" L'opacité du soir. "
Devant la luxueuse maison de mon ami Evan, l'inquiétude fleurit de nouveau dans mes entrailles. En rongeant nerveusement l'ongle de mon pouce, je me demande finalement si c'est une bonne idée de venir ici. Avant de me lancer dans quelque chose, je ne réfléchis jamais et le fait d'être venu à la soirée de la rentrée, risque probablement de m'entrainer vers le fond.
Munie d'une robe courte de couleur marine, avec un léger décolleté, le tissu est brillant et les ourlets sont fendus. Du maquillage léger, un trait d'eye-liner et un rouge à lèvres nudes, me voici prête pour affronter le monde. Une dernière fois, je passe une main dans mes petites boucles brunes folles pour les coiffer avant de pénétrer l'habitacle déjà bien animé.
La musique résonne, fait écho dans toutes les pièces. Les lumières vives éclairent furtivement les visages des danseurs au milieu du salon et la chaleur est saisissante. Des éclats de rire en fusion résonnent de partout. Une douce ambiance dont je raffole.
D'un geste circulaire, je scanne autour de moi, tentant de repérer mes amis au milieu d'un tas d'élèves. Je me fraye un chemin jusqu'au grand salon, je vagabonde, croisant quelques connaissances, mais je ne m'attarde pas plus. Mon regard émeraude parcourt la foule, à la recherche de mon groupe et dans le fond, j'espère les retrouver au plus vite.
Légèrement, je percute une table où sont posées les quantité des boissons pour la soirée. Silencieuse, j'observe sans savoir quoi prendre, avant d'opter pour un whisky coca.
Et pourquoi pas ? Ce n'est pas raisonnable, mais quelle importance ? Après tout, c'est la soirée de la rentrée. Je suis ici pour me donner du bon temps, m'offrir une nuit folâtre avant un retour à la réalité.
Je commence à verser le liquide, chantonnant légèrement la musique qui raisonne autour de moi. Pourtant, dans mon geste, je sens un regard insistant sur mon petit cœur, la sensation d'être observée.
Je quitte alors mon verre des yeux, redressant mes prunelles en direction de cette sensation pour réussir à enfin discerner la source de celui-ci.
— Tu optes pour noyer ta cervelle dans le whisky ? rétorque la voix de ma complice en s'approchant de moi.
— Mon meilleur allié en toutes circonstances.
Est-ce que ça m'aide à oublier ? Bien sûr que non.
Est-ce que je continue ? Bien sûr que oui.
— Je croyais que c'était moi, ton allié en toutes circonstances, déclare-t-elle, amusée.
— Toi, Evan et le whisky.
Mes piliers.
Ce n'est que lorsque Freya me prend dans ses bras qu'une sensation de bien-être m'envahit, comme une anticipation des instants que nous allons échanger. Et mon sourire ne ment pas, je suis réellement heureuse d'être ici.
— D'ailleurs, où est passé Evan ?
— Dans la cuisine avec un beau brun, réplique Freya, en haussant des sourcils.
— Le mec plus âgé ?
— Oui ! Et ils préparent un beer-pong, ça te dit de les rejoindre ?
— Allons nous incruster.
Je lui tape dans la main avant de la suivre jusqu'à la grande cuisine. Nous retrouvons Evan, les yeux vitreux, déjà bien entamé par l'alcool et la marijuana. Et ce grand brun, collé à mon meilleur ami.
Après avoir perdue la partie de beer-pong, je me retrouve au milieu d'un groupe de lycéen, dont j'écoute à peine la conversation. Je hoche la tête parfois, et rigole quand je l'estime nécessaire.
Putain, mais qu'est-ce que je fous là ?
Eh bien, je tente de décuver après les verres engloutis, mais cela s'avère difficile de tenir debout, de devoir se concentrer alors que mes yeux sont lourds.
Cependant, je ne peux pas le nier, c'est agréable de pouvoir échanger sur tout, sur rien. De revoir des personnes qui me sont connues, de faire comme si tout était normal, que allait bien pour moi. Ils parlent de leurs études, des futurs examens, de l'université, de l'avenir qu'ils ont entre leurs mains. Tandis que de jour en jour, l'avenir incertain s'installe en moi, mélangé à l'incertitude. Eternellement insatisfaite par cette vie.
Le temps de cette nuit, j'oublie les démons qui me rongent, qui me pourchassent, en me transformant en adolescente de dix-huit ans, lambda, capable de rire à des blagues douteuses, de s'amuser et de se laisser aller, sans se poser de questions.
J'apprécie de vivre dans l'instant présent. A trop réfléchir sur le futur, je m'y perds constamment. Cela m'effraie, tout particulièrement lorsque je n'y vois que du noir. Le néant. Le futur est le lieu de ma plus grande peur.
— Viens danser ! s'écrit Freya, en m'attrapant par le bras.
Mon corps se retrouve au beau milieu de la foule, entrainé par Evan et Freya. La musique enivrante me détend, au point que j'en ferme les yeux. Elle fait trembler les murs, on s'entend à peine parler dans l'habitacle bondé.
Je ne tiens pas longtemps sur la piste. Déjà fatiguée et essoufflée. Je m'éloigne pour reprendre un verre et m'hydrater. L'odeur d'alcool et de clope se rencontre dans mes narines. Les conversations sont brouillées et des portes se referment derrière des duos aux regards vitreux.
Et après un verre de trop, dans le bruit assourdissant de la musique, j'essaye de décrypter ce que Logan, le Co-capitaine de basket, me raconte. Une histoire sur le jeu des All Blacks.
Il vient de rentrer dans un monologue depuis dix bonnes minutes et je n'ai pas pu en placer une. C'est le genre de type à ne parler pour ne rien dire, nombriliste, porté sur lui-même. Tout ce que je déteste.
— Qu'est-ce que je disais, déjà ?
J'hallucine, quel culot ! Il a réussi à se perdre dans ses propres paroles.
Le brun se rapproche de moi, franchissant les barrières que j'ai instaurées auparavant. Je sens venir le lourd qui ne me lâche pas d'une semelle.
— Les All Black, dis-je sur un air blasé tout en sirotant ma Téquila Sunrise.
Bordel, mais pourquoi je bois cette horreur ? Et pourquoi je reste ici à l'écouter ?
Du coin de l'œil, je cherche un endroit où me cacher, m'éloigner le plus loin possible de ce type. Faut que je trouve un moyen de m'échapper.
— Je vais changer mon tampon usagé, que je lance, avec un sourire mesquin, cherchant à le repousser.
Ce qui fonctionne à en déduire de la grimace qu'il m'offre.
Très vite, il s'écarte de mon espace vitale et je respire de nouveau normalement. J'en profite pour récupérer mon sac, me dirige très loin de lui et c'est jusqu'aux escaliers que je m'enfuis.
A l'étage, j'erre, je décide d'ouvrir la première porte que je vois, tombant sur une salle de bain. Manque de chance, celle-ci est occupée par un jeune homme, dont la silhouette m'est assez familière.
Son corps est penché au-dessus du lavabo, je le vois aspiré une ligne de poudre blanche à l'aide d'une paille.
En catastrophe, son visage se lève vers le mien, comme perturbé par ma présence. Je reconnais le visage de Justin Hartwell, cet mi-ange, mi-démon. Connu pour son sourire charmeur et ses talents en basket, Justin a un air bien plus juvénile que l'année dernière, qui lui donne un côté mutin.
— Merde, désolé !, me suis-je exclamée, en refermant la porte dans un claquement indélicat.
En inspirant bruyamment, je laisse un instant mes iris se perdent sur le sol, avant qu'elles ne reviennent sur cette porte.
Je rêve encore d'une nuit à étouffer la douleur et cette haine envers la vie. Je rêve d'une dernière nuit à respirer la poudre aussi salvatrice que destructrice soit-elle.
Et si ce n'est pas une coïncidence mais un message ?
Je m'imagine déjà sniffer cette poudre.
Mon regard tombe sur mon verre, placé dans ma main droite. Et contre toute attente, il semble à peine entamé, ce qui pour moi, est une petite victoire. Normal, la téquila Sunrise c'est dégueulasse. Mais là, je ne peux m'empêcher de prendre une gorgée pour me donner du courage. Parce que le culot sera ma meilleure arme pour ce soir.
Interloqué par le brun, c'est brusquement que je m'introduis dans la salle de bain, prenant mes aises. Immobile, Justin Hartwell me dévisage, en fronçant le regard.
— Mais ferme cette putain de porte !, s'indigne-t-il en la désignant de la main.
— Ferme à clé la prochaine fois.
En refermant la porte derrière moi, mes pieds s'entremêlent pendant que mon corps tangue et je cale brusquement mon dos contre celle-ci. Sans la moindre hésitation, je l'observe obstinément, des pieds à la tête.
— Qu'est-ce que tu prends ?, je demande amusée, désignant d'un mouvement de menton sa poudre.
— De l'ecstasy en poudre.
La drogue de l'amour.
Des effets puissants sur le cerveau avec un état d'euphorie durant des heures. C'est presque alléchant.
— Ca à l'air pas mal.
— Tu en as déjà pris ?
Je fais un non de la tête. Je n'avais jamais encore expérimenté cette drogue. Peut-être par peur de ne pas avoir de limite, sûrement parce que les effets me feront dérailler.
Dès que je goûte à une autre drogue, j'ai tendance à m'inquiéter, à avoir le cœur qui bat fortement, comme si quelque chose de sombre allait m'envahir, m'attirer. Un petit moment d'anxiété qui s'apaise après la prise.
— T'en veux un peu ? Si tu préfères, je l'ai en forme de cachet.
Sa question me fait palpiter le cœur. Auparavant, elle ne m'attirait pas plus que ça. Pourtant, ce soir, je suis prête à prendre tout ce que l'on m'offre. Je ne me vois pas affronter cette soirée sans cette impression d'aisance.
Alors je hoche positivement de la tête, faisant glisser un sourire malicieux sur mes lèvres.
— Pour éviter que tu ne coures plus de risques, je te conseille de prendre la moitié du comprimé.
En fouillant dans sa veste en jean, il sort un sachet contenant trois pilules et dépose un cachet bleu dans le creux de ma main. Indécise, ou peut-être perdue, je l'analyse. Estampillé d'un logo ressemblant à un trèfle, cela lui donne l'apparence d'un bonbon que l'on pourrait avaler entièrement, sans se douter de l'après.
Finalement, j'écoute son conseil et je le casse en deux.
— Qu'est-ce que tu aimes en prenant de l'ecstasy ?
A ma question, je relève la tête vers lui, mes yeux à la recherche des siens.
— Ce que j'apprécie le plus dans cette drogue, c'est qu'elle me désinhibe légèrement et m'aide dans la communication avec les autres, surtout sur le plan tactile, m'explique-t-il dans un petit rire. D'où son surnom : la drogue de l'amour, ou la pilule de l'amour.
— Intéressant.
En réalité, je m'en fou.
Mécaniquement, je la place sur la langue. Avec l'aide de mon verre, je l'avale. Le poison glissant dans ma gorge provoque un petit frétillement en moi.
Il y a un vacarme au fond de mon cœur. Un enchaînement de tic-tac - une sournoise tactique du temps pour que jamais je n'oublie la douleur. Alors la bombe détone et les tic-tac cessent à l'instant même où j'avale cette pilule bleue.
J'ai conscience qu'en prenant le comprimé, je vais passer, encore une fois, de l'autre côté. Mais je suis incapable de comprendre cet univers dans ma tête.
— Et maintenant, qu'est-ce qu'on doit faire ?
Le fond de musique bat tout doucement dans ma cage thoracique.
— On attend que ça monte, ensuite, on va profiter du moment.
Assise par terre, et face à lui, je ferme les yeux en attendant la montée euphorique. Le rire de Justin qui se mélange aux basses me fait tourner la tête.
— Tu ne devrais pas mélanger l'alcool avec ça, suggère-t-il en pointant du doigt mon verre d'alcool.
Mon regard confus se pose sur sa silhouette.
— Et pourquoi ? Il me reste au moins quatre gorgées, je ne compte pas les gâcher.
— Crois moi, ce n'est pas un mélange à faire.
Je souris légèrement avant de mener mon verre à mes lèvres et de le boire d'une traite.
Oui, j'en ai rien à foutre. Mon cœur veut être à l'envers.
— Si tu vomis, ne compte pas sur moi pour te tenir les cheveux, prononce-t-il, en se moquant.
Nos rires s'entremêlent, comme si notre montée euphorique était connectée. Ce moment est synonyme d'évasion.
— Alors, avec qui tu es venu accompagner ce soir ?, je demande, par simple curiosité, peut-être mal placée.
En posant le verre sur le carrelage, je me demande si c'était une bonne idée de le boire cul sec. Mais le bruit du verre déposé sonne comme une première note d'un bon début de soirée.
— Avec Mike.
Puis je maintiens mon regard flou dans ses yeux vitreux.
— Pourquoi tu n'es pas avec lui ?
Je ne bouge pas d'un cil et mes billes curieuses ne cessent d'observer les siennes, à la glaciation éternelle.
— Pour te surveiller, voyons, réplique-t-il avec une pointe d'ironie. Non, en réalité, je n'ai pas eu un début de soirée passionnant, alors j'ai dû compenser.
— C'est-à-dire ?
Il plisse les yeux, laissant apparaître un visage amusé.
— Tu poses beaucoup de questions.
Je suis ivre, défoncée à ce point ? A parler beaucoup trop ?
Sa bouche se tord légèrement, laissant apparaître une fossette et un sourire rempli de malice. Il penche la tête sur le côté avant de se pincer les lèvres.
— Je m'appelle Justin.
Et d'un geste doux, il vient tendre sa main vers ma silhouette et la mienne empoigne la sienne.
— Olivia.
— Je sais.
J'ai déjà une sensation étrange, comme celle de ne plus être totalement présente, d'être dans un rêve, un doux rêve qui semble se dérouler au ralenti tout autour de moi.
J'ai peur que toute cette histoire tourne mal, j'espère que non...
J'ai repéré quelques petites coquilles, rien de bien méchant, dis-moi si jamais tu veux que je te les indique.
Partons pour le troisième chapitre !
Oh oui, n'hésite surtout pas à me partager ce que tu vois, ça va beaucoup m'aider !