Chapitre III
Lorsqu’Isaac et Philomela quittèrent l’hôpital, roudi matin, le soleil ne s’était pas encore levé. En revanche, le brouillard, lui, ne les avait pas attendus pour s’arroger les rues pentues d’Iphias. Il avait déjà submergé une bonne moitié de la ville et les obligea à resserrer leurs manteaux en franchissant la limite entre le pavé et la brume.
« Venez tôt », leur avait dit Spectre, « je veux éviter la foule ». A cette heure-ci, seuls les bateaux de pêche locaux allaient et venaient. Les bateaux de somme, plus gros et plus grincheux au réveil, dormaient encore. Isaac se demandait si Spectre se déplaçait en louant de petits bateaux de port en port ; des gabares ou des bisquines, par exemple, habituées aux petites distances et aux réveils abrupts. C’était une technique privilégiée des criminels en fuite, pratique pour rester discret sans pour autant commettre de délit.
Une fois au port, il chercha donc du regard la silhouette trapue des chaloupes et des barques du Chantier Naval, espérant pouvoir y discerner leur nouveau nocher. Cependant, ses yeux furent très vite attirés par un bateau situé en bout de quai, à l’écart des bateaux de pêche, et instantanément, il sut : c’était leur navire.
La goélette amarrée au bout du ponton numéro sept était un voilier effilé aux voiles quasi diaphanes. Le jaune de ses yeux était si pâle qu’il en devenait laiteux et sa coque blanche se fondait par intermittence avec le brouillard, là où les coques rouges standard des autres navires créaient des taches pourpres au ras de l’eau. Isaac avait déjà vu des bateaux bigarrés être utilisés pour naviguer, mais sur de petits trajets, encadrés par plusieurs cassaires. De mémoire, il n’avait jamais vu de navire albinos : au Chantier, on l’aurait abattu avant qu’il puisse atteindre l’âge adulte.
Il tapota l’épaule de Philomela et lui désigna la goélette. Il vit ses yeux s’écarquiller un instant.
– Il avait bien dit que nous pourrions le reconnaître facilement, commenta-t-il.
– Je pensais qu’il voulait dire qu’il serait visible depuis le quai. C’est un miracle que ce bateau soit intact. Les ombres doivent le talonner en pleine mer.
Ils s’approchèrent à pas mesurés du navire, les yeux grands ouverts dans la brume. Très vite, des silhouettes se précisèrent. Isaac distingua celle du cerf à trois têtes en haut du grand mât. Ceux-ci durent également les reconnaître : ils leur firent un grand geste du bras, et ils répondirent tous deux par un salut plus modeste.
– Ah ! Bah c’est pas trop tôt !
Dans le miasme matinal, la voix de Spectre faisait l’effet d’un coup de canon. Le diable blanc se dirigeait vers eux à grands pas depuis le bout du ponton, sans chaussures ni manteau, ses longs cheveux attachés en un chignon hâtif. Lorsqu’il leur serra la main, Isaac se rendit compte qu’il était trempé : de l’eau de mer lui ruissela le long de la manche droite.
– Allez, allez, on perd pas de temps, les deux autres passagers sont déjà arrivés. Même la faucheuse est à bord !
– Merci encore de nous accompagner, répondit Isaac. Vous avez un bateau –
Spectre fit un mouvement dédaigneux de la main :
– Oui, bizarre, oui, je sais.
– Je n’aurais jamais utilisé ce mot ! répondit hâtivement Isaac. Je pensais à incongru.
– Comment faites-vous pour éviter les attaques des ombres ? demanda Philomela (Isaac remarqua qu’elle s’essuyait discrètement la paume dans les replis de sa tunique).
Spectre lui adressa le sourire fin de quelqu’un à qui on posait la question fréquemment et qui offrait toujours la même réponse :
– En étant très bon nocher. Allez, montez, qu’on a la lune en poupe.
Les Beaux, qui étaient redescendus de leurs haubans, s’était approchés de la passerelle et offrirent de porter les bagages de Philomela, ce qu’elle accepta avec une gratitude non dissimulée avant de monter à bord. Spectre, manifestement satisfait, fit demi-tour et se dirigea vers la bouche du navire.
Isaac s’autorisa un dernier regard à l’est. Mais entre le brouillard et les flèches de la ville, la tache noire sur les eaux iphiennes, dernier vestige de son naufrage, lui était complètement invisible. Impossible de s’apitoyer davantage sur son sort. Il fallait aller de l’avant.
Il resserra sa prise sur le sac de toile dans lequel il avait précautionneusement plié les feuilles de son nouveau journal, s’assura qu’il n’avait pas pris l’eau, et suivit Philomela.
***
« Dundi 19 de Bayamo, 1715.
Il me faut écrire peu, car je n’ai bientôt plus de papier, et j’aimerais réserver les marges de mes précédents feuillets pour d’éventuelles péripéties qu’il me faudrait nécessairement relater. J’espère pouvoir boucler cette entrée en une page ; peut-être moins, si les Grues le veulent bien.
Le temps est clair, la mer est calme, et je dirais, à vue de nez, qu’il doit faire près de quinze degrés Maler. Notre navire avance bien, malgré son âge. Je me permets de revenir sur les doutes que j’avais émis, au premier jour de notre voyage, sur les modifications corporelles qui lui ont été apportées : la pose de tuyaux a visiblement été réalisée avec soin, les filtres à sel fonctionnent à merveille, et j’ai pu, grâce à tout cela, prendre une douche, certes froide, mais vivifiante. Je me demande si notre nocher a personnellement procédé à la greffe : étant donné ses caractéristiques peu communes, il lui est peut-être vital de tremper de temps à autres dans de l’eau claire. »
Un bruit sourd résonna sous les pieds d’Isaac, faisant vibrer le sol et les murs de sa cabine. Il redressa la tête en direction de la porte – il pensa, un instant, que Philomela essayait de la pousser pour entrer – mais après quelques secondes de silence, suivies du même bruit sourd, il comprit qu’il devait s’agir des boyaux de l’Alshira qui entamait sa digestion. Chaque navire était différent, et il s’était habitué ces derniers mois aux grondements plus francs de la caravelle Pénélope. Les bruits du bateau de Spectre lui étaient encore étrangers.
On pouvait lire sur l’anneau qui perforait le mat de beaupré que leur navire s’appelait le Sanpore IV et qu’il avait un peu plus de sept ans. Isaac aurait pu y croire s’il n’avait pas surpris, deux nuits plus tôt, une conversation entre Spectre et les Beaux où le diable irrité avait proféré, au milieu du pont : « Ça fait quinze ans que l’Alshira boit de la clairette de Centabère, je vois pas pourquoi ça lui filerait la chiasse maintenant. »
Spectre était un drôle de diable. Isaac n’aurait pas su dire s’il faisait exprès d’avoir l’air louche ou si c’était simplement dans sa nature. Ses habitudes de nocher étaient elles aussi très curieuses : plutôt que d’utiliser les rênes, les mords et les éperons standards, Spectre semblait diriger l’Alshira depuis les flots en nageant à ses côtés. Philomela avait brièvement évoqué le sujet lorsqu’ils s’étaient retrouvés dans leur cabine, le soir dernier. Elle avait eu un avis très tranché sur la question.
– Je suis sûre que c’est un pirate, avait-elle dit, et probablement pas l’un des meilleurs. Ça ne m’étonnerait pas qu’il ait volé ce bateau à son précédent équipage il y a quelques années et qu’il soit en fuite. Erynnis est un repaire de pillards.
Isaac ne pouvait réfuter cette possibilité. Malgré tout, il ne se sentait pas en danger. Ni les deux autres passagers (un nain aux longs cheveux blonds et une grande femme à tête de balbuzard), ni leur faucheuse (Amélia) ne semblaient avoir été inquiétés, et lorsqu’il avait jeté un coup d’œil sur les cartes dans la cabine du capitaine, force était de constater qu’ils naviguaient toujours en direction de Pyriade.
La familiarité des Beaux à leur égard avait aussi son rôle à jouer. Isaac n’imaginait pas de potentiels geôliers plaisanter avec leurs futurs captifs comme ils le faisaient. Ils portaient tous trois des prénoms différents : Beau Tendre Pensée, qui était à gauche ; Beau Petit Mensonge, au milieu ; et enfin RUINE, tout à droite, qui jusque là n’avait parlé que pour tonner son nom. Ils tenaient un rôle de vigie qui leur convenait effectivement à merveille. Lorsque l’équipage en avait fini avec ses tâches quotidiennes, ils se perchaient sur la hune du grand-mât et surveillaient la mer. Philomela passait le plus clair de son temps avec eux et ne lui avait presque rien dit à leur sujet, ce qui (il le savait d’expérience) signifiait qu’elle les trouvait dignes de confiance.
Quant à lui…
Et bien, il devait l’avouer… Il peinait à remplir ses journées. Cela faisait maintenant dix jours qu’il portait son bras en écharpe et il n’arrivait toujours pas à s’y faire. Il avait anticipé certaines difficultés, bien sûr ! Mais tous les travaux manuels auxquels il était habitué lui étaient quasiment impossible. D’ordinaire, il se serait attelé aux tâchés réservées aux gabiers – mais comment se hisser aux cordages sans son bras ? Comment nouer la moindre boucle, brosser la moindre voile ? Lorsqu’il s’y était efforcé, le premier jour, il avait mis plus de dix minutes à serrer un pauvre nœud de ris. Tendre Pensée avait fini par lui dire, sans réelle méchanceté, qu’il serait peut-être plus utile ailleurs, et la honte lui avait performé l’estomac. Il ne s’était pas aventuré dans les gréements depuis.
Pour couronner le tout, il s’était fait mordre aux chevilles par des insomnies qui s’étaient glissées sous la porte de leur cabine le premier soir. Depuis, impossible de fermer l’œil. Il était facile de combler ses nuits blanches à Pyriade en visitant une bibliothèque, les jardins, ou même les rhapsodes nocturnes – mais ici, au milieu de l’océan ?
L’inactivité le dévorait vivant. La nuit, pour calmer les démangeaisons de ses jambes, il errait d’un bout à l’autre du navire endormi, les yeux grands ouverts dans l’obscurité moite des calles ou mi-clos face aux embruns. Le jour, quand il ne somnolait pas sur place et que Philomela n’était pas dans leur cabine, il ravalait sa fierté et s’échinait à recomposer ses journaux perdus. Une entreprise douloureuse, puisqu’il avait effectivement oublié une grande partie de ce qu’il avait vu ; frustrante, parce qu’il devait la garder secrète, de peur que Philomela ne se fende d’un « je te l’avais dit » qui l’aurait fait bouillir de honte ; mais nécessaire, car n’était-ce pas le fardeau de chaque académicien que de consigner et partager son savoir, aussi médiocre soit-il ?
(Au milieu de tout cela, il s’était surpris à espérer un autre rêve de Cribellée, ne serait-ce que pour se rendre compte qu’il avait dormi. Mais elle ne s’était pas manifestée et il ne pouvait pas s’empêcher de se demander s’il ne l’avait pas vraiment inventée – d’autant plus que, sans pouvoir compulser de livres sur le sujet, ses listes de tours vides célèbres étaient bien minces.)
Junonie lui manquait. Pyriade lui manquait. Avoir quelque chose à faire lui manquait. Et dire qu’il restait encore trois jours de voyage avant leur arrivée ! S’il ne trouvait pas de quoi s’occuper, il finirait par faire une folie comme ouvrir les caissons repêchés sur la Pénélope (dangereux, et stupide !) ou se jeter à la mer (froid !).
« Évoquer les caractéristiques ichtyoïdes de notre navigateur me rappelle que, ce matin, l’un de mes compagnons de voyage – cet homme blond dont j’ai malheureusement oublié le prénom – s’est proposé pour préparer notre déjeuner : une initiative aussi plaisante que surprenante. Spectre est un excellent nocher, mais un piètre cuisinier (il semble d’ailleurs préférer ses proies crues, ce qui explique l’état dans laquelle la plupart de nos plats nous ont été distribués). Quant aux Beaux, il apparaît qu’aucun des membres de leur fratrie (point d’interrogation) ne nécessite l’apport de nourriture solide : Tendre Pensée et Petit Mensonge se contentent bien volontiers de thé, mais n’ont, par conséquent, que peu de connaissances culinaires. La perspective d’un repas, si ce n’est salé, alors au moins cuit, me ravit d’avance, et je ne serais pas contre – »
Sa plume se heurta brusquement au bord de la page. Il la retourna d’un geste machinal – mais il avait déjà couvert l’autre face le jour dernier. Malédictions ! Il se relut, la bouche pincée. Il n’avait même pas pu parler de l’état de la mer ou du vol d’oies brunes qui, à l’aube, avait tenté de saisir le pont pour se dorer au soleil. Et que dire de son poème quotidien ! Aurait-il dû passer sous silence son avis sur la plomberie ? Peut-être pouvait-il sacrifier une page de son journal de recherche…
Il était penché par-dessus le bord de sa couchette, tâtonnant sous le sommier à la recherche de son sac, lorsque le premier son de cloche retentit. Au même moment, l’Alshira gronda, et le bruit fit trembler les lattes du plancher.
Isaac se redressa aussitôt. Plus haut, sur le pont supérieur, on continuait à faire sonner la cloche. Il se hâta de cacher sa plume et ses feuilles sous son oreiller et se précipita hors de sa cabine. Son élan manqua l’envoyer tête la première dans le dos de la femme à tête de balbuzard, qui le précédait de peu : elle aussi était sortie en trombe. Ils ne perdirent pas de temps à s’excuser et montèrent quatre à quatre les escaliers qui les menaient à l’extérieur.
Les Beaux étaient descendus de la vigie et sonnaient l’alarme sur le gaillard d’avant, près de la tête du navire. La silhouette rouge de la faucheuse, Amélia, ainsi que celle plus élégante de Philomela étaient à leurs côtés. Cette dernière jeta un regard interloqué à Isaac lorsqu’il les rejoignit.
– Quel est le problème ? lui demanda-t-il.
Quelque chose, en contrebas, creva les vagues, puis il y eut le bruit de pas mouillés sur les parois du bateau. Quelques secondes plus tard, Spectre apparut au bastingage, ruisselant et inquiet :
– Qu’est-ce qu’il se passe ? aboya-t-il.
– Des sangliers de mer nous foncent dessus, répondit Tendre Pensée sur le ton de l’urgence. Fais virer le navire de bord.
– Quoi ? s’écria le diable. C’est pas possible, on est à quinze miles du moindre îlot.
– Non, iel a raison, je les ai vus aussi, l’interrompit Philomela. À tribord, un troupeau tout entier.
Tous tournèrent la tête au même moment pour scruter l’horizon. Tout d’abord, Isaac ne vit rien. Puis une vague se brisa, et au creux de sa sœur surgit la horde.
Le troupeau était immense, fumant d’écume et de sueur. Isaac compta une cinquantaine de bêtes. Le soleil éclaboussait leurs défenses de nacre et les écailles brunes de leurs échines. Leurs courses perspectives formaient une perpendiculaire quasi parfaite : à la vitesse où l’Alshira allait, la collision était inévitable.
– Ils doivent être une mile d’ici, pas plus, souffla-t-il, stupéfait.
D’où pouvaient-ils bien venir ? Les sangliers de mer étaient des animaux de littoral. On ne les trouvait pas en pleine mer.
– Ils vont percer la coque ! glapit la femme à tête de balbuzard.
Spectre jura :
– Et vous, vous dormiez à la vigie que vous les avez pas vus plus tôt ?
– Ils viennent d’émerger ! répliqua Petit Mensonge. On faisait attention aux navires au nord. Ils nous ont pris par surprise.
– Vous ne pouvez pas replonger, intervint Philomela, c’est trop dangereux. Vous allez vous faire embrocher. Vous ne pouvez pas plutôt lui demander de s’arrêter ?
– Vous vous croyez où, sur un navire de guerre ? On apprend pas aux bateaux normaux à rester immobiles face au danger ! Elle va paniquer, et pour peu qu’elle cabre, on sera dans de beaux draps. Non, je vais essayer de lui faire prendre un virage en épingle. Le troupeau va nous frôler, mais il ne devrait pas nous emboutir.
– Si vous échouez, on se les prendra de plein fouet ! réagit la faucheuse, qui avait blêmi.
– Et si je ne fais rien, on coule, asséna le diable.
Le sang d’Isaac se glaça à ces mots. Instinctivement, ses doigts voulurent se refermer sur le journal qu’il portait dans la poche près de son cœur – mais il n’avait plus de doigts, plus de poche, plus de journal.
De quel côté du bateau se trouvait sa cabine ? Elle donnait directement sur la hanche droite. Si leur nocher manquait sa manœuvre et que la horde les percutait, alors…
D’un bond, Spectre se percha sur la rambarde du bateau, puis jeta une de ses dagues à la femme-balbuzard, qui geignit en l’attrapant :
– Préparez-vous à un abordage. Repoussez ceux qui montent à bord, s’il y en a, ou abattez-les.
– Où est Mizpathi ? demanda brusquement Amélia à Isaac. Il n’est pas monté avec vous ?
– Qui ça ? répondit-il bêtement.
Spectre plongea ; les Beaux se détournèrent de la cloche et se dirigèrent vers le pont supérieur ; le reste de l’équipage les suivit, tous les sens aux aguets. Les plaintes de la femme-balbuzard couvraient presque la voix de Petit Mensonge :
– Je vais vous donner d’autres armes. Amélia, restez en retrait au cas où il aurait des blessés graves. Philomela, vous savez tirer ?
Le sang tambourinait aux oreilles d’Isaac. Les Beaux s’étaient accroupis près d’une cache dissimulée au pied du grand mât et en sortaient sabres et pistolets. Ses yeux glissèrent le long des planches jusqu’aux escaliers qui menaient au pont inférieur.
On devait pouvoir trouver des caissons étanches dans les calles. S’il se dépêchait, peut-être aurait-il même le temps de sauver certains spécimens. Il avait –
– N’y pense même pas.
Philomela avait posé une main sur son avant-bras. Ses yeux étaient durs :
– Si tu n’as pas de bonne raison de descendre, alors ne le fais pas.
Il songea un instant à lui mentir. Il aurait pu prétendre aller chercher le dernier membre de leur équipage – peut-être aurait-elle été touchée par son altruisme. Mais la ruse le dégoûta à la seconde où il y pensa. Il abandonna immédiatement l’idée.
– Si la coque est percée, je n’ai plus rien. Tu sais que c’est vrai. Je dois préserver ce qu’il me reste.
– Si la coque est percée, on se noie, pauvre idiot. On n’a pas le temps d’en rediscuter : tout ce qui importe, dans ces moments là, c’est de rester en vie.
Il hésita. Le visage de Philomela se tordit. Ce n’était ni de la colère, ni du mépris.
– Le Pénélope n’est pas le premier naufrage auquel on réchappe, finit-elle par dire. Et si tu révises tes priorités, ce ne sera pas le dernier non plus.
Isaac inspira, expira. Sa poitrine était noueuse, dure comme l’écorce d’un vieux tronc. Bien sûr, Philomela avait raison.
Il sentit ses pensées s’éclaircir, un bref instant, et il sut qu’il fallait profiter de cette accalmie.
– Que dois-je faire ?
La jeune femme lâcha son bras et lui désigna les Beaux :
– Va te chercher un fusil, puis grimpe aussi haut que tu le peux. Ils ne devraient pas monter aux cordages.
– Je ne suis pas bon tireur du bras droit, répondit-il, mais il la suivit malgré tout.
Les Beaux avaient fini d’armer l’équipage. Ils avaient un mousquet à chaque main, et bien que leurs têtes semblaient surveiller le pont, les grandes oreilles de Petit Mensonge étaient pointées vers la mer.
Sous leurs pieds, l’Alshira se mit à gémir. Isaac entendit ses grandes voiles s’agiter pour entamer un pénible virage.
– Dépêchez-vous, le pressa Tendre Pensée.
Isaac cala hâtivement le dernier pistolet qu’iel avait posé au pied des haubans entre son écharpe et son aisselle et entama son ascension.
Il lui fut très vite évident qu’il n’atteindrait pas les autres membres de l’équipage à temps. Même la femme à tête de balbuzard, qui tremblait comme une feuille de peuplier au vent, le dépassait d’une demi-douzaine de pieds. Si les sangliers s’agitaient, il serait le premier à tomber.
Il serra les dents. S’épuiser à monter ne lui servirait à rien. Il fallait qu’il se cale quelque part.
Il arqua le dos contre le hauban et, profitant de son bref équilibre, il jeta son bras meurtri par-dessus l’enfléchure la plus proche. Avec un peu de chance, son poids suffirait à l’y crocheter en cas de sursaut. Puis, de sa poigne la plus ferme, il saisit la crosse de son pistolet et tendit son bras valide en direction des vagues. Son esprit choisit ce moment pour lui rappeler avec sollicitude que cela faisait presque un an qu’il ne s’était pas entraîné au tir.
Le pont de l’Alshira vibrait sous l’effort. Le soleil était passé dans leur dos ; ils avaient bien viré de bord. Isaac essayait vainement de garder les yeux sur la horde. L’avaient-ils évitée, ou était-elle trop près pour qu’il puisse l’apercevoir sans prendre de la hauteur ?
C’est à cet instant que, suppléant sa vision, deux de ses sens l’alertèrent dans une succession rapide de signaux écrasants.
L’odorat fut le premier à se manifester. Une odeur saumâtre, mélange de poil mouillé et de vase fermentée, lui enfonça sans prévenir ses doigts dans les narines et les fit remonter jusque dans ses orbites. Il retint à grand peine un haut-le-cœur stupéfait.
Son ouïe suivit le pas et l’informa que quelqu’un, à sa droite, n’avait pas eu l’estomac aussi solide que le sien ; et que s’il tendait l’oreille, il pouvait percevoir, entre le choc des lames contre la coque et les cris des oiseaux, le souffle terrible de bêtes qui nageaient à perdre haleine.
Ce souffle était bien plus proche que ce qu’il avait imaginé. Bien plus fort, aussi. Avait-il bien compté cinquante têtes ? Étaient-elles plutôt cent ? Cent trente ?
Pendant quelques secondes (juste assez longtemps pour qu’Isaac puisse se dire, avec une clarté effrayante, que leur plan avait échoué), ce fut ce à quoi le monde fut résumé. Le bruit, la puanteur.
Soudain, l’Alshira rua, et tout les os d’Isaac s’entrechoquèrent. Le sursaut l’aurait envoyé voler sans le poids de son bras pour le retenir aux cordages. De sa perche, Petit Mensonge hurla :
– Ils montent sur le pont ! Ne les laissez pas se disperser !
Nouveaux bruits : les sanglots glaireux de puissantes succions, des grognements à fendre l’âme. Un instant plus tard, la rambarde tribord explosa, et dans un déluge de bois et de chitine, les premiers sangliers hissèrent leurs grands corps de limaces sur le pont.
Petit Mensonge ne les avait pas avertis en vain. Les bêtes avaient foncé tête baissé, mais ne s’attendaient visiblement pas à se retrouver hors de l’eau si longtemps. Il y eut un instant de flottement – un instant seulement – où les grands animaux semblèrent, soudain, incertains du chemin à suivre ; puis l’un d’entre eux, vif comme une anguille, sinua jusqu’à l’escalier du gaillard d’avant.
Le tir fusa au-dessus d’Isaac. L’animal se redressa avec un couinement de peur ; la balle s’était plantée entre les marches, à quelques pouces de sa tête.
Le coup sortit la horde de sa stupeur. Les sangliers ruèrent et, dans un concert de cris dissonants, s’éparpillèrent sur le pont.
D’autres coups furent immédiatement tirés pour tenter, tant bien que mal, de les repousser. Leur cuir était épais, l’odeur du sang risquait de les énerver : il ne fallait pas les blesser sans réfléchir. Isaac savait qu’il n’était pas assez adroit pour abattre l’une de ces énormes bêtes, mais il en remarqua un près du bastingage, plus petit que les autres, dont l’ourlet du pied frémissait d’hésitation. Juvénile ? Plus farouche ? Il ferma un œil, leva le poignet, visa le pont.
Un choc ; sa mâchoire se referma sur le millimètre de vide qui séparait ses lèvres de sa langue avec un claquement de fouet. Son pied gauche glissa et une douleur aveuglante éclata dans son épaule.
« On tombe ! » hurlèrent ses intestins.
Les dents serrées par la panique, il agrippa de justesse un cordage qui s’éloignait dangereusement vite tandis que sa jambe gauche battait les airs à la recherche d’une nouvelle prise. Le talon de sa botte se coinça dans une enfléchure ; il raidit la jambe, poussa le pied aussi loin que possible, se stabilisa.
Il était maintenant de biais, les doigts de la main droite crispés sur son cordage, le bras gauche empêtré dans les siens. Une goutte de sueur lui roula le long du nez. Il baissa les yeux : au pied du grand mât, un sanglier était couché sur le flanc, l’air sonné. Il avait dû foncer sans regarder devant lui…
Au pied de ce sanglier, il y avait une forme toute habillée de rouge, complètement immobile, pendue à une défense nacrée. Au pied de cette forme, il y avait le mousquet d’Isaac.
Les secondes qui suivirent lui parurent durer dix éternités. En réalité (il le savait) il eut à peine le temps de déglutir.
Le sanglier se redressa péniblement, renâclant de confusion ; le corps mou de la faucheuse, Amélia, se redressa avec lui. La bête tourna sa large tête brune vers le bastingage. Son groin tressauta, son pied frémit, il amorça un mouvement.
D’un coup sec, Isaac dégagea son bras gauche de sa prise et se laissa glisser le long du hauban.
Sa descente fut juste assez longue pour se faire la réflexion qu’il n’avait aucun plan, qu’il n’y connaissait rien en sangliers et que ça n’allait pas particulièrement arranger ses affaires (en tous cas, c’était l’idée générale ; peut-être l’avait-il formulée de manière plus crue). Cependant, ce fut tout ce qu’il eut le temps de se dire, car au moment où ses semelles heurtèrent le pont, le sanglier tourna un œil luisant dans sa direction et Isaac fut obligé d’improviser.
Il n’y avait que deux pieds entre lui et l’animal. La faucheuse pendait à sa droite de son groin comme un tas de linge sale. Si elle était blessée, le rouge de ses vêtements le dissimulait bien. Le mousquet qu’il avait laissé tomber gisait au sol à peine plus loin.
Il était évident, dans cette situation, qu’il n’y avait qu’une seule chose à faire.
Isaac bondit sur l’animal, saisit la taille de la faucheuse et la tira en arrière. Il y eut un bruit horrible, entre un déchirement de tissu et un gargouillis de douleur, mais trois pas plus tard, Isaac avait toujours Amélia dans les bras et ne s’était pas fait embrocher. Le corps de la faucheuse n’était plus coincé sur les défenses du sanglier.
Ce dernier avait les yeux vitreux de la bête qui vient de se prendre un grand mât en pleine face et ne sait plus vraiment ce qu’il fait là. Son comportement était insondable. Allait-il charger ? Fuir ? Le cœur d’Isaac battait à grands coups dans sa poitrine. Il aurait aimé dire que tout avait été calculé, mais il avait simplement eu de la chance. Il ne s’y connaissait vraiment pas en sangliers.
« Mais – je m’y connais en requins », se dit-il dans un éclair de génie avant de se répondre, plein d’un optimisme qu’il qualifierait plus tard de malavisé : « ça ne peut pas être si différent !».
Il resserra sa prise moite sur la faucheuse, se redressa de toute sa hauteur, cria :
– Allez, ouste !
Et il écrasa le talon de sa botte dans le groin du sanglier de mer.
L’animal poussa un hurlement suraigu et balaya le pont de son grand corps de mollusque en se retournant. Isaac recula précipitamment pour éviter sa queue de limace, mais une gerbe de mucus et de débris lui vola au visage. Il perdit l’équilibre, tomba à la renverse ; la faucheuse, toujours inconsciente, lui écrasa la poitrine et lui coupa le souffle.
Avait-il –
Dieux, le pont était dur –
Avait-il réussi son coup ? Il essaya de relever la tête, sans succès. Les cheveux pâles de la faucheuse lui tombaient dans les yeux. Les tirs de pistolets fusaient toujours, ses oreilles bourdonnaient. Les grognements de la horde se faisaient lointains. Si la bête l’avait chargé… Si elle les avait chargés, ils seraient déjà morts tous les deux.
« Un franc succès », pensa-t-il, avant qu’une ombre ne s’abatte sur lui.
Mais il ne s’agissait pas d’un sanglier revanchard ; c’était un homme aux longs cheveux blonds et à la barbe peu fournie, avec une vilaine estafilade au front, qui saisit les épaules de la faucheuse et la retourna sans ménagement sur le pont.
L’air s’engouffra sans crier gare dans les poumons d’Isaac et il se rendit soudain compte qu’il n’avait pas vraiment respiré depuis sa chute.
– Elle vit ! cria le nain par-dessus son épaule. Par contre, elle pisse le sang !
– Attention à ses côtes, prévint Isaac d’une voix rauque. Et à ses cervicales. Gardez son cou droit –
Il essaya tant bien que mal de se redresser avant de jeter au nain blond un regard alarmé :
– Mais faites attention ! Vous êtes à découvert !
L’homme releva distraitement la tête :
– Qu’est-ce qu’il dit, celui-là ?
– Vous allez vous faire percuter –
– Hein ? Par quoi ?
– Mais par les sangliers, peuchère !
Le nain renifla :
– Ça fait cinq minutes qu’ils sont partis, vos sangliers. Vous êtes tombé comme une fiente sur un pavé quand vous avez récupéré Amélia et vous n’avez pas bougé depuis.
Isaac mit du temps à comprendre ce que l’homme lui disait. Il tangua sur son coude droit et lança un regard ébahi à ses alentours. Le pont était luisant de bave et d’écume, grêlé de marques de balles, mais il n’y avait plus un sanglier à l’horizon.
– Et c’est vous qui nous avez sauvé ? Qui les avez fait fuir ? demanda-t-il au nain.
– Moi ? Ah non, pas du tout. J’étais caché sous la trappe des escaliers. J’attendais que ça passe. Bon, ça vient, les secours ? Je vais pas faire tampon toute la journée, moi !
D’élégants pantalons à carreaux entrèrent dans le champ de vision d’Isaac ; les Beaux s’agenouillèrent près du corps inerte de la faucheuse, un sac de jute à moitié ouvert entre les bras. Leurs grandes mains bleues vinrent palper ses côtes avec une froideur toute médicale et leur fourrure se gorgea aussitôt de sang :
– C’est une grosse entaille, marmonna Tendre Pensée, et elle continue sur la cuisse. Mais ça n’a pas l’air d’avoir percé les poumons. Je n’entends pas de sifflement respiratoire. Je vais faire une compresse avant de la transporter.
– Sa chute a peut-être été amortie par le gros du sanglier. Ses vêtements se sont empêtrés dans ses défenses, mais si elle ne s’est rien cassé, alors elle aura eu de la chance, répondit Isaac qui peinait toujours à se relever (sa paume était glissante, et son crâne le lançait affreusement. Une fois assis, il palpa précautionneusement son cuir chevelu, mais ne ressentit rien d’autre qu’une douleur sourde et le gratouillis désagréable de ses cheveux ras. Comme il ne voyait pas double et qu’il ne vomissait pas, il décida qu’il avait probablement évité la commotion cérébrale.)
Tendre Pensée garda les yeux baissés, mais Petit Mensonge tordit le cou pour le dévisager tandis que ses mains s’affairaient à tirer compresses, agrafes et colle à peau de son sac :
– C’était courageux de votre part de sauter à sa rescousse, dit-iel d’un ton si neutre que cela aurait pu passer pour un blâme. Si le sanglier l’avait entraînée avec lui, elle se serait noyée, ou aurait été dévorée.
– C’était inconscient, rétorqua la voix froide de Philomela.
La jeune femme avait récupéré le mousquet qu’il avait laissé tomber plus tôt, ainsi que les fusils des Beaux. Son visage était de marbre, sa posture était parfaite, elle ne le regardait pas. Il n’y avait pas de manière plus grossière ou plus insupportable pour lui faire comprendre qu’elle était furieuse contre lui.
Une bouffée de colère lui brûla les oreilles. Qu’avait-il bien pu faire, encore ? Était-ce parce qu’il avait sauté à la rescousse de la faucheuse ? Mais pour qui se prenait-elle ? Aux dernières nouvelles, il avait encore le droit de faire ce que bon lui semblait avec sa vie.
Comme elle continuait d’éviter son regard, il l’interpella, la voix pleine d’un fiel qu’il ne chercha pas à dissimuler :
– Tu ne me proposes pas ton aide pour me remettre debout ?
– Non. Tu es assez grand pour te relever tout seul.
Isaac poussa un grognement de rage, força sur ses talons et se redressa tant bien que mal. Le bateau tangua sous ses pieds et il lui fallut se reposer contre le grand mât pour ne pas immédiatement retomber. L’adrénaline de la bataille fuyait son sang comme le vin d’un tonneau percé : il se sentait vidé, épuisé et, oui, il devait le dire ! De très mauvaise humeur.
Une pluie de pas mouillés, dans son dos, lui fournit une heureuse distraction. Spectre était remonté sur le pont. Le maquillage coulant, les cheveux emmêlés, il examinait le pont avec un œil grincheux :
– Et bah, vous en avez fait du bordel, commenta-t-il d’un ton acide.
Il se pencha au-dessus de la faucheuse, toujours inconsciente, et renifla :
– Elle est morte ?
– Non, répondit Petit Mensonge, mais elle ne risque pas d’être bien efficace avant notre arrivée à Pyriade. On peut toujours s’arrêter à un phare et demander s’ils n’auraient pas un médecin sur place ? Quelqu’un de plus expérimenté pourra peut-être la remettre d’aplomb.
Spectre fit la moue :
– Et c’est toi qui va payer ses frais d’hôpital, peut-être ? C’est bon, c’est plus si loin, elle ira se requinquer en ville. On lui fera renifler un peu d’ammonium avant la douane et ils n’y verront que du feu.
– Et comment va le navire ? s’enquit Isaac, qui, tout en parlant, essayait de s’adosser au mât de manière décontractée pour ne pas paraître trop mal en point.
Malheureusement, ses talents d’acteur semblaient avoir posé leurs congés aujourd’hui. Spectre n’eut qu’à lui jeter un bref coup d’œil pour demander à voix haute :
– Qu’est-ce qu’il a, lui, à flageoler comme ça ?
– C’est lui qui a sauté pour récupérer Amélia, répondit le nain blond (ce délateur !). Les sangliers l’ont faite tomber et l’ont récupérée.
– Vous vous êtes battu contre un sanglier ? C’était pas malin, ça, critiqua le diable.
Philomela, qui s’occupait à extirper les balles des lattes du pont, fit un bruit qui ressembla fort, aux oreilles d’Isaac, à un gloussement moqueur.
– Oui, j’ai compris, grinça-t-il entre quatre dents serrées. Le bateau, donc… ?
Spectre haussa les épaules et s’agenouilla près des Beaux. Isaac remarqua que des branchies diaphanes faisaient frétiller leurs franges le long de ses côtes au rythme de ses respirations : elles commençaient tout juste à se refermer.
– On a évité la catastrophe, la majorité nous a juste frôlés. Ceux qui sont montés étaient au bord du troupeau.
– Aucune blessure ?
– À priori. Ces trucs traînent dans la merde du matin au soir, alors l’eau a un goût infect. Difficile pour moi de sentir le sang dans ces conditions. Je referai un tour quand on se sera éloignés, mais si c’était grave, je l’aurai su.
Un poids non négligeable quitta la poitrine d’Isaac, et il lui fut soudain plus facile de se tenir droit dans ses bottes.
– Par contre, vous m’avez bien pété le pont ! s’écria soudain le diable. Quelle vigie à chier ! Ça a trois paires d’yeux et c’est quand même pas capable de viser droit ?
– Tu as vu la taille de nos pistolets ? riposta Petit Mensonge. Ça fait vingt ans que tu bringuebales les mêmes fusils. Je m’estimerais heuræl d’arriver à toucher une huître avec ces antiquités !
– Oh, toi, la ramène pas trop. Déjà, c’est à cause de vous qu’on en est arrivés là. Des sangliers, au milieu de l’océan ! Et puis quoi encore !
Le diable se tourna vers Isaac, les bras en l’air comme pour prendre le ciel à témoin :
– Les chevaux, sur les bateaux, ça porte malheur, asséna-t-il. Et devinez quoi ? Depuis que ces trois là sont à bord, on n’a eu que des emmerdes ! Que des choses improbables ! J’ai beau leur coudre du sel dans les poches et leur faire mâcher des os de chauve-souris, rien n’y fait ! La mer les veut.
– Les chevaux ne sont-ils pas des équidés ? Je ne crois pas que vos compagnons fassent partie de la même famille, corrigea poliment Isaac. Si je ne m’abuse, ils seraient plus proches des cervidés.
– Ce sont des personnes, rétorqua la voix lointaine de Philomela.
– Laissez tomber, commença Tendre Pensée, aussitôt coupé par un Spectre visiblement outragé :
– Ah, pardon, monsieur le scientifique, j’oubliais que l’Euphrosyne avait passé un doctorat en espèçologie ! Je sais reconnaître le mauvais œil quand il me bousille le bastingage avec une cinquantaine d’animaux en colère, merci bien.
La dernière phrase de Spectre ricocha un moment sur la surface de l’esprit d’Isaac. Des animaux en colère, vraiment ? Ils avaient bien foncé tête baissée, mais si les Beaux avaient dit vrai, ils étaient déjà en mouvement avant que le bateau ne se trouve sur leur chemin – et ils étaient tout de même à bonne distance du troupeau à ce moment là. Leur présence n’avait pas pu provoquer leur courroux.
Et quand bien même cela aurait été le cas, pourquoi continuer leur course ? Même ses maigres connaissances s’accordaient sur le fait que ce n’était pas le comportement d’une bête enragée. Il devait y avoir une autre explication…
– Si vous voulez mon avis, ça ressemblait plus à une fuite, répondit-il pensivement à Spectre.
… Ou, tout du moins, aurait-il répondu, si à l’instant où il avait ouvert la bouche, l’air tout entier n’avait pas frémi autour d’eux.
Le silence fut immédiat. Le cœur d’Isaac reprit de l’allure. Ce n’étaient pas les contractions froides de l’espace autour des faucheurs, auxquelles on ne s’habituait toujours qu’à moitié, ou même un soubresaut de l’Alshira après un trop plein d’émotions. Cela lui parut davantage s’apparenter au grondement lointain de l’orage, un son si bas, si étouffé qu’il l’entendait moins qu’il ne le ressentait
Il y eut une seconde vibration, tout aussi ténue que la première. Au même moment, les crêtes des vagues de l’Euphrosyne se plièrent pour s’aplatir dans un murmure, donnant à la mer une apparence tranquille qui ne lui ressemblait pas.
Un hululement perçant jaillit d’entre les voiles du navire :
– Là-bas ! Il y a une ombre dans l’eau ! C’est un mégalodon ! Une voyelle de Tyre ! Un serpent de mer !
Isaac chercha par instinct la source du bruit entre les cordages. La femme balbuzard ! Elle n’avait pas rejoint le reste de l’équipage au sol. Toujours entortillée dans son hauban, elle posait sur l’horizon des yeux exorbités de terreur.
Il tendit le cou pour tenter d’apercevoir la menace, mais les Beaux aplatirent une grande main bleue entre ses omoplates, l’obligeant à se baisser avec le reste de l’équipage. Le nez d’Isaac se retrouva pressé contre le bois humide du pont. Entre les relents de sanglier et de vase, il pouvait sentir l’odeur violacée du sang de la faucheuse. Les Beaux, qui s’étaient allongés à ses côtés, en étaient inondés.
Une troisième vibration. Isaac tendait si fort l’oreille que le silence lui paraissait tonitruant. Le son était-il plus sourd ? Avait-il l’impression qu’il s’éloignait, ou s’habituait-il à la sensation qu’il provoquait ? Il en oublia presque d’avoir peur.
Ce calme surréel mit du temps à se lever. Même l’Alshira, pourtant tout juste sortie d’une manœuvre compliquée, s’était complètement figée. Il fallut que les vagues de l’Euphrosyne reviennent lui battre les flancs avec leur ardeur habituelle pour qu’elle ose se remettre à lutter contre les flots.
Le retour des vagues avait quelque chose de rassurant. Au moins, tout le monde savait ce dont l’Euphrosyne était capable. Sous la clameur de la houle, tous les membres de l’équipage se redressèrent et échangèrent des regards mal assurés.
Spectre secoua ses cheveux trempés avant de cracher sur le pont :
– Les sangliers devaient être en fuite.
– Oui, souffla Isaac, c’est ce que je pensais aussi.
Les Beaux saisirent l’épaule du diable, laissant une trace vermeil sur la peau blême :
– Ne redescends pas tout de suite, lui dit Tendre Pensée. On échange – aide Mizpathi à mener Amélia dans sa cabine et occupe-toi de ses blessures, puis va souffler un peu. On prend la barre.
Spectre leur tapota la main en retour. Ils ne faisaient pas attention à lui, mais Isaac se rendit soudainement compte qu’il les observait d’un peu trop près, et il s’empressa de plisser les yeux et de froncer les sourcils pour donner l’illusion qu’il cherchait quelque chose dans le lointain.
– Tirons-nous d’ici, entendit-il le diable répondre.
Un vent d’activité souffla sur leur petit groupe. Tandis qu’Isaac aidait la femme balbuzard à descendre de sa perche (avec force piaillements et sanglots), le nain blond et le diable s’échinèrent à tirer la faucheuse dans les escaliers qui menaient aux cabines. Les Beaux, eux, disparurent sur le gaillard d’avant.
« Et Philomela ? » se demanda soudain Isaac. Était-elle partie avec les Beaux ?
Il évita un malheureux coup de bottine (la femme balbuzard, comme il était rapidement en train de l’apprendre, n’était pas amatrice d’escalade) et tordit la tête pour apercevoir la jeune femme. Cependant, il ne la trouva pas près de la proue : elle était revenue sur le pont et se tenait à l’endroit où les sangliers avaient déferlé. La main posée sur les débris du bastingage, elle avait les yeux tournés vers la mer et un pli soucieux au milieu du front.
« Encore des ennuis près de Pyriade », devait-elle certainement penser. « Ça n’arrange pas nos affaires. » Isaac ne pouvait qu’acquiescer. Peut-être étaient-ce vraiment les échos de la guerre. Peut-être le Glaucome avait-il trouvé un moyen de franchir les lignes de défense de l’amirauté et cherchait à faire frémir la capitale. Ou peut-être…
Un dernier éclat de voix de Spectre, avant que celui-ci ne disparaisse sous le pont, coupa court à ses questionnements :
– Et ce soir, je m’en fous, je cours pas le risque, c’est os de chauve-souris pour tout le monde !
***
– Vous n’êtes pas couché ?
Isaac cligna des yeux et se rendit compte, lorsque des fantômes bleus et rouges lui passèrent sous les paupières, qu’il avait commencé à s’aveugler en contemplant l’horizon.
L’aube avait pointé le bout de son nez. L’Euphrosyne était encore verte de nuit, mais les rayons du soleil avaient déjà atteint les cimes des îles les plus proches. La pointe de verre de la grande pyramide de Pyriade envoyait des reflets irisés à perte de vue : d’ici quelques minutes, la ville toute entière serait auréolée d’or. C’était ce spectacle qu’Isaac était occupé à contempler avant que la voix de l’un des Beaux (mais lequel ? Iels avaient la même voix…) ne le surprenne.
Il se retourna et prit un air convenablement contrit. Il n’avait encore jamais croisé ni Spectre, ni les Beaux pendant ses petits tours nocturnes. Penseraient-ils qu’il était en train de fureter ou de planifier un mauvais coup ? D’accord, peut-être avait-il essayé d’ouvrir quelques trappes ou jeté un œil dans quelques caisses à la calle – mais jamais pour nuire !
– Bonjour. À vrai dire, je ne dors pas beaucoup la nuit. Je suis très sensible aux insomnies.
La tête de gauche – Tendre Pensée – renâcla de compassion.
– Je pensais bien en avoir vu voler quelques unes dans les couloirs récemment. Toutes nos excuses.
Isaac agita la main :
– Oh non, ne vous en faites pas, je les attire.
Le vent frais du petit matin fit claquer les voiles de l’Alshira. Réveillée depuis peu, elle paressait plus qu’elle ne voguait dans les eaux calmes des faubourgs pyriadiques. Isaac remarqua que les Beaux (qui, à en juger par leur épaisse robe de chambre mordorée, n’étaient pas sortis du lit depuis bien longtemps non plus) portaient à bout de bras une grosse caisse estampillée FRAGILE. Il s’anima aussitôt :
– Vous amenez ça quelque part ? Je peux vous aider, si vous voulez.
Petit Mensonge, la tête du milieu, haussa les épaules (en réalité, les trois têtes étant rattachées au même cou, tous avaient haussé les épaules au même moment – mais il y avait sur le visage effilé de ço derniæl une expression qui seyait davantage à ce mouvement désinvolte).
– On porte son repas du matin à la vieille dame.
Iel tapota le pont du bout d’un sabot fendu – iel parlait évidemment de l’Alshira.
– Si vous voulez nous aider à vider la caisse, vous êtes le bienvenu. Vous avez déjà nourri une goélette ?
Isaac se redressa, toute somnolence oubliée :
– J’ai déjà aidé sur de plus gros bateaux, mais je n’en ai jamais eu sous ma garde. Habituellement, un membre de l’équipage se consacre à l’entretien de nos navires de voyage.
– Oh, c’est plus facile que sur une caravelle ou un galion, répondit Tendre Pensée d’un ton léger tout en se dirigeant vers la proue du navire. On peut tout faire à la main. Il faut juste faire attention aux dangers habituels – ne vous mettez pas trop près de ses dents, visez bien, pas de grands gestes brusques, ce genre de choses.
– Oh, ne vous en faites pas, enchaîna Petit Mensonge. Elle est sénile. Elle ne ferait pas de mal à une mouche, même si elle le voulait.
– Elle est placide, corrigea Pensée. Elle a bon caractère.
Une fois arrivés au mât de beaupré, les Beaux indiquèrent à Isaac une balancelle sommaire, soutenue par un système de poulies au bastingage, qui passait tout près de l’œil droit du navire.
– On pose la caisse à l’avant, lui expliqua Tendre Pensée (tout en parlant, iel s’exécutait avec une efficacité visiblement routinière), puis on descend en tirant sur ce cordage ici. L’autre poulie sert à remonter. Les crans retiennent notre chute. Nous pouvons tenir la caisse, et vous…
Deux paires d’yeux se posèrent alors sur le bras gauche d’Isaac. Celui-ci sentit le sang lui quitter le visage avant d’y refluer de plus belle.
– Ne vous en faites pas. Je n’y pensais plus moi-même, ajouta t-il pour couper court aux excuses d’um Tendre Pensée mortifiæ.
– Vous pouvez quand même descendre avec nous ! se hâta Pensée. Pas besoin d’avoir mille bras pour lancer des bouteilles.
– Ça va être lourd à hisser, maugréa Mensonge, mais ses mains poussaient déjà Isaac dans le dos et il prit maladroitement place sur la balancelle, bientôt rejoint par l’imposant cervidé.
Le bois craqua sous leurs poids respectifs. La honte brûla les joues d’Isaac. Il n’avait plus si envie, soudainement, de voir l’Alshira de près.
Heureusement, leur descente, même effectuée dans un silence gêné, ne dura pas plus d’une minute. Les Beaux bloquèrent leur embarcation de fortune à quelques pieds de la gueule du bateau. Le vent faisait fourcher l’écume des vagues et les jambes de leurs pantalons se retrouvèrent vite piquetées d’humidité. Petit Mensonge s’ébroua :
– Allez, ne perdons pas de temps ! Isaac, prenez le couvercle sur vos genoux. Faites attention à ce qu’il ne tombe pas à l’eau, on réutilise cette caisse.
Isaac obtempéra et fit glisser le grand panneau de bois pour révéler son contenu : une quarantaine de bouteilles de vin dont le verre lisse reflétait les nuages de l’aurore (les Beaux avaient tout porté à bout de bras ?).
L’ouverture de la caisse avait dû produire un bruit particulier. Au-dessus de leurs têtes, l’œil rond de l’Alshira, pâle comme un œuf, tournoya un instant avant de se poser sur eux avec intérêt. Petit Mensonge lui adressa un petit geste de la main :
– Oui, ma grande, on a un invité. Isaac !
– Oui ?
– Quand je sifflerai, elle ouvrira la gueule – c’est notre signal. Il faut lui lancer une bouteille à la fois. Généralement, elle mâche après en avoir reçu trois ou quatre, donc attendez un peu entre chaque envoi. Essayez de viser à gauche, elle a des caries de l’autre côté.
– Et pas de gestes trop brusques ! rappela Tendre Pensée.
Isaac acquiesça sans hésiter. Iel aurait pu lui demander de pousser la chansonnette ou de danser le Petruslied qu’il se serait aussi porté volontaire – tout pour se débarrasser de cette odieuse impression de fardeau.
Pensée et Mensonge portèrent leurs mains à leurs lèvres et, de concert, sifflèrent une longue note aigüe à laquelle l’Alshira réagit immédiatement. Sa grande gueule blanche frissonna avant de s’ouvrir avec un grincement de vieux joints secs. Les vagues se précipitèrent pour lécher les arêtes de son palais et de ses dents, qu’elle avait, Isaac remarqua, encore quasiment toutes. Il était évident que l’on prenait grand soin de ce navire.
– Allez-y, lancez ! ordonna Mensonge.
Même à eux trois, il leur fallut une grosse quinzaine de minutes pour vider la caisse. Il fallait attendre que le bateau finisse sa bouche avant de continuer à le nourrir, et l’Alshira, qui bavait de contentement, ne semblait pas pressée de mâcher. Le bruit des bouteilles brisées contre ses molaires se perdait dans le ressac.
– Normalement, ça va plus vite, expliqua Pensée, mais si on ne la gave pas un peu ce matin, elle ne fera que réclamer en arrivant à Pyriade.
– Combien de temps pensez-vous rester en ville ? demanda Isaac tout en jetant, aussi adroitement que possible, une dernière bouteille de clairette sur la langue du navire.
Iel lui jeta un regard curieux :
– Eh bien, ça dépend de vous. Si je ne m’abuse, vous avez promis à Spectre de l’engager « aussi rapidement que possible ». Combien de temps pensez-vous que cela prendra ?
Isaac en sursauta presque. Iel se souvenait des détails de son serment ! Allait-iel mettre Spectre au courant ? L’était-il déjà, et se préparait-il à faire un mauvais coup ? Que devait-il répondre ? Devait-il essayer de mentir ? Non, ce serait utilisé contre lui. Il devait faire dans l’exactitude.
– Je dirais qu’il me faudra un ou deux jours pour récupérer mes propres lettres de marque, répondit-il avec lenteur. Puis au moins un jour pour rédiger le contrat. En revanche, une fois ma signature apposée, ce ne sera plus de mon ressort. L’administration de l’Académie se chargera de convoquer Spectre, puis de demander une signature aux directeurs de mon département, puis au représentant de l’Amirauté…
L’expression des Beaux s’étant considérablement assombrie (ce qui était souvent l’effet que la bureaucratie pyriadique faisait sur les étrangers), Isaac se sentit obligé d’ajouter :
– Si vous êtes pressés, je pourrai toujours dire au comité que c’est urgent ?
– Je dirais même que vous y êtes obligé, rétorqua Mensonge. Quand on promet de la rapidité, il faut s’y tenir.
– Bien sûr, je ferai de mon mieux ! Et puis, n’oubliez pas que j’ai plus à perdre que Spectre. On ne sort pas de cinq jours de flagellation indemne. Il m’aurait sorti de l’hôpital juste pour le plaisir de m’y renvoyer lui-même !
Mensonge ricana, ce qui n’alerta pas tout de suite Isaac : après tout, il avait terminé sa phrase sur le ton de la plaisanterie et il s’était trouvé plutôt drôle. Cependant, iel n’ajouta rien, se contentant de tirer sur la corde qui leur permettait de remonter à bord, et ce fut ce silence qui l’alarma. Peut-être que Petit Mensonge n’avait pas ri pour la raison qu’il s’imaginait.
Il osa donc poursuivre avec un petit :
– Ce… Qui ne serait pas dans sa nature, n’est-ce pas ?
– Qui sait ? répondit Mensonge d’un air volontairement mystérieux.
Mais il y avait un éclat dans ses yeux qui démentait cette légèreté.
La balancelle heurta le bord du bastingage : ils étaient remontés. L’Alshira avait pris un peu de vitesse et le vent faisait bruire l’écharpe d’Isaac. Il hésita à reprendre la conversation, un instant – mais il devait en avoir le cœur net.
– Écoutez…
Les Beaux le dévisagèrent. Il continua :
– Je ne cherche pas à déroger à ma promesse. J’aimerais simplement comprendre ce qu’il se passe. Nous sommes tous d’accord pour dire que le serment de Spectre, comme le mien, était hâtif. Mais force est de constater qu’il a tenu parole, et je ne peux plus le prendre en faute, ce qui me met dans une position délicate. Soyez honnêtes avec moi : ce serment étrange, était-il fait pour me piéger ? Aviez-vous vraiment besoin de ces laissez-passer, ou suis-je juste un repas de choix pour votre employeur ?
– Il y a deux types de personnes dans ce monde.
La voix de RUINE avait des accents sépulcraux. La manière dont Pensée et Mensonge se figèrent en l’entendant n’échappa pas à Isaac ; ses inflexions l’avaient, lui aussi, soudainement glacé.
C’était la deuxième fois seulement qu’il l’entendait parler.
Insensible au trouble qu’il causait, RUINE poursuivit sans se presser. Ses yeux de verre roulaient sans but sur le front d’Isaac. On aurait pu le croire malade, ou aveugle.
– D’un côté, il y a les menteurs, et de l’autre, il y a les faibles.
Il fallut du temps à Isaac pour retrouver sa voix :
– De quel côté se trouve Spectre ?
– Du vôtre, répondit RUINE.
– C’est bon, pas la peine de l’insulter, intervint Mensonge (bien que son habituel ton railleur ne paraisse un peu forcé). Ne vous en faites pas, Mandraccio, on voulait juste vous faire un peu peur. S’assurer que vous n’alliez pas nous filer entre les pattes, si je puis dire.
– Ah… ?
– Ce que Mensonge veut dire, reprit Pensée, c’est que Spectre n’avait tout simplement pas pensé à tous ces détails. Pour lui, tout est très simple. Vous pourriez prendre des semaines à remplir votre part du marché et il ne vous arriverait rien.
– Vraiment ?
– Vraiment. D’ailleurs, si vous aviez à cœur de le doubler, nous serions sûrement obligés de lui faire prendre conscience de la supercherie. Il n’est pas calculateur, assura Pensée.
– C’est une bécasse, enchaîna Mensonge.
RUINE n’ajouta rien. Son regard parlait pour lui.
Tandis que les Beaux récupéraient la caisse vide, Isaac rumina ce qu’il venait d’apprendre, les sourcils noués. Il avait eu l’impression que Spectre menait la danse dans le duo, mais quelque chose dans l’attitude des cerfs commençait à lui faire croire qu’ils étaient peut-être plus impliqués qu’ils n’en avaient eu l’air – et plus observateurs.
– Est-ce Spectre qui vous a engagés ? finit-il par demander. Ou est-ce vous qui nécessitez ses services ?
C’était très indiscret, il le savait. Il ne fut donc pas surpris quand Mensonge répliqua avec un sourire :
– Vous êtes un petit fouineur, vous, non ?
– Peut-être un peu, admit-il. Par contre, je ne suis pas un mouchard. Vous n’avez rien à craindre de moi.
Tendre Pensée ouvrit la bouche pour répondre, mais ce fut RUINE le plus rapide :
– C’est bien le problème.
Un nouveau silence tendu. Puis Mensonge poussa un grand soupir théâtral :
– Oh, ne l’écoutez pas, il aime se faire remarquer. C’est gentil de votre part de le préciser, Mandraccio. Écoutez, on a beaucoup à faire. On se revoit au petit déjeuner ?
Ils lui firent un geste nonchalant de la main pour le saluer, puis, d’un pas guilleret, redescendirent vers le pont supérieur. Isaac resta un moment un peu coi (un peu gêné, à vrai dire – ce genre de compliments enrobés de malice le mettait toujours dans l’embarras) avant de s’écrier :
– Mais du coup, vous ne me répondez pas ?
Il n’eut pour toute réponse que l’éclat de rire franc et commun de deux des trois Beaux.
Voilà, c'est dit.
Nan mais y'a des cervidés bleus à trois têtes, des bateaux vivants qui picolent, des sangliers de mer. Qu'est-ce que tu veux, je suis faible, je craque !
Je trouve que tu joues sur des rythmes très, très maîtrisés. Autant dans le style que, surtout, dans la narration et la progression de l'histoire. On n'a pas le temps d'être installé sur ce bateau que hop ! une grosse aventure. Et je suis pleinement embarquée, y'a pas à dire. Le rythme peut avoir quelque chose de cinématographique qui fait mouche : je pense notamment à l'apparition du nain blond, et à Mandraccio qui n'a pas conscience de se réveiller.
Il y a du danger et des tensions, c'est sûr, mais il y a aussi de la magie (au sens, de la poésie qui titille l'imaginaire) et de l'humour. Le duo de personnages principaux fonctionne à merveille, tu n'as pas besoin de les décrire plus que tu ne le fais déjà : ils se connaissent sur le bout des doigts, s'interprètent mutuellement en un seul geste, et on les comprend.
Dernière fleur jetée sur ta charmante personne pour l'instant : les dialogues sont au top, et j'adore la précision sémantique dont certains persos font preuve (bizarre/incongru).
Un truc peut-être, mais ça ne me semble pas si mal tellement je me laisse porter, et puis c'est sans doute du à ma lecture morcelée : j'ai tendance à mettre de côté ce pourquoi les deux loustics voyagent, exactement. Je me souviens d'une intrigue qui relève du politique, du "il faut louvoyer entre les territoires et les institutions", et puis évidemment, leur naufrage de départ et le nouveau danger encore non identifié sur l'Euphrosyne. Mais en lisant, je ne me dis pas "les personnages tendent vers ça". Je ne sais pas si c'est une sensation de lecture qui te va ? Car après tout, ça ne me dérange pas tant que ça tellement le texte est bon !
Et bien, quel chapitre ! On découvre un navire albinos, un troupeau de sangliers de mer qui ressemblent à des limaces, un mégalodon et la faucheuse se fait gravement blesser pendant l'abordage. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il s'en passe des choses !
Côté plume, c'est toujours aussi fluide, agréable et visuel. Le chapitre fait 8K mots mais je ne l'ai absolument pas vu passer. Je suis complètement fan de l'univers que tu as créé pour l'Euphrosyne et de ses nombreux détails décalés (un diable avec des branchies ? Des insomnies qui volent et mordent ? un bateau qui se nourrit de bouteilles de pinard ? Vraiment, j'adore !).
Dans le même genre, ça me rappelle un peu le Voeu de L'Oye de GueuleDeLoup, je ne sais pas si tu as eu l'occasion de le lire ? Le ton est beaucoup plus léger que chez toi, les deux récits n'ont pas grand chose à voir mais on y retrouve un univers complètement déstabilisant avec une foultitude de détails très drôles et bien imaginés.
Je ne sais trop que penser des Beaux, pour être honnête. Ils ont un côté fascinant, bien sûr, mais j'ai l'impression qu'ils poursuivent leur propre objectif et que celui-ci n'est pas nécessairement dans l'intérêt d'Isaac.
Quant à la présence de ce mégalodon qui a failli couler l'Alshira en faisant fuir les sangliers, c'est plus que suspect. Je veux dire, quelles sont les probabilités que Mandraccio soit victime à deux reprises en si peu de temps d'un "accident" qui cible le navire sur lequel il se trouve ?
Tout ça est bien mystérieux et j'ai hâte de découvrir où tu vas nous emmener.
Au plaisir,
Ori
Toujours aussi fluide et captivant. Tout est clair, cohérent, précis. Un peu plus d'aventure et un peu moins d'humour dans certains passages, notamment l'attaque des sangliers et la conversation qui s'ensuit, où j'ai plus nettement senti qu'ailleurs l'influence d'une narration dans le style des jeux vidéos.
Ce qui est fort, c'est que tout semble léger, et pourtant j'ai cette inquiétude naissante : tout semble menaçant. Le fait que Philomena soit fâchée et distante aide d'ailleurs à créer cette ambiance où on sent qu'Isaac est seul face à l'univers.
So far, je ne suis pas fan de Spectre. Il est décrit comme bête, balourd, brusque, un peu brut de décoffrage. Pour autant, j'aime sa loyauté à son navire : il y a quelque chose qui me parle là-dedans. Le truc, c'est qu'il a été complètement éclipsé par les Beaux, qui me fascinent pour l'éternité. J'adore Isaac et je me le représente comme le scientifique à lunettes dans La Planète au Trésor. Philomena est au top, même si on l'a peu vue dans ce chapitre. La faucheuse n'existe pas encore dans ma tête, ni la dame qui crie en haut du mat. En revanche, je relate terriblement au nain, parce que bon moi si des sangliers attaquent le navire, je ne suis pas certaine de filer au combat, j'avoue.
— Où on monte à bord —
→ "A cette heure-ci" À
→ Un navire albinos <3
→ "Spectre, manifestement satisfait, fit demi-tour et se dirigea vers la bouche du navire." Tel que le paragraphe est construit, j'ai eu l'impression première qu'il était satisfait qu'elle donne ses valises aux Beaux. J'imagine que ce que tu veux dire c'est qu'il est satisfait qu'elle monte à bord ? Mais du coup, je ne suis pas convaincue que t'aies besoin de cette incise.
→ "s’assura qu’il n’avait pas pris l’eau, et suivit Philomela." Pas sûre que t'aies besoin de la virgule.
— Où on se fait attaquer par des sangliers qui sont en fait des limaces —
→ J'aime trop qu'Isaac écrive un paragraphe sur le fait qu'il ne doit pas trop écrire pour garder de la place, ça m'a amusée. C'est chouette qu'il n'ait pas assez de papier et que tu reviennes dessus après ; ça ramène à la réalité physique du pré-digital, quand on finissait un cahier et que ben il y avait plus de place pour écrire (dingue).
→ Je suis fan de Beaux. Ses noms, ses personnalités.
→ Des insomnies incarnées ! Ce sont des insectes ? J'adore ce détail.
→ "S’il ne trouvait pas de quoi s’occuper, il finirait par faire une folie comme ouvrir les caissons repêchés sur la Pénélope (dangereux, et stupide !) ou se jeter à la mer (froid !)." <3
→ "Leurs courses perspectives formaient une perpendiculaire quasi parfaite" Courses perspectives ? Respectives ? Gné ?
→ "Les bêtes avaient foncé tête baissé" tête baissée ?
→ "Il était maintenant de biais, les doigts de la main droite crispés sur son cordage, le bras gauche empêtré dans les siens." Je me suis perdue : quels siens ?
→ "Son groin tressauta, son pied frémit, il amorça un mouvement." Pas sûre, mais à l'instinct je dirais patte ?
→ "(en tous cas, c’était l’idée générale ; peut-être l’avait-il formulée de manière plus crue)" <3
→ Oui, c'est bien connu que les sangliers et les requins, c'est kif-kif.
→ "il se sentait vidé, épuisé et, oui, il devait le dire ! De très mauvaise humeur." Je trouverais ça plus clair avec le "d" en minuscule comme c'est la fin de la phrase.
→ "Qu’est-ce qu’il a, lui, à flageoler comme ça ?" Ahahahahahahaha j'adore.
→ "À priori." Pas d'accent sur le -a parce que c'est une locution latine.
→ " … Ou, tout du moins, aurait-il répondu, si à l’instant où il avait ouvert la bouche, l’air tout entier n’avait pas frémi autour d’eux." Je me dis... C'était une dernière phrase hyper classe de la part d'Isaac qui, le pauvre, a pas trop pu en placer une. Du coup, plutôt que de l'annuler a posteriori, et pour créer plus d'effet dramatique autour de ce nouveau tournant, et si ici ça disait juste "L'air tout entier frémit autour d'eux" ? ET DAM DAM DAM on s'accroche à nos sièges de nouveau.
→ "Isaac chercha par instinct la source du bruit entre les cordages." J'ai été confuse une demi-seconde parce qu'on vient d'entendre un bruit. Peut-être ici plutôt "voix" ?
→ "Isaac se rendit soudainement compte qu’il les observait d’un peu trop près, et il s’empressa de plisser les yeux et de froncer les sourcils pour donner l’illusion qu’il cherchait quelque chose dans le lointain." Ahahaha j'entends presque le sifflement des dessins animés. Je me demande si par ce paragraphe tu sous-entends qu'il y aurait un lien romantique entre Spectre et Tendre Pensée. Si oui, je me demande comment ça se gère logistiquement d'avoir Petit Mensonge et RUINE dans les parages tout le temps.
→ Ahahaha bonne idée de clore la scène par une chute comique sur le menu du soir.
— Où on nourrit le bateau —
→ "mais lequel ? Iels avaient la même voix…" J'ai lu ce que t'as expliqué à Ery sur l'emploi de Ils/Iels pour les Beaux, et j'avais fini par arriver à la même conclusion de mon côté, mais je me demande s'il y aurait une façon de clarifier pour que chaque lecteur ne se pose pas la question. Peut-être en remplaçant "mais lequel" par "Pensée ou Mensonge ?", comme ça on intègre au moins pour cette première fois que tu utiliseras Iels quand tu parleras de ces deux têtes-là ? (Par ailleurs, ce n'est pas le lieu pour poser la question, mais pourquoi "lequel" reste en forme masculine ? Tu ne voulais pas lui trouver une forme neutre ?)
→ Ery a déjà noté cale et bouchée, donc je remets juste les réfs au cas où : "quelques caisses à la calle" "le bateau finisse sa bouche"
→ "voler quelques unes" quelques-unes
→ Ohlala, j'adore le dialogue sur nourrir le navire. Sénile, placide, les dents, tout ça.
→ Ce mystère final o_o
C’est très chouette de voir se déployer peu à peu l’univers, après les indices placés çà et là dans les parties précédentes. La menace qui pèse sur Isaac depuis la signature du pacte avec ce diable est bien présente. L’ambiguïté de Spectre promet des aventures à venir. Enfin, on en sait un peu plus sur ces bateaux. Tous les détails mentionnés au fil du texte sont de petites touches savoureuses : le fait qu’ils puissent être « abattus » sur les Chantier, qu’ils puissent être albinos, qu’ils « mangent » de la clairette, qu’ils digèrent et que ça s’entend… La scène du nourrissage m’a particulièrement fasciné-e. Je suis partagé-e entre l’amusement et une forme d’horreur, au spectacle de ces dents qui croquent des bouteilles.
Je me demande si l’on rencontrera enfin les ombres, car elles sont à nouveau mentionnées – lorsque la Faucheuse est embrochée sur le navire, j’ai ressenti un danger terrible.
Les personnages me semblent plongés dans un univers menaçant de toutes parts (les ombres, les pactes, les naufrages, sans compter les dangers invisibles, incompréhensibles, que tu prends soin de rappeler en reparlant du rêve), je trouve ça très stimulant.
Je relève cette coquille qui ne t’a pas été signalée par EryBlack (ou c’est la façon de parler de Spectre ?) :
« montez […] qu’on a la lune » → qu’on ait ?
A bientôt !
Je suis content que l'univers te semble menaçant ou tout du moins dangereux, c'est ce que j'espérais. C'est très difficile à doser lorsqu'on est du côté de l'écriture, je trouve, parce que je sais déjà quels risques les personnages courent et quelles seront les conséquences de leurs actions, alors je ne sais pas comment le lecteur vit ces aventures. Moi, j'ai l'impression que tout est très bon enfant pour l'instant, c'est dire !
Content aussi que tu aimes les bateaux, je m'amuse beaucoup à les décrire, plus que ce que je pensais au départ d'ailleurs ^^ Je pense qu'à beaucoup d'égards, ils ressemblent à des chevaux ou des animaux de ferme. Là encore je n'avais aucune idée de comment les lecteurs réagiraient à leur apparition, puisque dans ma tête, ils sont maintenant tout à fait commun. C'est très intéressant d'avoir ton retour !
Et oui, effectivement, la formulation "que + pronom+ présent" est une formulation typique du sud-est (en tous cas de Haute Provence) que j'ai beaucoup entendue dans ma vie :p J'ai hésité à la mettre dans la bouche de Spectre parce que techniquement, ce sont les gens de Pyriade et des alentours qui exhibent un parler plus provençal, mais j'aime bien la cadence que ça donne, et c'est vrai que dans l'imaginaire collectif, ces constructions linguistiques sont des marqueurs sociaux et de classe qui sont quasi-impossibles à combattre (en tous cas, je pense). Je crois que ça aurait paru incongru, voire incohérent, si Isaac ou Philomela avaient parlé comme ça. Après, peut-être que ce sont mes biais personnels qui jouent, je sais que j'ai encore du mal à leur faire utiliser du patois alors que c'était mon postulat de départ : le provençal ferait partie de la langue de tous les jours. Bref, j'ai encore beaucoup de chemin à faire !
Merci encore pour ton retour, et passe une bonne journée !
Nothe
J'étais tellement ravie de pouvoir lire ce chapitre en entier que je l'ai dévoré rapidement à sa sortie ! Mais je voulais prendre le temps de noter de petites corrections à apporter niveau orthographe, du coup je n'ai pas commenté tout de suite. Je te liste tout ça en fin de commentaire. Le reste, ça va être très en vrac, désolée !
C'est toujours si fluide et agréable à lire, vraiment, ça donne l'impression que la longueur est quelque chose de très relatif. Il y a des tas de moments où je souris (voire, je glousse !) à certaines formulations, à la façon de présenter les choses qu'a Isaac ; des tas d'autres moments où je hoche la tête devant des phrases en mode "oh, joli coup !", c'est un régal quoi, du début à la fin, littérairement parlant et imagement parlant.
J'aime bien la façon dont tu attires l'attention sur les Beaux dans ce chapitre et sur le personnage de RUINE en particulier. Il me fait l'effet de quelqu'un qui tire les ficelles et qui pourrait se révéler un allié essentiel ou un antagoniste important. Je me demande aussi si les Beaux travaillent forcément ensemble aux mêmes objectifs ou s'ils peuvent avoir des désaccords, se dominer ou se manipuler les uns les autres (vu la réaction de Pensée et Mensonge quand RUINE parle). Le fait qu'ils ne mangent pas m'a sidérée, aussi ! C'est quelque chose de commun sur l'Euphrosyne ? Scientifiquement, c'est ahurissant, est-ce qu'Isaac ne devrait pas s'en étonner davantage ? Sinon, sur leur physique : "les trois têtes étant rattachées au même cou" ça contredit un passage plus haut où tu dis que l'un des Beaux tord le cou pour dévisager Isaac alors que les autres restent penchés. Tu veux peut-être dire qu'il n'y a qu'un seul cou qui part du tronc et qu'il se divise ensuite en trois petits cous ?
Sur la scène des sangliers : déjà, j'ai vraiment aimé la lire, je la trouve réussie, tension, humour puis re-tension, ça me plaît beaucoup. Quelques questions de pinaillage :
- "si les sangliers s'agitaient, il serait le premier à tomber" : ça ferait quoi que les sangliers s'agitent ? le bateau remuerait ?
- "ne les laissez pas se disperser" : je ne saisis pas bien la nature du danger. Les sangliers sont dangereux parce qu'ils foncent et qu'ils risquent de tout casser, mais est-ce qu'il y a autre chose qui inquiète les Beaux ?
- "Les sangliers l’ont faite tomber et l’ont récupérée." Ah, alors est-ce que les sangliers n'agissent pas que par instinct mais par calcul aussi, et cherchent activement à entraîner des gens / des choses dans l'eau avec eux ?
- le moment ensuite avec le serpent de mer : tension hyper cool. Pourquoi se cacher, cependant ? Le bateau doit être très visible, quel intérêt de se dissimuler ? (ou alors c'est juste un truc instinctif de peur ?)
- la réaction de Philomela après la prise de risque d'Isaac me questionne vachement sur ce qu'elle attend de lui en tant qu'associé. Je te l'ai déjà dit, j'adore que cette question-là se dévoile lentement par petits morceaux, la nature de ce partenariat m'accroche énormément !
Et de la scène de fin entre les Beaux et Isaac, je retiens donc la place spéciale de RUINE, la violence du sentiment de honte/fardeau ressenti par Isaac (hmmm je veux savoir ce qu'il a vécu avant pour être si sensible à ce genre de sentiment), et puis je commence à me demander si Spectre est vraiment un diable ou s'il n'en a que l'apparence (partielle, en plus, vu qu'Isaac insiste sur ses caractéristiques particulières), auquel cas ça voudrait dire que le pacte ne repose sur rien du tout et ça expliquerait pourquoi le serment était aussi bricolé. C'est la façon dont les Beaux en parlent qui me met la puce à l'oreille. Par ailleurs, Spectre me fait énormément rire dès qu'il ouvre la bouche <3 Un autre truc sur cette scène de fin : "Isaac en sursauta presque. Iel se souvenait des détails de son serment ! Allait-iel mettre Spectre au courant ?" : la formulation me confuse un peu. De quoi Isaac craint qu'iel mette Spectre au courant ? Il a peur d'être pris en défaut et soupçonné de ne pas vouloir remplir sa part du pacte alors que c'est faux, ça d'accord, mais je ne saisis pas ce qui, dans ce début de dialogue à ce sujet, ravive cette crainte. (par ailleurs je sais pas si ça a été dit dans le chap sur les diables : si la personne qui a passé le pacte s'enfuit tout simplement, est-ce que le châtiment s'exerce quand même ou il faut que le diable lui colle aux basques ?)
Comme dit... c'est en vrac. J'ai vraiment adoré, j'ai hâte de lire la suite, de découvrir Pyriade et tout ! Je crois que je pinaille pas mal ou en tout cas que j'essaye de poser le doigt sur tous les trucs qui m'ont paru améliorables, parce que l'ensemble est tellement solide, cool, abouti <3 J'espère que c'est pas décourageant, je fais ça aussi parce que je sais que tu es attentif aux détails et à soigner les choses. J'aurais le double à dire sur tous les trucs que j'ai trouvés géniaux et je me réjouis de pouvoir en parler de vive voix :D Y a tellement de détails riches dans les interactions, qui révèlent des tas de trucs, c'est croustillant comme un mille-feuilles (avec un goût de pain au chocolat aux amandes <3).
Je te laisse les relevés orthographiques et je te dis merciiii de partager cette histoire ici, compte sur moi pour la suite !
"A cette heure-ci" À
"Les Beaux, ..., s’était approchés"
"utiliser les rênes, les mords" mors
"jusque là" jusque-là
"tous les travaux manuels auxquels il était habitué lui étaient quasiment impossible" impossibles
"attelé aux tâchés"
"l’obscurité moite des calles" cales (le mot apparaît erroné plusieurs fois, y compris au singulier)
"ce qui explique l’état dans laquelle" lequel
"Ils doivent être une mile d’ici'
"restez en retrait au cas où il aurait des blessés graves"
"dans ces moments là" moments-là (puis plus loin ce moment là, idem, faut un tiret)
"Ils avaient un mousquet à chaque main, et bien que leurs têtes semblaient surveiller le pont" pb de subjonctif : normalement, "bien que leurs têtes semblassent (sub imparfait) ou semblent (sub présent, les deux marchent)"
"tout les os d’Isaac"
"je l’aurai su" : aurais
"ces trois là" trois-là
"un trop plein d’émotions" trop-plein
"moins qu’il ne le ressentait" manque un point à la fin
Je ne suis pas sûre, mais je crois que pour désigner les Beaux, tu dis parfois "ils" et parfois "iels" (au pluriel en tout cas)
"quelques unes" quelques-unes
"que le bateau finisse sa bouche" bouchée ?
spotted : un double espace
"Ou est-ce vous qui nécessitez ses services ?" je pense que c'est un anglicisme d'utiliser "nécessiter" dans ce sens-là
Ne t'en fais pas pour les commentaires "critiques", je suis content que tu pointes tout ça du doigt et en plus c'est que des choses qui font réfléchir. Donc merci :)
Effectivement, j'ai un peu poussé les Beaux au centre de la scène dans ce chapitre ! Ce n'était initialement pas prévu, mais j'avais l'impression que les lecteurs avaient beaucoup retenu Spectre et pas du tout ses compagnons (ce qui ceci dit est très normal puisque je crois que je ne donne même pas leurs noms dans le chapitre 2). Donc j'ai poussé Spectre hors-champ et laissé le micro à d'autres :p Quelque part, ça m'aide aussi à mieux les cerner. Tu as raison de te poser des questions sur leur mode de fonctionnement et leurs personnalités - c'est facile de penser qu'ils ne sont "qu'un personnage" (c'est d'ailleurs le cas dans mon doc plan), mais en fait, ce sont bien trois personnages différents qui partagent le même corps. Du coup ça peut laisser place à des conflits, oui :) (et oui, cette histoire de cou est plus claire dans ma tête, je vais devoir préciser ! C'est bien ça l'idée, trois cous rattachés au même tronc. Je posterai un petit dessin bientôt sur mon JdB !)
Je vais répondre à tes questions un peu à la suite, désolé pour l'aspect liste ! Mais sinon je vais me perdre x_x
- J'imaginais que si les sangliers faisaient du grabuge sur le pont/s'attaquaient aux mâts ou aux haubans, Isaac étant moins haut, il serait davantage en danger. Je me rends compte maintenant que c'est stupide parce que c'est pas parce que tu as grimpé haut que tu résistes mieux aux secousses :p Je remanierai ce passage.
- "L'ont faite tomber" - c'est une erreur de langage de ma part, effectivement l'utilisation de "l'ont faite tomber" donne l'impression que c'était voulu, alors que je voulais bêtement dire "elle est tombée à cause d'eux". Mais quelque part, ce ne serait pas incohérent avec d'autres trucs plus tard qu'il y ait une volonté de noyade... Mais dans ce cas, il faut que ce soit plus explicite dans le passage. J'y réfléchirai, merci beaucoup !
- L'équipage qui se baisse sur le bateau, je le voyais comme une réaction de peur, effectivement. Ils ne savent pas ce qu'il y a dans l'eau à ce moment-là ni ce que ça cherche. Instinctivement, je pense qu'ils essaient de se faire tous petits, même si le bateau reste très visible. Mais tu as raison que la futilité du geste pourrait effleurer l'esprit d'Isaac !
- Je suis content que Spectre te fasse rire ! J'avais un peu peur qu'il fasse trop brutasse après tant de temps passé avec Isaac et Philomela qui sont quand même bien sages :p Pour le coup du serment, l'idée c'était qu'Isaac se dise "le voyage s'est bien passé, mais si ça se trouve c'est juste parce que Spectre n'a pas vu la faute dans ma promesse, est-ce que les Beaux vont cafter ?", mais je crois que même pour moi ce n'était pas clair. Comme à la base c'était une scène entre Spectre et Isaac, j'ai tout rebricolé un peu vite et je crois que certains éléments sont devenus obscurs. Je m'y repencherai. (et pour le serment : techniquement, oui, il faut que la partie fautive avoue son erreur pour que le châtiment s'opère ! Habituellement, ce genre de détails sont couverts dans un serment "normal" (blablabla je promets de ne pas m'enfuir avant d'avoir complété ma tâche blablabla) mais... :p)
- Oh là là les fautes d'orthographe à cales par contre c'est honteux, dans un truc qui parle de bateaux quand même x_x Merci d'avoir relevé ça c'est quand même pas joli joli. Pour le ils/iels des Beaux, normalement j'utilise ils quand je parle des trois ensemble, et iels quand j'exclus RUINE. Iel n'est utilisé que pour dénoter un neutre de genre, pas un neutre inclusif - pour ça, j'ai gardé le il.
Et trop choqué d'apprendre qu'on ne dit pas "finir sa bouche" :O C'est peut-être une formulation familière, j'ai toujours dit ça perso ! Je changerai pour bouchée, mais ça m'a mis un coup sur la caboche d'apprendre ça !!
BREF, merci beaucoup de toujours répondre présente si rapidement, je t'en suis vraiment reconnaissant !! Bisous bisous et à bientôt :*