C’est ainsi, chargé de ces deux objets de nature bien différente, qu’il se dirigea vers la taverne. Il ne pouvait pas se tromper, il n’y en avait qu’une, et elle se nommait.
HEAUME SWEET HEAUME
Le vagabond n’était pas doué pour les langues étrangères et n’avait jamais saisi la subtilité de ce message. À l’intérieur, la taverne commençait à se vider pour rejoindre l’office sacerdotal. Il se dirigea vers le comptoir pour déposer le colis au tenancier, Eddo.
Eddo était un personnage soupe au lait, doté d’une voix de ténor. Ce qui embellissait les soirées lorsqu’il se mettait à chanter, pour illustrer sa bonne humeur, ou à l’inverse d’engueuler un client quand il ne l’était pas.
Ce jour-là, tout semblait aller pour le mieux, même si la venue de ce colis eut l’air de l’embarrasser.
Il le remercia tout de même en lui offrant un godet d’hypocras pour la course. Geste généreux, qui déclencha un signal d’alarme chez le jeune garçon, et fit résonner une petite voix dans sa tête qui lui disait, « attention, concours de circonstances trop favorables reste sur tes gardes ! »
Puis il chassa ses craintes, il ne pouvait pas en toute décence le refuser. Le paquet était livré, il avait travaillé pour les prochains trois jours et refoula cette mauvaise pensée pour aller s’installer dans le coin le plus sombre de l’auberge, partagée en temps ordinaire par les vagabonds.
Détail qui se vérifia quand il entendit…
— Psst psst !
… L’interpeller. C’était son ami Labiche qui se buvait un vin parfumé.
Il était rare de voir Labiche en taverne. Il logeait dans les bois en bordure du village et se vantait de manger avec assiduité de la viande, en posant des collets. Régime aux combien ostentatoires et coûteux qu’il avait partagé plusieurs fois en sa compagnie ! Il l’avait même à l’occasion invité à venir se construire une cabane telle que la sienne !
Acelin se conformait cependant à un dogme de vie très stricte qui l’empêcher de pratiquer une activité au quotidien, l’obligeant à décliner la proposition avec respect.
Labiche avait une sale habitude, celle de toujours voler quelque chose quand il passait au village. Ce qui faisait de lui, aux yeux de toute la communauté, un parasite de première catégorie, et comme pour illustrer ce statut atypique, il sortit de sa besace délabrée, un énorme pot qui captiva toute leur attention.
— Regarde ce que j’ai trouvé ce matin.
Acelin s’installa à sa table sans un mot, déglutit en reconnaissant le bocal, dont le souvenir déclencha une avalanche de sensations gustatives lointaine, chez lui, au quotidien peuplé de privations.
— Si ça te dit…
Continua Labiche en prenant son temps.
— Toi, tu partages ta miche et moi ma confiture.
La proposition n’attendait aucune réponse. Dès que Labiche ouvrit le récipient, ils trempèrent aussitôt leur index avant de le porter en bouche. Pour le garder un instant, afin d’apprécier comme il se doit son parfum délicat, dont la fréquence pour les deux amis devait égaler celle des solstices.
La confiture peu sucrée n’en restait pas moins un plaisir pour les sens, on pouvait deviner un mélange de fruits rouges et de baies sauvages, en déduit Acelin.
Les deux compères partagèrent quelques amabilités, ensuite, Labiche lui raconta ses dernières mésaventures. Il avait dérobé une nuit, des habits sur un fil d’étendage pour refaire sa garde-robe. Avant de se rendre compte qu’il s’agissait de linges féminins, dont il s’était, par défaut, servi pour rénover l’intérieur de sa cabane.
Ce qu’Acelin lui avait déconseillé avec insistance, car nuisible à un sommeil réparateur, selon lui.
Dans la discussion, il tourna le couvercle du pot de confiture et déchiffra avec difficulté une partie de l'inscription à moitié effacée « BELLA... »
Il haussa les épaules, et continua à converser et savourer avec délectation le sucre qui entourait son doigt gluant. Le pain comme la marmelade fondirent bien vite, victime de leur succès. Labiche en garda un fond pour le lendemain et Acelin, lui, un bout de sa miche qu’il rangea avec son écu dans sa poche.
Il commençait à avoir très chaud, réalisa se trouver repu, et sentait l’heure de la sieste s’approcher. Labiche le salua avec respect avant de disparaître telle une ombre. Le jeune vagabond se leva à son tour, après avoir fini son vin parfumé pour se diriger vers la sortie.
C’est là qu’il fut interpellé par Eddo qui semblait guetter son passage.
— Hey Acelin vient voir deux minutes !
Par réflexe, il se mit à réfléchir à toute allure, pour essayer de se souvenir d’une bourde qu’il aurait pu commettre il y a peu et oublier dans la foulée.
Eddo paraissait préoccupé, plus que d’ordinaire.
— J’ai préféré patienter que Labiche s’éloigne, je n’ai pas confiance en lui, toi en revanche c’est différent.
Il se détendit aussitôt.
— Dis-moi tu ne vas pas à la messe toi tout à l’heure ?
Il répondit avec un naturel bien à lui.
— Non j’ai déjà travaillé pour la journée.
Eddo ne sembla pas comprendre, mais continua.
— Bien très bien, je t’explique, un pèlerin a apporté ce colis à la boulangère, mais tu le sais, c’est moi qui devais le réceptionner. À présent, me voilà en retard, et il doit être livré au monastère juste derrière l’église, avant la fin de l’office. C’est très important, ensuite on doit tous s’y rendre, car ce paquet y est attendu, comme la venue de Christo en personne, si je peux me permettre.
Il se signa pour conjurer ce blasphème.
— Dépose-leur avant la clôture de la cérémonie et tu repasseras ici après et je t’offrirai un godet.
Le jeune vagabond comprit tout de suite l’intérêt que tout le monde semblait porter à ce petit objet et ne rajouta qu’un mot.
— Deux.
Eddo sourit et le garçon le lui rendit.
— Bon deux si tu veux, mais toi ne traîne pas en route, les moines doivent le réceptionner avant la fin de l’office, rappelle t’en.
Il le rassura.
— Pas de soucis Eddo c’est comme si c’était fait, cependant, le vin, je passerai le boire demain. Si je reste au village, on va encore me demander de travailler, faut pas pousser non plus.
Acelin reprit le colis, plus petit qu’une miche de pain, assez léger et couvert d’un papier marron muni d’une ficelle pour éviter la curiosité.
Il le cala sous son bras comme à son habitude, et sortit de la taverne.
Il y a de plus en plus de personnages intéressants. Cependant je m'inquiète pour lui... J'espère qu'il ne va pas rencontrer des probèmes avec ce paquet.
Oula les ennuis et Acelin, c'est une longue histoire d'amour.