Un jour seulement était passé depuis que Lyana était arrivée à Tiliinhamé. Ellie et Lilia avaient été très accueillantes. On lui avait fourni un titre de séjour et Ellie, qui gérait également la bibliothèque de l'ordre de Nautilus, lui avait même proposé de passer la nuit dedans et de lui expliquer ce qu'elle avait besoin de savoir sur le monde. Elle avait dormi à même le sol, mais la couverture que la magicienne lui avait prêtée suffisait largement à assurer un confort auquel n'avait pas eu accès depuis son réveil. Lyana avait remercié la gentillesse d'Ellie, qu'elle appréciait sincèrement, mais elle s'était promis de prendre une auberge dès le lendemain. Elle ne voulait pas l'importuner plus que ça.
Lyana avait dormi d'un sommeil réparateur, sans rêves, et même la lueur du jour qui filtrait à travers les carreaux d'une fenêtre ne put la réveiller. Ce fut Ellie qui, venue travailler, la secoua tendrement pour l'attirer du sommeil. On entendait l'agitation à l'extérieur et se réveiller dans l'atmosphère tamisée et silencieuse de la bibliothèque faisait déjà partie de ses sensations préférées. Ellie, renforçant par ce geste l'image d'ange salvateur que Lyana commençait à avoir d'elle, lui avait apporté un délicieux petit déjeuner de petits pains à la cannelle qu'elles avaient partagé. Lyana sortit de son sac la petite bourse en tissu qui contenait quelques pièces.
– Ellie, est-ce que je peux te poser une question?
– Oui, bien sûr.
– Tu penses que je peux utiliser ces pièces là?
La magicienne se pencha sur les petits ronds métalliques.
– Ce sont de très vieilles pièces, donc je ne suis pas sûre qu'elles puissent toujours être utilisées. Comment les as-tu obtenues ?
– Elles étaient dans mon sac, je me suis réveillée avec lui, mais en vérité, il n'y a pas de certitude sur sa provenance.
– Il faudrait les faire examiner par un expert pour savoir de quand elles datent et d'où elles viennent. Tu pourrais peut-être en tirer quelque chose.
– D'accord, merci. Je vais te laisser travailler en paix. Merci pour tout, Ellie. Je te remercierai jamais assez.
– Oh, ce n'est rien. N’en tiens par rigueur. Si tu as besoin de quoi que ce soit, viens me demander.
Lyana rangea ses affaires dans son sac et remercia encore Ellie avant de quitter la bibliothèque des archives. Elle traversa le hall de l'Ordre de Nautilus, qui fourmillait d'activités. Des chevaliers couraient en tous sens, toutes les réceptionnistes étaient occupées, et une longue file de gens qui attendait d'être reçues commença à se former. Elle s'approcha d'un homme qui patientait dans la queue, les sourcils foncés.
– Excusez-moi, mais que s'est-il passé ? - lui demanda-t-elle. Il lui jeta un regard nerveux.
– Vous ne savez pas ? Les factions pro-guerre ont de nouveau attaqué. Ce n'est plus possible. A ce train là, Tiliinhamé sera détruite en un rien de temps.
– Calmez-vous !
Lilia se tenait debout sur une chaise pour que tous puissent bien la voir. Je sais que vous êtes effrayé, mais venir ici ne servira à rien. Dans l'immédiat, je vous demande de rentrer chez vous et de vous préoccuper de vos familles. Les chevaliers de Nautilus ont la situation sous contrôle et les défenses ont été renforcées. Vous êtes en sécurité. Réunissez-vous ce soir à la place principale de Tilignami, nous reprendrons cette discussion dans le calme.
Toujours aussi nerveux mais légèrement rassuré, les habitants quittèrent l'Ordre de Nautilus et le Hall de l'Ordre se vida peu à peu de retour à sa sérénité habituelle. Lyana s'approcha de Lilia qui remettait sa chaise en place.
— Bonjour Lilia, dit-elle.
— Bonjour Lyana, répondit la commande rôde avec un soupir fatigué. Comment tu vas?
— Très bien, merci. Je suis désolée de tout ce vaguard mais c'est la troisième attaque en deux mois et ils n'en peuvent vraiment plus.
– Justement, euh… J'ai pas très bien compris ce qui s'était passé.
– Oh, ce n'est pas grave, ce n'est pas très compliqué. Depuis quelques temps, on entend parler des factions pro-guerre. Leurs raisons et leurs effectifs sont inconnus, mais nous savons qu'ils cherchent à provoquer une guerre. Et dernièrement, ils s'acharnent beaucoup sur Tillinhamé.
– Pourquoi le SGA ne fait rien ? En vérité, ils n'y peuvent rien. Il est impossible de prouver que s'ils s'attaquent sur l'ombre des factions, et de toute façon, leurs membres sont inconnus. Ils se fondent dans la masse, n'importe qui peut en faire partie. Je suis vraiment désolée, mais j'ai encore beaucoup de travail. C’est bon ?
– Oui, oui, c'est bon. Merci beaucoup Lilia, et bonne chance.
Et elle quitta l’Ordre de Nautilus pour de bon.
Une fois à l'extérieur, Lyana prit quelques minutes pour profiter de la douce chaleur du soleil sur sa peau, du léger souffle de vent qui caressait sa nuque, de la sensation de la pierre sous ses pieds toujours nue. Elle décida de trouver une auberge où passer la nuit et où, enfin, elle pourrait se laver. Lyana se rendit à la place principale de la ville, dans l'espoir qu'il lui serait plus facile de trouver une bonne auberge là-bas, en se servant de ce qu'elle avait repéré la veille en faisant le même chemin accompagné du Gard. Cet arbre en fleurs, cette intersection de canaux à l'eau cristalline, ce magasin d'antiquité...
Soudain, elle se rappelait ce que lui avait dit Ellie sur les pièces et décida d'en faire d'une pierre deux coups. Et de toute façon, elle aurait besoin d'argent dans une auberge. Elle poussa la porte du magasin d'antiquités qui grinça sur ses gonds. Elle pénétra dans une toute petite pièce miteuse, saturée d'objets de toutes sortes, de babioles sans intérêt.
De la poussière s'accumulait un peu partout, on ne pouvait plus voir à travers la vitrine. Hésitante, voire inquiète, Lyana s'avança vers le comptoir.
– Il y a quelqu'un ?
Personne ne répondit. Elle regarda furtivement autour d'elle, prenant soin de ne rien faire tomber. Comme il ne se passait toujours rien, elle se dit que l’antiquaire devait être parti déjeuner et qu'elle reviendrait plus tard. Alors qu'elle poussait à nouveau la porte, s'apprêtant à quitter les lieux, un vacarme retentit derrière elle. Lyana se tourna brusquement sur ses gardes, mais ne vit qu'un vieil homme aux cheveux blancs en bataille, aux yeux exorbités et au front tissé par l'âge. Il tâtonna sur le bureau et posa la main sur une paire de lunettes au verre rond et minuscule qu'il essuya sur son cheminisier avant de les placer en équilibre précaire sur le bout de son dos. Il cligna plusieurs fois des yeux comme pour s'habituer à la lumière du jour qui filtrait malgré tout par la vitrine crasseuse, aperçut la jeune fille et a couru vers elle en s'exclamant d'une voix suraiguë.
– Venez, venez, entrez, entrez, soyez la bienvenue, qu'est-ce qui vous amène ?
Il l'entraîna à nouveau à l'intérieur de sa boutique. Lyana mit quelques secondes à comprendre ce qu'il lui avait dit, car ses mots se trouvait déformée par cette voix que nul ne devait supporter longtemps.
— Euh... Bonjour, vous êtes antiquaire ?
— Bien sûr, oui, oui. Qui pourrais... Que pourrais-je être d'autre ?
Elle sortit de la petite bourse de son sac et la posa sur le comptoir dans le tintement des pièces. Je voudrais savoir de quand datent ces pièces, d'où elles proviennent, et si elles sont toujours valides. L'homme poussa une sorte de cri d'excitation et se précipita derrière le comptoir, et écarta les autres étranges objets qu'il y avait dessus. Avant de répandre dans un nuage de poussière, qui fit éternuer Lyana, le contenu de la bourse.
— Oh ! Qu'avons-nous donc là ?
— Hum ! C'est très curieux.
— Oui, oui, c'est étrange.
— Ah ! Qu'avez-vous trouvé ?
— Absolument rien, déclara-t-il en continuant de tripoter les pièces. Elles sont trop abîmées pour savoir d'où elles viennent, mais je devrais pouvoir en découvrir davantage avec plus de temps. Je vous les rachète.
– Merci, balbutia Lyana, surprise par la rapidité de l'affaire alors que l'homme retournait entre-temps dans l'arrière-boutique. Il en revint avec une petite bourse semblable à celle qu'elle avait auparavant, mais qui était en bien meilleur état. Il la lui mit dans la main, et quelques secondes plus tard, Yana se retrouva à l'extérieur du magasin, dans la rue, sans vraiment comprendre comment elle s'y était retrouvée, ni vraiment se rappeler avoir fait un quelconque mouvement en direction de la porte. Elle inspirait un grand coup pour se remettre de cet échange épuisant, d'une certaine façon. Puis elle se remit à la recherche d'une auberge, marchant d'un pas soutenu.
Tout était nouveau dans cette ville, tout méritait d'être vu, regardé, observé, détaillé minutie. Les petits canaux dans lesquels l'eau filait, reflétant la lumière du soleil de midi, ruisselaient dans un buis relaxant qui calmerait n'importe quel cœur agité. Les toitures de tuiles d'une couleur d'azur étonnante, aussi bleue qu'un ciel d'été sans nuages. Les murs des bâtiments, arrondis et blanchis à la chaux. La paisible agitation des passants dans les rues qui discutaient, s'arrêtaient devant des étals, retrouvaient des amis, de la famille, ou faisaient tout simplement une balade.
À cette heure-ci, il y avait beaucoup plus de monde dans les rues que le matin, car c'était l'heure des pauses déjeuner. Mais parmi les sourires et les conversations légères, il y en a qui pouvaient sentir de la tension dans l'air, des regards graves et des murmures inquiets. Tout un pan de murailles était recouvert d'une peinture rouge, semblable à du sang, qui rompait avec l'atmosphère calme du reste de Tiliinhamé. Partout ailleurs, l'on se sentait en sécurité, mais en regardant cette muraille, cette petite bulle chaleureuse semblait éclater en des éclats de cristal mortel, ou encore devenir une prison de laquelle l'on ne pouvait échapper, condamnée à ce funeste destin.
Son corps fut parcouru d'un frisson et elle détourna les yeux. Elle comprenait à présent l'anxiété du peuple de Tiliinhamé et les précations supplémentaires que le garde avait prit lors de son arrivée. Lyana se remémora ce qu'avait dit Lilia pour rassurer les habitants et décida de se rendre au rassemblement le soir même. En attendant, elle devait trouver une auberge ou se restaurer et faire un brin de toilette. Une enseigne attira son attention: “Chez Roberta”.
Elle se souvint avoir déjà entendu ce nom dans la bouche d'Ellie, qui semblait en faire l'éloge. Le bâtiment était chaleureux, la façade recouverte de lierre fleuri, tout autour d'une grande fenêtre qui devait rendre l'espace très lumineux. De la fumée sortait de la cheminée en petits nuages gris, et une bonne odeur de nourriture s'échappait par la porte entrebâillée, accompagnée de la douce rumeur des conversations.
Lyana poussa la porte en bois de hêtre dans un teintement de cloche, qui devait annoncer l'arrivée de nouveaux clients. A l'intérieur, des clients étaient attablés autour d'un repas, sirotaient des boissons en discutant de choses et d'autres, tandis qu'une petite femme trapue transportait des plats à travers la pièce, vêtue d'un tablier noir et ses cheveux roux, retenus en un chignon informe.
Lyana s'approcha du comptoir, très propre et organisé en comparaison à celui de l'antiquaire, et derrière lequel une petite ouverture dans le mur donnant sur la cuisine permettait de facilement se faire passer des objets. La femme l'aperçut et s'approcha d'elle.
– Je suis à vous dans un instant.
Lyana acquiesça, et la femme, qui était certainement l'aubergiste, continua ses allées et venues pendant quelques minutes encore, avant d'aller se placer de l'autre côté du comptoir.
— Bonjour, comment puis-je vous aider ?
— Bonjour, répondit Lyana. Vous fonctionnez également comme auberge, n'est-ce pas ?
— Oui, oui, c'est bien ça. Vous voulez une chambre ?
— Oui, pour une semaine, s'il vous plaît.
La femme qui devait avoir la quarantaine ouvrit un registre et suivit du doigt les colonnes des noms avant de s'arrêter sur une case vide.
– Tenez, cette chambre est libre. Vous pouvez écrire votre nom ici s'il vous plaît ?
– Bien sûr, acquiesça Lyana en saisissant la plume pendant que la femme se retournait à attraper la clé numéro 6. Elle revient vers Lyana, vérifia le registre et déclara qu'elle l'accompagnerait.
– Oh, et je m'appelle Roberta.
Roberta la conduisit à l'étage et lui montrait la porte numéro 6 au bout du couloir.
– Je suis désolée, je dois retourner en bas, mais j'espère que vous vous y plairez. Venez me voir s'il y a un quelconque problème. Nous servons le dîner à 7h, mais il dure jusqu'à 9h. Et prévenez-moi à l'avance si vous avez des restrictions alimentaires.
Elle regarda Lyana, qui lui assura qu'elle pouvait tout manger, puis déclara:
– Bon, je vous laisse alors. A plus tard!
La jeune fille se retourna vers sa porte, qu'elle ouvrit avec la clé que lui avait donnée Roberta. Cette femme lui avait laissé une agréable impression. Elle était chaleureuse, souriante. Autour d'elle, elle répandait comme une sorte de halo de chaleur réconfortant qui fonctionnait pratiquement comme un souhait de bienvenue. La chambre pouvait sembler petite, certes, mais elle possédait en réalité les dimensions parfaites pour une seule personne. Il y avait peu de mobilier, mais le nécessaire y était, un lit, un bureau et une chaise. Celui ou celle qui avait décoré cette chambre avait un esprit simple et pratique. Il voyait la fonction des choses avant l'esthétique. C'était une mentalité parmi d'autres et Lyana s'en accommodait parfaitement.
Une petite porte donnait sur une jolie salle de bain où le décorateur avait été moins strict. Un grand miroir, un lavabo, des toilettes et une large baignoire habitaient cette pièce. Elle décida de se laver et commençait à se déshabiller quand elle réalisa qu'elle n'aurait rien à se mettre après. Ses habits étaient en lambeaux à tel point que rien ne pouvait en être réutilisé. A contrecoeur et dans un soupir d'exaspération, elle se rhabilla et ressortit s'acheter des habits.
***
Une demi-heure plus tard, Lyana était de retour dans la salle de bain. L'eau coulait dans la baignoire et une légère bruine flottait déjà dans l'air. Lyana se tenait debout devant le miroir qui était assez grand pour refléter tout son corps. Doucement, elle retira ses vêtements, qui formèrent une petite pile dans un coin, en observant attentivement chacun de ses gestes dans la glace. Une fois qu'elle fut complètement nue, elle se redressa et laissa son regard errer sur sa peau brûlée par le soleil, sur ses cheveux blonds et terriblement emmêlés, sur ses paumes caleuses, sur ses yeux mordorés, sur ses pieds sales et blessés, sur les fines cicatrices blanches qui parsemaient son torse, sur ses formes, sur son corps, sur elle. Lyana contemplait un corps, certes, mais pouvait-elle affirmer qu'il s'agissait du sien ? Comment savoir qui elle avait été avant ?
La Lyana d'alors était-elle la même qu'à présent ou était-elle des êtres différents, peut-être même opposés, mais indissociables ? Deux consciences partageant le même corps. Restait-il quelque chose de l'ancienne Lyana en elle ? Ce n'était pas tant la forme qui comptait, mais le fond. Comment savoir si elle faisait la même chose que son autre moi aurait fait ? Était-ce seulement important ? Elle continuait de se regarder dans le miroir, contemplant sa nudité perplexe, encore pleine de doute.
Déciderait-elle de laisser ces questionnements la paralyser ou d'avancer malgré tout ? Voilà la vraie question. Serait-elle capable d'accepter qu'elle ne savait pas tout et qu'elle ne le saurait peut-être jamais ? Et plus que tout, que ce n'était finalement pas si grave ?
Lyana ferma les yeux pendant quelques secondes, puis alla se glisser dans son banc. L'eau était tiède, chaude, brûlante. Elle se laissa couler dans cette chaleur, qui l'enveloppait à présent dans une nitrine très confortante, dans un cocon, à l'abri des malheurs de ce monde.
Elle reposa la tête sur le rebord de la baignoire et se vida l'esprit. Elle avait besoin de quelques instants pour récupérer. Elle attrapa un savon et commença à se frotter minutieusement, nettoyant la saleté qui s'était accumulée sur sa peau. De la corne s'était formée sous ses pieds. Elle retrouva de la terre, du sable, mais aussi du sang séché sous ses ongles. Il y en avait également sur sa tempe droite et dans ses cheveux.
Lorsqu'elle ressortit du bain, l'eau avait pris une teinte grise inquiétante. Lyana réussit à grand peine à se démêler les cheveux avec un outil étrange muni de poils rigides avec lequel il fallait brosser ses cheveux comme la crinière d'un cheval. Elle avait vu Ellie faire la veille et avait simplement répété les mêmes gestes. Finalement, elle se roula dans une serviette toute douce et revêtit les vêtements qu'elle avait acheté avec l'argent qu'il lui avait donné l'antiquaire. En se basant sur ce que lui avait appris Ellie, il s'agissait tout de même d'une sacrée somme.
Elle se plaça à nouveau devant le miroir et l'image qui lui apparut fut toute autre. Elle avait devant elle une jeune femme de petite taille, aux regards brillants, aux longs cheveux ondulés, à la peau claire. Elle était une autre personne.
Son regard s'attarda encore quelques instants sur ses nouveaux vêtements. Quel étrange accoutrement tout de même. Mais bon, la mode ne cessait jamais d'évoluer, n'est-ce pas ?
*
La nuit tombait quand Lyana sortit de l'auberge. La rue était éclairée par des flammes prisonnières de petites boîtes transparentes qui accomplissaient l'étrange exploit de faire durer la clarté diurne encore quelques heures. Les petites cages de verre étaient prisonnières d'une structure de métal, elle-même perchée au haut d'un poteau en métal lui aussi, et éclairait autour d'elle formant un cercle lumineux de deux mètres de diamètre environ. Selon Roberta, que Lyana, étonnée, avait questionnée à propos de cette étrange technologie dont elle n'avait pas connaissance, il s'agissait de “lampadaires”.
Lyana chassa cette nouvelle rencontre de son esprit et se concentra sur la raison de sa balade nocturne. Elle se rendit au rassemblement proposé par Lilia le matin même. Si elle devait s'intégrer à cette nouvelle réalité, autant se préoccuper des préoccupations de ses habitants et sa situation politique actuelle dès maintenant.
L'obscurité occultait la présence de la funeste menace peinte en lettres de sang sur la façade de la muraille, la rendant invisible tout du moins. Mais la tension était toujours là, l'inquiétude était toujours là, la sensation de danger imminent, la peur, tout cela se ressentait encore. Car on avait beau ne pas la voir, cela n'effaçait pas la réalité de danger qui pesait lourdement sur Tiliinhamé.
La place principale de la ville, que Lyana avait traversée à la va-vite quelques heures plus tôt, avait une toute autre apparence en pleine nuit. Les lampadaires éclairaient une foule de personnes qui attendait devant une pile de caisses en bois. Des chevaliers de Nautilus encadraient la foule et débitait des monologues maladroits dont l'objectif était de soulager la nervosité générale à qui voulait l’entendre. Les boutiques étaient fermées, la joyeuse rumeur des conversations remplacée par des murmures inquiets ou avides explications. Seul le ruissèlement de l'eau était toujours là, stable, familier, constant.
Un bruit sec retentit l'attention du public pendant quelques instants. Le son de chaussures frappant le bois. Lilia venait de grimper sur les caisses, se surlevant assez pour que tout le monde puisse la voir, mais pas trop pour que les citoyens puissent se sentir proches d'elle. La commandante avait revêtu son armure, un assemblage brillant de plaques de métal fixées par-dessus ses vêtements, et qui renvoyait une image forte, puissante, une image de victoire. Pourtant, pour les plus perspicaces parmi le public, ou encore ceux que la vie avait endurci, il y avait un autre message caché sous celui de la force, de la puissance, de la victoire. Car il n'y a pas de vainqueur s'il n'y a pas de vaincu. Et le chemin qui mène à la victoire est semé d'embûches et d'actes terribles. Il n'y a pas de victoire sans combat. Il n'y a pas de victoire sans guerre. Lyanav était de ceux qui le comprirent immédiatement.
Lilia releva la tête et entama son discours d'une voix forte pour bien être entendue, mais toujours avec une note grave dans la voix, car elle-même savait ce qu'elle allait leur annoncer ne ferait qu'empirer, voire détruire, la vie de beaucoup des villageois.
– …assurer au mieux votre sécurité. Le danger a été écarté dans l’immédiat et la surveillance des environs a été doublée, mais l'Ordre de Nautilus n'a pas assez de membres pour maintenir un tel rythme, ni assez de temps pour former de nouveaux membres. C'est pourquoi je suggère à tous les combattants ayant un minimum d'expérience de se porter volontaire dans le but de sauver cette ville et ses habitants.
Elle fit une pause pendant un instant pour laisser ses paroles faire effet et laissa son regard survoler la foule. Puis elle reprit:
– Mais honnêtement, je ne vais pas vous mentir, je sais que vous savez tous que le danger reviendra. Vous savez tous que ce ne sont pas quelques tours de garde de plus qui pourront arrêter les factions pro-guerre. Nous avons fait un rapport au SGA, mais comme vous le savez, pratiquement tout est inconnu à propos de ces factions. Même leur nom leur a été attribué par les autorités d’Asgjë, faute d'un terme pour les désigner. Ce manque d'informations rend donc l'intervention du SGA très difficile et...
– Alors quoi ? Ils vont simplement nous laisser mourir ? – s’écria une voix dans la foule.
– Non, ce n'est pas ce que je veux dire…
– Les factions pro-guerre ont déjà percé vos défenses. Qu'est-ce qui les empêche de les mettre au feu à la ville ?
Nouveau cri, une voix différente cette fois.
– Et s'ils assiègent Tiliinhamé?
– Et si nous mourrons de faim ou de soif ?
– Et les personnes âgées ? Et les enfants ?
– Que fait donc l'ordre de Nautilus ? Rien !
De nouveaux cris fusèrent de toutes parts, certains des doutes énoncés à haute voix, d'autres des critiques sanglantes, mais globalement un concert de remarques inutiles qui ne faisait qu'empêcher Lilia de parler. Cette dernière réussit finalement à reprendre le contrôle.
– D'accord, d'accord, calmez-vous! Laissez-moi parler d'abord et ensuite vous pourrez faire part de vos réflexions, mais nous devons être rapides et efficaces: le temps nous manque. Le SGA, comme vous le savez tous probablement, est une organisation non armée et pour ainsi dire apatride. Leur seul rôle est de gérer les affaires interrégionales. Ils ne pourront donc pas nous fournir d'appui militaire, mais par contre, ils pourront être d'un grand secours quant à l'aide humanitaire principalement.
Un murmure d'approbation générale parcourut la foule, ce qui sembla détendre un peu Lilia. Elle reprit l'assurance empathique qu’elle avait au début.
– Et par-dessus tout, ce que je voulais vous demander, citoyens et citoyennes de Tsuriname, c'est d'être braves. Les temps à venir seront durs, pour nous tous, mais il faudra faire preuve de courage et de foi. C'est un mauvais moment, mais la paix finira par revenir. Je sais que je ne devrais pas avoir à vous demander cela, mais vous devez être forts et garder espoir. L'Ordre de Nautilus fera tout son possible pour que vous n'ayez pas à souffrir des conséquences de cette guerre, mais au vu des méthodes des factions pro-guerre, tous n'en sortiront pas indemne. L'important est de rester soudés, d'avoir foi en un avenir meilleur et de traverser cet pauvre espace avec bravoure. Et cela n'est pas possible si vous laissez la peur régner. C'est ce qu'ils veulent. Ils veulent que la peur règne, qu'elle nous isole, qu'elle nous rende assez vulnérables pour qu'ils puissent frapper. Et si nous les laissons faire, quand le coup viendra, il sera terriblement destructeur.
Lilia scruta à nouveau la foule avec un regard que l'on pourrait croire inexpressif mais qui en montrait tellement, de la peine, de la tristesse, un peu de peur, mais surtout beaucoup de force, beaucoup de courage.
– Est-ce que je peux compter sur vous ? Êtes-vous prêts à affronter cela tous ensemble – tonna-t-elle, avec dans la voix une telle autorité, une telle grandeur, qu'elle aurait pu convaincre même le plus têtu des hommes.
Un murmure s'éleva dans la foule, inquiet, réprobateur, douteux. Mais un cri venu du fond vint briser la glace.
– Je suis avec vous !
Bientôt, d'autres cris frisèrent des serments d'allégeance proclamant de toutes parts. Lilia leva le point vers le ciel et s'écria aussitôt suivi par un tonnerre d'applaudissements et de cris de soutien.
– À nous la victoire alors !
Alors que la clameur se dissipait, la foule se dispersa, les uns rentrant chez eux, les autres se dirigeant vers les restaurants ou les auberges, d'autres encore partant pour une balade nocturne dans les rues lumineuses de la ville. Lilia descendit de son estrade improvisée dans un cliquetis d'armure et tomba dans les bras d'Ellie. Lyana décida d'aller les rejoindre.
– Salut ! - dit-elle pour leur signaler sa présence.
– Ah, Lyana ! – s'exclama Ellie. Comment tu vas ? Tu as trouvé un endroit où passer la nuit ? Parce que sinon, tu peux toujours venir à la bibliothèque, tu sais.
– Oui, oui, c'est bon. Merci beaucoup, Ellie. J'ai pris une chambre chez Roberta.
– Sa cuisine est magnifique, mais même si je n'y ai jamais dormi, on m'a vanté ses talents d'aubergiste. – dit Lilia.
– Effectivement, elle est très accueillante et les chambres sont confortables. Ça allait pour le discours ?
Lilia se rembrunit à la question.
– Oui, ça allait, mais annoncer à des gens qu'on ne peut pas les protéger, ce n'est pas vraiment quelque chose que je veux faire tous les jours.
– T'inquiète pas Lilia, tu ne peux pas toujours protéger tout le monde, la rassura Ellie en l’étreignant. Tu as fait de ton mieux.
La magicienne déposa un baiser sur sa joue puis s'écarta avant de proposer:
– Et si nous allions dîner toutes ensemble ? J'en connais qui ont besoin de se changer les idées l'espace d'une soirée, déclara-t-elle en jetant un regard en coin à Lilia.
Lyana acquiesça et elles se dirigeirent toutes les trois vers l'auberge de Roberta.
*
Le soleil s'était déjà levé depuis plusieurs heures lorsque Lyana ouvrit les yeux. On entendait le chant des oiseaux et l'agitation de la ville qui était toujours là, même en période de guerre, filtrait légèrement à travers la fenêtre, tout ce vacame assourdi par l'épaisseur du verre. Un rayon de soleil doré oscillait lentement dans l'air formant une tache d'or juste au dessus de sa tête qui reposait sur un coussin incroyablement moelleux.
Lyana se redressa doucement et resta un moment assise au bord de son lit, remuant ses pieds engourdis et contemplant languissamment les mouchettures dorées un peu partout. Le dîner de la veille au soir en compagnie d'Elie et de Lilia avait été très agréable et la nourriture, comme l'avait prédit la commandante, excellente. Elles avaient même lancé plusieurs fois dans la soirée que l'établissement devrait sans plus attendre recevoir un prix culinaire des plus distingués.
Bien sûr, la conversation avait été alimentée par d'autres sujets quelconques, rien de particulièrement contrariant, car Ellie et Lyana s'étaient donné pour objectif de changer les idées de Lilia, qui ne cessait de ressasser encore et encore qu'elle n'était pas la bonne personne pour commander l'Ordre de Nautilus, qui, par sa faute, se retrouvait incapable d'accomplir sa seule et unique raison d'être, protéger les citoyens de Tiliinhamé et de la région.
Elles avaient parlé de choses et d'autres, des futilités de la vie, et la conversation avait été ponctuée de questionnements internes, d'éclats de rires et de blagues plus ou moins drôles. Quelquefois, elles avaient plutôt ri du ridicule de ces blagues bon marché que des blagues elles-mêmes, mais bon, le rire était ce qui comptait. La soirée avait duré jusqu'à une heure tardive, mais quand Lilia appuya la tête sur son épaule et s'endormit, Ellie jugea qu'il était déjà suffisamment tard, salua Lyana et entreprit de ramener la commandante chez elles, la soutenant à demi.
– Elle a eu une grosse journée, excuse-la, lui avait dit Ellie, avant de passer les bras de Lilia autour de ses épaules.
– Tu l'aimes beaucoup, hein? – lui avait lancé Lyana, sans réelle raison, plus comme une constatation que comme une question.
Ellie s'était retournée avec un regard étonné que Lyana lui pose cette question, puis, avec un tendre sourire sur les lèvres et ses yeux tournés vers Lilia, qui était à moitié endormie, répondit:
– Oui, je l'aime vraiment beaucoup.
Et elle était repartie, avançant lentement mais sûrement, se fondant peu à peu dans la pénombre, la lueur faiblissante des lampadaires lui permettant de distinguer, tant bien que mal, les pavés de pierre de Tiliinhamé.
Cette nouvelle journée s'annonçait relativement ensoleillée, peut-être avec quelques nuages, mais il ferait probablement chaud. Lyana se rendit dans la salle de bain et se débarbouilla avec de l'eau froide qui la réveilla efficacement. Elle revêtit les mêmes vêtements que la veille tout en songeant qu'il ne serait peut-être pas de trop d'élargir sa garde-robe. Il faudrait penser à le faire pas plus tard qu'aujourd'hui.
Elle se démêla une nouvelle fois les cheveux, qui lui arrivaient un peu en dessous des reins, puis revint dans la chambre et s'assit à nouveau sur le lit défait. Son regard parcourut un peu la pièce et s’sur son sac à dos troué.
Ce fut ainsi que Lyana Terrin se retrouva à courir les magasins pour la première fois de sa vie. Ou en tout cas de sa nouvelle vie.
En un peu plus d'une heure, elle était parvenue à remplacer tout ce qui devait être remplacé, ce qui revenait environ à l'intégralité de ses affaires. Disons qu'un étrange coma qui aurait bien pu durer plusieurs mois, si cela était possible tout au plus, et une amnésie complète n'étaient pas exactement les meilleures conditions de survie des objets, surtout si on se réveillait sur une plage. En résumé, le sel, le sable, l'humidité et les petits animaux avaient fait bon ménage, en particulier lorsqu'il s'agissait de tissus, de cuir ou de métal.
Elle revint à l'auberge de Roberta vers l'heure du déjeuner, et après être montée à sa chambre pour déposer ses emplettes, s'attabla devant un délicieux repas. La salle à manger fut rapidement remplie de clients affamés, que l'aubergiste parvenait à tous satisfaire on ne sait comment. Selon Ellie, qui en avait ri la veille, certains pensaient que Roberta savait en vérité s'user de la magie et qu'elle ne s'en prierait pas lorsqu'il y avait trop de clientèle. En quelques minutes, toutes les tables furent occupées et Lyana regarda tour à tour les différents clients qui animaient tous des conversations entre eux en attendant que leur plat ne soit prêt. Cela aurait pu accentuer sa solitude, mais il se trouve que toute cette joyeuse et chaleureuse agitation autour d'elle avait le don de lui faire se sentir inclus dans cette société étrangère. C'était le bruit de la normalité, de l'insouciance, de la joie.
Le déjeuner du jour consistait à une soupe et un quignon de pain que Roberta lui apporta assez vite. Alors qu'elle posait le plateau sur la table, l'aubergine s'épanchait légèrement vers elle.
— Bonjour, Lyana. Madame la commandante de l'Ordre de Nautilus, Lilia, cherchait à vous parler tout à l'heure. Elle n'a pas pu rester, mais elle m'a demandé de vous transmettre un message. Elle aimerait que vous considériez la possibilité de vous porter volontaire à l'ordre de Nautilus. Si cela vous intéresse, elle a placardé une affiche sur le tableau. Vous devriez aller y jeter un coup d'œil après votre repas.
– D'accord. Merci beaucoup, Roberta. J'y songerai.
Roberta lui sourit et retourna à ses affaires, tandis que Lyana entamait son repas avec appétit. La soupe était excellente et le pain frais. Si cela continuait ainsi, elle finirait par s'y habituer. Ainsi, Lyana espérait qu'elle se porte volontaire. Pourquoi pas, après tout. Il fallait bien qu'elle trouve une occupation et puis quoi de mieux que d'aider des gens dans le besoin.
Cela méritait un peu de réflexion et elle se jura de se rendre à l'Ordre de Nautilus un peu plus tard pour demander plus de renseignements et peut-être déposer sa candidature. Elle termina son repas lentement, pensive, laissant son regard parcourir la salle en long, en large et en travers, regardant les autres clients sans vraiment les voir. Elle ramena son plateau au comptoir puis monta à l'étage enfiler une veste car dehors le vent soufflait. Contrairement à ses prévisions matinales, il risquait de pleuvoir et la température avait déjà un peu chuté.
Elle sortit dans la rue, presque déserte au milieu d'une après-midi pluvieuse, contemplant les carcasses de métal des lampadaires dont on avait éteint la flamme. Au coin de la place principale, un barde, abrité sous un préau, jouait de sa harpe une mélancolique mélodie qui emplissait la ville et se mêlait au bruit de la pluie.
Lyana pressa un peu le pas, baissant la tête- ce geste universel lorsqu'il pleut, un geste inutile de surcroît, car cela ne protège pas plus de l'averse, mais c'est comme une sorte de réflexe inconscient que tout le monde fait. Elle se dirigea vers l'ordre de Nautilus, se demandant si quelqu'un d'autre avait bravé la pluie pour y faire sa candidature. Elle monta les marches à la hâte, un peu trop vite, pour qu'il n'y ait aucun risque de glisser, mais parvint heureusement sur le palier, sans autre incident que ses cheveux mouillés.
Exceptionnellement, la porte était fermée pour empêcher la pluie d'entrer à l'intérieur, sûrement. Lyana l'entrouvrit, se glissa entre les battants et pénétra dans le hall de l'ordre. Le bureau des réceptionnistes avait été transformé en centre des opérations. Un jeune homme et une jeune femme en uniforme étaient restés pour continuer à assurer le travail alors que les autres avaient été dispensés pour la journée. Passage obligé après l'annonce d'une déclaration de guerre.
Elle s'approcha de la table, recouverte d'une nappe blanche, sur laquelle étaient disposés, en des piles bien nettes, des pamphlets d'informations rédigés à la va-vite.
– Ah, Lyana, tu es venue!
Lyana se retourna vers Lilia, qui s'approcha d'elle avec un sourire fatigué. Sa nuit de sommeil n'avait pas dû être suffisante. Après tout, la responsabilité qui pesait sur ses épaules était immense, sans doute incroyablement plus massive que pour n'importe qui d'autre dans le monde en ce moment même. Certaines personnes se sentaient crouler sous le travail ou voyaient leur vie collapser en un instant, mais ce n'était pas comparable à ce que devait porter Lilia, à la culpabilité qui devait la ronger, au doute qui l'assaillait à chaque seconde. Venait-elle de condamner tout son peuple à mort ?
Une guerre n'est pas quelque chose qu'on peut prendre à la légère. Lyana ne pensait pas que la commandante de Nautilus le faisait. Elle l’admirait beaucoup de savoir conserver son calme et ne laissait paraître d'elle que de la force et de l'assurance. C'était exactement ce dont le peuple avait besoin. Une idole qui leur promettait la victoire, pas une simple mortelle qui prenait des décisions au nom du grand nombre, rongée par le doute. Même si Lilia avait peur, elle aussi, elle mettait en avance ce que les autres avaient besoin de voir pour être rassurés.
Mais le palpitement d'une veine sur la tempe de Lilia ne trompait pas l'aventurière. Sans trop savoir pourquoi, elle se sentait familière avec ce genre de situation. Elle se surprit à disséquer tous les micro-mouvements du corps de Lilia en repérant tout ce qui pouvait surligner sa nervosité.
– Bonjour Lilia, répondit Lyana en rendant son étreinte à la commandante, qui la prenait dans ses bras. Son contact à demi-inerte renfonça les certitudes de l'aventurière. Tu as dormi cette nuit ?
– Qu'est-ce qui te fait dire que non ?
– Mmh... Laisse-moi réfléchir... Ah ! Je sais ! Pourquoi pas le fait que tu portes un monde de responsabilité sur tes épaules ? – lança-t-elle dans un élan d'ironie qui fit sourire la commandante. Mais ton air fatigué n'est pas innocent non plus. Tu devrais sérieusement prendre un peu de repos.
– Tu ressembles étrangement à Ellie, fit remarquer Lilia en se retenant visiblement de pouffer.
À cette remarque, Lyana éclata de rire, aussitôt suivie de Lilia, détendant un peu l'atmosphère. Un homme de la vingtaine d'années, grand, avec des cheveux noirs coupés courts en épis, sauf à un endroit où il les avait noués avec une fine tresse qui descendait jusqu'au bas du dos.
— Qu'est-ce qui est donc si drôle ? demanda-t-il curieux.
— Rien d'important, répondit Lilia en passant un bras aux heures de sa taille.Elle n'atteignait pas ses épaules.
— Lyana, viens. Je te présente Kalia. Version officielle, c'est le capitaine de la marine de Nautilus. Version personnelle, mon meilleur ami.
Il se dégagea pour s'approcher un peu plus de Lyana.
— Enchantée. Et vous êtes ?
— Lyana Terrin, déclara-t-elle. Euh, également enchantée.
— Bon, je vous laisse faire connaissance, j’ai à faire. Il ne faut pas oublier que nous sommes en guerre, n'est-ce pas ?
Elle s'éloigna avec son regard de nouveau assombri par l'ombre cruelle qui plaignait dangereusement au-dessus d'elle et de toute la ville. Lyana et Kalea s'écartèrent un peu vers un coin pour ne pas bloquer le passage, plus par habitude que par nécessité car le hall de l'Ordre de Nautitus était désert. Les habitants et les éventuels volontaires devaient avoir pris un temps pour digérer les derniers événements et réfléchir aux possibilités qui s'offraient à eux. Et peut-être aussi attendre que la pluie cesse.
– Vous connaissez Lyana il y a depuis longtemps ? - demanda Lyana, dans l'objectif de faire un peu la conversation.
– Oh oui, nous avons grandi ensemble. Elle était fille de deux chevaliers très renommés de l'ordre, alors il était presque écrit à l'avance qu'elle ferait carrière. Nous nous sommes entraînés et avons étudié ensemble, et aujourd'hui, elle est commandante générale d'un des quatre plus grands Ordres d’Asgjë.
Il fit une brève pause en couvant son amie d'un regard où transparaissait une fierté apparente.
— Et vous ?
— Ah, je me l'ai rencontrée avant-hier, lorsque je suis arrivée en ville. Ellie et elle ont été très accueillantes et j'apprécie beaucoup leur compagnie.
– Oh, vous venez juste d'arriver ?
– Oui, c'est bien ça.
– Juste à temps pour la guerre à ce que je vois.
– Euh, oui. Le monde ne tourne pas toujours autour de nous.
Il y eut un bref silence pendant qu'il contemplait Lilia qui accueillait un jeune homme venu se porter volontaire avec un enthousiasme exacerbé.
– Et sinon vous faites quoi dans la vie ?
– Oh, euh, je suis, euh, aventurière.
– Ah ! Comment vont les choses à la Guilde ?
Lyana se rappelait avoir déjà entendu ces termes auparavant, mais elle ne savait pas plus ce que cela voulait dire. Peut-être que Kalea avait commis une erreur ?
– La quoi ?
– La Guilde des Aventuriers ? Les choses se passent bien là-bas ?
– Euh... Excusez-moi, mais je n'ai aucune idée de ce que vous voulez dire.
Le capitaine fronça les sourcils se demandant si cette pseudo aventurière se jouait de lui. Il s'apprêtait à répéter la question par politesse, mais Ellie intervient juste à temps pour éclaircir la situation.
– Alors, la Guilde des Aventuriers est une organisation dont les membres, appelés aventuriers, sont chargés d'accomplir diverses missions qui peuvent tout aussi bien être l'escorte d'un convoi ou l'exploration de certains lieux dangereux.
– Oui, c'est exact, fit Kalea, sceptique, mais je ne saisis pas le besoin de répéter des informations de notoriété publique.
– Eh bien, détrompe-toi. Je suis sûre que savoir cela est extrêmement utile à Lyana pour comprendre votre conversation. Personne ne te l'a dit, je pense, mais en fait, elle a été étrangement plongée dans le coma et souffre d'une amnésie dont on ne connaît pas encore les limites. Elle ne sait rien des organisations ou lois qui régissent notre monde. C'est un peu comme une sorte de nouveau-né tardif, confie-t-elle avec un petit rire.
– Oh, pardonnez-moi, je ne savais pas, s'excusa Kalia. Un peu honteux de s'être emportée.
– Non, pas la peine, vous ne pouviez pas savoir.
– Vous ne travaillez donc pas à la Guilde ? Non, j'en connaissais même pas l'existence jusqu'à présent en fait, en réalité.
– Pourquoi vous êtes présentée comme aventurière alors ?
– En vérité, c'est ce qui était mentionné sur une étiquette de cuir, juste en dessous de mon nom, que j'ai trouvée dans mon sac à dos.
– Ah, je vois. Vous étiez venue vous porter volontaire alors ?
– Oui c'est bien, oui c'est ça. Enfin, c'était l'idée au début, mais je ne... euh... Je pense qu'il faut que j'y réfléchisse un peu plus.
– D'accord, bien sûr, nous ne cesserons pas de recruter du jour au lendemain, surtout maintenant, donc... Vous êtes la bienvenue ici quand vous voulez.
– Merci , répondit Lyanna avec un sourire chaleureux. Si ça ne vous dérange pas, je pense que je vais y aller. Je ne voudrais pas occuper trop votre temps.
Elle salua Ellie, Lilia et Kalea avant de s'éloigner, retournant à l'extérieur sous la pluie battante.