Chapitre IV : La traque de l'Ordre

Elinora salua quelques prêtresses puis se dirigea vers une salle de classe où une dizaine de jeunes filles en habits religieux l’attendait en vue de recevoir ses enseignements. Elles portaient de simples tuniques grises brodées d’une bougie jaune et un bandana autour du cou, la tenue des novices du culte. Bien que les prêtresses confirmées s’occupaient généralement de leur éducation, Elinora avait découvert avec l’âge qu’elle aimait profondément enseigner. Elle prenait plaisir à dispenser certaines leçons elle-même lorsque le temps le lui permettait. 

— Bien, avant de commencer votre cours de calligraphie, je vais vous faire un bref rappel des préceptes et de l’histoire du culte. Qui peut me dire de quand date la création de notre culte ?

Une des novices leva la main pour répondre :

— De la destruction de la mythique cité d’Aurora Sainte-Mère !

— C’est exact, c’est ce que les croyants de Pyra continuent de célébrer lors de la Novi-Fyr. Et pourquoi notre culte fut-il créé ?

Une autre novice répondit à son tour :

— Pour ne pas répéter les erreurs du passé. Après la destruction d’Aurora, une partie de ses habitants resta fidèle à Pyra en jetant la faute de leur malheur sur l’Homme. Certains accusèrent Pyra d’en être responsable par sa cruauté et décidèrent de se tourner vers la déesse Pyrel à la place.

— Tout à fait. Au départ, Pyra et Pyrel ne formaient qu’un. Avec le temps, nos prédécesseurs réalisèrent que la dévotion envers notre déesse avait tourné au fanatisme. L’Homme ayant transformé le culte de Pyra en une religion fondée sur la conquête et la servitude. Après la chute d’Aurora, ils fondèrent le culte de Pyrel et cela donna lieu à des affrontements violents entre les partisans des deux religions. Les enfants de Pyrel rejetaient profondément toute forme de violence et ses membres décidèrent alors de s’établir plus au nord pour y pratiquer leur foi librement. Ils vénéraient également le feu sacré, mais d’une façon plus proche de celle des premiers Hommes. Ne se compromettant pas dans la vanité, la luxure ou dans des choses aussi futiles que les frontières d’un empire sur une carte. Bien, maintenant, est-ce que quelqu'un peut me donner le nom du roi qui mena Aurora à sa perte ?

— Ignis ! Répondirent-elles tous en cœurs.

— C’est exact.

— Sainte-Mère, est-ce vrai que si notre conduite est indigne, Ignis viendra réduire la cité en cendres ?

— Baliverne, voyons ! C’est une histoire que l’on raconte aux enfants dans les villages de Spyr. Ignis est mort, il y a bien des centaines d’années de cela et tous ceux qui prétendent l’avoir vu parlent d’un être jeune et froid avec des yeux rouges, brillants comme des torches dans l’obscurité. Un tel individu ne passerait jamais inaperçu…

Elinora s’arrêta subitement. Non, c’est impossible, cela n’a aucun sens, pensa-t-elle avant de reprendre :

— Quoi qu’il en soit, Pyrel ne laisserait pas une telle chose se produire. Pouvez-vous me dire plutôt ce que signifie le feu pour le Culte de Pyrel et quelles sont les différences avec celui de Pyra ?

— Selon les Adorateurs du Brasier, le feu représente une part du corps de la déesse Pyra et il se doit d'être alimenté en permanence pour lui rendre hommage.

— D’où les immenses braseros que l’on trouve dans leurs temples, tout à fait et pour nous ?

— Pour les Enfants de Pyrel, le feu est un cadeau de Pyrel qu’elle aurait insufflé en chacun de nous en nous donnant la vie. Les bougies que nous allumons symbolisent l’âme des croyants. Si l’une d’elles s’éteint subitement, c’est qu’un malheur est arrivé.

— À notre mort, ceux ayant vécu une vie honorable monteront au ciel rejoindre Pyrel et ils seront changés en étoiles et brûleront à tout jamais, compléta une seconde novice.

— Je vois que vous maîtrisez parfaitement les fondamentaux, nous allons donc pouvoir passer à la calligraphie.

Elinora débuta ses explications et les élèves s’appliquèrent à recopier avec soin des textes sacrés sur de longs parchemins.

La journée s’écoula rapidement et Elinora n’eut pas un instant pour elle. Aussitôt sa leçon terminée, elle partit déjeuner avec les prêtresses, puis s’enferma dans son bureau et n’en ressortit qu’à la tombée de la nuit. Alors qu’elle se dirigeait vers la porte, elle crut entendre un bruit derrière elle. Elle se retourna brusquement, mais le temple était complètement vide. J’ai dû rêver, pensa-t-elle avant de continuer vers la sortie.

En tant que matriarche, elle était la seule à posséder les clefs du temple et tous les soirs, Elinora fermait les grandes portes en bois du hall principal avant de rentrer chez elle. Seul le bâtiment abritant l’hôpital était toujours en libre accès. Pour des raisons pratiques, elle disposait d’une petite habitation à proximité, bien que le temple avait des dortoirs. Les prêtresses possédaient le plus souvent leur propre logement afin de ne pas mélanger vie privée et vie religieuse, même si leur engagement leur imposait en principe le célibat.

Cette nuit-là, Elinora ne rentra pas directement chez elle après la fin de sa journée. Elle avait troqué sa robe de prêtresse pour des vêtements plus discrets et partit arpenter les rues de Dérios. Après quelques minutes de marche, elle s’arrêta dans une rue peu animée, au croisement avec une échoppe fermée à l’allure douteuse et une maison délabrée dont l’accès avait été interdit.

Une silhouette attendait appuyée contre un mur à proximité. Lorsqu’elle l’aperçut, elle se redressa et se dirigea dans sa direction. Elle s’arrêta à quelques mètres et montra discrètement une broche en cuivre représentant un visage pleurant une flamme. Elinora sortit sa broche et fit de même, puis la silhouette lui fit signe de la suivre en pénétrant dans la demeure. À l’intérieur se trouvaient déjà assis autour d’une table deux hommes. Elinora reconnut directement l’un d’eux. C’était nul autre que Balwin, le général qui avait assisté au conseil dans la matinée. Ce dernier était vautré dans son siège et revêtait encore son armure en bronze. Il fut tout aussi surpris qu’elle de l’apercevoir ici, mais ne dit rien lorsqu’elle prit place autour de la table. L’autre homme, en revanche, lui était totalement inconnu. Avec sa fine barbe grisonnante et ses nombreuses cicatrices sur le visage, il avait l’air d’être un guerrier accompli. Il avait également un bandage sur son épaule droite, signe d’une blessure récente. Une fois rentrée, la personne qui l’avait accueilli s’installa sur une chaise en bois adossée contre un mur. Elle portait une cape à capuche qui dissimulait partiellement son visage. Elinora remarqua néanmoins qu’il s’agissait d’une femme. Elle échangea un signe de tête entendu avec l’homme, puis celui-ci prit la parole :

— Je m’appelle Minos, et la femme assise derrière moi est Lux. Nous sommes tous les deux des membres de l’Ordre des Brûlés. J’image que vous devez avoir un tas de questions. Malheureusement, je serai assez bref, les soldats du roi sont à nos trousses.

— Déclencher une bagarre en plein centre-ville n’était peut-être pas la meilleure façon de rester discret, répondit Balwin. Et alors ? Qu’est-ce qui vous ramène à Dérios après tant d’années ?

— Malheureusement, certains d’entre nous ont la lame plus facile que d’autres, dit Lux d’un ton accusateur envers Minos. Ce qui est fait est fait. Maintenant, il sait que nous sommes là.

— Qui ça, il ? Demanda Elinora.

— Vous le savez très bien.

— Ignis ? Je sais que l’Ordre le cherche depuis des siècles, mais personne n’a de sérieuses rumeurs à son sujet, et puis comment un être humain pourrait encore être en vie depuis tout ce temps. Ne me dites pas que vous avez fait tout ce chemin juste pour ça ?

— Et pourtant, il existe réellement, vous l’avez même probablement déjà rencontré, dit Minos.

Elinora s’arrêta un moment en faisant le tour de ses pensées. Elle s’avait où elle voulait en venir, bien qu’elle ne parvenait pas à l’accepter. Non, cela n’avait pas le moindre sens.

— Ignace, c’est ça ? Le légat des Adorateurs du Brasier. Cela sonne un peu gros, vous ne trouvez pas ? Et vous croyez que c’est l’homme que vous recherchez ? Que viendrait-il faire à Dérios ?

— Réfléchissez, en tant que matriarche du culte de Pyrel, vous connaissez forcément bon nombre de prêtres chez les Adorateurs. L’aviez-vous déjà vu auparavant ?

— Cela ne veut pas dire que je connais chacun d’eux pour autant.

— Ça suffit ! S’écria Balwin. J’ai accepté de vous aider, car certains de vos hommes nous ont été fort utiles dans notre guerre contre Spyr. Mais ce que vous dites-là n’a aucun sens. Vous traquez un fantôme.

— Écoutez-moi, cet homme est un imposteur ! Renchérit Minos. Les deux gardes chargés d’escorter le légat ont disparu il y a quelques jours. Notre Ordre est déjà à leur recherche à Brys. Bientôt, nous retrouverons leurs corps et celui du véritable prêtre avec eux, soyez-en certains.

— Arrêtez, dit Elinora. Vous disparaissez pendant plus de vingt-cinq ans et vous débarquez du jour au lendemain pour nous dire que l’homme qui va réduire Dérios en cendres est en ce moment-même à la cour du roi.

Lux rabattit alors sa capuche, dévoilant son visage. Son côté droit était intact et montrait celui d’une femme forte dans la trentaine, mais son côté gauche était entièrement brûlé. Elle ne voyait que d’un seul œil, et plongea son regard perçant dans celui d’Elinora qui, pétrifiée, n’arrivait pas à baisser les yeux.

— Ses yeux, avez-vous vu ses yeux comme vous voyez les miens ? N’osez pas me dire que son regard était normal.

— Je… Elinora eut un léger mouvement de recul. Elle pensa au bref instant ce matin lorsqu’elle avait croisé le regard d’Ignace et à la lueur rouge qu’elle y avait vu.

— Quand bien même cela est vrai, pourquoi Spyr n’a rien dit si leur prêtre a été remplacé par un imposteur ? Demanda Balwin, nullement impressionné.

— Nous l’ignorions et c’est bien ce qui nous inquiète, répondit Minos. Cela ne serait assurément pas arrivé du temps du roi Aurel.

— Voilà ce que c’est que de partir pendant si longtemps, continua Balwin en se levant.

— Que comptez-vous faire ? L’ordre a besoin de votre aide, sinon, c’est tout Dérios qui court à sa perte.

— Certainement. Je vous laisse à votre folie, en attendant, j’ai de vrais problèmes à régler. Appelez-moi lorsque vous aurez des personnes réelles à faire arrêter.

Il allait s’en aller lorsque Minos lui lança une broche en cuivre qu’il rattrapa.

— Si vous changez d’avis.

— Où l’avez-vous retrouvé, demanda-t-il ?

— Une fille des Kleptars l’avait en sa possession. Ne la perdez pas la prochaine fois.

Balwin haussa les épaules en soufflant du nez puis quitta la pièce, les laissant tous les trois à l’intérieur. Elinora ne savait quoi penser. Elle connaissait bien sûr la raison d’être de l’Ordre des Brûlés, même si cette dernière avait évolué au fil des siècles. À ses yeux, traquer un être qui n’existe que dans les contes pour enfants lui semblait futile et dérisoire. En même temps, elle n’arrivait pas à s’enlever de la tête la lueur qu’elle avait vue dans le regard d’Ignace.

— Je… J’ai juré de vous aider le moment venu, finit-elle par dire. C’est pourquoi je vous rapporterai toute chose suspecte que je trouve à son sujet, même si, à mon avis, vous perdez votre temps, et ce depuis trop longtemps. 

— Je vous remercie, dit Lux. Croyez-moi, vous prenez la bonne décision.

Des bruits de voix retentirent à l’extérieur du bâtiment et Lux se tut subitement. Minos alla jeter un coup d’œil à la fenêtre. Il entraperçut un groupe de gardes enjoués et fortement alcoolisés traverser la rue pinte à la main avant de s’éloigner d’un pas chaotique.

— Il ne faut pas que l’on reste ici plus longtemps, mais rencontrons-nous de nouveau au même endroit. Je vous apporterai des preuves de qui est vraiment Ignace.

— Quand ça ? Demanda-t-elle.

— Ne vous en faites pas, nous saurons vous retrouver, Elinora, répondit-elle.

Elle sortit de la maison avec Minos sur ses talons et ils disparurent rapidement dans l’obscurité en la laissant seule avec ses pensées. Ils avaient certainement dû se renseigner à son sujet pour qu’elle connaisse son nom. Tout de même, ce n’est pas une façon de faire, pensa-t-elle. Quelques minutes plus tard, elle sortit à son tour et prit le chemin en direction du temple d’un air pensif.

Elinora avait juré de servir l’Ordre le moment venu lorsqu’elle n’était encore que jeune adulte. C’était la première fois qu’elle avait affaire à eux, ces derniers ayant subitement disparu peu après la guerre entre Dérios et Spyr. Elle ne comprenait pas pourquoi ils revenaient maintenant. C’est vrai qu’Ignace lui avait semblé pour le moins étrange, même terrifiant, elle devait se l’avouer, mais de là à penser qu’il serait le personnage diabolique d’un conte pour enfant. Non, décidément, elle n’arrivait pas à y croire. Elle en aurait sûrement le cœur net demain en le croisant de nouveau au palais. Pour l’heure, il lui fallait aller se reposer, car une autre longue journée l’attendait.

 

 

 

 

 

 

 

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ZAODJA
Posté le 16/07/2025
Salutation cher ami,

J’ai bien apprécié ce chapitre. Les informations que tu nous donnes sont moins intenses et laissent place à l’histoire. On voit que graduellement, les choses se mettent en place.

Le coup de la lueur rougeâtre dans les yeux, c’est une très bonne idée. Idem pour la réunion à huis clos.

Question un peu indiscrète, depuis combien de temps tu es sur ce projet de roman ?

J’ai trouvé une petite coquille, enfin, je crois.

- J’image que vous devez avoir un tas de questions .—> J’imagine

À la prochaine, chez toi ou chez moi !

Zao
Scribilix
Posté le 18/07/2025
Salut, en effet il manque un tiret cadrantin.
En tous cas heureux de voir que malgré les longues descriptions tu continues de t'accrocher à l'histoire haha ;)
Pour ta question, je t'ai répondu dans mon précédent message. Je travail sur ce texte depuis plus d'un an maintenant.
Scribilix
Posté le 18/07/2025
Après vérification non, il s'agit bien de la meme réplique de Lux qui s'adresse à Elinora ^^
Talharr
Posté le 10/07/2025
En entre dans le vif du sujet. On comprend tout ce qu'on a lu juste avant. Ignis. La broche.
Vraiment bien amené. Et les doutes directement mis sur Ignace.
La bagarre chez le forgeron qui sert bien la suite.
Et le rythme du passage est bien plus rapide que les précédents aha

Pour du chipotement mais ça peut aider :
"Qui ça il ? Demanda Elinora" -- une virgule après "Qui ça" pour bien marquer le "il".
"Ne vous en fait pas, nous saurons vous retrouver, Elinora, répondit-elle" -- "faites"

Je continue, ça devient de plus en plus intéressant.
Scribilix
Posté le 10/07/2025
Merci comme toujours pour tes corrections. Oui l'histoire va démarrer progressivement, les premiers chapitres servant à poser le cadre puis à faire monter la tension. Cela peut-etre un peu long mais au regard de la quantité de personnages et d'informations à digérer cela me semble essentiel. Quoi qu'il en soit
Taymour_12256
Posté le 10/07/2025
Bonjour,
Très intéressant et bien rythmé, j'aime bien ta plume, on sent la tension qui monte autour d’Ignace et de cet Ordre mystérieux. Hâte de voir où tout ça mène !
Scribilix
Posté le 10/07/2025
Rebonjour et merci de ton retour. Oui l'intrigue avance tout doucement en toile de fond mais les choses vont s'accélérer par la suite. Il me fallait juste une longue introduction pour présenter les 4 personnages.
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