Marco était nerveux. Il ne pouvait pas se le cacher. Il ne le cacherait pas non plus à la jeune femme qui l'attendait. Il se retourna une nouvelle fois. Personne ne le suivait. Tant mieux. Il avait eu assez de mal à se débarrasser d'Enric.
Le jeune comte fêtait son retour comme il se devait, à coup d'alcool fort et de filles faciles. N'ayant pas d'autre choix que de l'accompagner, Marco était parti dès qu'Enric prêta plus d'attention aux seins de sa compagne pour la nuit qu'à son archiviste. Avec un peu de chance, son absence ne serait même pas remarqué. Sinon, il inventerait quelque chose. Il ne se voyait pas avouer à son ami qu'il rencontrait la Kharmesi sans le moindre chaperon et sans son masque.
Elle se tenait au même endroit que la dernière fois, le dos appuyé contre un rocher, le regard tourné vers la mer. Elle ne le vit pas arriver. Il s'arrêta, l'observa. Elle portait une robe sans la moindre fioriture. Ses cheveux bruns détachés voletaient autour de son visage pâle. Rien ne rattachait la jeune femme à celle qu'elle était dans la Maison des Mères, sauf peut-être, son port de tête, toujours aussi hautain. Il n'y avait qu'une personne sûre de ce qu'elle était pour toisait le monde entier de cette manière. Une Déesse. Ou sa représentante.
Marco se remit en marche, faisant un peu plus de bruit que nécessaire. Elle délaissa les vagues et se tourna vers lui. Il s'étonna de la voir sourire. Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes. Plus dans celles d'Alara. Laquelle avait-il réellement devant lui ? La question se posait. Il n'arrivait toujours pas à se faire à l'idée qu'elles n'étaient qu'une seule et même personne. Les deux facettes de sa personnalité étaient bien trop différentes pour lui.
— Merci d'être venu, dit-elle.
Alara, donc. La Kharmesi ne remerciait personne. Il se retint de sourire un peu plus. Il appréciait nettement plus Alara à la femme au masque. Elle avait quelque chose de plus humain. Pas de moins impressionnant par contre. La brûlure sur sa paume ne se voyait presque plus mais il ne l'oubliait pas. Il ne la devait pas à la Kharmesi.
— Je suis à votre service, ma dame, répondit-il.
— Évitez de m’appeler comme ça. Nous ne sommes pas à la Maison des Mères.
— Mais vous avez besoin de l'archiviste, et non de moi. Je trouve cette formulation tout indiqué. Même si ce rendez-vous n'a rien d'officiel. Ce qui est assez intriguant, je dois avouer.
Elle grimaça. C'en était presque amusant de la voir ainsi. Elle était bien plus expressive qu'il ne le pensait. Il suffisait d'observer les petits détails sur son visage. Et d'éviter de se perdre dans cette contemplation.
— J'ai effectivement besoin de l'aide de l'archiviste. J'ai surtout besoin de conseil qui ne viendrait pas des Mères ou du comte de Lordet. De quelqu'un de plus neutre.
— Et vous pensez que je suis cette personne-là ? s'étonna-t-il.
— Vous êtes archiviste, non ?
— Je ne suis pas vraiment ce qu'on peut appeler neutre, ma dame. Même si je suis bien archiviste.
Elle souffla. Il voyait bien qu'il n'était pas loin de la mettre en colère. Autant éviter. Une nouvelle brûlure ne lui disait rien.
— Je vous écoute, finit-il par dire.
Elle lui exposa la situation. Elle avait du y réfléchir depuis un moment déjà. Tout était parfaitement clair. Habituée au discours, elle n'omettait rien, sauf peut-être ses sentiments. Elle ne portait pas son masque mais c'était tout comme. Elle demandait surtout qu'on lui permette d'y voir un peu plus clairement la situation actuelle autour de la Maison des Mères. Elle s'effaçait pour n'être que la Kharmesi. A croire qu'elle ne se laissait jamais prendre le dessus sur son rôle. Seules ses mains, bougeant au rythme de sa voix, montraient à quel point tout cela la touchait vraiment.
Alara se préoccupait plus de son peuple que de ce que les autres pouvaient penser d'elle en tant que Kharmesi. Si cela n'avait pas été le cas, elle ne serait jamais venu avec Enric en campagne, elle n'aurait pas non plus tenue tête à Aymeric de Lucin comme elle avait pu le faire. Tout cela était de son fait à elle. Pourquoi se cachait-elle derrière le masque à chaque fois ? Était-ce à cause des Mères, qui la bridaient plus qu'il ne le pensait jusque-là ? C'était la seule raison qu'il voyait.
Elle acheva son exposé quelque peu essoufflée. Pendant une minute, elle ne dit rien, ne bougea pas. Elle fixait ses mains, essayant de voir si elle n'avait rien oublié. Ce n'était pas le cas, apparemment. Elle releva la tête. Dans ses yeux, il put voir comme une lueur d'incertitude mêlée à du défi. Elle lui parut fragile, bien loin de ce qu'il voyait et imaginait d'elle depuis qu'il l'avait rencontré.
— Voilà où j'en suis, finit-elle par dire. J'ai une guerre sur les bras et aucun moyen évident pour l'éviter. Ma capitaine me pousse à ouvrir un conseil de guerre. Les Mères pensent que si je m'excuse, tout rentrera dans l'ordre. Je n'ai envie de faire ni l'un ni l'autre.
— Il faudra pourtant vous décider, ma dame. Vous ne pouvez pas hésiter longtemps alors qu'une armée sera bientôt aux portes du comté. Les de Lordet ne vous attendrons pas pour lever la leur. Enric a déjà fait part de ses inquiétudes à ce sujet à son père. Ils ne resteront pas à se poser des questions, eux. Je ne comprends pas d'ailleurs pourquoi c'est votre cas.
— Parce que je dois faire ce qui est le mieux pour mon peuple. Et que celui de Lucin l'est tout autant que celui de Lordet. Si je décide de nommer un conseil de guerre, je me lève contre eux. Et si je ne le fais pas, c'est contre les gens d'ici que je suis. Je ne peux pas rester neutre. Je n'ai pas non plus envie de m'abaisser à faire des excuses à Aymeric de Lucin.
Elle se mordit les lèvres avant d'ajouter, dans un murmure :
— Je suis perdue.
Pour la première fois, la Kharmesi avouait être impuissante. Marco ne savait pas quoi faire, ni quoi dire. Il ne l'avait jamais vu ainsi. Pas même lorsqu'elle cachait son identité. Elle n'était ni la Alara qu'il avait connu, ni la Kharmesi. Il ne discernait plus les deux personnalités de la jeune femme. Elles se fondaient l'une dans l'autre.
— Alara, vous feriez quoi, vous, si vous n'étiez pas Kharmesi ? demanda-t-il. Vous avez bien une petite idée là-dessus, je suppose.
— J'irais au devant de cet abruti et je mettrais ma menace à exécution.
Elle reprenait du poil de la bête. Autour de sa main gauche, l'air oscillait. Elle faisait appel à son pouvoir. Marco ne tenta pas de la calmer. Elle avait besoin de cette colère pour prendre sa décision. Il resta juste à bonne distance, on ne savait jamais.
— Pourquoi ne pas suivre votre instinct ?
— Parce que, justement, je suis la Kharmesi.
Il comprenait son problème de mieux en mieux. Elle savait déjà quoi faire. Elle devait le savoir depuis le début. Lui n'était là que pour la pousser dans une des directions. Elle ne lui tiendrait pas rigueur de l'amener d'un côté ou de l'autre. D'ailleurs, vu sa présentation des faits, il n'avait pas tellement le choix. Son véritable problème, c'était ce qu'elle était, ou du moins, ce qu'on voulait qu'elle soit. Elle se tournait vers lui parce qu'il était le seul, avec Elvire et les Mères, à savoir qui se cachait sous le masque rouge. Lui était juste plus étranger que les autres. Tout ce qu'elle pouvait décider dépendait seulement de ça.
Il en eut le vertige.
— Je ne peux pas choisir pour vous.
— Ce n'est pas ce que je demande, retorqua-t-elle.
— En un sens, si. En fait, vous me demandez de choisir entre vous et... vous. Faites donc la paix entre vos deux facettes et là, vous trouverez peut-être votre réponse.
Elle ouvrit la bouche et la referma. Ce ne devait pas être ce qu'elle attendait.
— Je crois que j'ai besoin de marcher un peu, déclara-t-elle.
Ce chapitre semble être le prémisse d’une grande action, voire une guerre. Je m’attends a du bouleversement, des images plein la vue…
Je trouve toujours Alara très immature, très fragile voire faible dans son mental. Elle est perdue, certes, mais on peut être perdue et forte, attractive. Cela rend l’histoire un peu pesante, ça manque de caractère. A certains moments, dans x chapitres précédents, je lui trouvais de l’insolence, c’était plus attrayant. Ici, depuis quelques temps, c’est tout le contraire. Je ne perçois pas d’évolution dans son personnage et pas assez dans la trame de l’histoire. Si je peux me permettre : je reviendrais en arrière, et je renforcerais la psychologie du personnage ainsi que l’intrigue en elle-même.
Courage ! 😊
Remarques :
-« son absence ne serait même pas remarqué », remarquée.
-« était pour toisait le monde entier de cette manière », toiser.
-« Je trouve cette formulation tout indiqué », indiquée.
-« elle ne serait jamais venu avec Enric en campagne, elle n'aurait pas non plus tenue tête à Aymeric de Lucin », venue, tenu tête.
-« bien loin de ce qu'il voyait et imaginait d'elle depuis qu'il l'avait rencontré », rencontrée.
-« Les de Lordet ne vous attendrons pas pour lever la leur », attendront.
Bien à toi !
Merci pour ton passage, et oui, tu peux te permettre :).
Je prends note de ta remarque. Je vois bien qu'il y a un truc qui ne va pas avec les derniers chapitres. Je me suis peut-être un peu perdu dedans.
Le truc, c'est que oui, Alara est immature. Elle est catapultée dans un rôle qu'elle n'aime pas avec des responsabilités qu'elle n'a jamais eu jusque là. Elle tente mais ça reste une jeune femme surprotégée qui n'y connait pas grand chose et qui ne sait pas vraiment qui elle veut être. Je vais retravailler un peu plus ça.
Je me dis qu'il serait peut-être intéressant de parler de son âge, de sa vie avant d'avoir été choisie, de son quotidien actuel, de sa "formation " en tant que Kharmesi, etc.
Ajouter plus de danger, aussi.
Tu dis qu'elle est suprotégée mais, mis à part qu'on l'"enferme" beaucoup, je ne vois rien d'autre.
Il serait peut être aussi intéressant de parler de ce qui l'entoure: lieux, gens, environnement...
Je te souhaite un excellent travail!
A bientôt 😊