CHAPITRE DEUX

Quelle idée j’ai eue là moi encore ! L’invité à venir fumer un joint pour la détendre et lui faire oublier ses soucis n’était peut-être pas la meilleure des choses à faire, mais elle a dit oui. Et nous voilà en train de se droguer dans un endroit reculé du coin fumeurs de ce foutu lycée. Qui plus est, j’aurais dû parier sur le fait qu’elle ne se souvienne plus de moi. Le passage avec ma mère, elle l'a effacé de sa tête. Enfin, prolonger la vie d’une pauvre femme de cinquante-sept ans ça doit bien lui être égale. Elle a sûrement d'autres choses à retenir que ça. Ce que je ne comprends pas, c’est cette tête de blaser de la vie qu’elle a. 

 -  Tu sais Allia, tu devrais plus sourire. Ça t'irait mieux, et tu en serais que plus mignonne.

 Je ne l’ai pas vu venir celle-là. Elle ma gifler ou je rêve ?  Comme si cela ne suffisait pas, elle sort un mot incompressible. Du russe, je dirais. C’est vrai qu’elle en est originaire, mais bon, même si je ne comprends pas ses paroles, son acte me clarifie clairement qu’elle n’a pas aimé du tout mon commentaire. 

 -  Aïe ? Je ne parle pas russe, mais je ne suis pas con. C’était juste un compliment, tu n'as pas besoin de me frapper. 

-  Ça ne m’intéresse pas.

-  Ton cœur est déjà pris ? 

-  Aucunement. Sérieux, à force de parler froidement comme ça, je vais croire qu’elle ne connaît pas les relations humaines. 

-  Parfait, alors je peux le prendre ! Tu as besoin d’un gosse pour la prochaine génération non ?

 Et à peine le temps de finir ma phrase, qu’une seconde fois, sa main claque ma joue. Et ce n’est pas qu’un mot qu’elle sort dans sa langue, mais des phrases complètes que je ne comprends clairement pas. Je dois dire que ça lui donne un charme de parler dans cette langue. Elle continue de me frapper sur le torse avec sa main. Je suis sûr que même une piqûre de moustique me ferait plus mal. Enfin, j’exagère sûrement, mais honnêtement, je ne sens rien. Je la regarde faire en rigolant un peu. Elle a dû le remarquer puisque la seconde d’après, c’est son bras avec sa prothèse qui me fonce dessus. Je la bloque assez rapidement. Pas sûr que j’aurais réagi pareil avec celui-là.

 -  Bon… Tu as fini oui ? Je grommelle tandis qu’elle cherche à retirer son bras de ma main. Mais bon, même pour une prothèse, je trouve sa fin, un coup dedans, et ça se casse. Elle finit par abandonner l’idée.

-  Et toi tu as fini de me casser les couilles ? 

-  Pas spécialement non… Je finis par la lâcher. On va croire que je vais l’agresser après. Ça va… Je ne voulais pas t'offenser, excuse-moi ma beauté. 

 Elle grommelle une insulte dont je ne fais pas du tout attention. Au lieu de ça, mon regard se porte sur son poignet. Elle n’a pas une des belles prothèses que l’on peut voir sortir du Bleu Jay. Celle qu’elle a ressemble plus à une sorte de test. Toutes en noir et laissant voir les reliures des différentes zones du corps. Je n’avais jamais fait attention à son bras. Elle semble même avoir un souci. J’ai serré trop fort ? C’est plus fragile que je ne l’aurais crue ses merdes…

 -  Pourquoi tu dis que j’ai besoin d’un gosses ? J’ai que dix-huit ans. Elle est au téléphone et me parle en même temps. C’est que sa discussion ne doit pas être importante.

-  Simple déduction… Tous les successeurs ont eu leurs progénitures juste après avoir hérité de l’entreprise. Alors je suppose que toi aussi tu vas devoir faire ça…

 -  Il ne faut pas être con pour deviner ça…

-  C’est pour ça que je te demande ça Allia.

-  Arrête de m’appeler par mon prénom comme si tu me connaissais ! 

-  Tu préfères « beauté » ? 

 Elle grogne dans son coin, une oreille tenant toujours son téléphone. Je ne comprends rien de ce qu’elle fait, et honnêtement, je m’en fiche. Elle me sermonne de quelques petites insultes qui me font rire, avant de mettre ses mains dans ses poches, et partir. Non… je ne dois pas la laisser partir.

Je n’aurais jamais cru qu’elle accepterait de venir avec moi dans un Fast Food. Elle qui mange toujours sain et équilibré, le gras de ces trucs-là ne doit pas l’intéresser. Et j’aurais dû parier qu’elle ne mangerait pas. Elle est prévisible. Elle n’a jamais mangé là. Ses amis ont apparemment essayé de lui faire manger, je cite « cette nourriture infâme », mais elle n’a jamais voulu. Je cite « je fais attention à ma ligne ». Ça veut dire que je suis gros ? Enfin, peu importe. On prend à emporter et je me demande, comment je vais payer. Je veux l'inviter, mais elle ne mange rien, je veux payer, et je n’ai pas assez de sous pour mon propre menu. C’est la merde. Plan foireux… Je n’ai pas le temps de me demander plus comment faire, qu’Allia a déjà payé pour moi. Je rêve. Pourquoi fait-elle ça ? C’était à moi de le faire pour me faire pardonner d’avoir cassé sa prothèse. Et pourquoi même je fais ça. Le respect, simplement.

 - C’est pour te remercier…

 Me remercier de quoi, je n’ai strictement rien fait pour elle. Au contraire, je lui ai cassé un bras. Elle paye pour ne plus rien manger. Elle abuse. Elle pourrait au moins tester. Sérieux, cela change quoi que ce ne soit pas des plats « cinq étoiles raffinées » je ne comprends pas la différence entre tout ça… ça reste de la bouffe, mais plus chère. Après un peu de forcing, elle a fini par craquer et se prendre un plat. J’ai tout de même dû choisir pour elle. J’ai été cool ça va, ce n’est pas le truc le plus gras que je lui ai pris. Elle n' avait pas l’air enchantée, mais pour autant, cela n'avait pas l’air de la contrarier plus que ça. C’est assez étrange comme réaction je dirais. Peut-être pas si prévisible que ça.

 On s'est vite retrouvé chez elle. Au siège de l’Amera corporation. À l’étage quatre-vingt, là où personne n’a accès appart ses amis, sa famille ou les autres riches. Je dois prendre ça comme un « on est ami » ? De ses fenêtres, la vue sur Tokyo est incroyable. Je n’en reviens pas. Et la place dans son appartement aussi grand qu’une maison pour six personnes rend la chose encore plus grande. Je reste à regarder la vue, avant qu’elle ne m'appelle pour aller vers sa cuisine. Là aussi, elle est équipée pour douze. Loin de mon petit frigo avec la lumière cassée et les deux petites plaques de cuisson électriques ou une seul fonctionne. Sérieusement, la vie de riche à ces avantages. 

 On mangeait tranquillement dans le silence, avant que je ne la voie sortir son téléphone, et me prendre en photo. Je n’ai même pas le temps de lui demander pourquoi elle fait ça, qu’elle m’explique clairement que j’ai de la sauce partout autour de la bouche. Et elle trouve ça drôle. Enfin j’allais répliquer, mais je remarque bien vite qu’elle n’a clairement rien mangé. Je cite « Non, mais, ça peut attendre » elle n’ose sûrement juste pas, je suppose.

 -  Ta mère… Louise Kare, elle était atteinte d’une tumeur aux genoux qui s'est révélée être un cancer des os… Allia parle ça comme ça. Comme si c’était normal.

-  Ouai… C’est ça…

 J’aurais pensé qu’elle ajouterait quelque chose, mais non. Elle ne dit rien du tout pendant un long moment. J’ai eu le temps de finir de manger et ranger mes affaires sans qu’elle ne décroche un mot. Ma foi. Tant pis. Je vais juste y aller je pense, et ne pas abuser de son hospitalité. 

-  Reste… Murmure sa voix douce.

 Ne fais pas ça Kaito… trop de risques…

 -  Cette tour me rend folle si j’y reste seule… 

-  Alors, viens dormir à la maison ? Ce n’est clairement pas aussi grand, mais ça fera l’affaire. 

 Arrête… Tu ne peux pas continuer… Ton rôle, ne l’oublie pas… Et puis merde…

 -  Ton repas doit être froid… Il n’est sûrement plus très bon… 

 -  Ce n’est pas grave, l’important est que tu te sois régalé… Enfin bref… Tu bois ? 

 Oui. Et elle aussi. Mais sérieux, cette nana est louche. Elle m’a servi, c’est pris un cul sec, et voilà qu’elle compte. L’alcool agit plus vite que je ne l’aurais cru sur cette femme.

 - Pourquoi tu comptes ? 

 -  Pour savoir combien de temps, l’extasie que j’ai mis dans ton verre te fera effet.

 

Elle me sourit. Oh la conne…

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