Acelin, libéré de ses chaînes monacales montrait un plus grand intérêt à profiter de la vie, plutôt qu’arpenter les chemins pour s’éloigner de son ancienne prison. Vingt lieues plus au nord, il décida de faire une longue halte au sein d’une charmante communauté. Un petit village agricole et maraîcher, peuplé de gens de basses conditions où il faisait bon vivre.
Épris de cette liberté et mû par un esprit de revanche, il s’empressa de goûter aux sept péchés capitaux, et débuta par la paresse. Il passait le plus clair de son temps à pratiquer la sieste entre deux grasses matinées, et constatait avec délectation le plaisir qu’il en tirait.
Tous les quatre jours, tenaillé par la faim, il s’accordait une entorse à sa nouvelle vocation.
Il allait, pour cela, effectuer quelques menus travaux chez les artisans locaux, en échange d’un peu de nourriture. Dans les cas d’extrêmes disettes, il chapardait un fruit, ou un bout de lard séché sur les étals du marché.
Vêtu de haillons, pieds nus, les cheveux en bataille de manière aussi irréconciliable qu’une cohabitation entre le bien et le mal, il ne payait pas de mine. Sa sympathie et son langage fleuri l’avaient cependant aidé à se faire accepter au sein de la population, qui lui pardonnait ses écarts mineurs.
Son éducation l’avait amenée à passer son trivium et, comme il savait lire et écrire, chose peu courante en ce XVe siècle, il ne rechignait jamais d’assister, si l’occasion se présentait, les petites gens. Ceux dépourvus de cette facilité naturelle à exposer un problème, rédiger un courrier pour formuler une doléance légitime aux autorités.
Dans le cas présent, il n’avait rien mangé depuis la veille. La faim l’empêchait de se consacrer avec sérénité à son activité favorite qui consistait à se prélasser. C’est la mort dans l’âme qu’il se leva de son matelas confortable de fleurs sauvages, pour aller se trouver une collation conséquente qui lui permettrait de retrouver cette liberté inégalable.
Cela se déroulait un dimanche matin jour de messe, trop tôt pour se rendre à la sortie de l’office flatter les fidèles en leur déclamant la bible. Ce qui les émouvaient ou les faisaient sourire, de constater qu’un petit pouilleux érudit pouvait remplacer une soutane bien ordonnée. Il les amenait ainsi, à desserrer les cordons de leurs bourses pour récompenser son langage sacerdotal.
Le curé, lui, appréciait moins ce type d’exhibition, et le jeune garçon s’exerça très vite à sentir le danger et courait avec une rapidité difficile à égaler.
Après avoir sillonné le village sans succès, il n’avait plus le choix et devait se contenter du boulanger qui réceptionnait sa farine pour la semaine. Le poids des sacs, qui auraient pu tout aussi bien être remplis de cailloux, le faisait entrer dans la catégorie des emplois redoutés, où le terme de providentialité avait du mal à se concrétiser.
Sinon, il aimait à qualifier le couple de charmant, voire pittoresque.
Radulf, un ventre rond à l’image de ses miches de pain, était doté de mains à la taille de battoirs. La silhouette trapue, le style pas très causant comme peuvent l’être les personnes de basses conditions forgées par le travail. Il allait à l’essentiel, et pour manifester sa sympathie, lui assénait à l’occasion une grande bourrade dans le dos, ce qui lui coupait la respiration et déclenchait un rire retentissant chez sa dame qui s’occupait de la vente.
Étiennette, un visage aux joues généreuses, elle portait toute l’année une calotte blanche vissée sur son crâne qui retombait sur ses deux oreilles. Elle avait pour habitude, quand son époux démontrait de l’amicalité à son égard, de se saisir de la tête du jeune garçon, pour la réfugier dans son décolleté éloquent qui mettait en valeur sa poitrine opulente et la poussait à s’exclamer.
— Mais arrête, tu vas nous le tuer ce p’tit !
Ce qui faisait naître un rire franc et sonore chez Radulf.
L’instant d’après, il était pris d’un léger vertige, sans qu’il ne sache jamais s’il était dû au coup de battoir de son mari ou à la manière trop maternelle d’Étiennette de le protéger. Quoi qu’il en soit, il les aimait bien et la réciproque s’exerçait.
En arrivant devant l’échoppe, il put constater, un brin soulagé, que la charrette se trouvât déjà à moitié vide.
Il lança pour s’annoncer.
— Mes hommages Radulf, besoin d’aide peut-être ?
L’artisan se tourna en souriant, après avoir reconnu la voix.
— Acelin, comment tu vas p’tit !
Pour éviter de se faire déplacer une cervicale, il ralentit de manière à lui laisser le temps de se caler un sac sur l’épaule avant de s’approcher.
— Étiennette sort voir qui vient d’arriver, bien sûr, Acelin, fais comme moi, direction la réserve !
Le jeune garçon se demanda s’il allait avoir droit au salut de la boulangère, avant de l’entendre décliner de l’intérieur de l’échoppe.
— J’ai du monde !
Il se résigna donc à se charger à son tour pour suivre Radulf. Une demi-heure plus tard, il se retrouvait en nage, le souffle court, les mains appuyées sur ses jambes, devant la charrette enfin vide.
— Tu vois, tu devrais passer plus souvent p’tit.
Acelin comprit aussitôt qu’il avait commis une erreur, et réceptionna très mal le coup de battoir du boulanger qui lui coupa de manière attendue la respiration, le faisant se marrer sans retenue.
Signal qui attira Étiennette hors de son échoppe comme un diable de sa boîte, pour trouver Acelin, le visage rougi par l’effort, au bord de la syncope.
— Boudi Acelin !
Pour, sans surprise, lui attraper la tête et la coller contre sa poitrine avant de s’exclamer.
— Mais arrête, tu vas nous le tuer ce p’tit !
Puis de se mettre à rire de bon cœur avec son mari.
— Donne-lui sa miche de pain Étiennette, il a bien travaillé.
Radulf n’était pas du genre à pinailler pour lui c’était l’intention qui comptait. Charrette à moitié vide ou pas, sa rétribution, toujours la même, s’incarnait dans un bien plus précieux que l’argent fiduciaire. Celle d’une tourte, invendue de la veille qui satisfaisait son problème de la faim pendant plusieurs jours.
Radulf repartit avec sa carriole et le salua une dernière fois de la main.
— Prends soin de toi gamin, et reviens nous voir plus souvent !
Le jeune vagabond lui rendit la politesse en levant la sienne, après s’être redressé les cervicales. Il n’attendit pas longtemps le retour d’Étiennette, muni d’une miche de pain pour le travail accompli, et d’un colis.
Elle lui tendit le premier et lui expliqua avant de lui remettre le second.
— Tiens, mon petit, pour ton aide, tu l’as bien mérité, et ça, c’est un paquet.
Elle tourna ensuite la tête de droite à gauche comme pour s’assurer de ne pas être surprise. Acelin, lui, n’arrivait pas à décoller ses yeux de la poitrine de la boulangère qui s’en rendit compte et lui administra une claque sur le sommet de son crâne.
— Hey tu m’écoutes dis !
Il sursauta, son visage rougi avant de redresser son regard.
— Euh oui oui pardon.
Elle reprit.
— Je n’ai pas le temps de m’en occuper ce matin avec l’échoppe, alors fais-moi plaisir amène ce colis à l’auberge de ma part, c’est pour Eddo le tavernier. Un pèlerin s’est égaré, c’est très important, je compte sur toi, puis tendit sa main, tiens pour la course.
Et lui glissa un écu, ce qui représentait une fortune pour lui.
— Tu boiras un godet, allez file !
Le jeune homme inclina la tête, fort surpris par cette demande plutôt anodine, si bien rémunérée.
— Très bien Étiennette, vous pouvez vous tranquilliser, c’est comme si c’était fait.
La boulangère s’en retourna dans son échoppe, d’un pas pressé pour s’occuper de nouveaux clients. Acelin, cala sa miche sous son bras gauche, une habitude qu’il gardera pendant bien des années, réflexe conditionné par cette période où il ne mangeait pas tous les jours à sa faim, mais vivait heureux.
"les cheveux en bataille de manière aussi irréconciliable qu’une cohabitation entre le bien et le mal,"... J'adore
Jai vraiment aimé che chapitre. Il est très bien écrit et surtout... les deux personnages sont tres attachants. J' espère les revoir :
Etiennette et Radulf, tu vois je les décris assez succinctement, mais on devine tout de suite leur nature et leur relation avec Acelin. Tout comme lui, à travers sa nouvelle coupe de cheveux et vêtue de haillon ça suffit pour l'instant. Je tends l'arc narratif du protagoniste, qui évoluera au fils de l'histoire.
Je ne te dis rien pour la suite, concernant ce couple très pittoresque, mais sache qu'il y aura de nombreux autres personnages tout aussi attachant.
Ca me fait plaisir que tu aimes, comme pour le premier épisode, il y a toujours un retournement final plutôt inattendu, tu verras.
Chaque début de chapitre avec un titre amène des sous histoires qui conduisent Acelin dans sa trame globale.
Toutes ses sous histoires se terminent, sauf la première, celle de Lola, ou il faudra attendre l'avant dernier épisode pour y revenir et l'expliquer.
Merci pour tes encouragements !