CHAPITRE II - Ronces et lierres des mangeurs d’étoiles - Arcturus - Partie 5

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Mais, bien évidemment, le Seafox n’allait pas manquer une occasion de montrer sa collection personnelle d’antiquités, ne serait-ce que pour le plaisir de se dégourdir les jambes après toutes ces discussions.

C’est donc avec entrain qu’il ouvrit la marche vers le hall, puis le grand escalier pour rejoindre l’une des premières pièces de l’étage, une vaste salle remplie de ses trophées qui lui donnaient toujours le sourire, comme un vieil homme devant ses souvenirs - mais en bien moins mélancolique que ne le serait Henri. Et cette pensée eut tout juste le temps de toucher le cœur de son fils que Cyrus se retournait déjà, plus fier que jamais, pour écarter les bras au milieu de ses vitrines et présentoirs – quotidiennement nettoyés par Blake, sans que ça ne serve à grand-chose à part discuter avec son vieux capitaine qui ne ratait jamais ce rituel.

— Faites-vous plaisir ! » lança-t-il, sans se douter que ses paroles allaient déclencher un réflexe instinctif dans l’esprit du jeune Cathair, et quelques autres Springs.

— Ah ? On peut prendre des trucs ? » lâcha-t-il dans la foulée, pour que Lysander le corrige, avant de s’occuper de Kennocha, déjà en train de lorgner sur les quelques bijoux de ce cabinet.

 

Quant à cette fameuse épée, elle se trouvait aussi sous verre, tout au fond de la pièce, comme si son propriétaire avait inconsciemment voulu que les gens ne s’y attardent pas trop.

Pourtant, comme Siarl le fit remarquer, elle était aussi bien conservée que présentée, elle partageait même la vitrine de la première lame du Seafox, un vieux sabre d’abordage français. Bien sûr, Cyrus la sortit de sa vitrine pour leur montrer à quel point son tranchant était émoussé, comment sa garde était inconfortable et, surtout, le poids excessif de cette arme qui la rendait désagréable même en ceinture. D’ailleurs, c’était bien pour ça que personne n’en voulait, et les quelques collectionneurs qu’il avait rencontrés furent tous persuadés qu’il essayait de les arnaquer avec des faux vestiges du passé. D’un côté, il était également le premier à avouer qu’il la trouvait tout de même jolie, avant de plaisanter en la tendant à son fils qui ne la lâchait plus des yeux, tant il était fasciné par son aspect clinquant et mystique – il n’était pas du Conseil pour rien. Il s’agissait d’un glaive fait d’une matière similaire à un verre sombre, serti d’améthyste ou d’aigues-marines qui ne reflétaient que très mal leurs très fins rayons bleutés jusque sur le métal d’ombre pâle de sa lame, sur laquelle se trouvaient gravées quelques lignes argentées. Vous êtes le pire marchand du monde, dut confier Arcturus à son père en voyant qu’un objet si curieux n’avait su trouver un acheteur, on aurait dit un artéfact venant d’un autre temps, presque une épée de légende qu’il aurait simplement fallu polir pour aller la vendre à prix d’or au premier souverain du coin.

Pourtant, ce qui l’étonna le plus, ce n’était même pas cette épée en elle-même, ni le fait que son père prétende ne pas avoir réussi à la vendre, c’étaient les inscriptions grisâtres qu’elle portait sur sa lame.

— Ça m’étonne que vous l’ayez retrouvée sur une île du Pacifique, l’inscription qui se trouve sur la lame semble être du latin et la langue à côté me dit quelque chose, je l’ai déjà vu mais c’est une langue morte, un dialecte italique, je crois.

— Je crois qu’un des amis d’August, l’Italien, avait parlé d’Étrusque. Tu le connais ?

— Hm ! Ce n’est pas une personne mais un peuple. » lui sourit son fils. « Les premiers souverains romains étaient originaires de leur peuple, ils vivaient dans ce que nous appelons la Toscane, juste au nord de Rome. Quant à l’Italien, il a un nom, c’est Marco-Aurelio, et il a souvent raison. Ça confirme ce que je disais, ça n’a aucune forme de sens que cette épée ait été là-bas. Quelqu’un l’y a amené, forcément, elle ne s’est pas téléportée.

— Bah, après tout, la nappe était vide, l’endroit aussi, quelqu’un est peut-être passé avant nous … Enfin, tu ne peux rien me dire de plus sur cette épée ? » reprit Cyrus, avant que son fils ne lui avoue que sa collègue Alessia pourrait le faire. « Bordel, pourquoi je t’ai payé des études si c’est pour que la première bonne sœur du coin fasse mieux que toi ? »

 

Alors, après que Kennocha eut précisé que son amant était tout simplement flemmard, il finit par aller se mettre sous la lumière des fenêtres pour déchiffrer ces écritures usées.

Il lisait le latin puisqu’elle était la langue du Conseil, mais à la différence de ses trois collègues, il n’éprouvait aucun intérêt pour ce langage aussi mort qu’inutile. D’ailleurs, même lorsqu’ils lui écrivaient dans cette langue, il leur répondait dans la leur, et lorsqu’il avait fallu l’apprendre, il n’avait jamais hésité à copier sur ses camarades de tutorat. Malheureusement, il n’allait pas pouvoir compter sur l’aide de William, ni copier sur Alessia, ni même négocier avec Maria pour obtenir la traduction de ces inscriptions, en vieux latin qui plus est. Malgré tout, en lançant quelques excuses, il déchiffra tout de même quelque chose de ces vieilles gravures.

— Hum … C’est une incantation en hommage à un dieu païen. » en conclut-il, d’un air si détaché que Kennocha reconnaissait clairement le fait qu’il s’en fichait, là où le vieux Cyrus était déjà intenable.

— Tu dis ça au hasard ou c’est sérieux ?!

— J’ai reconnu quelques mots et supposer d’autres, ça suffit, et ça n’a rien d’extraordinaire. Ça se faisait parfois sur des épées d’apparat ou des armes rituelles, ça ne la rend pas très spéciale pour autant. » expliqua-t-il, avant de remarquer une fin de morceau de papier légèrement brillant qui semblait se décoller du manche, et de commencer à y planter ses griffes. « Tiens ça s’enlève ça … 

— Mais arrête de défoncer mon épée, gamin ! Je ne t’ai pas élevé comme ça ! » protesta-t-il sans qu’Arcturus ne l’écoute, et sans qu’il ne se retienne de tirer finement sur le papier, dans un bruit de déchirement.

 

Mais il tint bon, laissant la garde de verre sombre à nue derrière lui, tandis qu’Arcturus présentait désormais un long parchemin aux regards stupéfaits de tous, lui le premier.

Car il ne trouva ni un texte, ni un symbole ou un blason sur la face cachée de ce papier si résistant, mais un dessin à l’encre blanche et grise plus magnifiquement réalisé que tout ce qu’il n’avait jamais vu. Celui-ci représentait ce qui semblait être un fier sanctuaire d’un culte inconnu, creusé dans la roche d’où surgissaient ses promontoires, le tout dans une vallée à la végétation luxuriante, et de type européenne du peu qu’Arcturus arrivait à en discerner. Des ouvertures de cette falaise d’encre s’échappaient de fins filets d’encens, mais aussi une étrange brume, à la lueur aussi vive que les petites torches dessinées sur ce paysage, réalisé à hauteur d’homme. Très vraisemblablement, cet endroit était ou fut fréquenté par l’Humanité. Seulement à voir le style architectural si particulier de ce sanctuaire, Arcturus s’étonnait de ne pas le connaître, il ne voyait même pas quelle culture aurait pu produire un site aussi majestueux - car à voir les détails du flanc de montagne, il avait été sculpté par l’homme.

Étant donné les langues présentes sur la lame et le lieu où elle avait été découverte, cela devait être un lieu en rapport avec le LM, situé quelque part entre l’Eurasie et l’Amérique du Nord, ayant voyagé d’une façon ou d’une autre entre les continents. Mais Arcturus n’avait aucune idée d’où commencer à chercher. D’autant plus que les sept entrées de nappes qu’il avait pu visiter n’avaient jamais montré aucun signe d’habitation humaine. Heureusement, un détail finit par capter son attention, un tronc de chêne en bas du papier, dont les contours d’encre faisaient comme ressortir un petit schéma. C’est moi ou on dirait une carte, pensa-t-il en croyant reconnaître les Alpes, le Rhin, le Rhône, le Pô et l’Aar. Sur ce petit schéma était noté quatre étoiles, deux près des nappes contrôlées par le RFA, une autre près du lac de Constance et une dernière en Savoie – ce qui ne correspondait pas exactement aux entrées des nappes mais s’en rapprochaient beaucoup.

En tout cas, cela avait suffi à éveiller sa curiosité et son esprit d’aventure, même après la discussion qu’il venait d’avoir avec son père, à tel point qu’il en restait fièrement souriant devant sa carte aux faces d’argent et d’ombre, sous les regards agacés des autres qui ne voyaient plus qu’une face vierge depuis de longues secondes déjà.

— Bon, tu vas finir par cracher le morceau ?! » s’exclama Cyrus en lui prenant délicatement le papier des mains.

— L’endroit indiqué doit se situer entre la Savoie et le Trentin Autrichien. Je vais faire le nécessaire pour trouver cet endroit, j’ai un bon pressentiment. » résuma Arcturus à ses Springs et son père, avant de stopper son regard vers ce dernier qui levait les yeux du parchemin. « De toute façon, je pourrais compter sur ton aide, tu me suivras dans toutes mes aventures maintenant ? » lui sourit-il pour que Cyrus en soupire.

— Tu étais la seule personne qui me forçait à rester ici, et tu ne me laisses pas vraiment le choix non plus. Si je reste ici, David va m’envoyer des dizaines d’assassins sur la gueule. Mais laisse-moi jusqu’à la soirée, un dernier repas avant la cavale.

— Je ne comptais pas t’exfiltrer de jour, rassure-toi. Et mes Springs connaissent déjà les positions de tes tireurs embusqués, avant que tu en parles. Ça sera une promenade de santé pour eux. » lui lança le président, pour entendre son père ricaner, avant d’annoncer qu’il allait bientôt être l’heure de passer à table.

 

Et cette remarque très anodine ne manqua pas de toucher encore le cœur d’Arcturus, de le laisser stupéfait, presque effrayé même.

Un aventurier bon-vivant comme son père n’était pas du genre à passer à table parce qu’il était l’heure, c’était tout un symbole sur l’état dans lequel l’isolement le plongeait lentement. Heureusement que je suis venu, il était temps, quoi que réserve mon futur, ça sera toujours mieux que de l’avoir laissé pourrir ici, pouvait-il sourire en imaginant les bienfaits que la liberté ferait à son paternel. Mais Siarl avait un bon remède contre la solitude, et il ne se priva pas pour la suggérer tant il sentait qu’elle était ingénieuse : vous auriez dû prendre un chien, mais pas pour le laisser dehors ou lui tirer dessus

— Ah, c’est comme ça que ça marche ? » ironisa Cyrus, tandis que son fils voyait poindre ce pauvre Blake sur le seuil de la porte, comprenant que le vieux marin se préparait à devoir cuisiner pour tout le monde – tel qu’il l’avait toujours fait depuis la disparition de la propriétaire.

— Blake ne va pas préparer le repas pour douze personnes, si ?

— Pourquoi, tu comptais l’aider ? Si tu es aussi doué que moi en cuisine, tu peux rester loin des casseroles, personne ne t’en voudra tu sais.

— Moi, non, je ne cuisine pas. Mais Iverna a le talent des dosages et quelques-uns de mes Springs ne sont pas mauvais en cuisine. » sourit le richissime président de Solar Gleam, au grand soulagement des deux hommes, puisque Blake n’était pas un bon cuisinier non plus – il était juste meilleur que Cyrus.

— Blake est votre secrétaire, normalement. » ajouta quand même Arcturus, ce qui ne manqua pas de faire sourire le vieil aventurier.

— Ah ! Ouais, c’est vrai. Ça fait combien de temps qu’on n’a pas rédigé un truc officiel d’ailleurs ?

— Je m’occupe de votre déclaration d’impôts chaque année. » lâcha son majordome.

— Je paye des impôts ?! » s’étrangla Cyrus, avant que la discussion ne dévie sur le choix du repas, pendant que l’ancien aventurier ne digère cette terrible nouvelle qu’était son imposition, après des années à échapper au fisc anglais grâce à l’AP. « Putain de pays d’ingrats, j’aurais dû rester en mer … »

 

L’Anglais du Conseil et les siens quittèrent ainsi le cabinet de curiosités de son père pour ensuite se séparer en deux, entre ceux qui prépareraient le repas et ceux qui dresseraient la table.

Évidemment, Arcturus était du second groupe, comme son père, mais si le fils aidait les autres, ça ne voulait pas dire que Cyrus allait faire de même. Au contraire, ce dernier préférait rester à regarder l’horizon du soleil couchant à travers la fenêtre.

— C’est quoi votre excuse pour ne pas mettre le couvert ? » finit par lui demander Arcturus, à force de voir ses Springs jeter des sales regards à celui qui n’en fichait pas une.

— Je réfléchis. Qu’est-ce que tu comptais faire de la maison ? » lâcha simplement le Seafox en restant pensif face aux jardins et sous-bois abandonnés qui entouraient son manoir, au grand étonnement de son fils – le vieux corsaire avait vraiment fini par s’attacher à un foyer finalement.

— Euh – eh bien, je comptais la conserver. Blake pourrait l’entretenir et même lui redonner une jeunesse avec l’aide de quelques domestiques supplémentaires. Bien sûr, vous pouvez emporter tous les souvenirs que vous voulez, mon manoir de Light Hill est largement -

— Ah ! Non, je voulais faire sauter la baraque, moi ! » le coupa-t-il avec un enthousiasme enfantin, pendant que son fils se répétait la phrase dans sa tête pour être sûr de l’avoir bien comprise.

 

Pourquoi son père voudrait-il détruire cette maison où il avait grandi, ne serait-ce que quelques années ou quelques semaines de vacances à la campagne ?

Certes, tel qu’il le fit aussitôt remarquer, David chercherait probablement à la détruire ou à la racheter, dans le but de narguer et humilier les Seafox, c’était bien son genre. En plus, conserver cette maison ne ferait que disperser les ressources ou les fidèles d’Arcturus inutilement, Blake pouvait être bien plus utile ailleurs, plutôt qu’à rester dans un manoir isolé où il constituerait une cible parfaite, voir un otage. Mais pour Arcturus, cette maison, c’était l’un des rares endroits où ses souvenirs y faisaient encore apparaître sa mère, le seul décor où il pouvait si facilement réentendre ses éclats de voix, où il venait raviver des vestiges de sa mémoire de peur qu’ils ne soient perdus à jamais. S’il perdait la maison, ses souvenirs faneraient, il n’en garderait que des traces encore moins palpables que les jardins abandonnés qui entouraient ce manoir.

Alors ni David, ni même son père n’avaient le droit de la détruire, et il était prêt à jurer de la protéger devant ce dernier, plus lassé que vraiment contrarié.

— Ah … J’aurai tellement aimé tout cramer … » se désola Cyrus en s’en retournant vers sa fenêtre, sous les regards perplexes des Springs qui s’interrogeaient sur la santé mentale du Seafox.

— Ne vous en faites pas pour le spectacle, Père, vous aurez votre dose. Après ce petit diner, les Springs seront plus frais que jamais. » s’exclama son fils avec fierté, en tournant son regard vers le jeune Cathair, qui ne manqua pas d’ajouter qu’il allait tous les prendre d’une main, juste avant qu’une voix aussi hésitante qu’innocente ne se fasse entendre depuis le seuil de la cuisine.

— Va falloir aller les prévenir en cuisine alors parce que c’est pas un petit casse-dalle qui arrive. » intervint Siarl, sous les yeux surpris de Lysander qui s’était bien assuré de s’en être débarrasser en l’envoyant avec l’autre groupe. « Vous êtes sûr de pas vouloir pioncer une heure ou deux avant d’y aller ? »

— T’étais pas censé être justement en cuisine toi ? » lui lança son chef, pour d’apprendre que Kennocha avait fini par le virer car il foutait la merde, selon les propres mots du Gallois.

 

Car l’Ecossaise s’était décidée à offrir un festin de roi à celui qui avait imposé Jade à son amant, et qui avait osé crier derrière la porte du salon qu’il avait fait cela pour le bien d’Arcturus.

Alors elle comptait bien montrer qu’elle valait mille fois mieux que sa rivale, dans ce domaine comme dans les autres - chose que tout le monde évitait soigneusement de contester.

Et pour cela, elle pouvait compter sur l’aide de Blake, qui voulait un bon dernier repas dans cette maison, d’Iverna qu’elle réussit très vite à placer de son côté, et de Wallace qui était toujours disponible pour offrir le meilleur à son président. Il n’y avait qu’Eluned pour refuser impassiblement de mettre la main à la pâte ou d’obéir à son autorité – inexistante mais constamment répétée. Cependant, Kennocha avait appris à se fier aux regards de l’éclaireuse galloise pour voir si cela allait mal quelque part, notamment pour éviter les bêtises que Siarl allait forcément commettre. Du coup, elle avait préféré l’écarter définitivement des casseroles, il allait plutôt servir de larbin, comme toujours chez les Springs …

Enfin, toujours est-il qu’avec cette bonne petite équipe, elle s’était décidée à préparer un festin typiquement britannique, avec les quelques plats qu’elle savait pouvoir superviser, mêlant des plats de toutes les îles de cet archipel d’où tous les Springs étaient natifs. L’entrée serait une soupe à l’agneau, de l’Irish Stew avec des pommes de terre et des carottes, que Cathair mangeait presque tous les soirs. Ensuite, Kennocha voulut s’illustrer elle-même, après que Blake lui eut dit que Cyrus avait des panses de brebis dont une était déjà prévue au repas de ce soir et des navets dans son garde-manger. Elle décida de préparer un plat qu’elle maîtrisait à la perfection – du haggis, qu’elle savait préparer en une heure et demie précise.

Bien sûr, il y avait du dessert et des spécialités galloises de prévu, mais Siarl comprenait tellement peu de choses à ce qu’on lui avait dit qu’il avait déjà oublié la liste. Seulement ça, c’était le dernier problème du vieux corsaire.

— Mais vous êtes en train de piller mon garde-manger ?! » lança soudainement Cyrus, en faisant semblant d’être hors de lui.

— Ah, j’ai rien touché moi ! » lâcha le Gallois pour qu’Arcturus ne vienne à sa rescousse, comme toujours, et ne lui accorde de retourner en cuisine. « Bah non, on m’a viré. Je peux aider, ici ? » avoua-t-il sans aucune honte, laissant son président se retourner vers Lysander d’un air désabusé.

— Euh – va demander à Kennocha quand est-ce que c’est prêt. » lui ordonna-t-il en balbutiant ce prétexte vaseux, sous les ricanements de Cathair, et l’approbation de Siarl qui repartait aussitôt pour aller demander ça à la capricieuse Écossaise - ce qui finit de faire éclater de rire le cadet des Springs.

— Et il y va vraiment ce con ! Il a du courage faut avouer ! » s’amusait l’Irlandais, pendant que Cyrus restait étonné qu’un homme si insouciant fasse partie de ces Nine Springs qui rendait son fils si confiant.

 

D’ailleurs, il en vint même à interroger les autres à ce sujet, avant que tous lui confirment que Siarl avait un talent obscur et une chance infaillible.

Et cela lui inspira une nouvelle histoire, un récit que son fils essaya bien de refuser, mais plus rien ne pouvait arrêter le vieil aventurier qui conta l’histoire de l’un des marins de la Golden Owl prétendu fou. Arcturus dut alors corriger son père car le fou en question était surtout atteint d’autisme lourd. Évidemment, les mercenaires lui demandèrent donc pourquoi l’équipage avait pris cet orphelin inutile sous son aile, pour qu’il leur réponde tout naturellement qu’un peu d’innocence sur un bateau rempli de rustres, ça valait mieux que n’importe quelle boisson ou n’importe quel bouffon pour décompresser. Néanmoins, ils avaient tout de même fini par confier le jeune homme à l’Église, la vie de bateau avait eu raison de son courage au fil des tempêtes qu’il supportait très mal. Bien sûr, un esprit libre et moderne comme son fils ne voyait pas la situation sous cet angle, son père aurait mieux fait de laisser cet homme dans un asile ou auprès d’un psychiatre, afin qu’il soit aux côtés de quelqu’un qui le comprenne et qui puisse étudier son trouble. Mais Cyrus avait de bonnes raisons, en plus de ne pas vouloir voir son cher fou devenir un cobaye pour le restant de ses jours.

En effet, les seuls psychiatres que le vieil aventurier avait rencontrés étaient très loin de la bienveillance de son fils, ce que le président de Solar Gleam connaissait bien pour avoir déjà durcit les lois de son entreprise contre les scientifiques sans scrupules.

— Si c’est à ce genre de médecins que vous avez eu affaire dans votre carrière d’aventurier louche et clandestin, c’est sûr qu’il valait mieux le confier à l’Église.

— Surtout qu’il ne risque pas de se faire emmerder, je l’ai laissé chez les bonnes sœurs, ça devrait aller ! Ah ! c’est peut-être celui qui a le mieux fini ! » éclata de rire l’ancien corsaire, sous le regard placide d’Arcturus qui lui demanda s’il n’avait pas passé l’âge de ces plaisanteries – le terme de bonne sœur lui faisait penser à Alessia et personne n’avait le droit de se moquer de cette fonction, même pas son père. « Oh, c’est bon on peut bien faire des blagues encore ! Tu es le premier à en rire d’habitude, joue pas au marquis devant tes gars ! » s’amusa-t-il, en se tournant vers la fenêtre pour pointer un bosquet lointain où reflétait une petite lumière sous les rayons du couchant. « Tu vois le tireur et le reflet de sa lunette là-bas, il nous guette. »

— Vous feriez mieux d’aller préparer vos affaires plutôt que de dire des âneries. Je donnerai le signal de l’exfiltration à minuit précise, que vous soyez prêt ou pas. » essaya de l’avertir Arcturus, avant de comprendre à quel point la cohabitation avec son père risquait d’être particulière.

— Non, je vais rester là à vous regarder. J’ai rien à prendre de toute façon, et si jamais je repense à un truc, vous me pardonnerez parce que je suis une personne âgée. » lui lança-t-il, avec un petit sourire narquois, Arcturus dut insister, ne serait-ce que pour faire entendre son autorité.

 

Car il avait beau être président de Solar Gleam, donner ses ordres à tous comme il en avait l’habitude, il restait un fils dans les yeux de son père. Et ce n’est pas à son âge que l’on change facilement sa façon d’être ou de voir les choses, pensa-t-il en se remémorant l’âge de son père, soit même pas soixante ans, non, ça a toujours été un emmerdeur, la vieillesse n’a rien à voir là-dedans.

Mais heureusement, le repas qu’Arcturus et ses Springs offrirent à Cyrus et à son majordome lui rendit vite le sourire - au grand plaisir de Kennocha. Il avait même l’impression que son père retrouvait une ambiance similaire à sa jeunesse, cette heureuse nostalgie qui prouve à une personne âgée trop isolée que les bonnes heures ne sont pas achevées. En plus, il fallait bien avouer que les Springs, s’ils n’étaient pas le meilleur des quatre commandos d’élite de Semper Peace, restaient incontestablement les plus soudés, comme une vraie bande d’équipage. Et cela faisait longtemps qu’il n’avait pas aussi bien mangé, si bien qu’il en complimenta la cuisinière, beaucoup trop fière pour ne pas s’en vanter aussitôt – sous les sourires malicieux du vieux Seafox.

Cependant, lorsque les derniers desserts arrivèrent, Cyrus voulut éclaircir à sa manière un sujet qui l’intriguait encore, quelque chose que son fils essayait stupidement de lui cacher.

— En revanche, il faudra peut-être que je m’assure aussi que tu saches un minimum te défendre, on ne sait jamais. Et tu es quand même un Seafox ! » lança-t-il en saisissant son verre de vin, pour que son fils lui rappelle que des Seafox, il n’y en avait que deux … « Exactement ! Raison de plus pour bien instaurer cette tradition que tu enseigneras toi aussi à ton fils. Ça fait combien de temps ne que t’as pas tenu un sabre ou un pistolet, Arcturus ?

— Pas si longtemps que ça, contrairement à ce que vous supposez. Je fais de l’exercice régulièrement et la dernière fois que je me suis entraîné au tir et au sabre doit remonter à quelques jours. » se défendit-il, lui qui s’était toujours vanté d’être le plus sportif des quatre élèves lorsqu’ils étaient adolescents. Son père lui demanda à quoi cela pouvait bien lui servir, car faire du sport pour rester en forme n’avait aucun sens pour l’aventurier. Mais la réponse d’Arcturus était simple, et concrète, comme toujours. « Il faut bien plaire aux femmes.

 

Pourtant, maintenant qu’il était riche et estimé, les autres défauts d’Arcturus devenaient très mineurs aux yeux des dames, il avait encore toute sa jeunesse et son avenir sans être un imbécile, un asocial ou un laideron. Alors sa condition sportive aurait vite été pardonnée même si elle avait été inexistante, sauf par les plus exigeantes comme Maria.

En réalité, il ne faisait de l’exercice physique que pour passer du temps avec Kennocha, sans trop risquer d’attirer les soupçons de son épouse lorsqu’il était à sa demeure de la Light Hill. C’était l’alibi parfait, d’autant plus que Jade détestait le vacarme des coups de feu ou des lames, sans parler de l’inconfort qu’elle ressentait face à l’odeur de la sueur ou la vue d’un coup. D’ailleurs, c’était l’Ecossaise des Springs qui lui avait proposé cette idée d’apprendre le maniement des armes, pour attirer son amant loin de son épouse comme pour satisfaire ses fantasmes – puisque Kennocha était de ces dames exigeantes. De son côté, Arcturus voyait surtout ça comme un jeu souvent un brin érotisant, parfois comme un défouloir entre ses activités de président ou de savant.

Mais ça ne semblait pas du tout convaincre son corsaire de père, même s’il se gardait bien d’avouer les détails adultérins de ses prétendus entraînements.

— Oui, donc tu ne vaux rien. Tu es même sûrement à chier, le genre de bougre qui se fait dézinguer le premier pour rappeler à tout le monde qu’on n’est pas là pour déconner. » ironisa le Seafox, d’un air partagé entre la moquerie et la condescendance. « Mais je vais remédier à ça. Si des mecs de David finissent par débarquer pour te capturer ou te buter, faudra que tu puisses réagir un minimum, pas que tu te planques derrière un fauteuil, ou que tu leur sautes dessus à mains nues comme un putain de singe. » reprit-il, jusqu’à ce que son fils réponde sur un air plus sec, plus agacé.

— Ça ne sera pas nécessaire, et je n’ai pas que ça à faire. Entre Solar Gleam et mes recherches, je n’ai déjà presque aucun temps libre, et ça ne va pas aller mieux lorsque je t’aurai sorti d’ici. » répliqua-t-il, avec le ton qui terminait toutes les discussions, du moins, lorsque le président était parmi ses employés. Mais son père n’allait pas lâcher l’affaire, et c’est avec une grande facilité qu’il allait faire éclater la vérité : en braquant son regard sur ce pauvre Siarl, afin de lui demander froidement si son fils mentait. Et le pauvre Gallois ne sut quoi répondre, ni quoi faire, hormis tourner son regard gêné vers ses compagnons, tandis que le Seafox souriait déjà.

— Je m’en doutais bien ! Je suis sûr que tu dois passer tes soirées à boire, bouffer et profiter de la vie, le tout entouré de putains de tous les continents ! » éclata-t-il de rire, sous les regards hésitants des huit Springs, tous posé sur Kennocha, bouillante depuis bien trop de temps déjà.

— Manquerait plus que ça ! » finit-elle par exploser de frustration, en frappant du poing sur la table sous la colère, tout en fusillant du regard le vieil homme – beaucoup moins confiant tout à coup.

— Ah ! M’aurait étonné … » sourit simplement l’ancien corsaire, avant que son fils ne le recadre sèchement à son tour, il n’était pas comme lui.

 

Aussi, bien qu’Arcturus puisse se montrer taquin, il n’aurait pas plombé l’ambiance d’un bon repas pour confirmer des doutes comme son père semblait l’avoir fait.

Heureusement, Blake et les Springs remirent un peu de chaleur dans ce dîner, laissant les deux Seafox s’envoyer des regards suspicieux ou rancuniers. Visiblement, Cyrus n’appréciait pas l’idée que son fils trompe la femme dont il avait si âprement négocié le mariage, presque autant que le sien. C’était à se demander pourquoi il se démenait à faire le bien de son enfant, si ce dernier passait son temps à tout défaire. A croire qu’il avait fait tout ça pour rien, comme son exil qu’il allait finalement briser au mépris du risque. Cependant, Arcturus ne voyait pas les choses sous le même angle, et puisque ce n’était ni le lieu ni le moment, les deux hommes se contentèrent de rester silencieux, jusqu’à ce que Lysander ne réévoque le sujet des tireurs embusqués tout autour du manoir, et que son président ne se permette d’envoyer une petite pique à son père.

— D’ailleurs, pour un renard, vous vous êtes facilement fait prendre au piège … Quelques chasseurs posés dans un coin et l’affaire est emballée. » lâcha Arcturus, avec son petit ton narquois qui fit ricaner Kennocha, Wallace ou Siarl – bref, tous les admirateurs du patron, sauf Cyrus.

— Je croyais t’avoir déjà dit que la seule chose qui me retenait ici, c’était toi. Tu crois vraiment que ton vieux père est pris au piège ? Tu oublies vite qui t’a conçu gamin ! » lui sourit-il, en saisissant son verre, avant d’avouer. « Un renard piège toujours son terrier ! Tu croyais que j’allais raser cette baraque avec de l’essence et un briquet ? Lorsque je l’ai construit, j’ai fait creuser des galeries piégées tout autour du manoir. » lança l’ancien aventurier, avant que Blake ne rajoute un détail de sa voix usée par le tabac.

— Et nous avons toujours pris soin des quelques bosquets où nos invités d’office sont installés. Tous les tireurs autour de la maison sont placés exactement où Sir Seafox l’a prévu autrefois. C’est la moindre tombe que nous puissions leur faire. » conclut-il au grand amusement de son capitaine, plus fier que jamais, tout l’inverse de son fils lorsqu’il entendait un plan aussi fumeux vieux d’au moins quinze ans.

— Sérieusement ? Mais, la maison ne craint rien ? » s’inquiéta Arcturus pour que l’expert en explosif des Springs, Caolan, n’ajoute que même les meilleurs explosifs peuvent subir l’humidité d’un tunnel.

 

Mais le Seafox était sûr de son coup comme de sa réputation, il avait finement tout étudié de son piège, avec l’aide de l’un des meilleurs architectes de l’AP, ayant travaillé pour lui en secret – et étant décédé depuis près de vingt ans.

Ses tunnels étaient des galeries aussi hermétiques que bien taillées, de telle sorte que le souffle de l’explosion soit canalisé vers la surface, et qu’il ne fasse que vibrer le manoir qu’elle devait encercler, dans un rayon net et continu. Quant à la puissance de ce qu’il avait mis en bas, il avoua en riant qu’il ne s’en souvenait plus mais que cela serait grandiose. Il serait même plus prudent que les Springs attendent quelques secondes, avant de s’élancer dans la foulée de l’explosion, car des petits glissements de terrains successifs n’étaient pas improbables.

Connaissant bien son père, c’était encore autre chose qui intriguait Arcturus.

— Mais … Vous avez piégé toute la maison comme ça ?

— Bien sûr ! Depuis le grenier, je peux faire gazer n’importe quelle pièce, je peux déclencher des incendies en bas ou à chaque étage ! Chaque endroit de la maison peut être condamné et nettoyé en deux ou trois mouvements et la porte de ma chambre peut être doublée par une seconde porte blindée ! Ça m’a couté un bras, et j’ai perdu l’autre en installant le même mécanisme à ta chambre, quelques années plus tard. Je n’avais pas pensé que notre enfant puisse être en danger quand j’ai fait bâtir avec ta mère, je m’attendais plus à ce qu’on cherche à m’assassiner dans mon sommeil …

— J’aurais vraiment des questions à vous poser à ce sujet, Père. » confia solennellement Arcturus.

— Ouais, on ira discuter de tout ça dans le grenier. Mais après ce truc-là, c’est pas mauvais ! Qui les a faits ? » lança-t-il, avant que Kennocha ne fusille la pauvre Iverna du regard, juste assez pour qu’elle prétende que c’était l’Ecossaise qui les avait faits.

 

Cyrus en paraissait très satisfait, il s’agissait de fat rascals, des petits gâteaux craquants garnis de fruits secs qu’il avait toujours apprécié, mais qu’il ne mangeait plus depuis que la cuisinière qui en était spécialiste avait disparue. Certes, ils ne sont pas aussi bons que ceux de Mère, ils valent quand même la peine d’être finis, lui accorda son fils, sans se rappeler que son amante venait de s’en attribuer le mérite, ni qu’elle était déjà prête à lui envoyer le plateau au visage dès la prochaine ingratitude.

Quand tout fut englouti tel qu’y tenait le vieux corsaire, le groupe descendit dans le salon pour continuer ses petites discussions, en attendant l’instant du coup de feu. Puis aux alentours de minuit, lorsque Cyrus revint de sa chambre, après avoir rassembler quelques souvenirs en compagnie de Blake, les Nine Springs s’assemblèrent dans le hall d’entrée face à leur président. Au pied du grand escalier, ils reçurent les conseils de Cyrus sur comment sortir du manoir et se déployer, afin d’atteindre leurs ennemis au plus vite en profitant de l’effet de surprise. Ensuite, c’est Lysander qui s’occupa de disposer ses huit compagnons de façon à pouvoir abattre toutes leurs cibles, puisqu’aucune ne devait fuir. Les Springs se placèrent sans être vu par les tireurs, aux quatre coins de la maison, à l’affût du signal de Lysander, envoyé par un ingénieux et tout nouveau système d’onde : la radiophonie. Semper Peace avait même conçu un système de radio si fin et perfectionné qu’un seul homme pouvait le porter, dans un compartiment de leurs tenues de combats, et communiquer sur une distance assez restreinte - mais suffisante pour un seul groupe. La firme d’Arcturus était alors la seule à produire ce genre d’appareil à plusieurs centaines de milliers de dollars l’unité, dont seuls ses quatre commandos d’élites étaient équipés. Bien sûr, à côté de ça, Les Nine Springs avaient tout le matériel dernier cri en matière d’armement, d’explosifs, d’appareils et d’outils divers, ils avaient comme 50 ans d’avance sur les soldats de leurs temps. Après tout, ils étaient quand même la garde du président de la plus riche firme du monde …

Quant à cet homme qui les employait, il suivit son père jusqu’au grenier du manoir, dans une vaste pièce aménagée sous la charpente seulement occupée par deux chaises, une petite table et quelques vieux meubles. Et c’est vers cette petite table, au bord de l’une des deux larges fenêtres de la pièce, que Cyrus se dirigea avec une bouteille de vin et deux verres, aussitôt suivit par son fils qui attendait bien plus que le feu d’artifice annoncé par le Seafox. Il restait à discuter d’un dernier sujet très douloureux, celui que Cyrus avait déjà évité tant de fois. Néanmoins, c’est encore son père qui prit la parole en premier, et sur un autre sujet qui plus est.

— Qu’est-ce qui est le plus important pour toi, Arcturus ? Ton Conseil ou Solar Gleam et notre vengeance ? » lui demanda-t-il, en s’asseyant pour se servir un verre, ainsi qu’à son fils qui prenait position à côté de lui, en allumant l’un des deux cigares qu’il posa sur le cendrier de cette petite table.

— Je vous l’ai déjà dit de façon très claire. Et dans le détail, je dirais que le premier ne remplira ses objectifs que si les seconds sont accomplis, ce n’est qu’une étape à franchir. Les vœux du Conseil ne se réaliseront jamais si l’AP s’y oppose, donc je dois prendre l’AP ou la détruire, les autres ne le feront pas. Ils ne le pourront pas. » lui répondit-il sans l’ombre d’un doute, au grand plaisir de son père qui prit tout de même la peine de répéter sa question plus précisément pour être sûr : Donc l’AP et notre vengeance passeront avant ? « Par la force des choses … Oui. Cependant, je n’abandonnerai pas le Conseil du Graal pour autant, si c’est ce que vous tenez à me faire dire. Je ferai les deux en même temps. » lui reprécisa-t-il, avec une pointe de doute sur ce que ses trois amis penseraient s’ils entendaient cela, avant d’accepter ce verre que son vieux père lui tendait. Malgré tout, Cyrus n’en avait pas encore fini avec ce sujet, il avait bien vu à quel point ce LM et ce Conseil du Graal avait su complètement détourner August des véritables priorités, il ne voulait certainement pas voir son fils s’y perdre lui-aussi.

— Et si jamais tu dois choisir entre les deux pour une quelconque raison ? Entre eux ainsi que tes recherches, et moi ainsi que les Springs et notre vengeance contre David ?

— … Je pense que ces deux choses ne sont pas incompatibles, tout simplement … Mais si ça devait vraiment être le cas, cela dépendrait de la réponse que vous allez me donner maintenant que nous sommes tous les deux, et que vous m’avez promis. Comment cela s’est-il passé pour maman ? » déballa enfin Arcturus, pour que son père ne soupire devant ce moment qu’il avait tellement cherché à repousser.

 

Ce n’était pas pour lui cacher la vérité, pour éviter son désir de vengeance, ni pour ne pas ressasser ses évènements qu’il avait gardé le secret – même si, cette fois, son fils ne voulait pas d’une version courte. Ce que le vieux Seafox voulait révéler, c’était une faute à confesser, car il n’aurait tenu qu’à lui que son épouse soit encore à ses côtés.

Malheureusement, un soir de 1864, alors que Cyrus était déjà enchaîné à son manoir par les ordres de David, le Seafox emprunta un tunnel secret de sa demeure pour la quitter discrètement, afin de rallier Liverpool le plus vite possible. Là-bas, il y avait un ami que le père d’Arcturus aimait autant que son fils aimait chacun de ses Springs, un vieux compagnon que le capitaine ne pouvait abandonner, tout comme le président de Semper Peace pourrait un jour refuser d’abandonner l’un de ses protecteurs. Sans compter que cet ancien marin se retrouvait rattrapé par d’anciens crimes commis sous le pavillon la Golden Owl, Cyrus n’avait alors pas pu résister, et personne n’était censé connaître ses petits tunnels. D’ailleurs, lorsqu’il était revenu, il avait retrouvé sa femme et son cher fils, tout allait pour le mieux, avant qu’il ne reçoive une lettre, quelques jours plus tard. C’était une lettre de David, pleine de sous-entendus, mais quand il se leva de son bureau pour aller prévenir son épouse, elle avait déjà goûté le poison. Et au prochain écart, le maître de l’AP avait insidieusement précisé qu’il prendrait Arcturus.

Cyrus ne pouvait rien y faire, c’était désormais sans son épouse qu’il allait passer sa détention, dans leur beau manoir, au milieu de tous ses souvenirs fanés, sous les yeux tout aussi impuissant d’Arcturus.

— Ce fils de putain … Le jour venu, je le ferai souffrir, plus intensément qu’il ne nous a fait souffrir, lui et toute sa famille s’il le faut, personne ne sera à l’abri. Je le promets sur la mémoire de Mère.

— Ne jure pas sur la mémoire d’une si noble femme pour un fumier comme ça. » en conclut le Seafox père, avant de reprendre un sujet plus léger pour accompagner ce moment inoubliable qu’il passait avec son fils. « D’ailleurs, en parlant de femme, c’est quoi ton cirque avec la rouquine ? » lui lâcha-t-il d’un sourire malicieux qui surprit son fils, au point qu’il lui demande de répéter. « Tu vois très bien ce dont je veux parler. Faudrait que je sois devenu sénile pour pas le remarquer. En tout cas, elle est un peu sanguine pour une amante …

— Elle n’est pas si sanguine que ça, elle est frustrée avant tout, et c’est normal. » lui reprocha-t-il dans la foulée, au grand étonnement de son père qui croyait lui remonter le moral en lui avouant qu’il se fichait de son adultère. « Ce cirque, comme vous dites, c’est la conséquence du choix que vous m’avez imposé. »

— Je t’ai rendu service, gamin, et tu n’imagines même pas à quel point ! Avec les Wellesley de ta Jayde, David ne risque pas de s’en prendre à elle, surtout si tu ne l’aimes pas plus que ça, et tes petits en seront d’autant plus à l’abri. De toute façon, tu ne comptais pas te pointer devant la Reine Victoria avec le nom de Seafox, le roi des traine-savates, non ? » en conclut-il, pour que son fils insiste, en l’assommant d’une pile d’arguments venant droit du cœur, au point qu’ils en résonnaient légèrement dans sa voix peinée par son dilemme amoureux sans issue.

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