Chapitre II : Le Tunnel

Par mehdib

     Jordane était tellement excitée qu'elle sortit ayant à peine le temps de finir de relever le frein à main de la vieille voiture garée dans un renforcement devant le tunnel. Elle s'élança au milieu de la route et fit face au monument, soi-disant témoin d'une histoire d'horreur. Elle sortit de son sac à main un appareil photo professionnel et prit plusieurs clichés du tunnel qui se dressait devant eux ; mais ce fut seulement lorsque Raphaël claqua la portière que Jordane se figea et fut saisie par l'ambiance de ce lieu.

     La route sur laquelle ils se trouvaient était traversée par une vieille voie ferrée abandonnée - encore un souvenir des mines - qui passait au-dessus, grâce au tunnel. Autour d'eux, il n'y avait qu'un terrain vague, un entrepôt visiblement abandonné et un champ qui donnait sur la forêt.

Le silence était total.

     Il n'y avait pas âme qui vive à des kilomètres, ainsi la solitude les agrippait de sa main glacée. Le tunnel en lui-même n'était pas très long : une vingtaine de mètres, et on en voyait l'autre bout. Mais comme il n'était pas éclairé, une partie était plongée dans les ténèbres. Jordane sortit un petit objet de sa poche : Raphaël, qui était resté près de sa voiture, reconnut son dictaphone.

 « Il est maintenant… » Jordane jeta un regard à sa montre : « 20h15. Je me tiens devant le tunnel. L'ambiance est vraiment impressionnante. Il fait sombre, et on est seuls. Un silence de mort, personne à des kilomètres. L'endroit rêvé pour une rencontre nocturne. »

Elle s'approcha lentement jusqu'à arriver à l'entrée. Elle se stoppa net, et mesura avec gravité son prochain pas, comme si entrer dans le tunnel allait l'avaler dans un monde parallèle. Un monde de vampires, loups garous et morts vivants.

Elle avança.

Elle ne savait pas à quoi elle s'attendait, mais elle se sentit quitter le monde des vivants lorsque le talon de sa botte résonna avec ampleur dans le tunnel, tel un son de cloche annonçant l'arrivée des esprits.

 « On sent une énergie ici, commenta-t-elle. Pas étonnant que des légendes naissent ici, et que plus personne n'ose y mettre les pieds après la tombée de la nuit ».

     Elle continua lentement, observant autour d’elle avec attention. Des graffitis, la plupart indéchiffrables, ornaient les murs usés et lézardés. Elle en repéra un plus ancien que les autres, d'une peinture rouge délavée, qu'elle prit en photo. On pouvait y lire « le tunnel d’Inès la folle ». Jordane continua d'avancer jusqu'à trouver ce qu'elle cherchait, dans la partie obscure à mi-chemin du tunnel : une grande bouche d’évacuation des eaux usé, presque plus grande qu’elle. Elle enclencha le flash de son appareil, mais hésita à prendre la photo : quelle créature de la nuit allait révéler la lumière ? Verrait-elle un visage la défigurer avec un sinistre rictus à l'instant où son flash éclairera la sombre tanière que tout habitant de Duli connaissait ?

Elle fixa le trou béant, perplexe. Allait-elle finir comme Inès la Folle si elle prenait la photo ?

Non, cette légende avait été fabriquée de toutes pièces. Inès n'avait probablement même pas existé.

Le clic de l'obturateur de l'appareil résonna, le flash révéla l'intérieur du tuyau sans fond comme un coup d'œil craintif dans les abysses de la nuit : vide.

Jordane lança un coup d'œil furtif et honteux vers Raphaël, comme un enfant qui se rend compte qu'il n'y a pas de monstre sous son lit - pourtant, il y en avait vraiment eu un sous le sien, il y a longtemps de cela. Mais il était absorbé sur son téléphone, adossé contre son tas de boue.

Les photos prises, il ne lui restait qu'une seule chose à faire : un petit rituel de rien du tout. Selon la légende, réciter l'incantation qu’Inès prononça ce soir-là attirerait les monstres des égouts. Avec de la chance, Inès elle-même pouvait pointer le bout de son nez.

Voici ce que racontait l'histoire d'Inès :

     Inès était née de son père Ulrick et de sa mère Olivia. On ne savait pas grand-chose de son père, mais Olivia, tout le monde la connaissait à Duli. On l'appelait Olie la Folle. Elle avait vécu une vie respectable, voire exemplaire, jusqu'à ce que la naissance de sa première fille, Inès, la plonge progressivement dans une dépression post-natale. Au début, Ulrik avait choisi de ne pas voir les symptômes : Olivia qui parlait toute seule, Olivia qui pleurait toute une nuit. Inès qui glissait dans son bain. Inès qui tombait de la table à langer. Jusqu'à ce qu'un jour, en rentrant du travail, il découvre sa femme et sa fille de deux ans inconscientes dans la cuisine, la tête dans le four. Cette fois-ci, après que l'ambulance fut repartie de chez lui, il dû se rendre à l'évidence : quelque chose n'allait pas avec sa femme.

Et c'est ainsi qu'Olivia commença ses aller-retour dans les hôpitaux psychiatriques du coin.

     Inès grandit avec son père, à Duli. Sa jeunesse ne fut pas facile : quand la nouvelle avait fait le tour de la ville, les autres enfants n'avaient pas tardé à se moquer d'elle. Quelques fois, Olivia apparaissait devant leur maison : Ulrik appelait simplement le centre hospitalier pour la faire ramener et attendait l'ambulance en verrouillant les portes. Mais ce qui était dur, c'était quand elle apparaissait devant l'école d'Inès : les enfants avaient le temps de lui lancer des cailloux et lui crier dessus tandis qu'elle les regardait simplement, l'air hagard. Le proviseur finissait par appeler la police, et Inès rentrait chez elle la tête tourbillonnant encore des brimades des autres élèves. Puis, à ses douze ans, l'accident de la mine avait eu lieu. Elle n'en fut pas affectée, son père étant commerçant au centre-ville, mais elle trempait dans la tension lourde partagée par les habitants de la ville, qui avaient encore espoir qu'on sauve les mineurs piégés. Mais deux mois plus tard, l'espoir s'était évanoui, on avait scellé l'entrée. On racontait toute sorte de chose sur l'accident, et des rumeurs circulaient de toute part.

     C'est ainsi qu'un soir, Inès allait pour rentrer chez elle en vélo, comme à son habitude maintenant qu'elle était assez grande pour rentrer toute seule. Elle devait passer par le tunnel mais redoutait toujours cet instant : elle devait franchir la zone sans lumière, à mi-chemin, puis passer devant un grand tuyau d'évacuation des eaux usées, lui semblant faire deux fois sa taille. Derrière la lourde grille, on ne pouvait pas voir ce qui se cachait dans les ténèbres, dans les tréfonds des souterrains. Un monstre pouvait en profiter. Il passerait la main entre les barreaux de la grille et lui attraperait une jambe : puis il la dévorerait vivante, découpant avec ses griffes acérées et déchiquetant avec ses dents pointues. À douze ans, Inès avait encore beaucoup d'imagination, et ça ne l'aidait pas toujours. Quoiqu'il en soit, elle avait trouvé la parade : lorsqu'elle s'approchait du tunnel, elle élançait son vélo à toute vitesse, pompant de toutes ses forces, et elle le traversait complètement immobile, coupant même sa respiration, en espérant qu'elle avait pris assez d'élan pour dépasser le tuyau d'évacuation. De ce fait, les monstres croiraient qu'il s'agissait d'un rocher qui dévalait la route. Ou une voiture. En tout cas, pas une petite fille appétissante seule sur son vélo. Mais ce soir-là, Inès était distraite : en effet, un an après la catastrophe de la mine de charbon, la rumeur à l'école disait que les mineurs piégés étaient encore vivants. Qu'ils étaient perdus dans les réseaux souterrains de la ville et que, aveuglés par le noir complet, ils s'étaient transformés en créatures de la nuit, rodant, dévorant des rats pour survivre. Aussi, elle avait décidé de siffloter une petite comptine pour se changer les idées. Perdue dans ses pensées et sa chanson, elle oublia de prendre de l'élan pour traverser le tunnel. Elle s'en rendit compte au dernier moment, et tenta de mettre les gaz. Sauf que, balbutiant et changeant de vitesse alors qu'elle allait trop lentement, la chaîne sortit de son engrenage. Elle tenta de redresser mais elle échoua lamentablement et s'étala de tout son long juste entre les deux sorties.

     Elle releva la tête, rien de cassé. Elle s'asseya, grommelant, lorsqu'elle se rendit compte où elle se trouvait : si jamais elle tournait la tête sur sa gauche, elle allait tomber nez à nez avec la bouche grande ouverte et les dents d'acier régulières de l'évacuation. Elle voulut hurler mais plaqua aussitôt les mains contre sa bouche. Peut-être que si elle ne faisait pas de bruit, le monstre des souterrains ne la verrait pas. Dans la pénombre, elle distingua son vélo gisant par terre. Elle se demanda s'il fallait qu'elle l'attrape et qu'elle s'enfuie avec en quatrième vitesse. Mais non, elle ne pourrait pas : la chaîne, décrochée, reposait un mètre à côté. Elle la narguait, brillant faiblement dans le noir, reflétant la lumière d'un lampadaire à la sortie. Non, il fallait qu'elle se mette à courir d'un coup, courir de toutes ses forces et ne jamais se retourner. Son père viendrait demain récupérer son vélo. Elle déglutit amèrement, n'osant pas bouger, n'osant pas faire de bruit. Mais les monstres, ça n'existe pas. Son père le lui avait répété une centaine de fois, et son père avait souvent raison.

 « Les monstres ça n'existe pas. »

Alors pourquoi elle sentait un souffle derrière elle ? Non, pas un souffle. Un relent. Une puanteur abominable l'envahit, l'enveloppa.

« Les monstres, ça n'existe pas. »

Une odeur de décomposition. La même odeur que quand un chat sauvage était venu mourir dans leur garage pendant qu'ils étaient partis en vacances, le ventre remuant dans tous les sens, les asticots sortant de ses orbites vides et de sa bouche décomposée. La même odeur, mais plus forte.

 « Les monstres, ça n'existe pas. »

     — À l'aide… entendit-elle dans son dos.

 « Les monstres, ça… »

— Je suis coincé… Il fait noir…

Le cœur d'Inès se souleva dans sa poitrine. Mais les monstres, ça ne parle pas. Ça hurle, et ça grogne. Alors elle se retourna. Derrière elle, le tuyau d'évacuation d'eau cachait ses secrets derrière son voile noir, seulement zébré par les barreaux de fer. Elle ne voyait rien.

— J'ai faim… gémit la voix qui venait de l'avaloir.

Inès s'approcha avec précaution.

« Qui êtes-vous ? » réussit-elle à demander, la voix tremblante.

En plissant les yeux, elle vit un léger mouvement dans le trou, mais elle n'était pas sûr de ce qu'elle voyait, car il faisait vraiment sombre.

— L'explosion… J'étais perdu là en bas… J'ai faim… Et il n'y a plus personne…

— Vous vivez là-dedans ? demanda Inès.

La voix lui faisait pitié.

— Aide moi, implora-t-elle. Prends ma main et fais-moi sortir…

Quelque chose sortit doucement des ténèbres, s'approchant des barreaux. C'était la main d'un humain, pas d'un monstre. Il y avait cinq doigts, et pas une seule griffe. Mais il faisait sombre, et elle ne voyait pas bien. Aussi, elle saisit la main pour sortir la pauvre voix de là.

Sauf que c'est la main qui la saisit. Inès hurla : en partie parce qu'elle fut surprise, mais surtout parce qu'il réalisa que la main était à moitié décomposée. Elle était noire de saleté et de maladie, maigre et il n'y avait plus d'ongles, arrachés. La main, agrippant son bras avec une force surhumaine, la tira contre la grille. Elle ne pouvait que hurler, pleurer et se débattre, mais la chose ne lâcha pas prise. En quelques secondes, son bras fut complètement hors de vue, et sa tête était coincée entre les barreaux glacés. Lorsque l'homme ouvrit la bouche, la puanteur la frappa de plein fouet. L'odeur de mort. Il salivait à profusion, la bave noirâtre et gluante coulant entre ses quelques dents restantes. Il avait les yeux atrophiés et à moitié fermés, comme une momie. Elle vit ce visage comme en décomposition s'approchant du sien, la gueule grande ouverte. Elle s'aperçut que l'homme portait un casque sur la tête. Un casque avec une lampe frontale cassée. Comme un casque de mineur.

     L’histoire dit qu’elle réussit à s’échapper. Elle rentra chez elle pour tout raconter à son père. Un monstre aurait essayé de la manger. Mais celui-ci resta perplexe, alors elle commença à en parler autour d’elle. Et là, c’est tout son entourage qui devint perplexe. On commença à croire qu’elle tenait de sa mère, et les rumeurs se répandirent.

     Plus personne ne la vit depuis. On dit qu’elle a fini à l’hôpital psychiatrique, avec sa mère. On dit aussi que si on passe tard la nuit dans le tunnel, elle apparait pour vous mettre en garde du monstre qui rôde.

« Allez, juste cette petite étape, c'est facile… »

Jordane avait passé l'âge de croire aux monstres. Elle savait que les monstres étaient humains, et vivants. Il y avait bien assez de violence dans le monde pour qu'il y ait besoin de créatures surnaturelles. Elle étudiait les légendes urbaines depuis des années, et jamais elle n'avait vu de fantômes ou quoi que ce soit de paranormal. L'église hantée de Saint-Antoine ? Une patiente d'un hôpital psychiatrique qui sortait en douce la nuit, se prenant pour une nonne. Elle avait même pu l'interviewer - l'article avait reçu la note de cinq squelettes sur cinq dans le magazine, et une copie était accrochée sur son frigo. Dans tous les cas, il y avait toujours une explication. Surtout que dans cette histoire, tout était bidon : ils avaient feuilleté les registres, aucune Inès ou Olivia n'avait existé. Rien non plus dans les fichiers du personnel qu’ils avaient volés aux hôpitaux psychiatriques alentours - Raphaël avait gentiment proposé d'aider une infirmière à réparer son ordinateur, après que celui-ci fût mystérieusement déconnecté du réseau. Il avait aussi habilement scanné la carte d'accès d'un employé des travaux publics avec son téléphone en s'infiltrant dans la cafétéria, mais les plans qu'ils avaient récupérés montraient que les galeries de la mine et le réseau d'évacuation des eaux usées ne communiquaient pas entre eux.

Du coup, elle pouvait s'enregistrer prononcer l'incantation, et rien ne se passerait.

     Elle s'avança jusqu'à atteindre le milieu du tunnel, où elle plongea dans l'obscurité. Elle regarda en arrière : elle ne voyait même plus Raphaël, elle pouvait à peine apercevoir la lueur de l’écran de son téléphone. Elle regarda à sa gauche : le trou béant se tenait toujours là. Rien ne bougeait dedans. Finalement, elle regarda devant : rien en vue sur toute la route. Juste elle, dans le tunnel, dans l'obscurité. Un doux vent lui chatouillait la nuque. À moins que ce soit un frisson. La chair de poule.

« Allez ma fille, du courage. »

Qu'est-ce qu'elle risquait ?

Elle déclencha son dictaphone, et le clic la fit sursauter.

« Les monstres, ça n'existe pas. »

Elle retint son souffle : rien ne se passa. Rien ne bougea. Seuls les graffitis l'observaient d'un ton moqueur.

« Les monstres, ça n'existe pas. »

Déjà, sa voix tremblait un peu plus. De quoi elle avait peur ? Cette histoire n'existait pas. Plus que trois.

Un grattement se fit entendre à sa gauche. Ça semblait venir de l’évacuation. Son corps se raidit.

« Du calme ma vieille, c'est dans ta tête… Ou alors c'est un rat… Ces saletés grouillent dans les égouts » se dit-elle.

« Les monstres, ça n'existe pas… ».

Encore le grattement, plus fort.

Elle commença à paniquer. Paralysée, elle n'osa pas tourner la tête sur la gauche. Elle regardait droit devant elle. Le vide. La nuit. Le silence.

Encore le grattement. Deux fois.

Une pensée s'insinua dans son esprit : « Tout est pur pour ceux qui sont purs. »

« Non, pas ça, pas maintenant, se dit-elle. S'il vous plaît non… »

Elle essaya de se calmer ; si elle se mettait à paniquer, la porte qu'elle avait mis si longtemps à fermer risquait de se rouvrir et lâcher ses démons à ses trousses.

« Les monstres, ça… »

     La femme qui arrivait vers elle semblait sortir de nulle part. Elle devait avoir à peu près son âge, peut-être un peu plus vieille, et elle portait une veste en cuir brun quelque peu démodée avec une paire de jeans blancs. Elle avait des cheveux d’un noir ocre impeccablement tirés en une queue de cheval, le visage carré mais l’air absent, comme somnambule. Jordane sentit un souffle glacé prendre forme dans son estomac, puis grimper le long de sa colonne vertébrale pour hérisser les poils de sa nuque. Sa gorge s'assécha instantanément et elle fut incapable de bouger. Elle se rendit compte qu'elle ne pouvait même plus respirer. La femme continuait à marcher comme si elle ne l'avait pas vue ; mais elle s'arrêta à son niveau, juste à côté d'elle. Jordane entendit ses dents claquer et ses jambes qui commençaient à se dérober sous elle.

     — Ne vous approchez pas du trou, il y a un monstre là- dedans.

Sa voix était lointaine, comme dans un rêve, mais elle résonnait dans sa tête. Le temps sembla s'arrêter et Jordane fut dans l'incapacité de produire une quelconque pensée intelligente.

— Je sais, » s'entendit-elle dire en parfaite spectatrice de son propre corps : elle entendit sa voix de loin, comme si elle était à des kilomètres, ou à des années de la scène.

La femme sembla acquiescer, puis continua son chemin derrière elle. Jordane ne bougea pas, toujours incapable de calculer la scène ; ce fut lorsqu'une main se posa sur son épaule qu'elle se mit à hurler.

     — Wow, ça va pas ?! s’écria Raphaël en bondissant hors de ses chaussures.

Elle le dévisagea, paniquée : oui, c'était bien Raphaël. Elle regarda derrière lui, mais il n'y avait personne.

— Tu l'as vue ? balbutia-t-elle.

— Vu quoi ? répondit-il, interloqué.

Jordane regarda frénétiquement autour d'elle. Avait-elle rêvé ? Oui, c'était la seule explication plausible. Elle s'était fait un film, elle voyait tellement de films d'horreur que son imagination s'était jouée d'elle. Il ne fallait pas chercher plus loin. C'était ça.

Était-ce ça ?

— Le rat, mentit-elle. Le rat qui s’est faufilé dans la canalisation.

— Nope, j'ai rien vu.

Elle reprit son souffle et réussit à se calmer un peu.

Quelle idiote, réussir à se faire peur toute seule…

— C'est pas grave, reprit-elle, de toute façon j'ai fini. Allons manger un bout.

— Voilà qui est parler ! Tous au steak house ! C'est toi qui régales ?

— Sûrement pas.

Ils se dirigèrent tous deux vers la voiture, Raphaël d'un pas décidé, Jordane d'un pas un peu trop rapide pour être naturel.

— Tu sais, reprit-il, le seul rat que je vois ici, c'est toi. Comment t'as pu prendre des chambres à lit simple ? Comment t'as même pu trouver un hôtel qui en proposait ? T'es quand même forte…

— Le patron surveille mes notes de frais, crâne d'œuf, répliqua-t-elle la voix plus légère.

     Et tandis qu'ils s'éloignaient de cet endroit qu'ils n'allaient plus jamais voir, les lampadaires commencèrent à s'éteindre, plongeant le lieu dans les oubliettes jusqu'à ce que le soleil ose se repointer le lendemain. En effet, les prochaines personnes qui traverseront ce tunnel en voiture pourront sûrement passer devant un graffiti que Jordane n'avait pas pu voir à cause de la pénombre, juste en dessus du tuyau d’évacuation des eaux usées. Celui-ci avait été écrit il y a bien longtemps, et certaines lettres avaient été effacées par le temps, modifiant légèrement l'incantation d’Inès. On y lisait :

 

LES MONSTRES, ÇA EXISTE

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