Le commissaire Lebrun était assis devant ses dossiers depuis plusieurs heures. Il travaillait ou du moins il faisait semblant. La période estivale avait toujours était pour lui, une période où sa concentration et sa motivation pour travailler n'étaient que rarement au rendez-vous. Son esprit vagabondait entre les articles qu’il était en train de lire et le concert d’un groupe auquel il voulait assister.
– Paul, tu vas être content, on a du nouveau.
Le bruit du dossier que le lieutenant jeta sur la table, le fit sursauter. Il leva vers son collègue un regard dans lequel brûlait une certaine excitation.
– Non, ne me dit pas que tu as encore piqué un magazine à ton neveu ?
Paul secoua la tête, s'empara aussitôt du dossier et commença sa lecture. C'était un rapport comme il avait l'habitude d'en lire. Ca faisait dix ans qu'il travaillait dans ce commissariat, il avait donc eut le temps d'en lire une centaine, mais il était toujours aussi excité de découvrir son contenu. Même si il traitait principalement de la petite délinquance, il avait plusieurs fois eut affaire à des cas plus grave.
Jacques soupira et s'assit négligemment sur le bord du bureau. L'attitude de son collègue lui faisait penser à celle de ses enfants le jour de Noël. C'est ce qu'il aimait chez Paul. S’ils devaient traiter des affaires sérieuses, il s'arrangeait toujours pour les rendre plus légères. Il avait eu la même attitude lors de leur première affaire. Paul avait toujours était son supérieur, même s’ils se traitaient d’égal à égal.
Paul lâcha le dossier et se laissa tomber contre le dossier de sa chaise.
– C’est quoi cette affaire de vol de microscopes ? Vous n’aviez pas arrêté les voleurs la dernière fois ?
– Si c’était des ados. Tu te souviens, leurs parents leur avaient passés un sacré savon quand ils étaient arrivés au poste.
Jacques esquissa un sourire et continua de fixer Lebrun.
Paul lui adressait un regard mi-étonné mi-amusé.
– Oui maintenant ça me revient. Ils auraient récidivés ?
– On ne sait pas vraiment.
Le lieutenant fronça les sourcils et ses lèvres bougèrent comme si il voulait ajouter quelque chose.
– Bah mince, je voulais te dire un truc, mais j’ai oublié.
– Ca va revenir.
– Oui sûrement. Bon je te laisse.
Il lui adressa un signe de la main et sortit du bureau. Paul se replongea dans ses pensées, troublées par le bruit de la machine à café que l’on mettait en route. Les vibrations se propageaient dans le mur, avertissant le commissaire dès que l’heure de la pause-café était arrivée. Un cri de surprise lui fit faire un bond sur sa chaise. Il porta instinctivement la main à son cœur et soupira quand Jacques entra dans son bureau.
– J’ai retrouvé ce que je voulais te dire.
– C’est ça qui t’as fait crier ?
– Oui c’est revenu d’un coup, tu comprends. Le directeur du labo est à l’entrée. Il a déposé la main courante que t’as lue et il voulait nous voir.
Lebrun éteint son ordi, attrapa sa veste et son trousseau de clefs et sortit du bureau, suivit du lieutenant. Ils s’arrêtèrent à l’accueil où un petit homme jetait des regards inquiets autour de lui. Il portait une blouse blanche de laquelle dépassait le col d’une chemise soigneusement plié.
– Messieurs, merci de me recevoir. Comme vous le savait, nous avons affaire depuis peu de temps à des disparitions étranges de microscopes, ce qui est assez problématique au vu de nos travaux.
Il s’exprimait rapidement, comme si il avait peur d’être entendu.
– Oui nous sommes au courant. Je vous présente mon collègue, le lieutenant Dargont. Jacques voici monsieur Julien qui est le directeur du laboratoire.
Les deux hommes s’adressèrent une poignée de main franche et polie.
– Monsieur Lebrun, je vous ai apporté les relevés des caméras et un plan complet du laboratoire.
– C’est aimable de votre part. Voulez-vous les voir avec nous ?
– Oui je veux bien.
Monsieur Julien marqua une pause. Il semblait hésiter à ajouter quelque chose.
– Excusez-moi de changer de sujet, mais il me semble que ça fait longtemps qu’on ne vous a pas vu au laboratoire.
Le directeur ponctua cette remarque d’un clin d’œil complice.
– Oui effectivement, je n’ai plus eu le temps de passer mais je vous promets que je reviendrais bientôt.
– Et bien mes collègues seront ravis de l’apprendre.
Le trio monta par les escaliers principaux et s’installèrent dans le bureau de Paul. Le directeur s’arrêta devant la fenêtre et fit remarquer la jolie vue, que leur offrait cette dernière.
– Et encore vous n’avez pas vu le soir. Il est encore trop tôt pour que le soleil se couche, mais quand il est l’heure on dirait qu’on a peint le ciel à l’aquarelle et que les arbres sont éclairés par des milliers de bougies.
Le lieutenant acquiesça tout en cherchant la prise pour brancher l’ordinateur.
Il poussa un cri de victoire et alluma le vieil ordinateur. On aurait dit que des dizaines de petits ventilateurs se mettaient soudainement en route.
– La dernière fois que j’ai dû voir un ordinateur comme ça, commenta le directeur, je devais être au collège.
La coque en plastique était d’un orange blanchi par le temps et des traces jaunes se propageaient de part et d’autre. Le lecteur de DVD sortit et le film pût être mis en route. Les caméras offraient une vue en hauteur de la seule entrée du laboratoire. Une femme entra et tourna dans le couloir à droite.
– Vous savez a peu près quand le vol a eu lieu ?
– Je pense vers midi quarante-cinq car nous mangions tous dehors à cette heure-là. Quelqu’un aurait pu facilement entrer et sortir sans que nous le remarquions.
Il remuait sur sa chaise depuis plusieurs minutes. Jacques avança le film jusqu’à midi et demie. Personne ne sortit ou n’entra.
Jacques appuya sur avance rapide. Les quelques déplacements filmés étaient saccadés. Comme dans les films de Charlie Chaplin, remarqua Dargont.
– Là !
Le directeur s’était levé de sa chaise, le doigt pointé vers l’écran.
– Je suis sûr que c’est eux. Personne n’est rentré dans le bâtiment à treize heures.
– On va vérifier ça monsieur.
Dargont zooma sur les trois personnes entrées dans le laboratoire. L’une, visage à demi tourné vers la caméra, devait avoir moins de vingt ans. Avec la mauvaise qualité d’images, l’âge devenait difficile à estimer.
– Vous pouvez les reconnaitre monsieur ?
– Absolument pas lieutenant Dargont. Je ne les ai jamais vus avant aujourd’hui.
Jacques se tourna vers Paul qui secouait la tête. Lui non plus ne les avait jamais vus.
– C’est quoi la caméra après Paul ?
– La numéro six. Elle donne sur le couloir que l’on voit à droite. Celui à gauche c’est la cantine donc ça n’a aucun intérêt.
Le club des trois passa bien dans le couloir de droite. Ils entrèrent dans ce qui servait de vestiaire aux employés et ressortir tous vêtus de blouse blanche. Le plus petit poussa la porte en face du vestiaire. Les deux autres disparurent pour réapparaitre des mallettes dans chaque main. Ils les firent glissés par la fenêtre ouverte vers l’extérieur. Ils refirent ce manège encore deux fois et ils regagnèrent le couloir principale.
Un employé rentra en même temps, les yeux rivés sur son smartphone. Il désigna une badgeuse à un des garçons qui passa une carte dessus. Les voleurs sortirent comme ils étaient rentrés, tandis que l’employé pianotait sur son écran.
– Bon bah je crois qu’on a tout vu, commenta Lebrun. Jacques un commentaire sur les vidéos ?
– Oui. Les trois gamins, je les connais. Ce n’est pas la première fois qu’on les arrête pour des petits délits.
Il fulminait intérieurement. Ne leur avait-il pas dit d’arrêter ces paries stupides ? Tous ces efforts pour qu’ils recommencent quelques mois après. Cette fois il ne se gênerait pas pour prévenir les parents.
– Je sais où ils habitent. Je vais aller les chercher pour les interroger.
– Maintenant ?
– Oui. Je vous souhaite une bonne après-midi monsieur Julien. Paul, je t’appelle dès que je les ai tous.
– Bien noté.
Le lieutenant sortit, laissant Paul avec le directeur en tête à tête. Ils ne demandaient que ça pour discuter de sciences et des groupes dont ils étaient secrètement fans. Ils se quittèrent une heure plus tard, des recherches à faire pour l’un, des places de concerts à acheter pour l’autre.