À la fin de la journée, Petit Bois et ses amis arrivèrent au pied de la montagne. Ils installèrent leur camp pour la nuit et dès le lever du jour, ils empruntèrent le chemin escarpé qui devait les amener au sommet. Plus ils grimpaient, plus la température baissait et le paysage verdoyant laissait peu à peu la place à une roche dénudée de couleur ocre. Puis vint le brouillard, très vite accompagné d’un blizzard glacial et d’un vent violent. Ils avançaient à la queue-leu-leu, courbés en avant pour essayer de se protéger des intempéries. Ils ne se parlaient plus depuis déjà plusieurs heures, quand Petit Bois s’arrêta brutalement et, tout en pointant du doigt la crête, cria à ses amis :
— Nous y sommes presque ! Regardez, on voit une éclaircie et le sommet !
Encouragés par cette nouvelle, ils gravirent prestement les derniers mètres et débouchèrent sur un promontoire qui dominait la vallée en contrebas.
Étrangement, le mauvais temps avait laissé place à un magnifique soleil et un ciel bleu azur. Arion et la Sorcière se laissèrent tomber sur la roche chauffée par les rayons du soleil, épuisés et frigorifiés par cette longue marche. La fillette sortit de son sac une gourde d’eau, et quelques biscuits au chocolat. Tout en se restaurant, ils observèrent le point de vue et les alentours.
Petit Bois les laissa se reposer ; il se tourna vers la falaise et les volutes de fumée mauve qui l’intriguaient tant. Il s’avança. Il aperçut alors une entrée taillée dans la roche. Il accéléra le pas, s’arrêtant devant l’immense arche qui marquait le début d’un immense tunnel noir. Il avisa une torche préparée fichée dans un trou de la paroi. Il l’enflamma, la saisit et commença à marcher dans ce lugubre couloir.
Au bout d’un long moment, le jeune homme déboucha dans une salle gigantesque. Un trou immense dans le plafond laissait filtrer la lumière éclairant ainsi les lieux. Au centre du puits de lumière, Petit Bois aperçut une forme allongée en boule sur le sol qui laissait échapper la fameuse fumée mauve. Il s’approcha silencieusement. La forme lui tournait le dos. Elle ressemblait à un petit animal à écailles, avec deux minuscules ailes dans le dos. Avec les rayons de soleil, les écailles miroitaient comme une multitude de minis arcs-en-ciel. Le jeune homme la contourna et découvrit avec émerveillement un dragon de petite taille. Sa tête était ronde, il avait un petit nez retroussé, deux petites canines pointaient entre les lèvres bien dessinées et de couleur rose. Il avait les yeux fermés et ses longs cils faisaient une petite ombre sur ses pommettes rosées.
— Oh ! Mais tu es trop chou ! murmura Petit Bois en s’accroupissant pour mieux regarder le dragonnet dormir.
Ce fut à ce moment-là que le jeune homme aperçut la longue chaîne d’argent accrochée à la patte de l’animal et qui le retenait prisonnier.
— Mais c’est horrible ! Qui t’a fait ça ?
Soudain, une ombre gigantesque apparut et recouvrit le dragon et Petit Bois.
— Si tu tiens tant à le savoir, c’est moi qui ai enchainé le dragonnet..
Le jeune homme fit volte face et découvrit un homme de grande taille portant une tunique noire et un chapeau pointu sur la tête. Les traits de son visage étaient durs, son regard froid comme de la glace.
— Pourquoi avez-vous fait cela ? C’est inhumain ! s’emporta aussitôt Petit Bois en se redressant.
L’homme fronça les sourcils, visiblement en colère.
— Mais comment oses-tu me demander la raison de mon acte ! Tu aurais dû faire comme tous ceux qui t’ont précédé : demander qui je suis !
— Je n’ai pas besoin de poser la question : il est évident que vous êtes un monstre cruel et sans cœur ! Et que vous aimez torturer les êtres sans défense !
— Comment ?! Comment ?! tonna l’homme. Sache que je suis Makiavel, le plus grand des magiciens !
— Vous n’êtes pas le plus grand des magiciens, mais le plus cruel ! Et franchement, il n’y a pas de quoi en être fier ou s’en vanter.
— Comment ?! Comment ?! Je te répète que je suis le plus grand…
— Ah ! Je vous arrête tout de suite ! Vous vous trompez sur votre compte et vos pouvoirs ! Un magicien doit faire le bien et non chercher à nuire aux autres !
— Comment ?! Comment ?! s’offusqua Makiavel, devenu rouge de colère.
— Comment ?! Comment ?! C’est tout ce que vous trouvez à répondre ? Vous feriez mieux de vous excuser pour le mal que vous avez fait à cette pauvre bête et la libérer sur le champ.
Petit Bois avait tourné la tête vers le dragon. Ce dernier s’était réveillé et le fixait de ses grands yeux émeraude qui scintillaient comme des pierres précieuses. Ses longs cils dessinaient un trait noir sur la paupière supérieure lui donnant une expression très douce.
— M’excuser ! Tu me donnes l’ordre de m’excuser ! Mais pour qui te prends-tu, petit être insignifiant et ridiculement altruiste, convaincu d’être le sauveur de tous les faibles…
Petit Bois sourit au dragonnet, lui fit un clin d’œil complice et se tourna vers le sorcier.
— Mon pauvre, comme je vous plains, murmura le jeune homme en enveloppant Makiavel d’un regard bienveillant et empli d’empathie.
— Comment ?! Comment ?! s’étonna aussitôt l’enchanteur. Tu oses me plaindre, moi, le plus craint des magiciens ? Mais tu te fourvoies complètement ! Tu devrais au contraire trembler de peur ! tonna-t-il en brandissant de façon menaçante sa baguette magique vers Petit Bois.
Imperturbable, le jeune homme s’avança et déclara doucement :
— À quoi cela vous sert-il d’être reconnu comme le plus terrible des magiciens, si c’est pour vivre seul au fond d’une grotte, détesté de tous ? Vous inspirez tellement la peur, que pour vous faire des amis, vous êtes obligé d’enchaîner un dragonnet dans votre grotte pour éviter qu’il ne s’enfuie et que vous vous retrouviez de nouveau seul, sans personne avec qui partager votre savoir. Quel gâchis…
— Comment ?! Comment ?! De quel gâchis parles-tu ? Tu ne connais pas l’étendue de MES pouvoirs ! Tu ne sais pas tout ce que j’ai dû sacrifier et faire pour devenir ce que je suis aujourd’hui !
— C’est vrai, je ne le sais pas. Mais il y a une chose dont je suis sûr : c’est qu’aujourd’hui, vous êtes le plus malheureux des hommes que je connaisse. (Tout en parlant, Petit Bois s’était approché de Makiavel qui, perturbé par le discours de son ennemi, avait non seulement baissé sa garde, mais n’avait pas prêté attention au fait que le jeune homme se tenait maintenant proche de lui). Et j’ai le pouvoir de vous rendre heureux !
À ces derniers mots, Makiavel tressaillit, s’aperçut trop tard que Petit Bois était tout près de lui et alors qu’il levait sa baguette, le jeune homme s’en saisit prestement et d’un geste sûr, la brisa en deux sur son genou. Le temps sembla se suspendre, puis Makiavel porta les mains à sa tête, et laissa échapper un terrible hurlement de désespoir avant de se laisser tomber sur les genoux.
Délicatement, Petit Bois lui toucha l’épaule et l’enchanteur leva la tête vers lui. D’énormes larmes ruisselaient sur son visage et son regard se perdait dans un abyme de tristesse.
— Je suis fini, murmurait-il sans cesse. Je ne suis plus rien ni personne. Pourquoi m’as-tu fait cela ?
— Mais vous n’y êtes pas du tout ! s’exclama joyeusement Petit Bois. Au contraire, je vous ai libéré de vos chaînes !
— Comment ?! Comment ?! demanda l’enchanteur qui sentait frémir en lui un sentiment qu’il n’avait plus ressenti depuis des années.
— Vos pouvoirs et votre baguette vous obligeaient à rester dans votre rôle du méchant magicien que tout le monde doit craindre. Tout cela n’existe plus, vous êtes libéré de cette réputation et vous pouvez désormais être celui que vous avez toujours voulu être !
— Vraiment ? demanda timidement le magicien qui doutait encore de ce que lui disait Petit Bois.
— Sans aucun doute. Quelle est votre activité préférée ?
— La cuisine, répondit aussitôt le sorcier.
— Parfait ! Venez avec nous et je suis sûr qu’on pourra vous trouver quelque chose.
Gagné par l’enthousiasme du jeune homme, Makiavel se releva lentement et aida Petit Bois à libérer le dragonnet.