Au petit centre médical, on me soigna. On me changea. Et on m'attribua une paillasse pour se reposer. Le matelas à même le sol, je fixais le plafond constellé de tâches. Mes pensées défilaient. Les remords affluaient. Je redessinais mes souvenirs. Adaptant une stratégie en fonction de ce qu'ils ont réagis. Réinventais l'histoire. J'aurais pu faire quelque chose. J'aurais pu prévoir les pièges. Mais je n'avais pas réussis. Et à présent, j'étais prisonnier de ces erreurs.
Plus tard, il arriva. Passant près de chaque blessé. Les interrogeant. Leur demandant si ce n'était pas trop dur. Il prenait son temps. Connaissait beaucoup de ses soldats. Riait et compatissait. Lorsqu'il arriva à mon chevet, je paniquais. Il ne fallait pas que je me trahisse. Il ne fallait pas qu'il doute. Il fallait juste être naturel. Mais je ne m'étais pas préparé à ça. Pas à tant d'attention. Pas à tant de tendresse. C'était tout bonnement inimaginable. Dés les premières phrases je fus désemparé. Ses mots s'enchainés. Calmes. Naturels. Confiants. Aimables.
« Tous les humains que tu vois ici sont mes soldats, mes camarades, mes amis. Ils sont sur ses lits à cause de deux personnes. Pourtant, je ne blâme la deuxième. Nous avons fait les mêmes bêtises. Nous avons reproduis les mêmes erreurs. Sur le champs de bataille nous nous serions peut-être entre-tués. Mais je suis sur que dans d'autres circonstances nous aurions été amis. Étant dans la bataille, l'as-tu vue. »
Je sentis mes yeux s'écarquillés de surprise et ma tête se secoué lentement. Je n'osais pas le regarder. Cependant, je sentais sa présence imposante. On devait avoir la même taille. Mais lui, de son caractère, de sa carrure, était plus grand. Plus imposant. Il changea subitement de sujet. Comme s'il remarquait que j'étais gêné.
« As-tu une famille. Des amis à prévenir. Une maison peut-être où je pourrais t'emmener. »
Je ne compris pas tout de suite. Ils ne voulaient pas me garder. Je n'étais pas un prisonnier. Je n'étais qu'un civil pour eux. Je relevais la tête et le regardais. Il était sincère. Ses yeux un noir profond reflétaient la compassion. De nouveau, je secouais la tête. Des mèches blondes se détachèrent de mon élastique pour venir me chatouiller le visage.
« Dans ce cas, nous trouverons. »
La peau foncée de ses joues se plia pour former un sourire. Et il parti. Me promettant de revenir bientôt. Sa visite me rendis perplexe. Mais me rassura. J'allais pouvoir joué. Jusqu'à la fin.
Les deux jours suivants passèrent lentement. Dans le plus grand des calme et dans le Remus le plus total. Je ne faisais rien. J'attendais. Je lisais. Mais je restais assis ou allongé. Je ne pouvais pas faire autrement. Cependant, mes voisins changeaient souvent. Les infirmières passaient entre les lits de fortunes à toutes heures. Les blessés criaient de douleur ou riaient grassement avec leurs amis. Autour de moi, le mouvement était constant. Et c'était peut-être à cause de cela que je ne dormais pas.
C'était tout bonnement impossible. Mon cerveau refusait de se mettre en pause. Même au plus noir de la nuit. Les yeux fermés, je ne pensais à rien. Je réfléchissais trop. Tout se mélangeait. La fatigue prenait dessus sur moi. Mais je ne pouvais dormir.
Des lilas fleurissaient sous mes yeux. Si bien que lors de sa troisième venu, il le remarqua tout de suite. Si bien que lors de sa troisième venu, il s'énerva contre les infirmières. Si bien que lors de sa troisième venu, il me proposa de dormir chez lui. C'était tentant. Mais cela était cependant impossible. C'était s'exposer. Trop s'exposer.
Alors, il venait plus souvent. Veillait à mon bien-être. Veillait à ma guérison. Veillait à ma fatigue. Il me répétait qui si je voulais sortir, je devais être en forme. Qu'il ne me laisserait pas partir si j'étais voulé à m'écrouler après quelques mètres. Qu'il ne m'avais pas sauver pour me laisser mourir. Je fermais donc les yeux. Quoi que peu confiant. De temps en temps je m'endormais. Peu, mais ça lui allait. C'était déjà ça. Et il repartait peu après.
Un jours. Lors d'une de ses visites. Alors qu'il parlait, je ne pus m'empêcher de sombrer. Mais au lieu des limbes noires et réparatrices, ce fus le chaos et le sang. Des batailles. Des morts. La défaite. Tous, à genoux. Eux. Lui. Leurs fusils sur nos crânes. Des sourires. De la haine. De l'humiliation. Et avant tout, de la douleur. Le corps écorché. Les membres calcinés. Le visage laminés. Rien n'était supportable. Des cris retentissaient. Des hurlements animaux. Des plaintes venant des entailles. Les larmes coulaient. Emportant avec elles le sang. La boue. Et la crasse. Laissant derrière elles le sel. L'amertume. Et la douleur. Enfin, dans un dernier regard, il tira. En plein dans ma chaire. En plein dans ma poitrine. En plein dans mon cœur.
Mon réveil fût brutal. Ma respiration était lourde. Mes oreilles sifflaient. Ma vue était obscurci. Je ne savais pas où je me trouvais. Je sentais les mêmes cristaux glacés roulés sur mes joues. Je ne savais plus où j'étais. Sur le champs de bataille. En sécurité. Quelque part quelqu'un courait. Ses pas se rapprochaient. Des cheveux clairs m'apparurent. Bouclés. Scintillants. Une voix se fit entendre. Douce. Rauque. Inquiète.
«Que ce passe-t-il.»
Cela faisait plusieurs minutes déjà que j'avais émergé. Mon pouls c'était stabilisé. Ma respiration calmée. Mes yeux habitués. C'était lui. Sans son expression meurtrière. Sans son regard méchant. Sans son sourire narquois. Je n'étais pas au bout de son canon. Je secouais la tête. Alors sa main écarta mes longues mèches. Se posa sur mon front. Pris ma température. Tout allait bien. Ma sueur ne venait que de mon cauchemar. De mon stresse. J'esquissais un sourire pour qu'il s'éloigne. Il comprit mon souhait.
Cependant, il me proposa a nouveau cette chose insensée. Ses arguments étaient d'autant plus valable maintenant. Cela faisait trop longtemps que j'étais sur cette paillasse. Cela faisait trop longtemps que je ne dormais pas. Cela faisait trop longtemps que je n'avais pas vu la lumière du jour. Alors j'acceptais. Inconsciemment. Peut-être par dépit. Ou alors parce que je savais qu'il serait à ma portée là-bas. En tout cas, c'est dans le piège du chasseur que je me jetais.
26 février 2023