Alara dépassa Marco et s'engagea sur le chemin menant vers les champs de céréales derrière la Maison des Mères. Elle n'y voyait pas plus clair. L'archiviste ne l'aidait pas. Elle souhaitait qu'il lui donne une direction, un avis, même peu tranché. Là, tout ce qu'il faisait, c'était de la psychanalyse d'auberge. Réconcilier les deux parts d'elle-même ? Où était-il allé chercher ça ? Il n'y avait rien à réconcilier. Elle n'était pas partagée en deux. Elle savait qui elle était. Et c'était bien ça le problème. Elle était peut-être bien la seule à le savoir.
Elle se frayait un chemin entre les rochers. Elle entendit Marco la suivre. Il n'allait pas aussi vite qu'elle, prenait attention aux endroits où il posait les pieds. Cette prudence énervait la jeune femme. Elle avait l'impression de la trouver chez toutes les personnes qu'elle côtoyait. Elle avait besoin d'action, de bouger, de prendre des risques. Elle n'en pouvait plus d'être cantonnée au même rôle.
Ses chaussures s'enfoncèrent à peine dans l'herbe grasse lorsqu'elle quitta le chemin. Toujours suivi par un archiviste silencieux, elle s'enfonça dans les champs en direction de la petite forêt non loin. Elle se posta juste à la limite de celle-ci après avoir traversé les blés par de vieux chemins. Elle se serait bien enfoncée entre les arbres. Elle n'avait pas peur de la nuit, ni de ce qu'il pouvait se passer entre les troncs à cette heure-ci. Non, c'était de ne pas se contrôler qui l'angoissait soudain. Et si elle mettait le feu à la forêt sans le vouloir ?
Elle se tourna vers Marco. Elle lui tendit le bras, l'incitant à la rejoindre. Il vint, un peu gêné. Elle lui attrapa la main, celle qu’elle avait brûlé quelque temps plus tôt. Il n’en avait pas parlé, elle non plus. Elle n’aurait su quoi lui dire de toute manière.
Ses pouvoirs naissaient, grandissaient. Elle les subissait plus qu’autre chose ces derniers temps. Lucia disait que ça s’améliorerait lorsqu’elle serait prête à accepter l’héritage de la Déesse, à être totalement la Kharmesi. Elle aussi pensait qu’elle était séparée en deux, ou du moins, pas tout à fait complète.
Et s’ils avaient raison, tous les deux ? Si le problème venait de là ? Elle n’arrivait pas à faire la part des choses entre ce qu’elle voulait vraiment et ce que les autres pensaient qu’elle devait faire en tant que Kharmesi.
— Je suis désolée. Pour ça, dit-elle en regardant sa paume.
— Je crois que je l’ai bien cherché, en fait. Je n’aurais pas dû…
Il ne finit pas sa phrase. Elle acquiesça d’un hochement de tête. Non, il n’aurait pas dû. Mais elle n’en plus. Comme elle n'aurait pas du, le lendemain, montrer à Aymeric de Lucin qu'elle était capable de faire ce genre de chose. A chaque fois, elle avait agit sur un coup de tête, sans réfléchir le moins du monde.
Elle se mit à rire. Marco la regarda sans comprendre. Elle rit un peu plus avant de lui dire :
— Vous êtes tous persuadés que je ne peux pas être à la fois Alara et la Kharmesi. Vous, les Mères, Elvire. En fait, vous vous trompez tous. Je me trompais aussi. La Déesse savait très bien ce qu'elle faisait en me choisissant moi et pas une autre.
Il ne dit rien, attendit qu'elle continue. Elle s'amusa de le voir aussi perplexe. Il était aussi perdu que ce qu'elle l'avait été. C'était pourtant grâce à lui qu'elle savait quoi faire à présent.
Alara s'approcha de lui et déposa un baiser sur sa joue, presque à la commissure de ses lèvres. Ils en furent tous les deux surpris. Elle recula de quelques pas. Il ne bougea pas. Un sourire idiot naquit sur le visage de l’archiviste. Elle eut à nouveau envie de rire en le voyant.
Avant de se rendre compte de ce qu'elle venait de faire.
Elle balbutia des excuses qui n'en étaient pas vraiment et s'éloigna encore un peu pour reprendre contenance. Si Elvire savait ce qu'il venait de se passer...
— J'espère vraiment vous avoir été utile, finit par dire Marco. Et que je pourrais recommencer à l'être.
Elle releva la tête. Il avait abandonné son air idiot. Il la regardait d'une manière différente. Ce n'était plus avec le respect mêlé de peur qu'il témoignait lorsqu'elle portait son masque. Ce n'était pas non plus l'espèce de neutralité avec laquelle il semblait la voir lorsqu'elle s'était présentée comme messagère. Elle n'y trouva même pas un mélange des deux. Il regardait une troisième version d'elle. Et elle appréciait beaucoup la manière dont il le faisait. Peut-être un peu trop d'ailleurs.
Elle se composa un visage sérieux, espérant donner l'impression de porter son masque. Ce n'était pas le moment de se comporter comme une fille de ferme. Elle était ici pour prendre une décision, non pour batifoler. Et concilier les deux n'étaient pas envisageable. Surtout pas.
— Merci, Marco. Je pense à présent savoir quoi faire.
— Vraiment ?
Elle hésita avant de répondre par l'affirmative. Il ne posait pas la question juste pour savoir elle déclarerait l'ouverture du conseil de guerre à la Maison des Mères. Pas juste pour ça, du moins. Elle n'aurait jamais dû l'embrasser. Son espièglerie se retournait contre elle.
— Nous devrions rentrer. Je suis partie depuis bien trop longtemps.
Marco opina du chef. Ils étaient ici depuis trop longtemps
— Elvire doit s’inquiéter, je suppose, souffla-t-il.
— Elle risque surtout de s'imaginer des choses.
Elle marqua une pause. Elvire pouvait bien imaginer ce qu'elle voulait, elle n'aurait peut-être pas tout à fait tord. Surtout si elle s'éternisait encore.
— Et elle va s'inquiéter. Beaucoup, se reprit-elle.
— Faisons en sorte que ce ne soit pas le cas. Je vous raccompagne ?
— Il me semble que la Maison des Mères est sur votre chemin.
— Oui. Mais cette fois, je vous y conduis sans que cela ne soit un ordre et en sachant parfaitement avec qui je suis.
Il lui en voulait donc encore pour ça. Elle ne le pensait pas aussi rancunier.
— Et avec qui êtes-vous, cette nuit ? le taquina-t-elle.
— Avec celle d'entre vous que j'apprécie le plus.
Elle l'avait bien cherché. Elle n'essaya pas d'en savoir plus, il ne lui répondrait pas.
Ils se mirent en route en silence. Alara le laissa prendre un peu d'avance sur elle, juste quelques pas. Elle voulait remettre une certaine distance entre eux, au moins physiquement. Il appréciait peut-être la jeune femme qu'il avait avec lui en ce moment, elle n'en restait pas moins la Kharmesi. Ce n'était pas le moment de faire des sentiments. Surtout pas juste avant une inévitable guerre. Il lui fallait garder l'esprit clair.
La Maison des Mères s'éleva devant eux lorsqu'ils sortirent des champs. Alara savait que son monde changerait dès qu'elle retournerait à l'intérieur. Il le savait aussi. Marco s'arrêta et se tourna vers elle. Elle se ferma presque aussitôt, se répétant qu'elle était la Kharmesi sans cesse. Le leitmotiv lui permettait d'ordinaire de garder la tête froide. Face au sourire désarmant de l'archiviste, c'était un peu plus compliqué.
— Je suppose que la prochaine fois que l'on se verra, vous porterez votre masque et que tout ceci n'aura pas eu lieu.
— Je porterai sûrement mon masque, oui...
Elle ne précisa pas pour la seconde partie. Elle n'en avait pas besoin. Quoiqu'elle dise, cachée derrière le masque, elle n'était pas la même femme. Ses fonctions ne lui permettraient pas de familiarité entre Marco et elle.
— Et serait-il envisageable de vous revoir sans ?
Son cœur manqua un battement. Ils n'étaient plus séparés que d'une longueur de bras. Elle pouvait voir les minuscules taches laissées par les encres dont il usait tous les jours sur sa chemise. Elles ressemblaient à des constellations dont elle aurait bien suivi les traits.
— Alara ?
Elle releva la tête. Il l'observait, peut-être un peu inquiet. Si elle lui disait non, à cet instant, que se passerait-il ? Le regretterait-elle ? Elle savait déjà que ce serait le cas. Pourtant, tout lui disait qu'elle ne devait pas. Elle devait garder la tête froide. Aux côtés de Marco, c'était mission impossible. Encore plus si elle refusait de le voir en dehors des rencontres officielles.
— Je devrais vous dire non, vous savez, commença-t-elle.
Il encaissa le coup, n'entendant que le non. Elle pouvait s'en tenir là, faire demi-tour, retourner dans la Maison des Mères. Il lui en voudrait un moment, et puis, ça passerait. Rien ne l'en empêchait si ce n'était le regard de l'archiviste. Elle n'aimait pas y lire la tristesse qui l'envahissait. Elle préférait le voir sourire et, surtout, l'avoir avec elle, à ses côtés.
— Et j'en suis incapable, finit-elle.
Elle se mit sur la pointe des pieds et embrassa Marco. Ce fut un baiser furtif. Elle ne lui laissa pas le temps de revenir de sa surprise. Elle s'éloigna en direction de la Maison des Mères. Avant de disparaître complètement, elle lui lança :
— La nuit prochaine.
ce chapitre, lu isolément, est plutôt sympa. Il y a qu'avec le précédent, on se retrouve encore dans de la lenteur, dans des idées d'action mais sans action. Avec le rapprochement entre les deux protagonistes, il se passe quelque chose de nouveau, on avance quelque part. Seulement, et ce n'est peut-être qu'une question de goût, c'est trop lent pris dans l'histoire entière. Quand il ne se passe pas grand chose d'un point de vue factuel au sein d'un roman, j'apprécie d'y lire des choses profondes, nouvelles, fortes sur les personnages. Comme un retour en arrière dans le passé, par exemple, comme des révélations etc.
Ici, je n'apprends rien de nouveau. J'espère rencontrer plus d'action, en apprendre plus aussi, être un peu surprise peut-être.
Petites remarques:
-« Mais elle n’en plus », non plus.
-« elle n'aurait peut-être pas tout à fait tord », tort.
Bien à toi