Ces galeries de la 01 étaient ainsi toutes identiques quels que soient les étages visités, des parois lisses et grises méticuleusement réparties, sans décoration ni autre fioriture que les ampoules. Pourtant, il y a bien des espaces plus chaleureux ici d’après mes souvenirs, se dit William à la vue de tous ces couloirs qui s’enchaînaient sans jamais rester dans sa mémoire. Mais après avoir dû monter une bonne vingtaine de paliers, le soldat s’arrêta enfin devant une porte qu’il lui ouvrit, dévoilant une petite chambre très sobre, résumée à un lit, une armoire, quelques autres petits meubles et une salle de bain individuelle très succincte – ce qui restait tout de même un luxe. En bref, il n’y avait que le nécessaire pour se reposer en gardant une apparence digne, soit précisément ce que les employés étaient censés faire ici, et il suffisait de contempler le silence régnant dans ce corridor de petites cabines pour s’en rendre compte. Après tout, la chambre était réservée au repos, pas au travail ou aux moments collectifs, personne n’avait rien à cacher dans la ruche du RFA. Et c’est dans cette ambiance pesante que William allait devoir s’endormir, il se croyait déjà au camp militaire – lui qui avait évité le service militaire prussien de justesse grâce à Emil …
Pourtant, avec les trajets qu’il avait encore dans les jambes, il n’eut aucun mal à trouver le sommeil, même s’il le fit en repensant à la discussion qu’il avait eu avec son vice-directeur. Il s’était habitué à être suspecté en permanence, le plus dérangeant restait surtout le fait de faire la propagande mensongère des militaires du Département. Sans compter qu’il allait aussi revoir son ancien professeur, celui qui avait insisté pour qu’il soit présent ici. Il doit bien y avoir une raison, il veut forcément me parler de quelque chose en rapport avec tout ça, avait-il fini par conclure en cédant au sommeil, j’espère qu’il n’a pas de soupçons, lui-aussi …
Mais le lendemain matin, c’est à 07H30 qu’une voix masculine résonna à sa porte, en tambourinant comme un forcené, à la grande surprise de William qui bondit de son lit en croyant vivre son interpellation dans sa chambre de Francfort. Mais heureusement, et bien qu’il ne soit toujours pas revenu chez lui, c’est une voix familière qu’il parvint à comprendre tandis qu’il émergeait encore de son inconscience.
— Tu sais, j’vais taper dessus jusqu’à ce que tu t’réveilles ! J’ai rien à foutre ce matin et les bonnes sont déjà en train de faire ma chambre ! » s’amusait la voix, tandis que l’Allemand réalisait qu’il s’agissait d’un des seuls amis qu’il devait avoir ici, Miroslav Frič, l’un des meilleurs géologues de Germanie et l’artisan principal de la 01.
— La porte est ouverte, tu sais !
— Ah, en effet. » avoua le Tchèque en entrant, pour aller aussitôt saluer son ami. « Mais je n’allais pas débarquer sans savoir si tu étais réveillé, je suis mieux élevé que toi. »
— Ma porte ne doit pas être du même avis.
— Ne t’en fais pas pour elle, elle est solide, elle est allemande ! » se justifia-t-il d’un air toujours enjoué, avant qu’un autre uniforme n’apparaisse sur le seuil de la porte.
— Patron, c’est vous qui faites tout ce bruit ? » lui demanda donc cet employé de la 01, tout juste prêt à partir embaucher.
— Non, c’est William von Toeghe. Comment peut-on dormir aussi lourdement ? » plaisanta-t-il, pour ensuite rassurer son subordonné qui occupait la chambre d’en face, pendant que le Saxon souriait de ces bêtises en allant se laver.
Cependant, Miroslav était assez déçu d’avoir appris d’Ulrich hier soir que William refusait toujours de participer aux recherches militaires du RFA, et il s’acharnait encore à le convaincre lorsque ce dernier enfilait les habits du Département Impérial, en version civile. Ceux qu’il portait étaient ainsi légèrement différent de ceux du Tchèque, ils étaient plus sobres, plus décontractés et moins décorés, là où le Géologue était habillé comme un officier – avec tous les rubans qui venaient avec pour égayer l’uniforme du bâtisseur du RFA.
Mais tandis qu’il s’habillait en s’aidant du grand miroir qu’abritait chaque chambre, William ne put s’empêcher de s’imaginer avec ces habits militaires. Et alors qu’il se demandait ce que dirait ses trois amis du Conseil s’il faisait fi de ses idéaux pour participer à des recherches immorales, il se demanda ce que diraient ses parents s’ils le voyaient un jour arriver avec cette tenue-là. Ils seraient plus fiers de lui que jamais, car il n’y avait pas de plus grand accomplissement pour un chercheur en Médecine Nouvelle dans toute la Germanie - voir au-delà, car le RFA rayonnait aussi aux Pays-Bas, au Danemark ou en Scandinavie. D’autant plus qu’ils avaient tout donné pour leurs fils, que ce soit la plus réfléchie des éducations aux plus beaux cadeaux qu’ils pouvaient, sans avoir la moitié d’une richesse comparable à celle des Seafox ou de l’héritage des de La Tour. William se disait bien qu’il ne leur rendrait jamais la pareille et quelque chose lui donnait presque envie de rejoindre cette branche armée du RFA. La question n’était pas de leur apporter encore plus d’argent, ni même l’opportunité de se vanter d’être les meilleurs parents du Reich, la question était de voir leur fils devenir le plus accompli des hommes, quelqu’un qui avait pu aller au bout de ses rêves. Oui, ils seraient même encore plus heureux si je devenais le directeur du RFA, s’imaginait-il sans pour autant en rêver, pendant qu’il se regardait dans la glace. Dans cette tenue militaire, il en viendrait presque à ressembler à Erwin, tant la droiture des coutures affinait davantage sa minceur, avec une tête qui lui évoquait celle de son vice-directeur, tant son regard bleu foncé deviendrait encore plus sombre sous cette casquette grise. Seulement ce n’est pas mon rêve, se répéta-t-il, en imaginant maintenant ce que ses parents pourraient lui répondre pour l’encourager, pendant que Miroslav assistait à tout ça silencieusement.
— En plus, notre tenue a vraiment la classe, faut le rappeler. » finit par lâcher platement Miroslav au bout de ce petit silence, ce qui sortit William de ses pensées pour le faire ricaner doucement.
— C’est vrai … même si je ne suis pas un admirateur de ce style très … rigide. » se contenta-t-il de lui accorder, sans que son collègue en démorde.
— Ah, c’est ça la véritable élégance mon William, un ordre tellement parfait qu’il en est saisissant ! Tu es sûr de ne pas vouloir nous rejoindre ?
— Oui, sûr et certain. Au fait, toi, tu dois savoir pourquoi il y a de l’agitation ici ? » lui demanda-t-il pour changer de sujet au plus vite, et se heurter à l’ironie de son ami.
— Désolé, faut que tu nous rejoignes pour ça, secret défense, et pas du petit. Je pourrais finir au bout d’une corde si je te le disais, et si tu as été invité ici, quelqu’un va se charger de te mettre au parfum, ou alors ça a déjà été fait et tu joues aux petites fouines comme d’habitude. » se défendit-il en ricanant un peu, avant de prendre un ton de voix plus grave, plus anxieux. « La seule chose que je peux te dire c’est que … quoiqu’ils te disent, tu n’en sauras qu’un tiers, c’est la première chose. Ensuite … Quels que soient les projets dont ils vont te parler, sache qu’ils sont déjà commencés et qu’ils sont bien avancés. Que ce soit Emil ou Ulrich, le RFA ne révèle jamais tout ce qu’il fait, il révèle les vieux dossiers au fur et à mesure mais il a toujours des secrets d’avance, ils pratiquent tous la méthode du fait accompli ici. Quand ils te parleront d’un chantier, dis-toi que j’ai déjà fait les plans ; s’ils te parlent d’une thérapie au LM, dis-toi qu’Ulrich et Friedrich ont déjà commencé à la tester ; et si Emil te parle d’une manigance, dis-toi que ses agents sont déjà sur le coup. Pour ces deux choses en revanche, tout le monde le sait, c’est loin d’être un secret … » soupira-t-il, non sans déception à l’idée de tout ce qu’il ignorait encore sur son RFA, tandis que William s’étonnait que les secrets soient si bien préservés, même à des gens hauts-placés tel que Miroslav. « Et encore, je suis loin du compte en te disant ça. Même moi je ne sais pas 50% de ce qu’il se passe à la Mondlicht-Turm…
— La quoi ? » s’étonna l’Allemand du Conseil en entendant ce nom curieux, signifiant littéralement la Tour du clair de lune.
— T’es pas au courant, c’est ça ? » hésita le Tchèque, avec l’air gêné de ceux qui révèlent des secrets par inadvertance, et celui de ceux qui ne savent pas bien se sortir de ces situations. Mais maintenant que la curiosité de William était attisée, Miroslav se savait déjà fini. « Hem - C’est une expression de chez moi, ça veut dire qu’on ne sait pas ce qu’il se passe tellement c’est le bordel.
— Bien sûr … Elle est où cette petite tour, Miroslav ? » insista William avec un sourire en coin, avant de remarquer que son ami retenait ses émotions à l’écoute de ses derniers mots, prêt à éclater sous l’outrage.
Car la Mondlicht-Turm n’était pas une petite tour, c’était le cœur du RFA militaire, la 00. Et en plus d’être une véritable forteresse, c’était aussi le plus grand ouvrage que Miroslav avait pu réaliser, le dernier qu’il avait conduit avec son maître autrichien – désormais à la retraite. Mais malgré toute l’estime qu’il avait pour son ancien patron, c’était avant tout la beauté épique de cet endroit qui le rendait si fier. Selon ses propres mots, William apprit ainsi que la 01 n’était qu’un gruyère dans la montagne à coté de ce putain de château digne des ducs de Bavière. Si pour les tunnels où ils discutaient en ce moment-même, le RFA avait demandé quelque chose de pratique avant tout, Emil comme Ulrich avaient voulu l’inverse pour la Mondlicht-Turm, ils avaient exigé quelque chose d’épique et grandiose. Malheureusement, Miroslav dut s’arrêter là, il avait déjà trop enfreint le secret défense, et il ne voulait pas non plus gâcher la surprise de William le jour où il la verrait, car une forteresse comme celle-ci finirait forcément par être révélée au monde – comme le talent du Tchèque qui n’attendait que ça pour s’en vanter auprès de tout le monde, à juste titre.
— Bon, tant pis. J’espère quand même pouvoir la visiter avec toi quand ce jour viendra. » en sourit William, intrigué par tant de secret.
— Je serai le premier à te le proposer. Si tu acceptais de rejoindre le RFA militaire - » tenta-t-il une dernière fois pour être immédiatement interrompu par le Saxon. « Dommage, parce que si tu veux profiter d’un joli château gothique, c’est maintenant, qui sait ce que je serai amené à en faire plus tard ! » se réjouissait-il lorsqu’une silhouette austère à l’uniforme impeccable se présenta à la porte.
Il n’était donc plus l’heure de se préparer, mais de se rendre à la réunion décidée par Emil, et sans tarder, car l’Autrichien ne supportait pas les retards - à tel point que William repensa encore aux engueulades infligées à Arcturus ou Alessia quand ils ne respectaient pas ses horaires. Je ferais mieux de me dépêcher, se motiva l’ancien élève en finissant d’enfiler les derniers atours de sa tenue, tandis qu’un autre géologue du RFA venait gentiment chasser Miroslav, déjà bien connu pour ennuyer tout le monde sur son temps libre.
Sans perdre plus de temps, William et son guide serpentèrent à nouveau à travers les galeries bétonnées et les ascenseurs de la 01, durant une bonne quinzaine de minutes pour arriver à ce qui semblait être le sommet du Roter Kogel. En tout cas, c’est ce qu’il croyait après avoir dû monter tous ces étages de bon matin, sans rien dans le ventre si ce n’est deux verres d’eau puisqu’il s’était laissé dormir. Il se demandait d’ailleurs s’il trouverait un café et quelque chose à manger une fois en haut, même si ça ne vaudrait pas les immenses cantines qu’il avait ratées. Heureusement, il crut pouvoir l’espérer quand il vit le confort et la beauté du lieu que lui ouvrit le dernier ascenseur, l’opposé de ce qu’il avait vu jusqu’à maintenant.
Tout l’endroit était aménagé comme un riche salon autrichien, creusé dans la pierre grise du pic, elle-même ouvragée pour ne pas jurer avec l’élégance du mobilier ou de la décoration, aux teintes encore plus claires quand elles étaient baignées par la lumière des larges verrières donnant sur l’Orient du Roter Kogel – comme ce matin-là. Mais ce qui étonnait le plus William, c’était la taille et le luxe de cette antichambre du directeur, où de grands canapés blancs et dorés se faisaient face autour d’une vaste table, ne laissant qu’une petite estrade de quelques marches précédant la porte du bureau d’Emil pour surplomber le reste du salon. Il peinait toujours à comprendre pourquoi tant d’efforts avaient été consacrés à cette base creusée dans la falaise, tant de moyens dépensés là-dedans alors que cela pourrait probablement être utilisé ailleurs, de façon plus altruiste. Pourtant, il n’était pas insensible à cette beauté, ni à son élégance très fastueuse et radieuse, il trouvait dommage que tout cet art ait été consacré pour un bureau du RFA que presque aucun allemand ne verrait jamais.
Enfin, toujours est-il qu’Emil disposait d’un office et d’une salle d’attente unique au monde, où s’ennuyait déjà un autre savant du RFA, confortablement assis sur un des fauteuils devant une tasse de café. Mais à peine William pu-t-il prendre deux secondes pour observer ce salon, pour remarquer ce collègue à la sortie de l’ascenseur qu’Ulrich arriva du couloir derrière lui.
— Toujours en avance, vice-directeur ! » s’amusa le Saxon du Conseil en espérant parfaire son image d’innocent auprès de celui qui le soupçonnait peut-être encore.
— C’est inné chez lui ! Tu n’auras pas le temps d’attendre ici, rassure-toi ! » lança amicalement le collègue de William assis sur le canapé, un petit blond aux yeux bruns, du même âge que lui - car dans le milieu de la Science Nouvelle, les jeunes chercheurs fourmillaient comme nulle part ailleurs. Il s’agissait du fameux Friedrich dont avait parlé Miroslav, le supposé troisième meilleur savant du Département Impérial, après Emil et son disciple.
— Je ne suis pas en avance, je dois voir Emil avant que nous commencions. Attendez-nous ici, vous avez de quoi manger un morceau en attendant. » lança simplement Ulrich, avant de filer aussitôt vers le bureau d’Emil.
— Bon, nous allons pouvoir profiter du salon ensemble, c’est Emil qui a choisi ce style, n’est-ce pas ? C’est très … haute-noblesse autrichienne comme esthétique … » suggéra William à son collègue, tout en se pressant d’aller profiter du petit-déjeuner.
Et avec Friedrich, il put vite combler l’attente car tout comme Miroslav, c’était l’un de ses homologues militaires qu’il appréciait le plus, l’un des meilleurs, et de ceux qu’il connaissait depuis longtemps. En plus, Friedrich avait une forme d’admiration pour les Quatre Pionniers comme pour leurs élèves. À l’entendre, ils étaient les plus grands esprits de leur temps – pas forcément les plus efficaces, mais sans conteste les plus doués. Mais même face à un admirateur comme lui, William préférait ne pas éveiller les soupçons.
Cependant, il dut très vite recommencer à se défendre, puisque Friedrich avait lui aussi appris qu’il rendait visite à Achille en France. Alors maintenant, le militaire comptait visiblement découvrir s’il entretenait encore des relations avec ses anciens camarades de tutorat, comme la très germanophobe Maria Kochanowska de La Tour – voir s’il rendait aussi visite au parloir de la prison où August était enfermé. Seulement, William n’allait pas se débarrasser de son admirateur aussi facilement que d’Ulrich, quoi qu’il puisse dire à ce collègue très sympathique pour qu’il n’arrive à s’en défaire, jusqu’à ce qu’une aide providentielle ne vienne le sauver.
— William et Maria n’étaient en effet pas très amis, je les vois mal se retrouver de nos jours pour autre chose que la santé de Marco-Aurelio. Tu peux me croire, Friedrich. » lança soudainement Emil, en descendant les marches avec son adjoint dans sa suite.
Et l’Autrichien du premier Conseil clama ce mensonge avec un aplomb sans pareil, au point de presque étonner son ancien élève, laissant Friedrich se consoler en finissant son croissant. Mais cela faisait cinq ans que William ne l’avait pas revu et, bien sûr, son attention se porta davantage sur son apparence que sur ses paroles. Car en seulement cinq années, la chevelure brune d’Emil avait viré au gris, ses rides avaient doublé sur son visage, à tel point que William se demandait si ce n’était que le poids du devoir qui l’avait transformé ainsi, en si peu de temps. Même son regard noir, autrefois acéré sous d’épaisses arcades, était désormais las, l’air d’avoir vu passé quinze années de plus. Malgré tout, il lui restait encore sa droiture impeccable, et une carrure imposante due à sa stature d’un mètre 95 ou ses larges épaules. Mais son ancien disciple n’eut pas plus de temps pour s’attarder sur son apparence que celui-ci reprenait déjà la parole.
— Merci d’être venu, William, même si tu n’avais pas vraiment le choix, à vrai dire. Je vous invite tous à rejoindre la salle juste ici. » lança-t-il en désignant une porte sur sa droite, puis en s’y dirigeant sans attendre avec ses trois invités dans son sillage.
L’un des gardes leur ouvrit alors la porte d’une somptueuse salle de réunion, éclairée à l’électricité, sculptée dans une roche ouvragée, ornée de drapeaux et de tableaux à la gloire de la Germanie, dominée par un immense aigle bicéphale déployant ses longues ailes de part et d’autre du plafond de pierre grise. Les quatre savants prirent ainsi place autour d’une vaste table de pierre, ciselée d’une grande triskèle où s’enracinait une gravure de l’Yggdrasil - avec Emil et Ulrich en bout de table, et William et Friedrich face-à-face. Puis, sans perdre plus de temps, le directeur du RFA prit la parole sur le ton solennel qui convenait à ce lieu.
— Bien. Nous avons deux problèmes à traiter aujourd’hui. Premièrement, il faut résoudre l’inquiétude qui s’est répandue au RFA ces derniers jours, avant qu’elle ne s’étende au reste de la Germanie. Je vous rappelle simplement les faits, notamment pour notre invité, spécialement convoqué pour cette réunion unique dans l’histoire de notre département. » commença-t-il, au grand étonnement de William qui se souvenait de lui comme le moins extravagant et le plus raisonnable de ses professeurs – l’opposé d’Achille ou d’August, le mentor d’Arcturus. « Il y a une semaine, l’exploitation du second bassin de la 01 a été stoppée suite à un problème technique majeur. Vers 21h, les tuyaux ont été bloqués par des masses qui ont causé des ruptures dans le réseau, mais également souillé près de 500 litres de LM qu’il va falloir purifier à nouveau. L’origine de cet événement n’est pas encore entièrement certaine, les masses en question étant vraisemblablement des amas de chairs, de poils et de carapaces. Mais vous vous doutez tous de ce que cela signifie, et c’est un secret que le RFA a conservé pendant des années. Seulement maintenant, ce n’est plus possible, les rumeurs ont déjà atteint les villages de Lüsens et Praxmar. Au moment même où nous parlons, l’information court sur toutes les routes des Alpes, vers tous les pays. C’est plus que notre réputation qui est en jeu, c’est plus que le RFA qui risque d’être inquiété, c’est toute la Médecine Nouvelle qui risque d’être pénalisée. Et ça, moi, Emil, je ne peux pas l’accepter. Le LM est la voie, même si elle peut sembler dangereuse. Aussi devons-nous agir. » déclara-il d’une seule traite, sans la moindre hésitation dans la voix, comme s’il parlait du temps qu’il fait dehors, tandis que William essayait encore de comprendre ses sous-entendus.
Et bien évidemment, en bon professeur, c’est vers son ancien élève qu’il se tourna, pour entendre son opinion avant qu’Ulrich et Friedrich ne dévoilent les leurs. Seulement c’est à peine s’il comprenait le récit qui lui avait été fait, s’il appréhendait le moindre début de réponse à la question volontairement vague du Directeur : qu’en penses-tu William ?
Alors il demanda quelques explications sur cet événement, sur l’origine des masses qui avaient bloqué les tuyaux et ce dont parlaient ces fameuses rumeurs, en venant même à questionner s’il s’agissait d’une créature vivante à l’intérieur du bassin, ou dans le réseau de la nappe. Bien sûr, tous rirent en entendant ça, tous les réservoirs découverts par le RFA avaient déjà été sondés et, de toute façon, aucun être ne pouvait vivre dans le LM. Sinon, la créature en question muterait à l’infini, réfléchis William, lui lança simplement le directeur avec son accent autrichien, avant que l’intéressé ne comprenne enfin ce qui avait dû se passer : un animal venu de l’extérieur avait atteint le bassin pour s’y baigner. L’Allemand du Conseil put alors déduire tout ce qui s’était passé, sans que ses collègues ne lui fournissent plus d’explications. Car même si la torpeur du matin entravait encore son esprit, ou même si ce qu’il imaginait relevait encore de la théorie, il gardait souvenir des mises en garde de ses quatre professeurs sur l’abus de LM – quelque chose de bien plus intense que n’importe quelle thérapie pour celui qui la subissait.