Chapitre III : La réunion des Flammes

L’aube pointait à peine, mais Spyr flamboyait déjà. La cité était inondée d'une clarté éblouissante causée par les rayons du soleil se réverbérant sur les toitures en terre cuite des habitations. Comme à son habitude, Sirius était sur les balcons du palais et observait la cité s’éveiller doucement en contrebas. Les troupes d’Atrius parties en expédition étaient rentrées il y a plusieurs jours déjà dans un état lamentable. Au vu de leur nombre et des premières nouvelles qui lui étaient parvenues, ils avaient subi une cuisante défaite. Sirius se demandait si cette intervention à Dérios en valait bien la peine. Dans tous les cas, Atrius aurait à s'expliquer lors de la réunion des Flammes qui se tiendra dans la soirée.

Mais cela ne le concernait que peu. Sirius était bien plus préoccupé par les agissements de Laris. Si Claude avait dit vrai, il ne tarderait pas à passer à l’action. Le fils de l’ambassadeur était toujours emprisonné sous bonne garde pour avoir osé lever la main sur lui. La nouvelle s’était rapidement ébruitée et Rigas l’avait déjà sollicité à plusieurs reprises pour obtenir un entretien. Jusqu’à présent, Sirius avait évité de répondre en avançant divers prétextes, mais la vérité était que lui-même ne savait pas vraiment comment procéder. Il manquait toujours d’appuis au Sénat après l’échec cuisant de leur conspiration et la plupart de ses soutiens étaient retenus prisonniers par Atrius, certainement sur les ordres de Laris.

Par-dessus tout, les révélations de la lettre de son père continuaient de le hanter. S’il était vraiment le fils caché du roi Aurel, alors une telle information pourrait embraser le Sénat, non la cité tout entière. Il regrettait d’avoir jeté la lettre dans les flammes. La rage l’avait aveuglé et lorsqu’il avait voulu récupérer le document, il n’en restait que des cendres. Peut-être que Pyra aurait pu l’aider à réparer cette erreur, mais à son plus grand désarroi, la déesse ne s’était pas manifestée depuis leur dernière rencontre.

Sirius s’habilla en vitesse, prit un petit-déjeuner frugal et se mit à arpenter les rues de Spyr. Il n’en tenait plus à passer ses journées enfermé chez lui et avait besoin de prendre l’air. De plus, en tant que Flamme de la Guerre, il mettait un point d’honneur à prendre lui-même des nouvelles des soldats revenants des combats, quand bien même ils n’étaient pas sous son commandement. Durant sa balade, il remarqua plusieurs hommes qui le filaient, certainement des agents à la solde de Laris. Il arriva néanmoins sans encombre jusqu’à la caserne où se trouvaient les soldats partis en mission à Dérios. La première chose qui le marqua fut leur nombre. Trop peu étaient revenus et les rescapés étaient tous mal en point. Il s’approcha d’un groupe de soldats qui se levèrent avec peine pour l’accueillir.

— Restez assis, leur dit Sirius. Où se trouve le général Pictor qui vous accompagnait.

Les hommes se lancèrent quelques regards gênés, puis l’un d’entre eux finit par répondre.

— Il est mort. Votre honneur.

— Au combat ?

— Je n’ai pas assisté à la scène, mais certains disent qu’Atrius l’aurait tué lui-même.

— Atrius ? Pour Quelle raison ?

— Ce lâche voulait nous laisser faire tout le travail. Ses hommes nous ont laissé mourir là-bas et quand le général Pictor s'y est opposé, il lui a simplement tranché la gorge.

— Vous plaisantez ! ?

Voyant que les hommes avaient l'air on ne peut plus sérieux, il laissa exprimer sa colère.

— Quelle ordure ! Comment ose-t-il ! ? Et un incapable pareil se retrouve à porter le titre de Flamme !

Alerté par le bruit, un capitaine vint à sa rencontre. Il portait un bandage ensanglanté autour du front et avait les traits creusés par la fatigue.

— Votre Excellence, que nous vaut votre présence ici ?

Sirius fit un effort pour se calmer avant de lui demander :

— J'ai appris ce qui était arrivé au général Pictor. Racontez-moi tout.

— Atrius nous a dupés. Il a attendu que nous lancions l'assaut sur le fort et que notre première vague soit totalement anéantie pour intervenir. Ses gardes du palais ont chargé telles des bêtes vers leur cible. On a bien essayé de se reformer et d’avancer en formation, mais c’était peine perdue, leurs hommes n’en faisaient qu’à leur tête. Certaines des boules de feu lancées par leurs prêtres touchèrent même des zones de fort déjà passées sous notre contrôle. À l’aube, l’on a été surpris par la cavalerie envoyée en renfort par Dérios, ce fut un vrai carnage.

Sirius écouta passivement son discours, mais il bouillonnait à l’intérieur. Il n’en revenait pas de la façon dont il avait osé traiter ses hommes.

— Et cet Ordre, comment était-il ?

— Ce sont des combattants aguerris, pour la plupart avec une discipline de fer. Ils avaient préparé l’endroit en prévisions et le fort était truffé de pièges et de barricades. On aurait pu les vaincre si Atrius n’avait pas imposé une marche forcée à nos hommes pour les rattraper. Seuls les gardes du Palais étaient encore pleins d’énergie pour se battre, mais ces hommes ne sont pas humains.

— Je vois, dit-il. Reposez-vous, vous l’avez bien mérité. Je ferai mon possible pour qu’Atrius paie pour ses crimes.

Il allait s’en aller lorsque le capitaine ajouta :

— Beaucoup ici pensent que vous devriez agir. Nous ne faisons confiance à aucune Flamme, mais vous, nous vous suivrons.

Sirius hocha la tête sans dire un mot puis se dirigea vers la sortie de la caserne sous le regard lourd des soldats.

À peine fut-il rentré au palais qu’il tomba nez à nez sur Laris. La Flamme de la Plume avait plusieurs ouvrages entre les mains et semblait occupée à des tâches administratives. Il lui lança un sourire froid et courtois que Sirius ne rendit pas, il en avait plus qu’assez de faire semblant.

— J’espère que vous passez une bonne journée, Sirius.

— Je ne dirais pas cela, je viens de rendre visite à ce qu’il reste de mes hommes. La plupart sont morts à cause de l’incompétence d’Atrius.

— C’est fort regrettable, en effet, mais il en est rarement autrement à la guerre. Au fait, j’ai échangé quelques mots avec Rigas. Quand comptez-vous libérer son fils ? Sa captivité nuit grandement aux relations entre Spyr et Dérios.

— Il s’en est pris à une Flamme de la République, il devra donc attendre son jugement en prison. Et ce sont des troupes de Dérios qui ont mis en déroute nos hommes, alors croyez bien que la crise que cela entraîne entre nos deux cités m’est parfaitement égale. Que cela n’en déplaise à vos complots avec l’ambassadeur de Dérios.

— Je vois, nous en parlerons au conseil, mais vous comprenez que cette situation ne peut pas durer plus longtemps et que, d'une façon ou d'une autre, le fils doit rejoindre le père.

Laris le salua de nouveau et ils continuèrent tous deux leur chemin sans se retourner. Il comprenait pourquoi son père le détestait à ce point de son vivant. Lui-même ne ressentait plus que de la haine et du dégoût lorsqu’il lui adressait la parole.

Sirius passa le restant de la journée dans ces quartiers. Laris avait raison sur un point. Cette situation ne pouvait plus durer. Il envoya donc une missive à Rigas annonçant qu’il acceptait de le recevoir demain soir pour discuter du cas de Claude. Ce n’est qu’au crépuscule qu’il ressortit pour se diriger vers la terrasse surélevée où se déroulait habituellement leur conseil. Les deux autres flammes étaient déjà là, assises autour de la fameuse table en pierre, et le brasero central brûlait comme à l’accoutumée. Sirius prit place sur sa chaise et il eut un long silence durant lequel les trois Flammes se jaugèrent du regard. Finalement, Laris finit par prendre la parole :

— Au vu des récents événements, nous avons plusieurs points de tensions à aborder. Je voudrais commencer par nos relations avec Dérios. La situation est critique, nos troupes se sont directement affrontées au Tertre blanc et le fils de l’ambassadeur est toujours retenu prisonnier en ce moment même.

— Qu’est-ce que cela peut faire, répondit Atrius. Ils se sont alliés à l’Ordre des Brûlés et sont donc nos ennemis à présent.

— Peut-être que si vous les aviez avertis en amont, ils auraient accepté de coopérer ?

— Ou bien, ils les auraient aidés à s’échapper en les prévenant de notre arrivée. Le culte de Pyrel est très influent à la cour de Dérios et leurs membres ne cessent de s’opposer à nos prêtres. Non, cela n’aurait fait qu’empirer la situation.

— Plus qu’elle ne l’est déjà ? Demanda Sirius. Combien sont revenus au juste ? Et qu’est-il arrivé à Pictor ?

— Cet incapable a eu ce qu’il méritait. Il était totalement incompétent.

— Comment avez-vous osé faire une chose pareille ? ! C’était un très bon soldat ! Il y a encore des lois dans cette cité et le Sénat en entendra parler.

— Il ne faisait que gêner, j’ai fait ce qu’il fallait pour sauver la situation.

— Mais vous avez échoué, il me semble, fit remarquer Laris. Ce soi-disant ordre est toujours en vie.

— Ils sont encore vivants, c’est vrai, mais ils ne constituent plus une réelle menace. De plus, leur cheffe est en ce moment même retenue captive par mes gardes.

— Les gardes du Palais, vous voulez dire, le corrigea Sirius en soulignant le lapsus.

— La cérémonie de Novi-Fyr aura lieu dans quelques jours, continua Atrius sans prêter attention à sa remarque. Elle servira d’offrande pour Pyra à l’occasion. Un bûcher est déjà en train d’être dressé sur la place du Temple.

— Les sacrifices ont été abandonnés, il y a bien longtemps. Vous ne comptez tout de même pas réinstaurer cette pratique barbare ?

— Pyra saura reconnaître ce cadeau. C’est une déesse très capricieuse qui demande de nombreuses offrandes.

Sirius ne put s’empêcher de sourire. C’était en effet l’impression que Pyra lui donnait à chacune de ses visites.

— Sirius a raison, s’exclama Laris. Je comprends qu’il vous faille venger la mort de tous ceux tombés au combat, mais les sacrifices humains ont été arrêtés pour une bonne raison.

— Au contraire, trop longtemps les habitants de cette cité se sont détournés de la véritable foi. Déjà sous le règne d’Aurel, Spyr n’était que l’ombre d’elle-même, et depuis le passage à la République, la religion est la seule chose qui maintient encore un semblant de cohésion et de stabilité dans ce pays. Si je n’avais pas passé ces dernières années à arpenter le pays pour traquer et détruire chaque foyer païen, il y a longtemps que l’empire aurait implosé.

— Gardez vos prêches pour la plèbe, le sermonna Laris. Nous sommes tous conscients du rôle que jouent les Adorateurs du Brasier, mais il est normal lors d’un changement de régime qu’il ait quelques tensions. Des nostalgiques ou des opportunistes sont toujours prêts à sauter sur n’importe quelle occasion pour s’emparer du pouvoir. Surtout lorsqu'ils sont bien plus que ce qu'ils prétendent êtres.

Il tourna son regard vers Sirius et ce dernier frissonna. Se pouvait-il que Laris soit au courant de sa véritable paternité ? Comment l'aurait-il su ? Il avait beau le sonder de toute part, Sirius n'arrivait pas à savoir à quoi pensait le vieux sénateur qui gardait une expression de neutralité inflexible.

— Quoi qu’il en soit, continua-t-il. Cette pratique est désuète et doit le rester. La République est censée faire le neuf, apporter du changement, non retomber dans le passé.

— Vous ne comprenez pas, répéta Atrius. Des gouverneurs de tout l’empire seront présents ainsi que des représentants des cités voisines. Il faudra frapper fort pour marquer l’unité et leur appartenance à la République. L’exécution d’une fautive ayant comploté contre Spyr permettra d’envoyer un avertissement et de galvaniser les foules. Personne ne pleurera sa mort et tous reconnaîtront la puissance et la fermeté de notre cité.

Sirius réfléchissait. En effet, Novi-Fyr était l’occasion d’agir, beaucoup de soldats seraient présents dans la capitale pour la cérémonie. Il pouvait se saisir de l’occasion pour accuser publiquement Laris de comploter avec Dérios. Des preuves suffisamment crédibles pouvaient justifier une prise de pouvoir par la force, mais Laris profiterait sûrement de l’occasion pour tenter la même chose de son côté en révélant le complot de Prosper. La vraie inconnue dans l’équation était Atrius. Sirius savait qu’il se constituait progressivement une armée avec les gardes du Palais. Même si leur nombre avait été lourdement réduit suite à son expédition, il disposait encore d'une bonne troupe capable de contrôler la ville. Pourtant, il semblait moins intéressé par l'idée de contrôler le Sénat que par celle d'augmenter l’influence des Adorateurs du Brasier auprès des habitants. Cela l’inquiétait également, mais beaucoup moins que Laris. Après tout, Pyra lui avait garanti qu’elle était de son côté et Sirius lui faisait confiance.

— C’est d’accord, soupira Sirius. Si cela peut satisfaire Pyra. En revanche, il faudra que cela ressemble à une exécution plus qu’à un sacrifice. Et également déployer des légionnaires pour encadrer la place et s’assurer que personne ne s’approche du bûcher. Les gardes du Palais risquent déjà d’être fort occupés.

Les yeux d'Atrius s'illuminèrent pareils à ceux d'un enfant dont l'on vient d'accepter le caprice.

— Fantastique ! Vous faites le bon choix, Sirius.

— N'allez pas croire que je vous pardonne pour ce que vous avez fait à Pictor. Je parlerai de votre cas au Sénat dès que la cérémonie sera terminée.

Laris se montra plus hésitant, voyant qu’il était isolé. Il finit par accepter.

— C’est d’accord, dit-il. Mais pas de débordements, n’en profitez-en pas pour tenir une messe publique qui risque de s’éterniser.

— Assurément.

— Bien pour en revenir à Dérios, Sirius, vous ne pouvez pas garder Claude enfermé plus longtemps. Rigas l’a déjà fait remonter à sa reine et cela ne fera que l’irriter davantage. Déjà qu’elle n’est pas connue pour son tempérament de velours.

— Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà prévu un entretien à ce sujet avec Rigas. Je lui remettrai son fils à condition qu’il paie une réparation symbolique. Je propose de renforcer les patrouilles aux frontières au cas où. Les récentes incursions d’Atrius n’ont pas manqué de les énerver et il vaut mieux rester prudent.

Laris acquiesça.

— Cela me semble raisonnable, en effet.

Ils parlèrent encore quelques minutes sur des sujets de maigres importances, puis ils se séparèrent pour la nuit. Sirius pesta alors qu’il regagnait ses appartements. Il avait passé moins d’une heure en compagnie de Laris, mais il s’était retenu à plusieurs reprises de se lever et de le jeter lui-même dans les flammes du brasero. Malheureusement, ce n’était pas comme ça que les choses fonctionnaient à Spyr. Jamais l’on n’accepterait un souverain prenant le pouvoir de manière aussi grossière. Néanmoins, cette réunion lui avait donné quelques idées et une fois rentré, il rédigea plusieurs missives tard dans la nuit qu’il fit porter par des domestiques en qui il avait toute confiance.

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Talharr
Posté le 05/08/2025
Hello,
Ah on est reparti avec Sirius. Le passage est vraiment sympa. Il s'interroge toujours sur qui il est. Laris semble savoir des choses et Atrius j'ai l'impression que sa soif de pouvoir et religieux vont le faire tomber.
En tout cas le conseil était en tension aha

Juste un mini retour :
"ils les auraient aidés à s’échapper et les prévenant de notre arrivée" -- "en les prévenant"

Le soucis de ponctuation "Et qu’est-il arrivé à Pictor." -- point d'interrogation je pense :)
Scribilix
Posté le 06/08/2025
Décidément la ponctuation est ma bête noire. Pour le sort des Flammes tu en sauras plus dans le chapitre suivant. ;)
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