Petit Bois et Arion arrivèrent à la cabane en bois de la Sorcière en fin de matinée.
Le lutin souffrait de morosité depuis que la luxuriante forêt avait fait place à un décor lunaire où les nuances de gris s’étaient imposées du sol jusqu’au ciel ; une envie de pleurer sans raison lui serrait la gorge et les idées les plus noires lui traversaient l’esprit. Sans compter la peur qui lui nouait l’estomac à l’idée de se retrouver face à la Sorcière Noire. De son côté, le jeune homme cheminait, sourire aux lèvres, sans être le moins du monde affecté par l’ambiance taciturne. Il observait les moindres détails et s’exclamait de surprise ou de joie à chaque découverte. Inlassablement Arion tentait de le convaincre que cette contrée était des plus déprimantes :
— Mais comment peux-tu trouver zet arbre magnifique ? Il est complètement mort, grillé zur plaze ! Zes branches zont tordues, il n’a aucune feuille, rien ne pouze dezus, il n’y a même pas d’oizeau ni d’écureuil !
— Ne sois pas aussi négatif, Arion. Regarde les choses d’un œil nouveau. Là, par exemple, cet arbre a la forme d’un champignon, celui-là d’une cathédrale, là encore on dirait le squelette d’un navire… Et tu vois, là, la forme du tronc ? On dirait qu’il a tourné sur lui-même, comme s’il cherchait à voir quelque chose derrière lui ! Quand on prend le temps d’observer le sol, on remarque que la nature est présente : vois ce bousier qui pousse sa boule devant lui, et ses araignées qui ont tissé leurs toiles entre ces cailloux, et…
Arion n’écoutait plus son ami. Son optimisme et sa faculté à trouver du positif au cœur même de la Forêt Maudite le déprimait encore plus !
Ce fut donc dans cet état d’esprit que le bûcheron et le lutin frappèrent à la porte de la Sorcière Noire qui, d’une voix grinçante, les invita à entrer.
Arion se tenait caché derrière Petit Bois, espérant que la mégère ne le verrait pas et ne le reconnaîtrait pas.
— Qui vient troubler ma tranquillité ? demanda la méchante femme d’un ton menaçant.
— Je m’appelle Petit Bois et voici Arion, le lutin.
À ce nom, la Sorcière bondit sur ses pieds et s’avança, l’index pointé vers le lutin.
— Quoi ! Tu oses venir ICI, chez moi ! Tu ne manques pas de culot, vociférait-elle, les traits tirés par la rage.
– Justement, nous sommes venus pour que vous reconsidériez votre point de vue et que vous leviez le sort que vous avez jeté à Arion.
Médusée, la Sorcière se figea, et observa hargneusement le jeune homme, qui, loin de se laisser décourager par ce regard haineux, enchaîna :
— Effectivement, Arion a commis une grosse bêtise en se moquant de vous, mais vous devez comprendre que s’il en est venu à faire cela, c’était pour être apprécié des autres. En effet, les villageois ne l’acceptaient pas, lui reprochant de ne pas être comme eux. Exclu, mal aimé, moqué, critiqué, Arion n’a pas eu d’autre choix que de se comporter comme eux pour se faire accepter. Et se comporter comme eux signifiait devenir méchant et médisant à l’égard de quelqu’un. Ayant naturellement un grand respect pour toutes les créatures, il ne pouvait se résoudre à se moquer d’un villageois. Par conséquent, il vous a choisi, vous, comme cible, puisqu’il ne vous avait jamais vue et que votre réputation de mauvaise personne était déjà bien connue de tous.
— Quoi ? Mais ce qui à quoi ? marmonna la Sorcière tout au long de cette longue explication, tandis que le lutin tirait désespérément sur la manche du bûcheron pour attirer son attention et le faire taire.
— Comprenez bien qu’Arion ne cherchait pas à vous nuire personnellement, il désirait seulement se faire accepter des villageois. Non seulement il croyait avoir réussi à se faire aimer, mais il pensait en plus avoir gagné leur respect pour avoir osé se moquer de vous. En réalité, ce n’était qu’une illusion ! Arion le découvrit à ses dépens quand vous êtes venue au village pour vous venger. Après votre départ, Arion a été chassé comme un malpropre, personne ne voulant plus le voir, car il était tenu pour responsable de la destruction du village et fut rejeté tant ses grandes dents provoquaient le dégoût.
— Il n’a eu que ce qu’il méritait ! lâcha la Sorcière, excédée.
Arion était terrifié, convaincu que le prochain mauvais sort serait encore pire que le premier…
— Je comprends parfaitement que vous avez voulu vous venger, continua Petit Bois, imperturbable. Surtout, que vous aussi vous êtes rejetée, mal aimée, critiquée par tous ces gens qui ne vous connaissent finalement pas…
— Vas-tu te taire ! hurla la Sorcière, les mains plaquées sur les oreilles.
— Face à tant de méchanceté, qui ne deviendrait pas aigri et rancunier ?
— Tais-toi donc ! Ta grandeur d’âme est insupportable à entendre !
— Mais moi, je sais que si vous êtes comme ça aujourd’hui, c’est parce que vous avez beaucoup souffert, que vous avez été rejetée enfant, parce que vos pouvoirs faisaient de vous une personne différente…
— Arrête ! hurla de plus belle la Sorcière qui rapetissait à vue d’œil.
— Finalement Arion et vous êtes pareils : deux êtres blessés par la cruauté et l’intolérance des autres.
– Arrête, s’il te plaît, ta gentillesse m’écorche les oreilles, pleurnichait la Sorcière qui avait maintenant la taille d’une petite fille.
Petit Bois s’approcha d’elle et lui dit gentiment :
— Je vois en toi une belle personne qui veut aider les autres grâce aux dons extraordinaires que la nature lui a donnés ; tu n’es pas du tout cette méchante sorcière que les autres ont inventée par jalousie, car ils n’ont pas tes facultés.
La Sorcière renifla bruyamment, la tête baissée.
Effaré, Arion vit Petit Bois prendre la Sorcière entre ses bras et la consoler de tout le mal qu’on lui avait fait. Elle pleurait à chaudes larmes, déversant sa colère et son sentiment d’injustice. Quand elle fut calmée, Petit Bois s’écarta et Arion, effaré, découvrit une petite fille rousse au regard malicieux.
— Je suis désolée du mal que je t’ai fait Arion. Je n’avais pas compris que tu souffrais autant que moi.
Et d’un coup de baguette magique, elle leva le sort qu’elle avait jeté au lutin.
— Malheureusement, Petit Bois, en me guérissant de ma souffrance, et en me redonnant ma véritable apparence, j’ai perdu une partie de mes pouvoirs, et je ne peux plus sauver l’enfant du Roi et de la Reine. Car c’est bien pour cela que tu es venu ?
— C’est vrai, je suis en partie venu pour que tu aides la princesse ; ce n’est pas grave si tu ne peux plus l’aider, car tu as déjà tellement accompli de belles choses aujourd’hui en pardonnant à Arion, en supprimant son sort et en reconnaissant tes torts ! Quelle magnifique journée ! s’exclama Petit Bois.
– Il est toujours aussi positif ? demanda la Sorcière à Arion.
— Et c’est peu de le dire… répliqua aussitôt le lutin avant de partir dans un fou rire avec la Sorcière.
— Veux-tu nous accompagner ? lui demanda le jeune homme. Nous allons à la montagne voir ce qui provoque un nuage de fumée mauve.
— Oh ! Oui, avec plaisir ! répondit aussitôt la Sorcière Noire en applaudissant de ses petites mains. Le temps de préparer un sac et je serai prête à partir à l’aventure avec vous !