- Expliquez-vous capitaine ! Comment une révolte qui plus est organisée par deux de vos propres hommes a pu avoir lieu sous votre nez sans que vous ne vous en rendiez compte ?! Mouz frappa du poing sur la table et fit trembler le sol. Il hurlait à en perdre la voix et son regard devenu noir refléter la colère qui l’animait. Cela est indigne de vous et indigne de l’uniforme que vous portez, capitaine Baily !
Toute cette haine qu’il n’avait pas pu cracher au visage des représentants de l’Ambassade, il l’a criée désormais au visage, devenu pourpre, de Baily. La délégation venue d’Alpha était déjà repartie laissant Aragon en proie à une incroyable agitation. Le général avait délaissé sa réunion et s’était enfermé avec la capitaine et les plus proches membres de son état-major. Les échos de sa voix se répercutaient jusque dans les couloirs qui menaient à la jetée et nul n’oser s’en approcher.
Les mains accrochées à ses cheveux, assis sur les marches de marbre des hauts quartiers de commandement, Dan attendait sans vraiment attendre. La scène défilait en boucle devant ses yeux. Il voyait encore les représentants en tunique blanche de l’Ambassade accusés Thomas et Hans de trahison, ses camarades se seraient servi des mineurs pour massacrer la garde de Louis Arame qu’ils auraient ensuite enlevé pour une rançon. Pourquoi ? Non ! Il avait beau voir et revoir cette scène, chaque mot prononcé, chaque accusation, tout était faux, jamais ils n’auraient pu trahir Aragon et encore moins pour une vulgaire rançon.
- Leur procès est pour demain matin. Dan sursauta et releva la tête. June et Sacha lui faisaient face, leur visage était aussi pâle que le sien.
- Je ne comprends pas, murmura Dan, pourquoi ? ses lèvres tremblaient légèrement.
- Il y a certaines choses qu’on ne peut tout simplement pas comprendre. Ils ont fait leur choix, répondit doucement June en lui tendant la main.
- Foutaises ! comment tu peux dire une chose pareille ?! Dan écarta la main qu’il lui avait tendue et se remit debout. Ils n’ont pas trahi Aragon !
- Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Je dis simplement qu’ils ont fait leur choix. Peu importe ce que cela pouvait bien être. Dan, tu ne peux plus rien y faire.
Ce dernier leva vers lui son regard abattu et ne pouvant plus se contrôler, il s’écroula en sanglotant. Ses camarades posèrent une main réconfortante sur son dos et le laissèrent exprimer sa peine. Sacha regardait le soleil se coucher sur la mer et adressa à Thomas et Hans une prière silencieuse.
Depuis la jetée, Olivia les observait à la dérobée, la trahison était peu commune chez les hommes d’Aragon et même elle qui n’avait jusque-là jamais remis en question les ordres ne parvenait pas à y croire. Elle s’approcha d’eux d’un pas hésitant, Sacha fut le premier à l’apercevoir et lui adressa un sourire timide.
- S’ils sont chanceux, ils seront brûlés par les salamandres dans le cas contraire ils serviront à nourrir les ténèbres, dit-elle sans le moindre ménagement. Le sourire de Sacha s’évanouit et June ouvrit la bouche de stupéfaction.
- Olivia… tu ne devrais…
- Et alors ? Qu’est que ça peut faire ? Ce sont des traitres, vous avez entendu le général, leur sort ne nous importe plus dorénavant.
- Fermes ta grande gueule, marmonna Dan. Son visage était recouvert par l’ombre de ses cheveux.
- Qu’as-tu dit ? lui demanda Olivia sur le ton de la provocation.
- Je t’ai dit de fermer ta putain de grande gueule ! Il était maintenant debout, la mâchoire crispée et les poings serrés.
- Pourquoi ? je n’ai dit que la vérité pourtant, la voix calme d’Olivia et son visage dénué d’expression accentués la haine qu’il ressentait pour elle en cet instant et si June ne lui avait pas saisi le bras il aurait probablement fini par écraser son poing sur son beau visage.
- Dan ! du haut des escaliers, la capitaine Baily, l’appela. D’un geste de la main, elle lui demanda de la rejoindre. Arrivé à sa hauteur, elle lui assena un léger coup sur la tête.
- Tu dois apprendre à te contrôler, il ne répondit pas et détourna les yeux, visiblement gêné qu’elle ait pu le voir dans cet état. Sony nous a préparé un navire, nous partirons demain à l’aube. Je compte sur toi pour préparer notre départ. Je vais devoir m’absenter pour un moment, le général a de nouveau réuni l’état-major et les capitaines, elle ricana, je te retrouverai donc à l’aube. Il voulut lui répondre, lui dire que rien de tout cela n’était vrai, que c’était injuste et qu’ils leur faillaient agir mais il se tut à la place et la regarda s’éloigner jusqu’à complétement disparaître sous les imposants arcs de l’étage supérieur.
Le bruit d’une goute s’écrasant sur le sol de béton rythmé les heures qui défilaient sans qu’ils ne puissent distinguer le jour de la nuit. Enfermés dans les geôles souterraines dès leur arrivée, Thomas et Hans, s’habituèrent aux ténèbres dans lesquelles la cellule était plongée. Au-dessus de leur tête, se trouvait le Tribunal de Glace, l’antichambre d’Alpha, s’étendant sur la quasi-totalité de l’île sur laquelle il avait été construit. Une immense porte érigée, dans le vide, délimitée l’extrémité nord de l’île. Au-delà de la porte, une ligne infranchissable avait été dressée comme bouclier protégeant la cité sacrée qui abritait l’Ambassade.
Des bruits de pas résonnèrent dans les couloirs déserts et se rapprochèrent des cellules. Le cliquetis d’une clé s’introduisant dans une serrure retentit mais la porte ne s’ouvrit pas. A la place, une fente fit entrer un filet de lumière et un plateau recouvert d’un maigre repas fut jeté à même le sol. Hans qui s’était relevé, se laissa de nouveau tomber dos au mur. Il expira bruyamment de déception en découvrant le contenu du plateau.
- Tu t’attendais à du caviar ? se moqua Thomas.
- Je ne m’attendais à rien ! rétorqua Hans en se mordant la lèvre mais je veux dire, ils auraient quand même pu faire un effort. Le Tribunal de Glace ce n’est pas rien et on est pourtant aussi mal nourri que dans les camps d’entrainement d’Aragon.
Thomas éclata de rire en s’en tordre le cou, il ne parvenait plus à reprendre son souffle et ses joues se coloraient d’une belle teinte rosée. Une fois calmé, il s’approcha de son ami qui plongeait avec tristesse sa cuillère dans la bouillie incolore qui leur servait de repas et posa sa main sur son épaule.
- Hans, on va se faire exécuter et toi tout ce qui t’importe c’est la qualité de la nourriture qu’on nous sert.
Il leva vers lui un regard de chien battu tout en mastiquant sans grande conviction. Puis il avala, hocha la tête et dit
- Je pensais simplement qu’on aurait le droit à un véritable repas au moins une fois dans notre putain de vie et il envoya valser l’assiette dans les airs.
Des applaudissements émanèrent de derrière la porte et à travers la fente Thomas et Hans virent deux yeux clairs qui les observaient. L’inconnu continuait d’applaudir tout en les regardant avec avidité. Thomas se rapprocha doucement de la porte et abaissa son visage au niveau de la fente. Il faisait désormais face aux yeux luisants de l’inconnu.
- Bordel mais t’es qui toi ?! hurla Hans.
- Un inconnu qui vous admire, la voix sans visage était aigu et étouffée.
- Et c’est reparti, on va encore devoir se coltiner le taré de service, pesta Hans en leur tournant le dos. Ignore le Thomas, il finira bien par partir. Mais l’inconnu ne bougea pas et il semblait même à Thomas qu’il leur souriait.
- Et pourquoi nous admires-tu ? lui demanda-t-il
- Vous êtes aux portes de la mort et pourtant vous débordez de vie. Moi, je ne sais plus si je suis en vie. Quelquefois il m’arrive de hurler pour m’assurer d’être toujours en vie.
Hans ricana et s’allongea de tout son long sur le sol humide.
- Bienvenue au club, marmonna-t-il en fermant les yeux.
L’inconnu s’éclipsa comme s’il était attiré par quelque chose puis ses yeux réapparurent par la fente.
- Vous êtes les deux d’Aragon, pas vrai ?
- Qu’est-ce que ça peut de foutre, cracha Hans
- Moi je travaille ici comme geôlier depuis que j’ai l’âge de tenir une épée. J’ai toujours admiré Aragon.
Il tendit la main et laissa tomber un objet dans la cellule.
- Je dois y aller mais je reviendrai. C’est dommage que l’on doit bientôt vous exécuter on aurait pu apprendre à se connaître un peu plus, vous m’avez l’air d’être d’honnêtes gens. Tenez, prenez ça, il leur désigna l’objet qu’il venait de leur donner, ce n’est pas grand-chose mais ça rendra vos repas un peu moins amers.
Et il disparut de nouveau laissant un bruit de clé s’entrechoquant dans son sillage. Thomas saisit l’objet enveloppé d’un papier qu’il arracha et rit en découvrant le cadeau de l’inconnu.
- Une bouteille d’alcool déjà entamée, il la tendit à Hans.
- Quel crevard.
Les deux amis burent le contenu sans se soucier de l’arrière-goût désagréable qu’il pouvait avoir. Enivrés par la fatigue, la faim et l’alcool, Thomas et Hans furent lentement emportés par un étrange sommeil.
Boom, boom, boom. Trois coups distincts émanèrent du plus profond des ténèbres. Boom, boom, boom. Les coups se répétèrent à intervalles réguliers puis s’arrêtèrent brusquement. Thomas ouvrit une paupière hésitante, il avait du mal à se souvenir de la veille. Il se réveilla et se retrouva allongé sur le sol froid de béton. Instinctivement il mit sa main devant ses yeux pour se protéger de la lumière qui provenait du fond de la pièce puis il se rendit compte que la porte de la cellule était en réalité grande ouverte et que la lumière était celle des lanternes accrochées aux murs des couloirs. Deux silhouettes postées à l’encadrement de la porte se dessinèrent lentement sous ses yeux qui s’adaptaient progressivement à la luminosité. Les deux silhouettes se rapprochèrent d’un pas pressé et l’une d’elles finit par lever sa matraque et l’écrasait de toutes ses forces sur son abdomen.
- Debout ! cri a-t-il alors que Thomas se recroquevillait de douleur. Ses ongles se brisaient sur sol de la cellule et un goût de sang lui envahit la bouche. Le geôlier s’agenouilla à sa hauteur et enchaîna ses chevilles tandis que celui qui l’accompagnait s’occuper de réveiller Hans en le projetant sur le sol. Le choc le réveilla et il gémit de douleur et de surprise. Il fut lui aussi enchainé et trainé jusqu’à la porte de la cellule. Le premier geôlier qui semblait leur vouer une haine incompréhensible les roua encore de coups et leur cracha au visage.
- Vous ne valez pas mieux que vos ancêtres. Vous devriez avoir honte d’être nés dans ce monde !
Thomas voulut répondre mais Hans lui pressa l’épaule et lui fit signe de se calmer. Le silence était peut-être la meilleure et la seule réponse qui leur restait. Sans prononcer un mot et essuyant les crachats qu’ils avaient reçu en plein visage, Thomas et Hans les suivirent dans les imposants couloirs qui menaient au Tribunal de Glace. Thomas luttait pour étouffer ses sentiments. Il ne voulait pas montrer ni sa peur, ni son remords. Hans et lui s’était promis une chose avant que les salamandres ne les capturent, qu’ils mourront le sourire aux lèvres comme Kosta. Ce geste sera leur dernier doigt d’honneur à l’Ambassade, aux cités et à l’injustice qui façonnait ce monde.
L’air étouffant des souterrains laissait petit à petit place à une douce brise au fur et à mesure qu’ils avançaient. Les murs de pierre devinrent des murs de verre et bientôt la mer se dessina devant leurs yeux. A bout du dernier couloir qu’ils restaient à parcourir se dressaient les immenses portes de verre du Tribunal de Glace. Les geôliers leur attachèrent les chevilles à de petits poteaux enfoncés dans le sol à quelques centimètres des portes et partirent sans se retourner. Ne pouvant réprimer sa curiosité, Thomas se reprocha des portes et observa l’intérieur du Tribunal.
- Et dire que tout ceci était juste au-dessus de nos têtes. Impressionnant, murmura-t-il
- Qu’est-ce que tu vois ? demanda Hans qui s’était accroupi
- Il y a une estrade. Je pense voir le juge. Quelques personnes l’accompagnent et puis il y a des sortes de balcons mais ils sont encore vides … il y a également trois piliers reliés en plein milieu de la salle et …. il tira sur ses chaînes, je crois qu’il y a des bancs destinés à accueillir un public. Tu penses qu’ils viendront ?
- Non, répondit Hans sans le regarder. Nous avons tourné le dos à Aragon alors ils ne viendront pas.
Les puissants coups de marteau retentirent et firent vibrer les portes du tribunal qui s’ouvrirent au visage de Thomas et Hans. Deux salamandres qui leur tournèrent le dos s’agenouillèrent alors que le juge et les gens qui l’entouraient inclinèrent solennellement la tête. Le balcon suspendu derrière l’estrade du juge accueillit deux personnes vêtues d’un kimono traditionnel d’un blanc immaculé et d’un voile transparent qui protégeait leur visage et d’un large chapeau auquel étaient suspendues des larmes de perles ; seuls leurs yeux clairs restaient visibles. Ils levèrent leurs poignets entourés de chaînes de métal noir à la vue de tous comme un symbole de puissance puis s’assirent enfin. Le juge frappa une nouvelle fois de son marteau sur la surface lisse de son office qui reflétait son visage et dit d’une voix forte et roque :
- Que l’on fasse rentrer les accusés !
Les salamandres trainèrent les deux camarades enchaînés au centre du tribunal et les attachèrent à deux piliers différents. Le cœur battant et les mains tremblantes, Thomas et Hans n’osèrent plus bouger.
- Les voix de la Justice sont impénétrables, son Excellence l’Ambassadeur les entend et lui seul peut les traduire. Un jeune homme au kimono pourpre venait de prendre la parole, Levez-vous, ordonna-t-il et tous les corps se levèrent comme s’ils n’en formaient qu’un, avant de poursuivre, juge, jurés, bourreaux et accusés vous jugerez et serez jugés selon les règles de son Absolu l’Ambassade et sous la clairvoyance de son représentant, son excellence l’Ambassadeur. Puisse sa lumière éclairer vos choix et ne jamais quitter vos cœurs. L’obéissance est la clé de la délivrance ! il s’inclina une nouvelle fois devant le balcon centrale et regagna sa place à l’extrémité droite de l’estrade ou siégeait le juge.
Puis se fut autour du rapporteur du Haut Tribunal coiffé d’un glaive d’or de s’exprimer d’une voix plate et monotone :
- Au nom de l’Ambassade et de son excellence l’Ambassadeur, le Haut Tribunal a été réuni sur ordre de son excellence l’Ambassadeur pour juger des faits de crime contre l’humanité, révolte et incitation à la haine et à la désobéissance de son Absolu l’Ambassade, commis par les présents Thomas Saver et Hans Harmy. Les salamandres ici présentes témoigneront de ceux qu’elle en vu, la parole sera ensuite donnée aux représentants de la maison d’Arame. Pour finir, dans sa très grande miséricorde son excellence l’Ambassadeur par la voix de ses représentants souhaite que le tribunal laisse l’opportunité aux accusés de s’exprimer. Votre honneur, la parole vous revient.
Le rapporteur s’inclina respectueusement et se retira. Le juge qui semblait être distrait par le reflet de son visage sur le marbre de son office se racla maladroitement la gorge et dit :
- Salamandres veuillez nous retracer les événements de ce sinistre incident.
Thomas et Hans reconnurent le visage de la salamandre qui se présenta au Tribunal et l’entendirent dérouler les faits qui les avaient conduits à la situation dans laquelle ils étaient. La salamandre n’omit aucun détail de son récit, racontant comment ses hommes ont découvert avec effroi les mines jonchées de corps des soldats d’Arame morts en martyrs , le champ de bataille, la dépouille du fils d’Arame retrouvée dans les galeries intérieures et enfin le dévouement et la loyauté des hommes d’Aragon qui ont tenté tant bien que mal de contenir cette révolte qui menaçait de s’abattre sur les habitants la ville.
Tout au long de son discours et des intonations qu’elle donnait à sa voix, le public s’indignait, se révoltait, retenait ses larmes ou proférait des insultes à l’encontre des deux camarades agenouillés. Thomas eut un haut le cœur en apprenant la mort du fils d’Arame et il se remémora son visage audacieux et confiant comme si le monde lui appartenait. La salamandre finit par mettre en garde le Tribunal et par la même occasion l’Ambassade sur le danger que pouvait constituer des individus dont le cœur était animé par la haine, l’avidité et la convoitise. Que l’Ambassade ne devait en aucun cas les laisser proliférer et souiller les honnêtes âmes. Elle devait les purifier par ses flammes sacrées comme elle l’a jadis fait. Le juge qui scrutait encore avec insistance le reflet de son visage sur la surface lisse du marbre hocha la tête et demanda à la salamandre de lui préciser dans les moindres détails le rôle qu’avait joué Aragon. La salamandre étonnée par la requête acquiesça et reprit :
- Votre honneur comme je l’ai précédemment évoqué, les hommes d’Aragon ont été exemplaires et ont assuré la défense de la ville et de ses habitants. Les traitres ont menacé de s’en prendre à la ville si les hommes d’Arame refusaient de se plier à leur volonté. Aragon a tenu jusqu’à notre arrivée et a subi des pertes en contrepartie.
La salamandre se retira sous ordre du juge et laissa place à la délégation d’Arame vêtue de noir manifestant son deuil. Justice, châtiment, immense perte et ténèbres furent les seuls mots que Thomas réussit à retenir de la plaidoirie déroulée telle une pièce de théâtre de la délégation d’Arame.
Leur représentant ne cessait de geindre, balançant ses bras dans les airs pour accentuer sa douleur, hurlant le nom du défaut Louis et maudissant du plus profond de son cœur les meurtriers de son seigneur bien-aimé. Chaque parole prononcée était un mensonge de plus qu’ils devaient accepter sans siller. Thomas serra sa mâchoire au point de faire grincer ses dents, le souvenir du visage de Kosta souriant aux portes de la mort le plongea dans un état de révolte et de haine à l’égard de ces marionnettes, qui pensaient incarnées la justice et la vertu, qu’il n’avait jamais connu jusque là. Hans lui, restait livide, les déclarations de la salamandre l’avaient bien trop ébranlé. Alors que le représentant enroulé dans son habit noir tel un corbeau s’apprêtait à achever sa tirade, le juge frappa de son marteau laissant ses derniers mots en suspend au-dessus de l’assemblée et lui ordonna de se retirer puis il dirigea ses yeux marqués par de profonds cernes noirs vers les accusés qu’il désigna de son menton.
- La parole revient désormais aux accusés conformément au souhait de son excellence l’Ambassadeur.
Un silence de plomb s’installa alors que tous les regards convergèrent vers le centre du Tribunal et écrasèrent Thomas et Hans de leurs accusations silencieuses. Les doigts du juge pianotèrent sur la surface de marbre de son office et trahissaient son impatience. Il s’apprêtait à frapper de son marteau mais s’immobilisa en regardant son reflet une nouvelle fois. Thomas suivit ses yeux du regard et vit que le juge qui semblait si distraie par son reflet depuis le début de la séance s’en servait en réalité pour communiquer avec les occupants du balcon suspendu dans son dos. Ne connaissant ni les grades, ni les titres des représentants de l’Ambassade il en déduisit tout de même que ces gens devaient être très importants au point que le juge du Haut Tribunal se pliait à leurs commandements.
- Accusés la parole vous revient ! ordonna une fois de plus le juge de sa voix grave qui s’abattit tel un tonnerre mais Hans détourna le regard et répondit qu’il n’avait rien à ajouter.
Il s’attendait surement à ce que Thomas fasse de même mais ce dernier se releva faisant danser ses chaînes et planta son regard aux sourcilles froncés droit dans les yeux de l’un des occupants du balcon central qui lui sourit en retour le félicitant peut-être d’avoir compris leur petit manège.
- L’avidité a peut-être eu raison de nos cœurs mais pensez-vous qu’une émotion aussi futile et éphémère soit seule à l’origine d’une telle révolte ? pensez-vous que ces mineurs dont vous n’avez pas une fois cité le nom ait été poussé par l’avidité ? Vous parlez de justice et paix mais votre orgueil vous condamnera à ne connaître ni l’une ni l’autre.
Le visage du juge se crispa au point de se déformer sous le coup de la colère et de l’étonnement. Jamais au cours de sa longue carrière à la tête de ce Haut Tribunal, il n’avait vu un accusé faire preuve d’une pareille audace qui s’apparentait plus à de la bêtise qu’à de l’insolence. Il serra si fort son marteau qu’il se mit à trembler de tout son corps. L’assemblée bouche bée était comme obnubilée par les paroles que venaient de prononcer Thomas et restait suspendue à ses lèvres.
- Insolent ! hurla le juge hors de lui, comment osez vous proférer de telles atrocités à l’encontre de sa très sainte Ambassade ! Salamandre qu’attendez-vous pour lui infliger le châtiment qui convient à ceux qui ne savent pas rester à leur place !
La salamandre tira violemment sur ses chaînes ce qui le fit basculer en arrière mais s’arrêta brusquement et s’agenouilla de nouveau. Lorsqu’il releva la tête, Thomas vit que le juge ainsi que toute l’assemblée s’étaient prosternés en direction du balcon central. Ces deux occupants se tenaient debout, le voile qui dissimulait la partie inférieure de leur visage bougea légèrement et laissa apparaître des traits si fins qu’il était impossible de dire s’il s’agissait de femmes ou d’hommes.
- Il suffit salamandre, prononça l’un d’eux d’une voix douce et dépourvue d’hostilité. Son excellence l’Ambassadeur souhaite l’entendre, qu’il s’exprime donc. Parlez sans crainte.
- Si les mineurs ont choisi de désobéir aux ordres et de nous suivre au péril de leur vie c’est pour combattre l’injustice dans laquelle vous les avez plongés. Cette injustice n’était pas seulement une humiliation pour eux comme pour nous, elle a été mortelle pour nombreux des leurs ! reprit Thomas nullement intimidé ni par le regard interdit du juge ni par la présence de la salamandre. Le comptage des dettes a été falsifié par la maison d’Arame mais je ne vous apprends rien, n’est-ce pas ? Vous êtes tous aussi pourris les uns que les autres ! Mais bien sûr, pourquoi ne pas profiter d’un esclavage infini ? Il faudrait être fou pour refuser, non ? Un paradis pour vous et les vôtres, un paradis pour lequel vous n’aurez pas à sacrifier ni larme, ni sueur. Mais par votre égoïsme vous transformerez votre paradis en enfer car vous êtes aveuglés par votre propre cupidité et vous ne voyez pas la révolte qui brûle sous vos fenêtres. Si vous pensez que nous resterons silencieux et enchaînés par une Histoire que vous avez écrite seuls, alors vous finirez emportés par un raz-de-marée de révolutionnaires prêts à sacrifier sa vie pour mourir libre, car nous mourrons libres et cette révolte n’est que le début de la fin de votre beau monde !
Pris d’une rage quasi délirante, Thomas laissa s’échapper ses paroles sans qu’il ne puisse les contrôler. Ce n’est qu’au moment ou son regard croisa de nouveau celui de l’occupant du balcon central qu’il comprit l’erreur qu’il venait de commettre. Hans, la bouche grande ouverte et les yeux exorbités, assistait impuissant à la raclée infligeait par les salamandres à Thomas qui hurlait de douleur. Ils le ruèrent de coups sans aucune retenu n’épargnant ni son visage, ni aucune partie sensible de son corps. Le bout d’un sabre heurta sa mâchoire dans un craquement terrible qui donna la nausée à Hans qui ne savait plus s’il tremblait de peur de subir le même châtiment ou de voir son ami mourir sous ses yeux. Son corps était paralysé par la terreur que lui inspirait ce spectacle d’une violence inouïe mais sa loyauté envers son ami fut plus forte et avant même qu’il ne puisse s’en rendre compte il était déjà debout à implorer le juge d’épargner Thomas.
- Pitié, pitié ! Arrêtez !
- Il suffit salamandre, ordonna l’un des deux occupants du balcon central. Les coups s’arrêtèrent instantanément laissant l’opportunité à Hans de ramper jusqu’à Thomas inconscient, le visage déformé par les coups et le sang. Son excellence l’Ambassadeur a désormais la preuve de la noirceur de vos cœurs reprit-il mais dans son infinie clémence, l’Ambassade vous tend une main miséricordieuse et vous accorde l’opportunité de laisser la lumière purifier vos âmes une dernière fois avant d’affronter la mort. Votre honneur, que la sentence soit donnée !
Le juge frappa une dernière fois de son marteau et condamna Thomas et Hans à rejoindre les colonies établies au-delà du mur de flammes protégeant l’Humanité des ténèbres. Par cet acte, ils pourront une dernière fois servir l’humanité, mourir pour elle et ainsi purifier leur cœur. Hans laissa échapper toutes les larmes qu’il avait réussi à retenir tandis que les salamandres les reconduisirent dans l’obscurité de leur cellule. Recroquevillé dans un coin de la pièce, il se laissa emporter par la colère et le désespoir. Il hurlait, hurlait si fort en s’en briser les cordes vocales. Il était en colère et pas uniquement contre ce maudit tribunal, il en voulait à Thomas, il lui en voulait tellement qu’il aurait pu écraser ce qu’il restait de sa foutue tête contre le sol de béton. La colère le quitta peu à peu laissant place à une immense peine qui lui transperça le cœur et il se rapprocha de son ami inconscient. Penché au-dessus de lui, il lui caressa doucement les cheveux en marmonnant des excuses inaudibles. Les battements de son cœur se mirent à ralentir lentement et son corps fut parcouru de tressaillements. Il eut si froid que ses dents commencèrent à s’entrechoquer. Il voulut se relever mais son cœur ne battait presque plus et l’air se vida subitement de ses poumons. Agonisant dans une étroite cellule sombre dans laquelle on l’avait jeté, Hans utilisa ses dernières forces pour se rapprocher de Thomas qui disparut sous ses yeux dans un épais voile obscur.
Les geôliers n’arrivèrent que le lendemain matin alors que les premiers rayons du soleil effleurèrent la surface agitée de la mer et découvrirent deux corps inertes, l’un le visage tuméfié et l’autre la peau bleuie. Le même geôlier qui avait escorté et insulté Thomas et Hans suggéra à ses camarades de les balancer à la mer sans aucune forme de cérémonie car ils avaient été bien trop lâches pour affronter leur châtiment.
- Non, objecta son supérieur. Le Haut Tribunal avait l’intention de leur accorder la grâce de l’Ambassade qui les jugeait dignes de la recevoir. Sur la côte Est du continent il y a une plaine, vous les enterrerez là.
Les corps furent transportés de nuit dans une petite embarcation qui voguait au grè du vent jusqu’à atteindre le petit port d’attache de la ville de pêcheurs de Möhz. Les geôliers marchèrent une heure avant d’atteindre la petite plaine entourée d’un bois dégarni. Ils creusèrent deux tombes, inhumèrent les corps et repartirent emportant avec eux le dernier souvenir des hommes qu’ils venaient d’enterrer.
Sous la terre fraîche et étouffante, quelques heures s’écoulèrent avant que deux yeux ne s’ouvrirent et tremblèrent de panique. Le fin tissu qui recouvrait la bouche et le nez laissa filtrer de la terre qui s’infiltra au plus profond de sa gorge. Il gratta de ses doigts la terre qui l’écrasait de tout son poids et hurla à l’aide. Sa bouche se remplit du gout amer des fines particules de poussière qui s’accumulait sur le drap et il réalisa enfin la situation dans laquelle il était. Il avait été enterré vivant, condamné à mourir étouffé dans une obscurité et un silence total. Il se débattit encore et cria de plus belle espérant que l’on vienne le tirer de sa tombe prématurément creusée mais le seul bruit qui lui parvenait en retour était celui de sa respiration saccadée.
- A l’aide ! a l’aide ! Pitié ! Je suis encore en vie ! A l’aide ! Bordel de merde ! Sortez-moi de là !
La terre lui obscurcissait la vue et bloquer sa respiration. Il cessa de gémir et s’immobilisa car sa voix n’émettait plus aucun son. Seules ses larmes continuèrent de s’écouler jusqu’à disparaître au contact de la terre. Il ferma les yeux puis les réouvrit et les ferma de nouveau priant pour que tout ceci ne soit qu’un cauchemar qui avait pris les traits de la réalité. Alors qu’il était prêt à abandonner et à se laisser ensevelir entièrement quelque chose à la surface bougea légèrement. L’espoir fit rebattre son cœur et il cria de plus belle en grattant à s’en détruire les ongles les couches de terre qui l’enfermaient. Le bruit de pas se fut plus intense puis s’arrêta net.
- A l’aide ! A l’aide ! A l’aide
- A l’aide ! A l’aide ! A l’aide, lui répondit une voix étouffée de l’autre côté
- On m’a enterré vivant ! Sortez-moi de là !
La voix se mit à rire et s’amusa à l’imiter en chantonnant. Thomas pensa alors qu’il s’agissait d’une illusion et que la voix n’était que le fruit de son imagination mais la terre se mit tout à coup à trembler comme si elle était attirée vers l’extérieur. De la boue dégoulina sur la partie inférieure de son visage alors que de faibles filets de lumière pénétrèrent jusqu’à lui. Au fur et à mesure la lumière devint de plus en plus intense jusqu’à que le ciel apparut devant ses yeux incrédules. Il inspira longuement l’air frais qui lui piqua les yeux et le nez et ne pu retenir ses larmes. Un visage familier aux yeux luisants se pencha sur le trou dans lequel il reposait.
- A l’aide ! A l’aide ! Aidez-moi ! Sortez-moi de là ! fit-il en imitant Thomas. Pour une petite chose tu en fais du bruit, tu ne trouves pas ?
- Vous êtes le geôlier de la dernière fois, articula difficilement Thomas
- Bingo, pour un pauvre con t’as l’esprit plutôt vif, répondit ce dernier avant d’exploser de rire.
- Qui es tu ? et où est Hans ? demanda Thomas d’une voix tremblante.
- Ton ange gardien, il lui sourit, un soupçon de malice sur les lèvres et sans crier gare lui assena un violent coup de pelle en plein visage. Avant même de pouvoir ressentir la douleur, Thomas plongea de nouveau dans un profond coma.
L'univers m'est toujours aussi sympathique, ce tribunal aux dômes de verre, j'aime beaucoup.
Si sur le fond, j'apprécie, la forme me laisse parfois hésitant. Il y a quelques passages où le point de vue change un peu brusquement, ou d'autres où je n'ai pas réussi à savoir qui parle.
Cela dit, je continue d'apprécier les effets de "suspension poétique" que tu obtiens parfois. :)
Note de style
- tu as parfois de longues phrases, dans lesquelles on se perd un peu. ex: Au centre, se tenait un pilier gardé par deux salamandres ; lui faisant face un gradin abritait le juge reconnaissable à son collier à l’effigie du glaive qui était accompagné, à sa droite par le représentant de son excellence l’Ambassadeur habillé d’une tunique blanche.
Autre exemple : Eminence, dit-il d’une voix tremblante, le visage livide, ne comprenant pas ce qui était attendu de lui avant de se ressaisir et de frapper de son marteau annonçant son jugement, coupable dit-il sans prendre la peine de lire la délibération que lui avait remise le juré, le Haut Tribunal de l’Ambassade vous condamne à la peine capitale comme punition de vos crimes.
Détails :
- il & ils mélangés dans la 1ère phrase
- relié --> reliait
- attention aux virgules ! Il en manque un peu de ci de là.
- Le tiret devant "pourquoi est-ce que" n'est pas un cadratin.
- Il relâcha son ami et rattrapa sa tête avant qu’elle ne touche le sol. : on dirait que sa tête s'est décrochée.
Pour la devinette, je dis le héros de One Piece ?
Merci pour ton commentaire et tes remarques qui me sont toujours très utiles :) J'en prends note pour la suite et j'essayerai d'améliorer ces points et de corriger ce qu'il y a à corriger. Pour la devinette bingo c'est ça !
À bientôt ;)
Bon ca aura mis le temps mais j'ai fini par réussir à lire (et apprécier) ce chapitre
Je n'ai rien noté concernant d'éventuelles coquilles à te signaler donc de ce côté là, tout va bien :) en fait si , y a juste un tiret normal qui s'est glissé au début de la phrase : "Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que tu la ramènes ?" mais bon c'est vraiment rien.
Sinon j'ai bien aimé le personnage de l'éminence. Il est intriguant et j'espère le recroiser par la suite (mais je suis persuadé que ce sera le cas :))
Ha oui ! et j'ai bien aimé l'énigme en préambule ! c'est une bonne idée (même si je n'ai pas trouvé la réponse :-P)
A bientôt !!
Merci pour ton commentaire :) Ça me fait plaisir que le personnage de l'éminence te plaît :)
Petit indice pour la devinette : animé/manga
A bientôt ;)