Il était tard dans l’après-midi et le soleil avait pris une teinte jaune orangée de fin de journée automnale. Je supposais qu’il devait être plus ou moins dix-sept heures trente, mais j’étais trop fatiguée pour me redresser et regarder la pendule. La base semblait morte, dépourvue de toute vie humaine car personne n’allait ni ne venait. Pas de prisonniers, pas de gardiens ; alors que pourtant, ce midi-là, j’en avais vu passer de longues files cadencées, marchant au pas entre des cordons de soldats, vêtus de gris, simples et ordinaires, leurs visages creux et mornes, l’expression d’une tristesse cotonneuse et irréelle pendue sur leurs traits. Je les avais supposés aller manger leur déjeuner, et j’avais vu les mêmes hommes sinistres revenir une heure plus tard, par la seconde fenêtre, celle qui donnait sur la cour, mais depuis, aucun bruit ne perçait plus le silence.
C’est alors que j’entendis un bruit de verre brisé. D’abord, je m’attendais à ce que l’une des infirmières qui papotaient en permanence dans une petite salle de l’autre côté du couloir ait fait tomber sa tasse de café par terre ; mais comme je m’attendais à ce qu’on ramasse les éclats, je n’entendais que le son du vent qui sifflait dans les cimes de la forêt qui s’étendait, là, de l’autre côté de la clôture.
Puis, au bout de quelques instants, je m’aperçus qu’une brise passait par la fenêtre à côté de mon lit ; je tournai la tête et vis que la vitre avait été réduite à quelques éclats de verre sur son pourtour métallique. Je clignai des yeux et fis le point sur un objet sur le sol près de la fenêtre : il y avait là une pierre à laquelle était attaché un morceau de papier. Je dus m’évertuer pendant des minutes entières pour parvenir à l’attraper. Lorsqu’enfin je le dépliai, il était libellé en ces termes :
0H
NO
Clot.
–K.
Tout d’abord, deux éléments me parurent clairs : 1) que ce morceau de papier avait été écrit par Kailen ; et 2) qu’il concernait quelque chose qui devait se produire à minuit. Mais pour le reste, rien n’était certain. « N » faisait penser à « Nord », et de là, « O » à « Ouest », ce qui signifierait que cette chose devait avoir lieu au nord-ouest, mais je n’avais aucune idée de l’endroit exact, alors je décidais de m’occuper de cela avant toute chose.
Le sens de « Clot. » était moins clair, et si Kailen s’était pris d’une envie de venir me voir à la clôture, c’était qu’il était devenu complètement fou ; mais malheureusement, c’était le sens le plus probable du message : Kailen allait venir me voir à la clôture, ce soir, à minuit, et risquer un châtiment autrement plus grave que le mien.
Au prix d’un effort surhumain et de gémissements de douleur, je parvins à me lever complètement. Je pris la chaise qui se trouvait dans l’angle de la pièce et l’amena sous l’horloge ; là, il me fallut un effort supplémentaire pour la décrocher du mur et tout remettre en place, sauf la pendule évidemment.
Une fois assise dans mon lit, je décalai la pendule de deux heures en avance pour la mettre à l’heure solaire. Si je faisais tout cela, c’était peut-être parce que je verrais Kailen cette nuit. C’était insensé, risqué, ce autant pour lui que pour moi, mais avoir quelqu’un que je connaissais qui viendrait me voir me réchauffait le cœur.
Quand j’eus terminé de bidouiller la pendule, je me levai et allai me placer sous l’autre fenêtre où brillait le soleil et je pointai la petite aiguille sur l’astre lumineux. Pour trouver l’axe nord-sud, je devais prendre la bissectrice de l’angle formé par le chiffre 12 du cadran, le centre de l’horloge et l'extrémité de la petite aiguille pointée vers le soleil.
Le Nord-Ouest était la direction de la fenêtre brisée. Ainsi, je n’aurai nulle difficultée à me rendre au rendez-vous.
Je replaçai la pendule et attendis que l’heure soit.
Il était vingt-trois heures trente. Les infirmières avaient découvert la vitre brisée en m’apportant mon dîner, mais j’avais prétexté d’être endormie pour ne pas m’en être rendu compte. Peu de temps après, j’entendis un homme crier dans la cour, exigeant que l’acte de dégradation soit puni et que le coupable se dénonce.
Au bout d’un moment, il menaça de faire donner dix coups de fouet à tout le monde ; et, après que quelques-un aient reçu les coups promis, un garçon d’un an de moins que moi se dénonça. Le commandant de la base lui donna cinquante coups de fouet et il n’était pas encore sorti du bureau du médecin militaire quinze minutes plus tard. Son dos était effrayant à voir lorsqu’il avait traversé le couloir une demi-heure plus tôt
J’avais réussi à obtenir l’autorisation de fermer la porte pour dormir bien que cela soit contraire à la procédure, car il hurlait toutes les trente secondes. Cela m’aiderait bien.
L’heure approchait, je tombais de sommeil, mais pourtant, je devais rester éveillée. À 23 heures 55, je sortis de mon lit et, discrètement, je me dirigeai vers la fenêtre. Elle avait étée remplacée en deux temps trois mouvements et était faite sur un cadre en bois ordinaire, mais on en avait retiré la poignée ce qui ne devrait pas faciliter l’ouverture.
Après m’être rhabillée, je me mis en quête d’un moyen d’ouvrir la fenêtre malgré tout. Il restait une sorte de trou carré qui, si j’arrivais à le faire tourner, me permettrait d’ouvrir la vitre. Je passai en revue la chambre. Rien. Pas de stylo, de couteau, de tournevis, de morceau de carton rigide… Rien ! C’était à désespérer. Je levai les yeux au plafond, et une illumination me vint alors.
Une plaque d’aération en plastique carrée était clipsée au plafond. Si elle était largement trop grande, ses angles, eux, pourraient sans doute le faire tourner si je les insérai dans le trou..
Ni une, ni deux, je remontai sur la chaise et commençai à décrocher ce truc de son emplacement. C’était difficile, car il avait l’air d’avoir été mis en place par un bourrin qui l’avait enfoncé à coup de masse ou scellé avec du mortier vu comme il restait en place.
Je regardai l’heure. Minuit moins trois. Je ne croyais pas que Kailen s’attarderait bien longtemps à la clôture, alors je devais me dépêcher.
Je glissai mes doigts dans les fentes de la grille métallique de la bouche d’aération. J’eu beau tirer, la plaque bougeait à peine, alors je me suspendis par les doigts pesant de tous mes maigres 40 kilos sur l’aération. Quelques instants plus tard, je sentis que la plaque commençait à venir.
Je retombai sur le sol dans une posture qui aurait bien pu être jugée lubrique me faisant horriblement mal au dos mais ce n’était pas bien grave. L’essentiel était que j’avais réussi. J’eus peur pendant quelques secondes que quelqu’un ait entendu ma chute, mais tout semblait calme.
Je me remis au travail. J’essayai de glisser un des angles de la plaque d’aération dans le trou de la fenêtre, mais je n’arrivais pas à le faire tourner une fois dedans. Alors, je brisai un des coins de la grille pour en obtenir un plus petit. La première fois, le résultat fut pitoyable car je n’arrivais même pas à plier le plastique ; et comme j’en avais esquinté deux autres en m’escrimant contre la fenêtre, je n’avais plus qu’un essai. Si ça ne marchait pas, je devrais abandonner.
Je pris une grande respiration et abattis la grille de plastique contre le sol de la petite chambre. Les éclats volèrent et s’enfoncèrent dans ma jambe posée à côté de l’endroit où je l’avais fait exploser manquant de me faire hurler de douleur.
Je me précipitai vers la fenêtre et glissai l’angle brisé dans le trou carré. Heureusement, il s’adapta parfaitement, mais il était déjà minuit deux. Le barillet de la serrure tourna enfin, libérant le cadre et la vitre que je tirai vers moi.
Je sautai le rebord de la fenêtre et jaillissais à l’extérieur. Il n’y avait qu’une dizaine de mètres entre moi et la clôture, mais je pris soin de refermer l’ouverture avant de les parcourir. Si je devais rentrer rapidement, je n’aurais qu’à me jeter contre la vitre.
Je me collai contre la clôture intérieure, qui n’était visiblement pas électrifiée — ce que je pus savoir en écoutant le grésillement caractéristique, contrairement à celle de l'extérieur. Après quelques minutes, à ma grande joie, je vis une silhouette sortir des bois. Je fus très étonnée de ne voir aucune patrouille ni soldats dans les miradors qui ceinturaient le périmètre de la base.
— Tu as trois minutes de retard. dit la silhouette
Je fus fort heureuse qu’il s’agisse bien de Kailen et non d’un traquenard. Je remarquai qu’il avait amené son arbalète. Il semblait stressé, mains crispées, regard alerte. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Il continua :
— Nous n’avons que six minutes avant la prochaine ronde.
— Kailen… lui dis-je. Tu es fou de venir ici ! Si tu te fais prendre, peut-être qu’ils t’emmèneront à la guillotine !
— Ne t'inquiète pas, me rassura-t-il. Ça n’a pas que des désavantages de faire le fils à papa avec mon père. Je doute qu’on me tue pour ça. Qu’on me flagelle, qu’on m’envoie aux bagnes glacés de Terre Adélie, qu’on m’humilie, c’est très possible, mais qu’on me tue, ce serait embarrassant pour le Consulat.
Je lui hurlai dessus :
— Te rends-tu compte que tu es prêt à passer vingt ans de ta vie à trimer en Antarctique pour venir me voir alors que dans quelques jours je serai sortie d’ici !?
— Oui… répondit-il, sinistre Mais il n’est pas certain que tu sortes d’ici dans quelques jours. Je dirai même le contraire.
— Pourquoi ?! Et puis, que vous est-il arrivé dans la forêt, après qu’ils m’aient prise ?
— Très bien, se renfrogna-t-il. Je répondrai d'abord à ta seconde question, si tu n’y vois pas d’inconvénient.
J’acquiesçai d’un signe de tête.
— Puisque tu n’étais plus là et vu l’état de ta sœur, il était évidement inenvisageable de continuer à fuir. J’avais garé ma voiture à deux kilomètres, sur une route qui traverse la forêt alors j’ai couru dans le sous-bois ta soeur sur les épaules pendant une dizaine de minutes avant d’y parvenir. Là, je l’ai confortablement installée et je l’ai emmenée chez moi, ce qui m’a prit seulement une dizaine de minutes pour atteindre le centre ville.
« Quand je suis arrivé chez mon père, il me regardait bizarrement, comme s’il se demandait où j’étais allé la chercher. Mes vêtements étaient sales, boueux, et les siens aussi ; mais ma mère l’a prise en pitié et a décidé de la garder pour l’instant. Elle n’a même pas laissé à mon père le temps de protester. Je leur ai dit qu’elle s’était retrouvée seule après que tu sois allé à l’hôtel de gouvernement et que je l'avais prise sous mon aile, comme tu me l’avais demandé. Mon père a eu l’air de trouver ça suspect, mais il n’a pas posé de questions. Il y a des endroits où même les murs ont des oreilles.
« Ma mère s’est occupée de Lysan et l’a couchée dans la chambre d’amis. Mais à midi trente, voilà que môssieur le général Nikolas Waltermann de la Garde Consulaire se pointe. Il est tout content. Tu sais, il est ambitieux, et papa a de l’influence auprès du Préfet de Province. Même si le général connaît des gens plus hauts placés, ceux qui sont choisis par le Consul Sycaruse sont tous très intelligents : ils prennent l’argent mais ne fichent rien. Il avait trouvé moyen de se faire inviter à déjeuner en forçant la main à mon père.
« Le voilà donc, qui arrive comme un dindon, en uniforme soigneusement repassé, sans un pli, dans sa limousine rutilante. Il se fait ouvrir la porte par son chauffeur, et il entre comme une bourrasque. Évidemment, on était prêts à l’accueillir, même si papa a tout de même trouvé moyen de glisser des sous-entendus que l’animal n’a même pas remarqué.
« Puis, on est passé à table. Waltermann a commencé à vanter ses mérites et à nous raconter sa vie, à flatter mon père. C’était ridicule : on ne flatte pas quelqu’un de la position de mon père, il est trop bas dans l’échelle, et de toute façon il déteste les gens arrogants autant que flatteurs.
« Le Général nous racontais sa journée et nous a dit :
“Voyez, en ce moment, c’est les opérations pour rattraper les récalcitrants des Jeux qui battent leur plein. Elles occupent inutilement nos forces et sont plutôt coûteuses pour ce qu’elles rapportent.” Alors je lui demande pourquoi sont-elles si coûteuses, et il me répond : “Parce qu’il n’y a pas d’effet surprise. Quand on vient chercher un des ces abjectes opposants qui éructent leurs inepties comme de petites filles bavarde par la peau du cul et l’interroger, ce qui est en général très amusant, on s’arrange pour qu’il ne s’y attende pas, alors que là, c’est totalement prévisible. Il n’est pas rare que ces olibrius se défendent.”
« Je l’ai alors questionné innocemment pour lui demander s’il en faisait partie — je soupçonnais déjà que c’était lui qui t’avait arrêtée — et il m’a répliqué brusquement et avec le tact d’un grizzly mécontent en disant : “Oui, pas plus tard que cette nuit. Une petite folle appelée Ariane je-ne-sais-plus-quoi a trouvé moyen de tuer mon chien pendant l’opération.” Alors, voyant que ça te concernait, j’ai fait semblant de comptoir pour le faire parler, ce quoi il a répondu en déballant la totale : “Rassurez-vous, j’ai déjà trouvé moyen de me venger. J’ai déjà commencé par trente coups de fouet, mais ce n’était pas suffisant : elle n’a même pas perdu connaissance. En plus, j’ai dû l’envoyer dans une base de l’armée de terre, avec tous ces troufions de recrues compatissantes.” Alors, je lui ai demandé ce qu’il allait faire pour continuer ce à quoi il m’a répondu : “Oh, elle est dans les phases de sélection des Jeux. Si elle passe le troisième tour, elle mourra et je serai vengé.” J’ai protesté que ce système est censé être impartial, qu’il peut pas influer dessus, qu’en plus, vu ton état après trente coups de fouet, personne de sensé ne t’enverrait aux Jeux. Il m’a répondu : “J’ai de l’argent et du pouvoir. L’argent use de l’avarice et le Pouvoir de la peur, deux tares dont tout homme est doté.”
— Ce qui signifie ? demandai-je
— Ariane… fit il avec le ton d’un chien pleurant.
Comme je m'inquiètai de ce silence, je le pressai brusquement :
— Quoi ?! Parle !
Il baissa les yeux, et, dans un demi soupir, il répondit :
— Tu es déjà morte ; ne l’as tu pas encore compris ?
Déjà morte ! J’en restais bouche bée. Ainsi donc je mourrais son rien pouvoir y faire tandis que tout le pays se gausserait de moi et boiraient allégrement pour me voir mourir ce qui les comblerait d’un immense plaisir, couronnement du spectacle.
J’irais à la Cité Consulaire, mais il fallait que je vive pour ma petite sœur : elle n’avait que moi. J’étais sûre que si je mourais, Kailen et ses parents auraient très bien rempli, et même mieux que moi mon rôle actuel, mais je n’étais pas certaine que Lysan s’en relèverait.
Pour survivre, il me faudrait remporter les tests physiques, puis les Jeux du Souvenir tout entiers.
Impossible, impossible…
Tout d'abord, à supposer que tous les candidats fussent à égalité, je n’avais que quatre pourcents de chances de parvenir aux jeux ; mais, avec mon dos en compote, je ne m’en donnais pas plus d’un. Ensuite venaient les Jeux : 1 divisé par 68, cela fait 0.01470588235%...
Et alors, je réalisai que j’avais déjà passé plusieurs minutes dehors et que donc, une ronde passerait bientôt Je demandai à Kailen dans combien de temps et il regarda sa montre et répondit l’air alarmé :
— Moins d’une minute !
Je ne pus pas laisser partir Kailen sans quelques mots même si je ,’avais rien à dire :
— Kailen…
Une seconde passa alors que nous nous regardions, mais ce fut une seconde de trop car deux hommes débouchèrent de derrière un bâtiment à uns centaine de mètres.
— Eh ! Là ! Vous ! Les mains sur la tête, sinon on vous troue la peau ! cria l’un des deux, après avoir passé quelques secondes d’étonnement en nous voyant ainsi à la clôture.
Je courus et sautai par la fenêtre. Fébrile, je du chercher plusieurs secondes la plaque d’aération et perdis également du temps pour fermer la fenêtre et la remettre en place. Quand je me glissai dans mon lit pour faire semblant de dormir tout en retirant mes vêtements et en mettant mon pyjama, je vis les deux soldats par la fenêtre, braquant leurs fusils d’assaut dans la direction de Kailen..
— Plus un geste ! crièrent-ils.
Kailen se jetta dans un fourré. Le soldat de droite, un type chauve comiquement petit et gros, tira dans sa direction générale et ses balles arrachèrent de nombreuses branches et se plantèrent en terre.
Quelqu’un se releva dans les branchages e se mit à courir. Cette fois, les deux soldats prirent Kailen dans un feu croisé, mais, par chance, je n’entendis personne s’écrouler.
— Merde ! fit le chauve.
Heureusement, il n’y avait qu’une entrée dans le grillage, et elle se trouvait à l’opposé de là où nous étions. Si Kailen avait planqué une voiture pas loin, il pouvait aisément semer tous les chiens et soldats du monde.
Malheureusement pour moi, l’un d’entre eux semblait avoir remarqué mon passage dans l’infirmerie et ils entrèrent dans le baraquement par l’autre côté, sans doutes pour me coincer. J’entendis divers éclats de voix provenant de la pièce des infirmières, mais le chauve sembla balayer toute objection et fit irruption dans la chambre en pestant :
— J’m’en fous ! J’l’ai vue par là ! Y’a pas moyen qu’elle soit aut’part !
Je me levai dans mon lit, simulant un sursaut. L’homme arracha mes draps d’une main et ceux du flagellé de l’autre.
— Debout, bande de lavettes !
Comme je le foudroyai du regard, il s’énerva encore plus et m’attrapa par le col de mon pyjama.
— J’ai dit debout !
Il me relâcha et me laissa tomber par terre sur les fesses. Sa grosse main poilue attrapa le flagellé par le cou, l’étranglant avant de le faire tomber de la même manière.
Un des conscrits qui étaient venus eur prêter main forte à leurs cris me traîna par les pieds tandis que l’autre s’occupait de leur second captif, suivis par le chauve. Ils nous amenèrent jusqu’au bureau du chef de la base. Les gravillons s’enfonçaient dans mon dos, rouvrant toutes mes plaies et m’arrachant des cris de douleur réprimés par des coups de talons en plein visage. Mon nez était en sang quand on m’assit de force dans un fauteuil de cuir.
Le commandant était assez grand, avait des cheveux noirs grisonnants et semblait aussi sombre qu’un corbeau austère ne prenant même pas la peine d’une petite plaque métalique sur son bureau pour indiquer son grade et son nom.
— Alors ? demanda-t-il à voix basse sans se retourner, regardant par la fenêtre.
— Alors quoi ? répondis-je insolemment.
— Comment m’expliquez-vous cela ?
— Quoi donc ? feignait-je
— Qu’avez-vous vu, entendu, senti, etc., etc… cette nuit ?
J’essayai de broder un mensonge crédible, mais je savais qu’il l’aurait de toute façon éventé rien qu’en le regardant, alors je me contentai d’un pitoyable :
— Je ne sais pas.
— Comment, vous ne savez pas ? s’énerva-t-il. Vous ne savez pas mentir ?
— Pourquoi mentirais-je, étant placée en votre pouvoir ?
— C’est vrai, vous êtes en mon pouvoir… dit-il en se retournant, un grand sourire aux lèvres. Vous faites bien de me le rappeler.
Il me scruta quelques secondes. J’eus la gorge coupée à le voir ainsi. Il reprit, s’adressant au plus jeune conscrit de la pièce :
— Vous, là. Balancez-la-moi sur le mur ! ordonna-t-il d’une voix grave. Quant aux autres, débarrassez-moi le plancher !
Le conscrit était brun, avec des yeux presque aussi clairs que les miens. Il semblait réticent à cette violence… un défaut fatal aux yeux de l’armée…
— Allez, dépêchez-vous ! Je n’ai pas que ça à faire ! le houspilla le commandant.
Il se dépêcha donc. Il accéléra le pas et m’attrapa sous les épaules. Je le regardai avec colère. Au moins — d’après ce que je pouvais voir sur son visage — cela faisait un certain effet. Il me souleva sans effort et s’approcha de la cloison recouverte de boiseries dorées. Je m’aperçus que mon nez déjà abîmé était à la hauteur d’une sorte de tête de lion qui sortait du mur.
— Lancez.
Le conscrit me projeta avec violence contre la sculpture, qui me détruisit le nez. Un flot de sang inonda mes vêtements.
— Écartez-vous, dit le commandant.
Il s’approcha de moi et me parla dans l’oreille :
— Alors ? Qu’avez-vous fait, vu, entendu ?
— Je n’ai rien fait, rien vu, rien entendu, dis-je, avalant un liquide rouge et chaud.
— Vous avez fait beaucoup, vu beaucoup, entendu beaucoup. Répondez.
— Rien.
— Vous mentez et tremblez de peur. Il n’y a que vous qui, raisonnablement, puissiez être le coupable, car les infirmières n’ont vu ni entendu personne, et votre camarade de chambrée en aurait été incapable.
— Peut-être que le coupable a soudoyé, menacé, ou convaincu les infirmières. insinuer-je.
— Vous cherchez des arguments là où il n’y en a pas. Vous êtes coupable, votre état me le montre.
— Je n’ai rien fait ! paniquai-je.
Il avait tout dit d’un air impassible, sûr de lui, supérieur, dominant la situation, sachant tout, voyant tout. Le pire était qu’il ne se trompait en aucun point. Il s’adressa à nouveau au conscrit :
— Mettez-la à terre, donnez-lui quelques coups de pied, assommez-la et emmenez-la à son lit sur lequel vous l’attacherez. Il faudra aussi mettre des patrouilles à l’extérieur du périmètre au cas où notre importun reviendrait.
— Mais…!
— Ta gueule !
Je lui crachai en direction du visage, ce à quoi il répliqua à la manière d’un enfant : en ripostant. Après un petit rire, il reprit :
— Dépêchez vous de me l’emmener
Une petite remarque qui pourrait être utile ou pas, mais la tâche de l'écrivain est surtout de dire le plus possible en le moins de mot possible. L'impact en est multiplié. Je pense à le mentionner maintenant parce que dès le début du chapitre, on voit quelques doublons de sens qui diluent le sens. "Le soleil prit une teinte jaune orangée"; le soleil a une teinte jaune de base, on peut simplement dire "une teinte orangée"; "morte, dépourvue de vie humaine" ce qui est mort est fatalement dépourvu de vie humaine. Cette remarque peut également être inutile, car on peut parfois désirer marteler un concept en enchaînant les synonymes et sens proches. Condenser et charger de sens augmente également le tempo, ce qui est particulièrement utile autour et pendant les scènes d'action.
Une mention sur Kailen et son châtiment potentiel : quel que soit le châtiment, ce serait en toute discrétion. S'il y a humiliation, elle ne sera pas publique. Ce serait plus embarrassant que de le tuer dans le feutré. Un dialogue aller-retour entre Arianne et lui serait plus dynamique et réaliste, entrecoupé de gestes, de questions et de réflexions.
On voit dans ce chapitre qu'Arianne est une passionnée de chiffres, ce qui est un détail très intéressant. Je pense qu'il serait bien que ça soit au moins suggéré avant. Qu'elle calcule à toute vitesse, par exemple, le temps que le premier chien mettra à la rattraper selon la différence d'intensité qu'elle perçoit entre deux aboiements (bon, cet exemple est peut-être un peu trop poussé... mais tu vois le concept). Je pense que c'est important de le souligner avant, avec une progression dans al complexité des calculs, parce qu'on ne calcule pas une division à 11 chiffres après la virgule de tête à moins de penser aux chiffres plus souvent qu'autrement. Autre mention sur ce calcul: il s'agit de 1,47...% ou 0,0147... mais pas de 0,0147%. 1/68, c'est plus grand que 1/100.
Tu peux aussi explorer ce que ça signifie qu'elle soit aussi passionnée et douée avec les chiffres. Comment a-t-elle développé ces aptitudes? Si c'est naturel, se trouve-t-elle quelque part dans le haut du spectre autistique fonctionnel? Ce sont des questions que je me pose présentement (et un lecteur qui se pose des questions est un bon signe).
Fais attention à ton utilisation du passé simple; elle est parfois inexacte (dans sa forme et non dans son usage).
Le chapitre est intéressant conceptuellement, mais son rythme ne correspond pas à son action et à son intensité (du moins dans mon ressenti). J'ai l'impression qu'il gagnerait à être accéléré.
Bonjour ;)
Le calcul n'est pas 1/68 mais 1/100/68 ce qui donne effectivement 0,0147, mais ton incompréhension de sa manière exacte de calculer me permet de savoir qu'il faut que je le clarifie. En fait, son calcul est que puisqu'elle arrivera à la dernière phase de sélection où les candidats meurrent ou participe aux Jeux, sachant que si tous les candidats était égauxx physiquement, elle aurait 4% de chance d'aller aux jeux, mais qu'elle se dit que vu son état physique, il serait plus exact de diviser par 4 ce chiffre ; ensuite, il y a au total 68 participant aux Jeux dont un seul survit, donc, ses chances de survie sont de 1/100/68.
Les raisons de son intéligence mathématique sont expliquées bien plus tard, après les Jeux.
Le fait que Kailen fasse un long monologue est voulu et ce genre de tirades est vu plusieurs fois dans la suite de l'histoire, mais toujours servant le thème de cette histoire. De plus, deux ou trois pages de monologues, ce n'est pas si extrèmme quand on peut voir que par exemple Gandalf parle pendant 70 pages sans interuption à Foncombe dans le livre du Seigneur des Anneaux.