sans enthousiasme ni animosité particulière, et ils retournaient chacun à leur vie. Comme des collègues de boulots sans aucun atomes crochus mais qui sont bien obligés de sauver les apparences lorsqu’ils se croisent dans le couloir de la machine à café, ne serait-ce que pour faire plaisir au patron.

Elle se demanda si un trauma profond pouvait causer une telle incapacité à ressentir des émotions… ou à les transmettre… En bref, était-il malade ou juste emmerdant au possible ?

 

Il allait falloir qu’elle dénoue ce nœud avant de prendre une quelconque décision à son sujet. Et ce soir n’était pas pire qu’un autre pour essayer de creuser la question. Il était temps de dire ce qu’elle avait sur le cœur. Et elle allait aussi lui parler du fait que, ce week-end, elle comptait partager sa chambre d’hôtel avec son ex…

Ce n’était pas un calcul de sa part, mais il fallait dire que dans le genre révélateur de caractère, ce genre de situation allait vraisemblablement fonctionner du tonnerre. Effet garanti.

Elle en était presque venue à espérer qu’il pète un câble en fait… Cela aurait au moins le mérite de montrer qu’il ressentait quelque chose.

Elle tapota l’écran de son téléphone pour répondre qu’elle le verrait ce soir après la répétition.

 

 

                                                           ∞

 

 

Allongée nue sur le canapé de son petit salon, Marie essayait de savourer l’instant. D’ici quelques secondes, elle allait devoir aller à la salle de bain. Du moins si elle voulait éviter que la semence de Franck ne se répande sous elle.

Il s’était retiré dès qu’il avait repris son souffle, comme à chaque fois. Pas de câlins, pas de geste tendre… Bon.

Elle savait que ce n’était pas son genre, mais quand même… Elle aurait bien aimé être enlacée encore un peu une fois qu’ils avaient fini. Au moins, il avait le bon goût de ne pas sortir une connerie du genre : « merci Gertrude, c’était super ». Déjà ça… De toute façon, elle n’avait jamais aimé la sensation de vide que laissaient les mecs derrière eux. Surtout ceux (pires que Franck) qui faisaient style d’être pressés. Le genre « bon voilà, j’ai fini, merci au revoir » qui pouvait donner la fâcheuse impression d’être des toilettes publiques… Extrêmement désagréable. Même si elle avait connu des expériences (relativement rares, heureusement) où elle était bien contente que cela se termine.

Et puis il y avait ceux qui partageaient la douceur de l’accalmie après la tempête. Ils restaient, continuaient à enlacer, à caresser, à embrasser. Ils prenaient le temps de goûter une des meilleurs choses que l’existence ait à offrir à deux. Un des seuls moments où le corps et l’esprit connaissaient une satisfaction complète, sans produit ni effort physique trop intense (encore que…). Ceux-là ne sortaient pas d’elle la queue encore dure et palpitante. Ils laissaient la nature diminuer leur connexion physique, et puis, une fois que la fin du désir les avait « diminués », ils glissaient à côté d’elle. Doucement, comme à regret...

En se levant, elle se dit qu’il était temps pour elle d’aborder la question du concert de ce week-end avec Franck. Elle crut sentir son regard couler le long de ses fesses le temps qu’elle atteigne la porte de la salle de bain, alors qu’elle se déplaçait très certainement avec la grâce d’un lamantin sur la terre ferme. Quand on se déplace le cul à l’air, en serrant le périnée à mort, forcément c’est compliqué d’avoir la classe de Monica Bellucci sur le tapis rouge de Cannes…

« Tu es magnifique, ma chérie. » Entendit-elle alors qu’elle refermait la porte derrière elle. Le fait qu’il la complimente, surtout en regardant son arrière-train, n’était pas nouveau, mais le « ma chérie » … Vraiment ? Elle ne l’avait pas vu venir celui-là… Décontenancée (ce qui était plutôt rare chez elle) elle ne sut pas quoi lui répondre. Derrière le panneau de bois, elle bredouilla un :

« Euh, merci ? » et fut soulagée qu’il ne vit pas son expression à ce moment précis. Elle devait avoir l’air franchement perplexe…

De retour dans le salon, elle vit que Franck avait remis son pantalon en toile, mais pas sa chemise. Elle commençait à connaître certaine de ses habitudes, à défaut de véritablement le connaître, lui. Et l’absence de chemise signifiait qu’un deuxième round était tout à fait possible. Pour le moment, elle avait eu sa dose, mais il ne fallait pas fermer la porte à toutes les possibilités. Et puis, il offrait un spectacle plus qu’agréable à l’œil. Elle se demanda où il s’entraînait… Son endurance et ses muscles ciselés ne venaient pas d’une pochette surprise, pour sûr… Probablement qu’il avait une salle de sport quelque part dans son immense maison. Encore quelque chose qu’elle ignorait sur lui… Alors qu’elle profitait de ce corps plus souvent qu’à son tour.

Pour la première fois depuis les débuts de leur relation, elle se demanda si le fait qu’ils étaient incapables de tisser de véritables liens ne venait pas aussi d’elle. Peut-être qu’elle ne lui posait pas les bonnes questions ? peut-être attendait-il quelque chose d’elle ? Quelque chose qu’elle ne comprenait pas ?

Avant qu’elle ne puisse creuser la question, Franck la surprit en lui présentant une petite boîte ; il la lui tendit sans faire de cérémonie (sans mettre un genou à terre, encore heureux…), un sourire énigmatique aux lèvres, tout en verrouillant son regard dans le sien.

Sans qu’elle le veuille, son cœur fit un petit bon dans sa cage thoracique… Marie n’était pas habituée aux jolies intentions.

En fait, elle avait eu tendance, du moins jusqu’à maintenant, à fuir les hommes qui lui faisaient ce genre de plan : les bouquets de fleur, les déclarations ou les bijoux avaient été le meilleur moyen de la faire fuir jusque-là. Ce qui expliquait peut-être pourquoi Max restait une des relations les plus pérennes qu’elle ait connue. Les cadeaux-surprises, ce n’était pas son truc, à lui. Il limitait ses présents à Noël et aux anniversaires. Ce n’était pas par pingrerie, mais simplement que, comme elle, il n’aimait pas trop recevoir. Et il avait senti qu’ils partageaient cette gêne.

Mais aujourd’hui, de la part de Franck, cela lui fit plaisir. Comme quoi, les choses changeaient… Peut-être les gènes de la « responsable des achats » (elle se rappelait qu’il ne fallait plus dire « ménagère de moins de cinquante ans », devenu politiquement incorrect), commençaient finalement, en cours de trentaine, à faire leur apparition chez elle ? Elle en doutait sérieusement, mais, d’une manière étrange, elle avait l’impression que sa joie, à la vue de l’élégante petite boîte noire, s’apparentait à de la faiblesse. Ce fut un de ces moments où Franck sembla lire en elle (paradoxalement, cela arrivait assez souvent) …

« Je sais que tu n’es pas du genre à aimer les attentions matérielles… Et aussi que tu détestes qu’on t’appelle « Princesse ». Mais voilà : moi aussi j’aime bien n’en faire qu’à ma tête, une fois de temps en temps… Et j’avais envie d’offrir un petit cadeau à ma superbe Princesse. Ce n’est pas un bijou de luxe. Mais, comme toi, c’est une pièce unique. Je pense qu’il devrait te plaire. »

Pendant quelques longues secondes, Marie perdit toute contenance. Elle était debout au milieu de la pièce, avec juste un soutien-gorge, le minou à l’air et à hauteur du visage de Franck. Celui-ci, assis sur le canapé, gardait la main ouverte vers elle, son offrande posée dans sa paume. Il semblait prêt à attendre le prochain Déluge, l’air serein.

Une part de la chanteuse se fit entendre, loin dans un coin de sa tête. Elle lui disait de le repousser et de se casser en courant. Mais elle n’avait pas envie de l’écouter, celle-là... Pas aujourd’hui.

Ce fut le moment que choisit le Dude pour bailler bruyamment depuis son panier à côté du coin-cuisine (le bruit qu’il faisait ressemblait à une vieille porte qui grince et finit par couiner : pas discret pour un sou…) et cela mit fin au semblant de conflit intérieur de Marie. Elle finit par prendre la boîte et s’assit à côté de Franck :

« Bah, merci. C’est vraiment gentil de ta part. » évidemment, il fallait qu’elle se sente gênée… étant donné ce qu’ils étaient en train de faire quelques minutes auparavant, c’était franchement ironique. Elle se crut obligée de rajouter une connerie, mais qui n’en était pas tout à fait une :

« Du moment que c’est pas une bague de fiançailles, moi ça me va ! »

Franck rit de toute ses dents :

« Oh non ! Je n’oserais jamais tenter un truc aussi stupide sans t’en parler avant ! Je ne suis pas suicidaire ! » Là encore, sa remarque la surprit.

Il la connaissait peut-être mieux que ce qu’elle pensait après tout... Et elle devait bien admettre, que malgré toutes les réserves qu’elle avait sur le couple qu’ils formaient, Franck avait toujours été du genre à prendre soin d’elle. Même si souvent, c’était d’une façon un brin chevaleresque, ou même ringarde pourrait-on dire aujourd’hui (tirer sa chaise au resto, faire le tour de la voiture pour lui ouvrir la portière : ce genre de trucs…), voire sexiste, du moins à l’heure des fondamentalistes du « #metoo » … Et même s’il le faisait rarement, il l’avait plusieurs fois gratifiée de mots doux versés dans l’oreille. Pas tout à fait des déclarations d’amour, mais presque. Un peu comme cette première fois, dans son bunker de luxe… Elle avait des frissons de plaisir rien que d’y repenser à celle-là.

Tout cela ne lui avait pas fait prendre la poudre d’escampette… Elle réalisa alors que, si un autre que lui avait prononcé ce genre de phrase, elle aurait presque à coup sûr disparu dans un nuage de fumée : un peu façon Bip-Bip devant cet abruti de Coyote… Elle ne savait pas trop ce qui l’avait retenue d’ailleurs. Peut-être cette espèce de confiance distante qu’il affichait en permanence…

Dans un éclair d’auto-analyse lucide, elle se dit qu’intuitivement, elle ne pensait pas pouvoir lui faire de mal en le quittant. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, cela l’avait rassurée, l’avait empêchée de couper court à ce qu’il se passait entre eux.

Pendant qu’elle retournait son cadeau dans ses mains, elle leva un œil vers son amant et (ô stupéfaction ! encore !) crut surprendre une lueur d’inquiétude dans l’acier de ses iris.

Pour la première fois, elle se dit qu’il n’était peut-être pas aussi « immunisé » à l’attachement qu’il en avait l’air.

Elle ouvrit doucement le petit coffret qui révéla une bague en argent. Il s’agissait d’un anneau, fait dans un argent d’un gris à la fois discret et scintillant. Il représentait un serpent qui s’enlaçait lui-même, avec un niveau de détail proprement stupéfiant, étant donné la petite taille de l’ouvrage. Il tenait dans ses crochets une pierre verte, aussi délicatement ciselée que le reste. Probablement une émeraude. Marie n’avait aucun moyen d’en être certaine, mais elle en aurait mis son doigt à couper. C’était l’opposé des trucs « bling-bling » qu’elle abhorrait.

Elle l’adora immédiatement.

« Elle est magnifique… » Elle n’arrivait pas à détacher ses yeux des écailles du reptile argenté qu’elle retournait entre ses doigts pour en éprouver le poids. Il était relativement lourd. A chaque changement d’angle de vue et de luminosité elle remarquait de nouveau détail qu’elle aurait pensé impossible sur une si petite chose. Fascinant…

« J’ai pensé que la couleur irait bien avec celle de tes yeux. » dit simplement Franck. Elle tourna (enfin) son regard vers lui : il avait l’air satisfait d’un sale gosse qui a fait fonctionner une blague à la perfection.

« Mais c’est genre… une vraie ? Je veux dire, je m’en fous hein ? Mais elle a l’air si… Je ne sais pas. Si Présente. Ce n’est pas exactement ce que je veux dire, mais c’est le seul mot qui me vient là… »

_ Disons que c’est une vieillerie. Mais une vieillerie parfaitement authentique... Tu peux croire un vieil antiquaire sur parole ! »

« _ Je l’adore. Juste… Non, c’est tout. Je l’adore. »

« _ Alors essaie-la. »

Il lui prit la main en faisant courir ses doigts sur sa peau avec légèreté. Marie en eut des frémissements. Il mit l’anneau lui-même à son doigt. Il lui allait à la perfection. Cette fois, Marie n’en éprouva aucune surprise.

« Mon Précieux… » Elle imitait la voix de Gollum avec un certain talent. Franck explosa de rire. Il lui fit un clin d’œil complice :

« Très joli ! Mais celui-là n’a pas été forgé par un seigneur des ténèbres en armure dans un volcan en activité ! »

La chanteuse fut alors prise d’un sérieux doute : ce qu’elle était sur le point de lui dire n’allait-il pas gâcher une histoire qui, contre toute attente, pouvait s’avérait simple et agréable ?

Un rapide questionnement lui révéla qu’elle avait déjà pris sa décision, et qu’elle ne changerait pas d’avis : elle ne mentirait pas à Franck.

Et elle ne laisserait pas tomber son ami. Donc il n’y avait pas vraiment de choix à faire.

« C’est le plus beau cadeau qu’un antiquaire ne m’a jamais fait… En même temps, je ne vais pas te raconter de craques : tu n’as pas beaucoup de challengers. »

Franck sourit et répondit simplement :

« Ça me va. »

Marie prit encore quelques instants pour admirer le superbe ouvrage à son doigt, et se jeta à l’eau, sans transition. C’était comme arracher un pansement… autant le faire d’un coup :

« Samedi on va jouer à Rouen tu te rappelles ? »

« _ Oui, je me souviens qu’on en avait parlé. Et je t’avais dit que je ne viendrai pas, cette fois… J’ai une soirée avec des collègues. » Il la regardait calmement, attendant la suite… Marie arracha le pansement :

« Max ne va pas bien du tout. Et je me suis dit que ce serait bien qu’il vienne avec le groupe ce week-end. Pour plusieurs raisons… Enfin, bref. On va partager ma chambre à l’hôtel. Voilà. »

Elle ne vit pas l’intérêt d’ajouter « en tout bien, tout honneur ». S’il lui faisait ne serait-ce qu’un peu confiance, il le saurait.

Elle l’observait tandis qu’il semblait préparer une réponse appropriée. La jeune femme était incapable de lire quoique ce fut d’après son expression, si ce n’était une légère perplexité. Quand il prit la parole, après un moment qui s’étira un peu, ce fut de sa voix habituelle : calme et posée.

« Je suis content que tu m’en parles Marie. Je crois qu’il est temps qu’on commence à partager un peu plus ce qui se passe dans nos vies. Et le simple fait que tu me préviennes que tu vas dormir avec ton ex, peu importe les raisons, me touche… Je vais te paraître présomptueux, mais je pense commencer à te connaître. Tu es une personne d’une intégrité à toute épreuve. Je le vois bien. Et je suis désolé de ne pas avoir pu aider ton ami comme j’aurais souhaité le faire la dernière fois... Alors, si toi tu peux faire quoique ce soit pour lui… Fais-le. Et s’il y a le moindre problème… Appelle-moi. »

Il avait l’air parfaitement sincère en prononçant ce petit monologue. Et toujours aussi serein. Aucune trace de sarcasme dans sa voix ou sur son visage…

Bon. Pour la énième fois aujourd’hui, Franck la surprenait... Dans le bon sens du terme.

En plongeant encore un peu plus dans les jolis yeux bleus, elle se dit que, jusqu’ici, elle n’était jamais sortie avec un homme réellement mature… Que des gosses. Tous. Max le premier.

Elle admit, en son for intérieur, qu’elle avait peut-être jugé Franck un peu trop hâtivement. Sa façon d’être, de se comporter… Cette armure qu’il semblait ne jamais quitter… Tout cela ne reflétait manifestement pas ce qui se passait en lui. Et même si elle entendait, quelque part en elle, la punkette de la gare s’insurger du fait qu’elle commença à faire confiance à un homme qui représentait presque tout ce qui la dégoûtait il n’y avait pas si longtemps (la bourgeoisie, la richesse, le libéralisme forcené : faites votre choix…) ; Marie se demanda si elle ne s’était pas préparée à se détacher de cet homme pour toutes ces (mauvaises ?) raisons…

« Merci de le prendre comme ça, Franck. Je t’appellerais si j’en ai besoin. » Elle n’avait pas besoin d’en dire plus. Et de toute façon, elle n’avait plus envie de parler… Elle monta sur Franck et entreprit de voir comment se portait ce qu’il avait rangé dans son pantalon.

Il allait bien y avoir un deuxième round finalement…

 

 

                                                           ∞

 

 

Max ouvrit la porte de la maison et fit rentrer son vélo dans le couloir, soufflant un peu au passage. Il avait un peu forcé la cadence en rentrant quand il avait vu le ciel noir qui menaçait de déverser ses entrailles humides. Il n’avait rien contre une petite douche, mais son téléphone, lui, n’était pas étanche. Les premières grosses gouttes de ce qui n’annonçait être une sacrée averse lui était tombées sur le visage quelques centaines de mètres avant d’arriver. Il avait bien fait d’accélérer le mouvement, car au moment où il passait sous son petit porche, ce fut un véritable rideau de pluie qui s’abattit. Ouf !

Il avisa Chloë, posée sur le canapé en face de la porte vitrée du couloir (constamment ouverte), qui l’observait tranquillement. Elle avait ses quatre pattes repliées sous elle, ce qui lui donnait un air plus « trapu », pour ne pas dire un peu grassouillet.

« Bah alors ? Tu viens plus me dire bonjour quand je rentre ? C’est nouveau ça ? Un petit miaou au moins ? ça ne t’arracherait pas trop la gueule, non ?»

La chatte se contenta de le fixer sans bouger. Elle ne répondit pas. Au bout d’un moment, les yeux verts se détournèrent, manifestant ainsi une certaine perte d’intérêt à son égard.

Tandis qu’il se débarrassait de son sac et de sa veste, Max faisait la conversation :

« Sympa. Te gêne pas pour moi, rendors-toi. Je comprends bien, t’inquiète. T’as encore dû avoir une journée crevante à rester allongée. Bordel… J’en mettrais pas ma main à couper, mais j’ai l’impression que t’es encore à l’endroit exact où t’étais quand je suis parti… »

Il regarda l’écran de son téléphone avant de finir sa phrase : 

« Il y a neuf heures… »

Ces derniers temps, Chloë ne le gratifiait plus de ronds de jambes ou de miaulements de bienvenue quand il rentrait. Pas grave. Max connaissait bien les chats. C’étaient des créatures qui fonctionnaient non seulement par rituels, mais aussi par cycles : d’ici quelques semaines se serait de nouveau l’amour fou… Pas de quoi se formaliser. Même s’il ne se souvenait plus s’il était arrivé à la chatte d’être aussi distante depuis qu’ils s’étaient mutuellement adoptés, le jour où il l’avait entendue appeler à l’aide de sa minuscule voix de chaton, tard le soir dans sa rue, six années auparavant…

Il s’en souvenait parfaitement, alors que ce soir-là, il était relativement ivre (ce qui ne changeait pas de ses habitudes de l’époque) : il était en train de fumer une cigarette sur le perron de sa petite maison, entre deux verres de whisky-coca et probablement aussi entre deux films… Il y avait encore quelques fenêtres éclairées dans le lotissement, mais pas beaucoup. Pratiquement aucune voiture ne circulait et presque pas de passants (à part quelques rares personnes qui promenaient leur chien) ; il pouvait profiter du silence et de son agréable ivresse, savourant une cigarette se consumant trop vite à son goût, une taffe après l’autre…

Peut-être avait-il eu, à un moment, une conversation avec lui-même (comme ça lui arrivait souvent lorsqu’il buvait) … De ce point précis, il ne se souvenait plus… Et on avait dû l’entendre car, à un moment donné, dans la nuit découpée par l’éclairage des lampadaires, on lui avait répondu… un miaulement suraigu de chaton avait retenti sous la voûte noire du ciel : « Miiiiii !!! »

Un appel au secours. L’intonation était très claire.

Max c’était aussitôt levé, à peine étourdi par la bonne demi-bouteille de whisky qu’il s’était envoyé, et était parti à la recherche de la minuscule voix qui semblait déployer tant d’efforts pour être entendue. Il avait erré pendant quelques minutes, cherchant la provenance de l’appel et murmurant des mots rassurants aussi fort qu’il pouvait se le permettre dans la rue tranquille.

La petite voix de Chloë lui avait répondu à chaque fois : la minuscule bestiole faisait de son mieux pour guider à son sauveur potentiel…

            Les pires images avaient alors traversé la tête de Max : un petit chat empalé sur un grillage, se débattant pour sa vie… Ou encore ce même petit chat, gisant sur le sol sans pouvoir bouger, les pattes brisées, souffrant seul et pétri d’angoisse dans un endroit où il s’était perdu…

            Il avait senti la panique naître en lui ; une boule obstruant sa gorge et obscurcissant ses pensées, déjà passablement décousues… Il s’était orienté avec les miaulements, de plus en plus clairs, un horrible sentiment d’impuissance creusant son chemin en lui. Il avait fini par en avoir les larmes aux yeux.

            Max avait fini par localiser de façon plus ou moins précise la provenance des miaulements désespérés. La bestiole continuait de lui répondre chaque fois qu’il l’appelait.

            Le chaton se trouvait apparemment perché dans un arbre, sur la propriété de voisins qu’il ne connaissait que de vue. Dans le noir, Il était incapable de le distinguer, mais il était certain de la provenance de l’appel. Et il avait ressenti une vague de soulagement. C’était le coup classique du chat qui monte et s’avère incapable de redescendre ensuite. Donc à priori pas de bobo malgré les intonations déchirantes qui sortait de l’ombre des branches du grand sapin…

            « Miiiaa ! »

            Les lumières de la maison étaient toutes éteintes et il s’était dit qu’il n’oserait jamais aller sonner à la porte, et réveiller une famille avec des enfants en pleine nuit, l’odeur de l’alcool planant autour de lui. Il allait devoir enjamber la barrière, et grimper lui-même à l’arbre. Mais la première branche lui avait semblé trop haute pour qu’il puisse l’atteindre, rendant l’ascension impossible.

            Il se rappelait alors avoir dit à la petite voix (toujours en murmurant, tel un maraudeur furtif) qu’il allait revenir, qu’il ne fallait pas s’inquiéter, et qu’il allait la tirer de là…

            Les miaulements minuscules mais horriblement clairs avait continué, alors qu’il retournait vers sa maison pour réfléchir, et aussi pour trouver de quoi accéder aux branches du bas.

            Il avait détesté abandonner la pauvre créature à son sort, ne serait-ce que quelques minutes, alors qu’il savait très bien qu’il n’avait pas d’autre choix, du moins s’il voulait lui venir en aide…

             Il était rentré et s’était servi un rapide verre pour se calmer ; aussi ridicule qu’elle puisse paraître, cette situation avait mis ses nerfs à rude épreuve.

            Tandis qu’il réfléchissait à ce qu’il allait prendre pour s’aider à monter (« une chaise ? un tabouret ? Attends voir…. Il y avait peut-être un marchepied au sous-sol si je me souviens bien…) et qu’il buvait son verre par larges gorgées qui lui réchauffaient le ventre, il avait cru à nouveau entendre…

            « Miiiiii ! »

            Le miaulement.

            « Je deviens de plus en plus cinglé, moi… »

            Il était impossible qu’il puisse l’entendre depuis chez lui. Peut-être les cris du chaton faisait encore une espèce d’« écho » dans son cerveau ? Comme parfois lorsqu’on a une musique en tête qui ne voulait pas s’arrêter…

            « Miiiiaaa ! »

            Il était certain de l’avoir réellement entendu cette fois-ci. Cela provenait de la porte d’entrée.

            Se sentant dans une espèce de transe éthylique, ne parvenant plus vraiment à réfléchir avec cohérence, il s’était dirigé vers la porte et l’avait ouverte…

            Pour découvrir une toute petite boule de poil, assise sur son paillasson et transie de peur (malgré sa taille riquiqui, il la voyait trembler) qui levait de grands yeux vers lui :

« Mii ? »

Bien entendu, malgré le caractère légèrement irréel de la scène, il avait fondu comme du beurre sur une tartine toute chaude…

« Mooooh… Pauvre p’tite mère… Kesstufélà tout’ seule ? » Il n’avait même pas prêté attention au fait qu’il l’avait reconnue comme une femelle au premier coup d’œil. Pour lui, cela avait été une évidence…

Il s’était doucement baissé pour se mettre à la hauteur de la minuscule créature, et ils étaient devenus amis aussitôt… Ce soir-là, le bébé chat s’était endormie sur ses cuisses, pendant qu’il regardait un film sur le canapé. Il n’avait pas osé bouger, et ils avaient passé la nuit comme ça…

Le lendemain, malgré sa gueule de bois, il avait fait le tour du lotissement à la recherche des « propriétaires » (les guillemets s’imposaient : il trouvait le terme hautement inadéquat) de la bestiole.

Personne ne semblait avoir perdu de chaton… En tout cas pas dans le lotissement.

Max en avait ressenti de la gratitude, et n’avait pas poussé ses recherches plus avant.

Il avait alors baptisé la boulette de poils « Chloë » et l’avait gardée avec lui. Il lui avait donné ce nom, avec cette orthographe précise, d’après une fille qu’il avait rencontrée lorsqu’il était ado, pendant des vacances en montagne. Sans trop savoir pourquoi, la chatte lui avait rappelé la résilience et la force tranquille qui l’avait marqué chez la jeune fille, qui lui avait semblé plus vieille que son âge, à l’époque… Et puis ça sonnait bien. Pour être plus précis, cela sonnait juste.

Et voilà qu’aujourd’hui, la boule de poils en question avait l’air de lui faire la gueule. Sympa… Mais bon, les chats, comme les gosses, étaient des êtres ingrats après tout.

Max s’installa sous le porche et alluma sa première clope de la soirée. En parlant d’ingratitude… Ses pensées commencèrent immédiatement à dériver vers Fred, son chef tellement crispant… Il y avait quelque chose à régler avec lui… Il lui semblait qu’il avait déjà réfléchi à certaines « solutions ». Mais, bizarrement, il ne se rappelait pas le fruit de ses réflexions…  

Cela lui reviendrait en se concentrant un peu, il en était sûr.

Le simple fait de penser à son sourire faux-cul de blondinet chétif commençait déjà à lui mettre de petites décharges d’électricité qui remontaient le long de sa colonne vertébrale…

Ces sensations s’abîmèrent peu à peu en une sombre méditation.

Il ne s’en rendait absolument pas compte mais, en quelques instants, ses poings furent serrés jusqu’à s’en blanchir les phalanges…

Une sonnerie retentit dans sa poche.

Son téléphone.

Marie.

Cela faisait quelques jours qu’il n’avait pas pris de ces nouvelles à la Grande… Il était content qu’elle prenne les devants. Il avait toujours peur de la déranger… Il décrocha, un sourire sur le visage, et entonna :

« Allô-allô ! il y a…

« _ Si tu me sors « de la merde dans le tuyau » je te préviens, je raccroche !

« _Non ! Pas du tout !  J’allais dire… des nouilles dans la bolo ?

« _ Ouah. Super. Bientôt le stand-up, hein ? Tu me donneras une place gratuite, histoire que je vienne pas…

« _ Pardon. J’oublie parfois que les blagues de nous autres, simples mortels, sont incapables de venir chatouiller tes zygomatiques divins.

« _ ça a l’air d’aller, toi.

« _ J’ai connu mieux, mais j’ai connu bien pire ! » Max fit un clin d’œil dans le vide. Comme pour prouver sa bonne humeur au vent. Et à vrai dire, il était vraiment content. Marie passait rarement des appels. Elle était plus du genre messages… Lui aussi d’ailleurs. Il se demanda si quelque chose clochait dès qu’il en prit conscience. Mais tout ce qu’il trouva à dire fut :

« _ Et toi, ça va ? La forme ?

« _ Ouais. Nickel. « J’me sens patate, gros ! », comme disent les jeunes…

« _ OK mamie. Je suis content de t’avoir parlé mais là faut que je raccroche parce que ça me fait de la peine de te parler !

« _ En tout cas, t’as retrouvé ton sens de l’humour pourri. C’est déjà ça. Enfin, je suppose… » Silence gênant sur la ligne… Elle reprit :

« _ En fait, je voulais te demander de venir avec nous ce week-end, au concert. Je me disais que ça faisait un moment qu’on n’avait pas fait ça et que ça pourrait être sympa… Surtout maintenant que… Enfin tu vois… Que t’as arrêté de picoler. Les gars m’ont demandé de tes nouvelles et on a fini par se dire que ça serait… Enfin… Cool, tu vois ? »

Max se demanda ce qui pouvait rendre Marie si hésitante, soudainement…

Sa première pensée (assez moche, il lui fallait en convenir) fut que son top-model de copain, le grand, l’unique Franck… L’avait larguée. Et qu’elle venait chercher du réconfort auprès de ce bon vieux Max. Mais après une (très) courte réflexion, il se dit que ce n’était pas le genre de Marie. Si elle avait manqué de quelque chose comme de la tendresse (physique ou autre), elle serait venue, et se serait juste glissée auprès de lui. Et là, elle semblait mal à l’aise. Donc l’objet de son appel devait être tout autre…

Elle cherchait encore à lui venir en aide. Mais sans vraiment le dire. En fomentant une espèce de plan foireux avec son groupe… Dans son dos.

C’était quoi son problème, sérieux ?

Elle comptait le couver encore longtemps ?

Il lui en devait déjà beaucoup trop, et voilà qu’elle s’entêtait à le faire se sentir encore plus minable qu’il ne l’était déjà ?

Max serra les dents. Il prit sur lui pour garder un ton civilisé :

« J’ai pas besoin de ta pitié, Marie. Ton syndrome du sauveur tu peux te le garder. »

Silence sur la ligne : pas de réponse.

Elle devait être en train d’encaisser…

Bien.

Au bout de quelques secondes, Marie finit par répondre.

Sa voix vibrait, même au travers de l’appareil (soit elle était sous le choc, soit elle était furieuse, et il n’était pas certain de vouloir découvrir lequel des deux…) :

« _ Ecoute. Ce n’est pas… de la putain… de pitié… Et pour ton « syndrome du sauveur » de mes couilles… Je m’en cogne, OK ? » Max en resta sans voix. Comment les choses avait-elles pu dégénérer aussi rapidement ? Juste en une phrase ? Il pouvait être incroyablement con parfois… La chanteuse n’avait pas fini, sa voix paraissait vibrer plus fort à chaque phrase :

« _ Je suis juste inquiète pour toi. Je le suis tout le temps mais je prends sur moi pour ne pas te faire chier à longueur de temps ! OK ? Tu comprends ça ? Et je me demande bien pourquoi je m’inquiète ! Parce qu’on va pas se mentir, mais ça fait un bail que toi, tu ne t’inquiètes plus vraiment pour moi, hein ?! Je sais que tu veux, genre « marquer notre séparation » et je comprends. Pas de problème. Même si j’en vois pas trop l’intérêt, vu qu’on est incapables de se cacher des trucs, et que ce genre de cases c’est pas franchement notre délire à la base... Enfin, jusqu’à récemment, au cas où t’aurais pas remarqué ? Et moi qui tente des trucs pour que tu ailles mieux… Pour que tu te reconnectes avec le monde autour de toi… Même si je regrette un peu d’avoir fait intervenir Franck l’autre fois, c’est vrai… C’était foireux. Mais le truc, c’est qu’il faut essayer ! Depuis des semaines, on dirait que toi, tu attends. Quoi au juste ? J’en sais rien. Et je crois que j’ai pas vraiment envie de le savoir… »

Max en fut réduit au silence. Marie choisit ce moment pour lui porter le coup final :

« _Je sais que j’ai l’air de divaguer mais il y a des choses qu’il faut que tu entendes. Et je vais te dire un truc en toute honnêteté : c’était plus facile quand t’étais tout le temps bourré. Parce qu’au moins, tu ne te cachais pas. Tu étais peut-être malade… Mais tu étais entier. Alors que maintenant, on dirait que tu... Je ne sais pas… Que t’es plus vraiment là d’une certaine façon… Et franchement, je trouve ça triste. Et même complètement flippant pour tout dire… »

C’était pire que tout. Max n’avait pas réalisé ce qu’il renvoyait depuis qu’il était sorti de la clinique. Et c’était carrément moche. La colère qu’il avait ressentie quelques instants auparavant s’était évaporée. A ce moment précis, il n’était plus que confusion. Il s’écouta bafouiller des explications :

« Je voulais juste… Arrêter d’être un boulet, je crois. Marie… » Il était incapable de finir la phrase qu’il avait commencée...

Il entendait la jeune femme qui reprenait son souffle au travers du micro. Elle semblait à sec pour l’instant. Il ne se rappelait pas l’avoir jamais entendue lui sortir une tirade comme celle-là. Il s’était concentré sur son petit nombril pendant trop longtemps… Et même si des personnes qualifiées lui avaient expliqué que c’était nécessaire d’occulter les autres (au moins en partie) pendant le processus de « guérison », il se sentait comme une merde. Il était bien content de trouver son amie pour garder le chat, faire deux cent bornes pour aller le chercher chez les dingos et lui chialer dessus éhontément… Mais apparemment, quelque part en route, il l’avait oubliée, elle.

Il n’avait pas su voir qu’elle prenait sur elle depuis tout ce temps… En fait, il avait cru qu’elle était une espèce de roc indestructible sur lequel il pouvait se reposer. Et bien entendu, il avait eu tout faux… Merde. Quel abruti !

Il sentit les larmes lui monter aux yeux. Mais il était hors de question de pleurer à nouveau dans son giron. Il en avait assez fait. Il ravala la boule qui menaçait depuis sa gorge. Il était temps que lui aussi prenne sa part de responsabilité :

« Marie… Excuse-moi. Je n’avais pas réalisé. J’ai cru que j’étais tout seul à galérer… Comme d’habitude, j’ai été égoïste. Mais tout avait l’air d’aller tellement bien pour toi que je n’ai pas… » Max se sentait dépassé, incapable de réparer ses erreurs. Et s’il avait vraiment cassé quelque chose entre eux ? Et si un jour elle n’arrivait plus à le supporter ? Et puis il fallait se rendre à l’évidence, si c’était du sérieux avec Franck, il était raisonnable de penser qu’un jour, peut-être pas si lointain, elle emménagerait dans son bunker, et là… Ils finiraient par s’éloigner l’un de l’autre. Pour ne plus être que de vagues connaissances. Et tout ce qu’ils avaient traversé ensemble jusqu’ici ne serait plus qu’un souvenir...

C’est à ce moment qu’il réalisa que s’il perdait Marie, il n’y aurait alors plus personne entre lui et le néant… Il en ressentit une espèce de vertige cosmique. Sa tête se mit à tourner. Il devait tout faire pour empêcher ça :

« Écoute, si tu es toujours d’accord je serais content de venir au concert. Tu as raison à cent pour cent : il faut que je me reconnecte avec le monde extérieur. Et puis, voir les gars et tout ça… ce sera chouette. » La voix de Marie lui répondit enfin, plus calmement :

« Bon. OK. Super. Je suis contente que tu reviennes à la raison. J’y suis peut-être aller un peu fort, Max. Je ne m’excuse pas attention ! Je dis juste que j’étais…

« _ Inquiète. Ouais. Je sais. C’est ma faute. Je te promets que je vais faire de mon mieux pour corriger le tir… Tu vas voir, ce week-end on va bien se marrer. »

« _ Je sais que tu fais pas de promesses en l’air, alors tu t’en tires bien. On part samedi en début d’après-midi. De chez Danny, comme d’hab. On partagera une chambre d’hôtel tous les deux. À l’ancienne. Enfin non, pas vraiment à l’ancienne, mais tu m’as compris… Prends soin de toi Max. On s’écrit pour les détails. Bye. »

Et elle raccrocha. Décidément, elle trouvait toujours le moyen de le surprendre quand il pensait la connaître… Elle l’engueule (il l’avait mérité, certes…) et juste après, elle lui dit qu’ils vont partager une chambre d’hôtel dans quelques jours ? Et Franck dans tout ça ? Il était sûr qu’elle ne lui cacherait pas, mais quand même…

« N’importe quoi la Grande, des fois… » il s’adressait au salon, un air vaguement atterré sur le visage.

 Puis il sentit un large sourire éclaircir son visage. Max eut la sensation de ne pas avoir souri pour de vrai depuis des semaines. Et il était soulagé. Elle n’allait pas l’abandonner tout de suite en fin de compte. Et ce week-end, il le passerait à être le meilleur ami possible. Marie en avait fait plus qu’assez. C’était un peu à son tour de s’occuper d’elle.

Max se dirigea vers la salle de bain. Une bonne douche s’imposait. Il regarda vers le canapé en passant. Le petit félin n’avait pas bougé d’un pouce. Toujours à dormir.

Alors qu’il remontait l’étroit couloir, Chloë, malgré ses paupières en apparence fermées, ne quitta pas son bipède des yeux un seul instant…

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