Chapitre II. Le Goodluck Ireland

 

The connacht or to hell.

C’était ce qu’avait dit Oliver Cromwel, lors du massacre de Droghéda en 1649, juste avant de déporter les survivants, sur les terres inhospitalières, de l’extrême ouest irlandais. En 1652, tous les catholiques de l’ile étaient pacifiés. Seule, Galway résistait encore, les orgueilleux orangistes, ne supportaient pas, que cette ville leur tienne tête. Ils entreprirent le siège de ce bastion, la cité cernée par d’épaisses murailles, protégées sur trois côtés, par la rivière, le lac, les marais et la mer était facile à défendre. Après neuf longs mois, Galway exsangue capitula. La faim, la peste bubonique avait eu raison de la fierté de ses habitants.

Deux cents ans plus tard, la ville des tribus ne s’était toujours pas relevée. Le grand port de l’ouest n’était que l’ombre de ce qu’il avait été jadis. En 1846, une autre invasion menaçait le site. Massivement, des milliers, de paysans, venus de l’intérieur des terres, fuyaient, la famine, la maladie la pauvreté. Seuls ceux qui possédaient de maigres économies pouvaient embarquer. L’immense majorité des infortunés vagabondaient misérables, désœuvrés. Les infâmes Coffins Ships, qui tentaient, la traversée, de l’atlantique nord, coutaient trop cher pour beaucoup d’entre eux.

Le Goodluck Ireland n’était pas un nom qui portait chance finalement. Il avait sombré au large des Açores. Marchandise et équipage reposaient maintenant au fond de l’océan. L’argent avancé par Sean pour financer leur voyage était aussi perdu. Il gisait dans le sable blond d’une fosse marine, ou dans la poche d’un armateur.

Ils n’étaient pas les seuls à rester en rade. Certains étaient arrivés trop tard. Leur vaisseau était parti sans eux. D’autres avaient acheté des places d’un bateau qui n’existait pas. Toutes les misères de la terre étaient rassemblées sur cette grève. Tous attendaient le navire providentiel. La plupart dormaient à même les quais, le ventre vide, la bourse plate. Pour beaucoup c’était le bout de la route. Mais tout valait mieux que la faim dans des cabanes sordides. Tous avaient encore dans le nez les terribles effluves des patates pourries.

Birghit, la grand-mère était abattue, la longue marche depuis leur village avait été épuisante. Cette mauvaise nouvelle supplémentaire était de trop pour elle. Elle semblait être à l’agonie maintenant. Affalée, sur une pierre dressée autrefois par des druides, elle priait tous les patrons de la sainte Irlande. Alaina fulminait. Elle n’acceptait plus la stupide bigoterie de l’aïeule. Elle se retenait de la rabrouer, ç’aurait été inutile de toute façon. La vieille paraissait absente, les yeux révulsés. Elle récitait une litanie antique. C’était surtout Padraig qui lui tapait sur les nerfs. Elle ne supportait plus le sourire satisfait qu’il affichait. Fier et orgueilleux, il se réjouissait du naufrage du bateau. Elle ne put retenir plus longtemps son acrimonie :

— Tu es content Padraig ! Tu ne voulais rien lui devoir à ton fils ! oui ton fils ! car Sean est ton enfant ! Que ça te plaise ou pas ! Tête de mule ! Tu lui reproches quoi en fait ! Il préfère les garçons ! et bien, la belle affaire ! En quoi ça te gêne ? Moi non plus, ça ne me plait pas et après ! Il est comme ça ! Il ne t’a jamais fait de mal ! Il t’a toujours respecté, la preuve… Il a travaillé dur, cet argent il aurait pu le garder pour lui ! Pas de chance le bateau fait naufrage ! Monsieur est content de ça ! Il ne doit plus rien à Sean maintenant ! Eh bien désolé de te décevoir, mais ton fils oui ton fils, tu m’entends ! C’est un homme qui prend ses responsabilités.

Maureen ne comprenait pas pourquoi sa mère criait. Son père, ce héros, baissait la tête, elle n’aimait pas ça ! Elle regardait sa maman, ses jolis yeux verts lançaient des éclairs. Elle avait peur, la gamine, le géant allait s’emporter, il ne s’énervait que rarement, mais elle l’avait déjà vue hors de lui, ce n’était pas beau… elle préférait oublier ces images. Elle trembla pour sa mère, une femme n’avait pas le droit de parler comme cela. Elle prit les devants et coupa le monologue maternel.

Màthair, le Godluck Ireland a coulé, ce n’est pas la fin du monde, il y a d’autres bateaux dans ce port… Si nous demeurons immobiles sur cette plage, c’est sûr, nous n’irons nulle part !

Alaina se retourna, son mari lui fit pitié tout à coup. Lui le géant, cette force de la nature, ce grand gaillard qui se laissait tancer sans réagir n’étaient pas son époux. Elle aurait préféré cent fois qu’il la jette à terre et la frappe… Elle baissa les yeux, cela lui faisait trop mal, sans un regard pour le reste de sa famille, elle décida alors de suivre Maureen, le petit écureuil !

À coups de coude, elles se frayèrent un passage dans cette marée humaine. Tout ce qui pouvait flotter était pris d’assaut. Seuls subsistaient à quai les traditionnels Galway’s Hookers, minuscules voiliers qui servaient au cabotage avec les iles d’Aran. Ils étaient trop frêles pour braver la longue traversée atlantique. Bousculées, piétinées, Alaina et Maureen ne s’avouèrent pourtant pas vaincues ; elles continuèrent leur progression. Un gamin famélique d’une saleté repoussante les aborda, pour un shilling, il leur trouvait un vaisseau ou quelques places étaient encore en vente. Elles décidèrent de le suivre, elles n’avaient rien d’autre à faire de toute façon. L’enfant se faufilait sans problème, il leur fallait courir pour ne pas le perdre de vue. Elles faillirent à plusieurs reprises finir dans l’eau noire du port. Le petit mendiant n’avait pas menti. Au bout du quai, se dressait, majestueux, le Manhattan Rainbow. Le vaisseau portait un joli nom, pour une frégate à bout de souffle. Il restait effectivement une dizaine de places. Le prix, plus de vingt livres par passager étaient malheureusement inabordable pour leur bourse, Alaina, mère courage exemplaire tenta de marchander, en vain! L’officier fut alors grossier.

— Foutu Irlandais, si vous n’avez pas l’argent, vous dégagez ! Je n’ai pas de temps à perdre ! Traversez donc à la nage, c’est gratuit.

Un marin sur le pont qui avait suivi la conversation la siffla et lança hilare.

— Oh, la belle rouquine si vous venez chauffer mon lit, toi et ta fille, je vous offre la traversée ! Ce sera la traversée des plaisirs, je te le garantis.

La rage au ventre, elle quitta le quai sous les quolibets et les rires gras des matelots. Elle avait hâte de retrouver son Padraig, qu’il la serre dans ses énormes bras. S’il avait été avec elle, personne ne lui aurait manqué de respect, l’officier hautain aurait fini à la mer et l’homme d’équipage grossier aurait dégringolé du bastingage. Mais il n’était pas là et elle ne lui en parlera pas quand elle l’aura rejoint. Elle ravala ses larmes sa fierté et sa colère et s’éloigna. Indifférent à sa détresse, l’enfant rabatteur avait rapidement trouvé une autre famille. Ce devait être des paysans de l’intérieur des terres eux aussi. Le père en tête, la femme accompagnée d’une ribambelle de gosses, ils embarquaient, en rangs serrés. Alaina leur souhaita mentalement bonne chance.

Alors que la mère courage quittait le port à pas nerveux,Tom et Desmond, les garçons qui de loin les avaient vus arriver les collaient déjà. Maureen les houspilla gentiment et leur demanda de les laisser souffler. Il y avait tant d’énergie dans ces enfants que c’en était agaçant.

Padraig aussi les avait vus arriver, à pas de loup il s’approcha du couple mère fille, doucement il bouscula Maureen et lui coula dans l’oreille

— Peut-tu t’occuper de tes frères de ta petite sœur et de ta grand-mère, ta mère et moi nous avons à parler.

Et sans attendre de réponse de la fillette, il chargea sa femme sur l’épaule et s’enfuit avec elle dans la lande toute proche. La gamine médusée observa le couple s’éloigner, le rire puissant de Padraig et celui plus discret d’Alaina résonna longtemps sur cette plage. Maureen ne comprenait pas tout, mais elle était rassurée, son père et sa mère venaient de se réconcilier. Elle ne fit pas attention au regard réprobateur de sa sœur ainée qui glissait à l’oreille de son mari.

— C’est bien le moment, c’est la famine et mes parents vont jouer aux lapins, promet moi Nolan de ne pas m’en faire une douzaine

— Je ne te promets rien Dana, quand nous serons en Nouvelle-Angleterre, je construirai notre maison, elle résonnera des rires de nos enfants, dit il en caressant le ventre tendu de sa compagne !

*

Le Manhattan Rainbow parti, il ne restait vraiment que les barques des pêcheurs et les petits caboteurs à quai. Les très nombreux laissés pour compte désœuvrés se réunissaient sur la grève qui jouxtait les docks. Des bouteilles de mauvais whiskys avaient fait leur apparition. Padraig qui ne buvait pas préférait quitter les lieux. Il n’y avait plus rien à faire ici désormais. Juste avant de rassembler ses maigres affaires et de donner l’ordre à sa famille de reprendre la route, il se tourna vers Alaina et lui fit part des conversations qu’il avait entendues pendant qu’elle recherchait un bateau.

— Certains disaient qu’il fallait rejoindre les ports de Limerick ou de Tralee. Là-bas, un capitaine James Attridge, secondé par le médecin de bord Richard Blennerhasset, avait déjà traversé l’atlantique de nombreuses fois. À bord de leur vaisseau, le Jannie Johnston, ils n’avaient jamais perdu un seul passager. Tous étaient arrivés sains et saufs, de l’autre côté, en terre promise, en Amérique.

Alaina connaissait également cette information et lui répondit.

— À Tralee ou à Limerick au sud ou à Sligo au nord, ce sera la même histoire, le voyage sera trop cher pour notre bourse. Mais je crois que j’ai une idée. Tu sais, ma sœur Abigael est partie de notre village pour suivre les beaux yeux d’un écossais. Ils se sont installés à Liverpool, en Angleterre. Je te propose de la rejoindre, elle m’avait écrit peu de temps après. Elle m’avait dit dans sa lettre que son mari gagnait bien sa vie. Si un jour on avait besoin, elle sera disponible pour nous aider. Bien entendu cette correspondance date d’une quinzaine d’années. Beaucoup de choses ont pu changer depuis, mais… Il nous suffit d’aller à Dublin, de là un bateau nous emmènera à Liverpool.

Padraig connaissait par cœur son Alaina et le petit sourire malicieux qu’affichait son épouse en disant ces derniers mots. De toute façon il n’avait pas le choix, il n’avait jamais pu résister à sa femme, il savait déjà qu’il allait accepter, même si Dublin était au bout du monde, à presque deux cents kilomètres de Galway

 


 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Edouard PArle
Posté le 16/11/2021
Coucou !
Les mésaventures de notre famille irlandais continue. Il y a des morts, de nouveaux personnages. Pour l'instant, je ne m'identifie pas autant à eux qu'aux révoltés contre le prince président mais c'est peut-être parce qu'ils sont nombreux.
Je suis pressé de voir leur départ (que j'imagine vers l'Amérique) en bateau. Ca va vraiment être intéressant !
Sinon, je penses que tu aurais pu encore développer un peu la scène avec Murray et Abigael car elle est très forte.
"Ils étaient sauvages, catholiques, paresseux et sentaient mauvais." J'ai trouvé cette phrase amusante mais tellement vraie xD
Quelques remarques :
"c’étaient les messages les plus soft." à l'écrit "soft" je trouve que ça ne passe pas super bien, surtout dans un récit historique atténués ?
"fort heureusement," -> Fort
"Mais elle se trouvait sans emplois" -> emploi
"Maureen parlera" -> parla
"elle s’en sortira" -> sortirait
Un plaisir,
A bientôt !
Etienne Ycart
Posté le 17/11/2021
Bonjour Edouard,
merci de ta visite.
Tout d'abord,je ne suis pas d'accord avec toi
Les O'Brien sont tout aussi attachants que les Icards
Jean Thomas et Maureen sont mes deux héros!
ils se rencontrerons un jour...
Puisque tu es là, dis moi
que manque t'il au O'Brien
pour qu'ils soient aussi sympatiques que les Varois
Tu as sans doute raison
l'univers Irlando/Anglais est moins abouti
Mais je ne voulais pas en faire des kilos
Pour la famine
Toujours ce soucis pour moi d'éviter la caricature!
Etienne Ycart
Posté le 17/11/2021
Tu as parlé de l'algarade Murray Abigael
je suis d'accord avec toi
Mais que pense tu
de la réconciliation
je t'avoue
j'ai failli ne pas mettre cette scéne!
Mais elle me fait rire
Est ce marrant utile ou lourd et superflu?
Edouard PArle
Posté le 17/11/2021
Coucou !
Ce qui pêche un peu selon moi (ça n'engage que moi) c'est 1 le nombre de personnages et 2 des chapitres un peu courts qui laissent pas forcément le temps d'approfondir les personnages.
Par rapport à la réconciliation, je pense que tu peux laisser, ça serait même intéressant de plus la développer.
Ce n'est que mon impression qui est amenée à changer selon l'évolution de l'histoire (=
Etienne Ycart
Posté le 17/11/2021
aprés, celui qui écrit à toujours l'avantage des blancs
celui qui lit à toujours une parte de retard
Mais celà n'empéchera pas de retourner en arriére
et se corrigger/ éttoffer certains points
Et non ils ne sont pas plus nombreux
Puisque dans la partie Maureen
Il y a
Maureen
Le pére la mére
le frére absent
la grand mére
la soeur absente
et les autres fréres et soeur
ensuite je rajoute
Murray abigael
dans la partie Jthomas
il y a Jt le frére absent
Le pére la mére
le frére la soeur
l'oncle
puis
les personages secondaires
qui eux sont beaucoups....
Mais...
Les chapitres sont plus courts
ça oui!
il mefaudrait éttoffer
ou peut être que je brode trop
dans la premiére partie
Edouard PArle
Posté le 17/11/2021
Coucou !
Bien sûr mes remarques ne sont que des impressions, c'est toi qui décide.
Pour le nombre de personnages, il y en avait peut-être autant mais je voyais une hiérarchie plus claire entre personnages importants et secondaires qui permettait de savoir où tourner le regard.
Encore une fois, mon opinion risque d'évoluer en continuant la lecture ^^
Etienne Ycart
Posté le 17/11/2021
Mais
un opinion de lecteur
n'est jamais à prendre à la légére
Tu fais une soupe succulente
légumes bio et murs à points
condiment
eau de source
Tu oublie le sel!
Patatras
personne n'en mange!
Edouard PArle
Posté le 18/11/2021
hihi ! Belle métaphore (=
Vous lisez