Le lendemain matin, les trois Flammes se réunirent dans l’ancienne salle du trône qui avait été réaménagée en salle de réception. Elles portaient une longue toge blanche avec une bande rouge et jaune aux couleurs de la ville de Spyr. Chacune d’elles était assise sur un fauteuil portant un symbole représentant leurs fonctions : une épée pour la guerre, une plume pour l’administration et une torche pour la foi. Des gardes du palais en tenue de cérémonie étaient positionnés de part et d’autre des immenses colonnes soutenant l’édifice. Plusieurs spectateurs étaient déjà présents, des nantis de la cité ainsi que les familles des gardes nouvellement promus. Des domestiques s’affairaient aux derniers préparatifs en s’assurant que tout soit bien en ordre avant l’arrivée des soldats. Au bout de quelques minutes, un cor retentit et les discussions cessèrent aussitôt. Les portes de la salle s’ouvrirent et un peu moins d’une cinquantaine d’hommes armés précédés par Odric entrèrent dans la grande salle. Ils marchèrent d’un pas cadencé jusqu’au centre de la pièce et avant de s’agenouiller en arc de cercle devant les Flammes. Odric prit alors la parole :
— Ô grandes Flammes de Spyr, j’ai l’immense honneur de vous présenter de nouveaux gardes souhaitant entrer à votre service. Chacun de ces hommes a su prouver sa valeur et sa détermination durant de nombreuses épreuves. Ils sont fins prêts à prêter serment.
Laris se leva et s’avança. C’était à lui ou à Atrius qu’il revenait d’honorer ces nouveaux soldats. Afin de dissuader une prise de pouvoir par la Flamme de la Guerre, les deux autres Flammes disposaient des gardes du Palais pour assurer leur protection. N’ayant aucun contrôle sur cette troupe singulière, Sirius avait jugé utile d’y faire nommer Odric comme instructeur, un homme droit en qui il avait toute confiance.
Un des soldats s’avança et vint s’agenouiller devant Laris. Il avait l’air impressionné par la cérémonie et peinait à garder ses moyens.
— Dis-moi, soldat. Quel est ton nom ?
— Li… Liam messire.
— Très bien, Liam. Es-tu prêt à prêter serment ?
— Je le suis !
Malgré son air penaud, Sirius pouvait depuis sa chaise lire la détermination sur son visage. Laris fit alors signe à deux gardes de venir lui apporter une cape rouge, un casque à crête et une flamberge, arme mythique utilisée lors des cérémonies. Par la suite, il énonça le serment suivant d’une voie solennelle que Liam répéta :
Je jure de ne jamais faire preuve de lâcheté et de rester droit et noble dans mes missions et mon comportement.
De m’adonner corps et âme à la tâche qui sera mienne sans négligence ou paresse.
De recourir au sacrifice ultime pour protéger la cité de Spyr et ses habitants.
Je suis la lance qui pénètre le cœur de l’obscurité.
Je suis le bouclier qui protège les Justes de la souillure.
Je suis le glaive qui s’abat sur les ennemis de la foi.
Que Pyra guide ma lame et mes actions et qu’un feu ardent brûle dans mes veines.
Dès aujourd’hui et jusqu’à l’embrasement des cieux.
Atrius avait souhaité modifier le serment il y a quelques mois dans l’intention de lui donner un tour plus religieux. Sirius n’en voyait pas l’intérêt, mais ça n’eut pas l’air de déranger Laris qui accepta sa requête.
Dès que Liam eut terminé de prêter serment, il passa la cape autour de son cou et la fixa à son plastron cuivre. Il lui posa le casque sur la tête et termina en lui tendant l’épée ondulée avant de crier :
— Debout, Liam ! Debout, gardien de Spyr !
Liam se releva sous les applaudissements sans parvenir à cacher la joie sur son visage. Il partit rejoindre les gardes du palais qui l’accueillirent en souriant à grand coup d’accolades. Un nouveau soldat vint alors s’agenouiller devant Atrius qui lui demanda son nom.
La cérémonie se termina par un grand discours et encore des applaudissements, puis les soldats sortirent célébrer leur nomination. Les Flammes ne profitèrent pas des festivités et enchaînèrent directement avec la réunion du Sénat qui fut sans grand intérêt. Des sujets touchant à la vie courante de la cité et à une sombre histoire de dette entre deux sénateurs y furent abordés. Malgré les arguments convaincants de Sirius, les fonds alloués à ses recherches militaires furent diminués de moitié. Peu de personnes s’offusquèrent contre la suppression du traditionnel dîner d’union des sénateurs.
Le Sénat était une invention de la République et se situait dans un amphithéâtre construit à cet effet. Initialement, uniquement, les hommes qui faisaient partie de l’aristocratie du temps de l’ancien roi pouvaient se voir attribuer le titre de sénateur. Face à la protestation de certains nantis, l’on décida d’ouvrir le poste à tous les citoyens ayant les moyens de s’acquitter d’une taxe spécifique. Ainsi, de tous les habitants de Spyr, il ne devait n’y avoir qu’environ trois cents hommes portant le titre de sénateur. La plupart provenaient de familles proches ou lointaines et les intérêts de la lignée passaient bien souvent avant ceux de la cité.
Sirius s’en alla lorsque le débat tourna autour de la cérémonie de Novi-Fyr, sa présence n’étant plus nécessaire. Les sénateurs n’étaient pas formellement tenus d’assister aux réunions et l’amphithéâtre était bien souvent à moitié vide lors des discussions sur des sujets de seconde importance. Beaucoup prenaient Sirius pour un autodidacte, un homme libre ayant, par la force de son caractère, réussi à s’imposer jusqu’au sommet. Son âge encore jeune et son relatif manque d’intérêt pour la politique lui donnaient parfois l’impression de s’effacer devant les autres Flammes. Mais ses discours savaient convaincre et il dégageait une aura naturelle de confiance et d’autorité. Et pourtant, Sirius était tout sauf un homme libre. Il s’en rendait bien compte à chaque fois qu’il s’arrêtait devant la villa familiale des Dometor afin d’y rencontrer son père.
C’était une villa imposante dans l’un des quartiers les mieux lotis de Spyr. Une armée de domestiques y travaillait, s’acharnant à garder la maison dans un état irréprochable. Depuis la mort de sa mère, seul son père, Prosper Dometor y habitait. Pour autant, il était rarement seul et presque chaque jour une connaissance venait lui rendre visite pour le tenir informé de la vie de la cité ou lui demander son aide.
Sirius toqua à la porte et un domestique vint lui ouvrir en l’informant que son père l’attendait dans les jardins. Il parcourut la villa richement décorée avant de le rejoindre. Ce dernier était en pleine lecture et ne leva même pas les yeux lorsque son fils arriva.
Prosper était un homme dans la soixantaine aux cheveux blancs et au tempérament froid et acariâtre. Doté d’un esprit vif, mais que l’âge avait rendu irritable, il se dégageait de tout son être une sorte de grandeur passée qui se reflétait dans sa prestance et sa confidence en toutes circonstances. Il avait été l’un des instigateurs du renversement du roi Aurel et la première Flamme de la Guerre pendant de longues années avant de laisser la place à son fils. Pas un seul Spyrien ne connaissait pas son nom. Il s’était fait de nombreux ennemis durant ses années au pouvoir avant d’officiellement se retirer de la vie politique de la cité. Mais tout le monde savait qu’il continuait d’agir dans l’ombre.
La relation entre Sirius et son père avait toujours été compliquée. Il lui avait tout appris, du commandement d’une armée en passant par les subterfuges de la vie politique ainsi que les bases en algèbre, histoire et religion. Pourtant, malgré ses brillants succès, il n’avait jamais lu autre chose que de la déception ou du désintérêt dans ses yeux. Comme si aucune de ses actions n’était à la hauteur de ses attentes. À chaque fois, il lui en demandait toujours plus et Sirius faisait tout son possible pour le satisfaire. La mort de sa femme Miria n’avait pas arrangé les choses et il semblait désormais s’être enfermé dans une sorte de lassitude où plus rien n’a vraiment d’importance. Cependant, il souhaitait toujours que Sirius lui donne de ses nouvelles et lui raconte ses dernières avancées ou prise de bec avec le Sénat.
Sirius s’assit sur une chaise en face de son père et se mit à tripoter son pendentif. Il lui permettait toujours de se détendre lorsqu’il était stressé, comme à chaque entretien avec son paternel. Après de longues minutes, Sirius se décida enfin à briser le silence :
— Vous avez demandé à me voir ?
— Comment se sont déroulés les essais à l’atelier hier ? Répondit Prosper d’une voix ferme.
— À vrai dire, très mal. Je crains bien que mes projets ne tombent dans l’oubli.
— Et donc, pourquoi as-tu proposé à des sénateurs et généraux d'assister à ce fiasco ?
— Je pensais que les essais seraient concluants. C’était l’occasion de convaincre les sénateurs présents de l'utilité de mes travaux.
— Et au lieu de cela, tu t’es ridiculisé. Prosper leva les yeux et fixa Sirius du regard. Je te l’ai pourtant déjà expliqué des centaines de fois, n’entreprends jamais quelque chose avant d’être sûr de réussir. Tu aurais dû organiser ces tests à huis clos afin de te rendre compte de leur échec avant d’en faire profiter toute la cité.
Sirius soupira, mais Prosper continua sans lui laisser le temps de répondre.
— Écoute-moi bien, Sirius, peu de gens ont la chance d’occuper le poste de Flamme à ton âge. Beaucoup de personnes t’envient et te respectent, je m’en suis assuré, mais certains continuent de te voir comme une menace ou un imposteur. Et avec de telles maladresses, tu donnes du grain à moudre aux Aretius. Je suis certain que Laris est déjà en train de réfléchir à la meilleure façon d’en tirer profit.
— Père…
— Je suis certain qu’il va profiter de Novi-Fyr pour trouver un moyen de mettre des sénateurs du côté des Adorateurs dans sa poche. J’ai bien quelques contacts parmi les prêtres que je peux relancer, bien que je doute que cela ne soit suffisant, à moins que je n’en parle à certains sénateurs endettés…
Prosper était toujours comme ça. Comploter et imaginer le pire faisaient partie de sa nature et il était rarement aussi malheureux qu’éloigné des ragots et entourloupes de la vie politique. Voilà pourquoi, même durant sa retraite, il continuait chaque jour de veiller au succès de son fils, quand bien même ce dernier s’en serait passé.
— Père ! Renchérit Sirius. Je vous remercie pour vos conseils avisés, mais si vous n’avez pas d’autres remarques, je dois m’en aller. Il me reste encore beaucoup à faire au Palais.
Alors qu’il allait se lever, Prosper lui attrapa le bras.
— J’ai croisé l’ambassadeur de Dérios hier, tu n’es pas sans savoir qu’il compte organiser un bal la semaine prochaine ?
— Je suis au courant, en effet.
— Je sais que tu détestes ce genre de réunion, mais j’aimerais que tu y assistes pour une fois.
— Mes obligations militaires passent avant celles mondaines, et tu le sais.
— S’il te plaît, je ne te le demanderai pas, si ce n’était pas important.
Il était rare que son père ne le supplie de quoi que ce soit et Sirius en fut légèrement décontenancé.
— J’y songerai, père, répondit-il avant de se lever.
Il quitta les jardins et sortit de la villa, laissant son père à ses complots et autres entreprises politiques. Sirius continuait régulièrement à lui rendre visite malgré ses remarques acerbes et sa désobligeance à son égard. C’était la seule famille qu’il lui restait et bien que des bruits couraient depuis toujours sur son adoption, Prosper les avait toujours qualifiées de fausses rumeurs visant à ternir sa réputation. En effet, contrairement aux autres membres de sa famille, il était le seul à avoir des cheveux blonds et les yeux bleus. Sirius avait déjà essayé de questionner plus sérieusement son père à ce sujet, mais il avait toujours su esquiver la question en avançant qu’il le considérait comme son véritable fils, un Dometor. Voyant qu’il n’obtiendrait jamais de réponse, Sirius avait peu à peu laissé tomber. Cela dit, l’état de son père l’inquiétait depuis quelques jours. Il paraissait plus fatigué que d’ordinaire, ses remarques se faisaient plus douces et sa voix lui semblait lourde de regrets. Devait-il se rendre à ce bal ? Après tout, son père y tenait et il était utile de conserver de bonnes relations avec Dérios. Mais l’idée de passer la soirée à porter un masque de courtoisie en compagnie de gens qu’il abhorre ne l’enchantait guère. Pour l’heure, la journée était déjà bien avancée et Sirius se dirigea d’un pas pressé vers le palais.
Le monde et surtout le personnage de Sirius continuent de se montrer.
C'est calme mais on sent la tension.
On voit qu'il veut quand même bien faire pour son père.
La cérémonie pour devenir gardes était vraiment chouette avec les paroles :)
Petite suggestion :
"J’ai croisé l’ambassadeur de Dérios hier, tu n’es pas sans savoir qu’il compte organiser un bal la semaine prochaine ?" le sens de la phrase ne porte pas vers une question mais vers une affirmation. Peut-être ajouter "n'est-ce pas ?"
je continue :)