Chapitre II

Un mois avant le vingtième anniversaire de sa fille, le roi fit savoir à tout le royaume qu’il offrirait une malle remplie de pièces d’or et la main de sa fille à qui parviendrait à la faire rire et lui rendre sa joie de vivre.

Tous les soirs, dans la grande salle du château, se succédaient les prétendants et nombreux étaient ceux qui croyaient qu’il serait facile de faire rire aux éclats la princesse.

Ainsi défilèrent les dresseurs d’ours, de chiens, de chèvres savantes, d’oies, de poules et même de cochons, en vain.

Vint le tour des jongleurs, des acrobates, des magiciens, des troubadours, des conteurs, en vain.

Puis ce furent les marchands des pays lointains et leurs produits féeriques : épices, fruits inconnus dans le royaume, vins exquis, étoffes rares et magnifiques, tout cela transporté sur des dromadaires à la démarche pataude et aux yeux bordés de longs cils mais au regard vide et inexpressif, en vain.

Ensuite, les musiciens, les chanteurs, les danseurs prirent le relai, offrant des spectacles magnifiques et drôles à dérider les plus revêches des spectateurs, en vain.

La princesse, assise sur son petit trône à côté de ceux plus imposants de ses parents, ne prêtait aucune attention à ce qui se déroulait dans la grande salle.

Son doux regard bleu restait obstinément triste, perdu dans le vague, et elle se contentait de soupirer à intervalles réguliers.

Sa mélancolie était particulièrement contagieuse et finissait par gagner les plus courageux des prétendants qui quittaient la grande salle en traînant les pieds, les épaules voûtées et la tête basse, vaincus par une tristesse à laquelle ils n’avaient jamais été confrontés.

Même le roi, d’un optimisme à toute épreuve, commençait à douter et à se laisser envahir par la lassitude.

Alors que les orfèvres les plus renommés du royaume présentaient leurs plus belles créations en or et pierres précieuses aux couleurs chatoyantes, un jeune homme de condition modeste observait l’horizon avec une grande intensité. Ce qui avait attiré son attention était un petit panache de fumée mauve qui s’élevait à intervalles réguliers par-delà les montagnes. Il se retourna et jeta un œil en direction de la princesse qui soupirait inlassablement, puis regarda de nouveau par la fenêtre. Quelle ne fut pas sa surprise de constater qu’à chaque soupir de la princesse, le petit nuage de fumée mauve s’élevait dans le ciel ! C’était plus qu’il n’en fallait au jeune homme pour se présenter comme prétendant…

Après le départ des orfèvres, l’intendant du roi s’avança solennellement vers les trônes et déclara d’une voix forte :

— Majestés, j’ai le regret de vous annoncer que les derniers prétendants viennent de partir…

Le jeune homme se racla la gorge bruyamment, interrompant l’intendant. Tous les regards étaient dirigés vers lui. Le silence régnait dans la grande salle. Au moment où l’intendant voulut reprendre la parole, le jeune homme s’avança et déclara :

— Tous les prétendants n’ont pas encore tenté leur chance. Vous m’avez oublié.

— Impossible ! tonna l’intendant en brandissant un parchemin. J’ai fait passer tous les hommes inscrits sur cette liste !

— Vérifiez, demanda le jeune homme.

L’intendant se tourna vers le roi et la reine qui scrutaient ce nouveau prétendant. Ses habits trahissaient sa condition de bûcheron, mais ils étaient propres et bien tenus ; il était de taille moyenne et légèrement musclé. Des cheveux bruns encadraient un visage qui respirait l’honnêteté et le courage. Ses yeux pétillaient de malice et il arborait un magnifique sourire qui illuminait son visage d’une joie de vivre que rien ne semblait pouvoir atteindre.

Intrigué, le roi fit signe à l’intendant de vérifier son parchemin. Ce dernier s’exécuta à contrecœur et relut une nouvelle fois sa liste, certain de n’avoir commis aucune erreur. Il était sur le point de le confirmer haut et fort quand le jeune homme lui prit le parchemin des mains et le brandissant devant lui, il s’exclama :

— Regardez ! Mon nom est inscrit là, tout en bas !

L’intendant lui arracha le papier des mains et colla son nez sur la feuille pour déchiffrer le nom inscrit en pattes de mouche, tout en bas de la liste.

— Petit Bois ? s’étonna l’intendant, avant de rire, suivi par tous les sujets de la cour.

— Lui-même, confirma le jeune homme, indifférent aux moqueries qui fusaient autour de lui, son sourire toujours accroché au visage.

Du coin de l’œil, le roi vit que Luxa avait, pendant une fraction de seconde, posé son regard sur le bûcheron, avant de soupirer à nouveau. Transporté par une vague d’espoir qu’il n’avait pas ressentie depuis des années, le roi fit signe au jeune homme de s’avancer.

— Petit Bois, qu’avez-vous amené pour distraire la princesse et la faire rire ?

— Je n’ai rien amené avec moi, vos Majestés, car ce qui pourra amuser votre fille ne se trouve pas dans ce royaume. Mais je sais où le trouver, et je vous donne ma parole que je vais aller le quérir et le ramener pour l’anniversaire de la princesse.

— Vraiment ? s’enquit le roi, quelque peu amusé par l’aplomb et l’audace du jeune bûcheron qu’il trouvait très sympathique et dont l’énergie positive était contagieuse.

— Vraiment, affirma le jeune homme avec enthousiasme. Puis-je ? demanda-t-il au roi et à la reine, en désignant la princesse d’un petit mouvement de tête.

Le roi et la reine échangèrent un regard interrogatif avant d’acquiescer.

Le jeune homme se pencha à l’oreille de la princesse et lui murmura :

— Princesse, je vous promets de trouver ce qui a brisé votre cœur et vous rend si malheureuse.

Le jeune homme recula légèrement et plongea son regard dans celui de la jeune fille. Elle le fixait intensément, sans ciller, les joues légèrement rosies. Enfin, elle soupira et son regard se perdit dans le lointain.

Convaincu d’avoir trouvé celui qui libérerait enfin sa fille du sortilège de la Sorcière Noire, le roi offrit au bûcheron, avant son départ, une magnifique épée, censée le protéger des dangers qui l’attendaient.


 

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