Throwback juin 2011. A vingt-quatre ans, Camilla, licence de psychologie en poche, s’était décidée pour une année de césure. Étudiante relativement douée mais pas brillante – je suis bonne en tout mais je n’excelle en rien – avançait-elle souvent, elle travaillait dur pour réussir. Ces trois dernières années, l’essentiel de son temps avait été consacré aux bancs de la faculté et à ceux de la bibliothèque universitaire. Ainsi, sa mention Bien l’engageait à poursuivre son cursus vers le Master psychanalyse proposé à l’université Paris 8. Pour ne rien vous cacher, elle avait longuement hésité. Si, allez, on sera ensemble encore pendant deux ans Cam’ ! S’étaient exclamés, à plusieurs reprises et surtout, en chœur, ses deux meilleurs amis. C’est vrai, le quotidien sur le campus était vraiment très agréable et bien différent de sa vie d’avant : sport, vie associative et culturelle, résidence étudiante propre et calme. En plus, avec la ligne 13 du métro (arrêt St-Denis Université), ils étaient à un peu moins de vingt-cinq minutes de la Place de Clichy où les parents de Sofian avaient hérité d’un spacieux loft de 220 mètres carrés rue Caulaincourt, juste à côté du cimetière de Montmartre et de la tombe de Dalida. Souvent en déplacement pour leur travail (tous deux sont antiquaires), ils leur laissaient l’appartement un à deux weekends par mois. Côté matériel, leur vie était simple ; côté émotionnel, un peu moins, enfin surtout pour Camilla. Peu d’excès pour Marion et Sofian ; un peu plus pour la petite italienne du Piémont dont la personnalité à tendance borderline pointait, assez régulièrement, le bout de son nez (bien qu’elle se soit tempérée).
Camilla, dernière d’une fratrie de quatre enfants, s’était toujours sentie à l’écart. Son tempérament demandait un cadre masculin. Une absence certaine sans conteste préjudiciable. Je voulais un grand frère protecteur. Effectivement, Pedro et Ignacio, déjà adolescents, préféraient courir les filles plutôt que de s’occuper de leur benjamine. Feu son papa était décédé, quelques années auparavant, dans un terrible accident, sur l’un de ses chantiers. Frappée par une enfance carencée, elle manquait de repères et d’ancrage. De ce fait, dès ses treize ans, elle chercha l’affection, cette affection qui l’avait délaissée. Immodérée amoureuse, ardente passionnée, rêveuse idéaliste… - La vie ne vaut d'être vécue sans amour - rappelait Serge Gainsbourg dans La Javanaise, Camilla grandit en s’accrochant à des espoirs vains ; elle s’oublia. Vite, les compensations émotionnelles prirent le contrôle. Les garçons allaient et venaient, les souffrances, elles, perduraient.
A quinze ans, piercing au nombril, anneau dans le nez et cœur sur la côte droite, gravé juste au-dessous de son sein, elle s’était affirmée, modifiant son corps, travaillant son apparence. Camilla se cherchait. Sur sa peau s’inscrivaient ses émotions désordonnées, horriblement difficiles à gérer. Elle était dépassée. Nébuleuse nouvelle née (ma nébuleuse, c’est ainsi qu’il l’appellerait), égarée dans des réalités dont elle aurait voulu se passer. Elle tentait d’être en calquant celles et ceux qui l’inspiraient. Dans ses oreilles, Limp Bizkit, Gorillaz, Nirvana & Kurt Cobain, Radiohead, Portishead. Côté look, dreadlocks, baggy, hoodie et Eastpack. Souvenez-vous, la culture skate des années 2000, les pantalons sous les fesses, les énormes baskets ; ces jeunes gens cool quelque peu désolidarisés des convenances de notre société. Volcom, Blind, Element, DC shoes... La majorité des ados affichaient ces logos sur leurs tenues déstructurées. Camilla chérissait ses Etnies aux lacets roses, ses Osiris jaunes et grises mais, surtout, son sweat noir estampillé Carhartt qui ne la quittait jamais. Déjà férue de mode, elle fut la première à porter des Converse au lycée. Ses fameuses Converse vert pomme. Quelques années plus tard, tout le monde en aurait aux pieds...
Fascinée par la culture underground, principalement par son versant dark ; cette facette organisée autour de ses personnages torturés et de leurs excès ; elle ressentait un besoin viscéral d’aller voir, comprendre, essayer. Ce besoin lui collerait à la peau… Jusqu’à lui. Lui, point final de son expérimentation. Lui, son miroir. Lui qui, à nu, lui offrirait la lumière et l’obscurité. Elle, qui, nourrit par ses extrêmes, trouverait en lui sa clé. La dualité. Janus féminine, héroïne au visage dédoublé, Camilla nourrissait sa complexité. En elle, deux entités distinctes mais néanmoins unies et soudées. L’une et l’autre. Interdépendantes. Main dans la main, elles œuvraient ensemble. Micro écosystème tributaire de son environnement. Astres du jour et de la nuit. L’un allait, l’autre venait, l’un prenait le pas sur l’autre, le poussait, le dérangeait ou ils décidaient de s’accorder, en fonction de leurs désirs singuliers. A dire vrai, ils cherchaient simplement à attirer l’harmonie, à la séduire, à se combiner à elle ; trio uni qui génèrerait le bien-être. Accoucherait de cette liaison gorgée de possibilités l’équilibre tant désiré.
- L'équilibre est à mi-chemin entre les deux extrêmes, Bernard Werber, L'empire des anges -
J'ai bien aimé ces deux premiers chapitres, on sent direct que tu as bossé ton perso principal, Camilla a une vraie profondeur. Les passages sur tous ses goûts donnent un côté très vivant, immersif.
C’est assez dense par moments, j’ai dû relire certaines phrases parce que ça apportait beaucoup de détails, mais c'est aussi ce qui rend le texte si riche. La fin avec la dualité accroche bien, ça donne envie de voir jusqu’où tu vas pousser cette idée d’ombre et de lumière.
A bientôt ! ^^