À peine le fumigène fut-il lancé au centre de la place que Tanwen quitta son poste et courut vers le bûcher. Son armure était lourde et trop petite pour elle, ce qui la ralentissait grandement. Mais c'était le prix à payer pour avoir pu s'approcher autant de Lux sans se faire repérer. Ils avaient chevauché presque sans prendre de pause depuis Dérios et étaient arrivés dans les temps. Profitant du nombre important de visiteurs venus assister à la cérémonie, ils n'eurent aucune difficulté à pénétrer dans la cité. Le reste fut un heureux concours de circonstances. Grâce à Luke, ils avaient pu récupérer des armures dans la caserne des gardes du Palais en passant totalement inaperçus. Il faut dire que cette dernière était presque déserte lorsqu’ils s’y étaient infiltrés dans la matinée. Ces derniers devaient sans doute être occupés ailleurs pour préparer la cérémonie.
Malgré la fumée, elle réussit à rejoindre le centre de la place accompagnée par d’autres Brûlés, eux aussi déguisés en garde.
Tanwen grimpa sur le bûcher, sortit un couteau et commença à trancher les liens de Lux.
— Vous êtes complètement fous, dit-elle en ayant reconnu ses compagnons d’armes sous leurs armures.
— On ne pouvait pas te laisser ici, s’exclama l’un d’entre eux.
— Il faut se dépêcher ! Ajouta Luke qui était avec eux. La fumée ne tiendra pas longtemps.
Il disait vrai, le nuage commençait déjà à se dissiper. Tanwen fit un dernier effort et la corde se rompit. Les Brûlés aidèrent leur chef à descendre. Lux était mal en point et son visage était creusé par la fatigue. Elle portait plusieurs marques de contusions ainsi que des cicatrices témoignant des sévices qu'elle avait subi durant ces quelques jours de captivité. Pourtant, malgré la douleur et la fatigue, elle conservait cet air noble et fier qui lui sied en toute circonstance.
La première partie de leur plan s'était déroulée à merveille. Mais le plus dur restait encore à faire. Bien que Lux fût en état de marcher, il leur fallait une échappatoire au plus vite. La fumée avait presque entièrement disparu et ce n'était qu'une question de secondes avant qu'ils ne soient encerclés. Tanwen jeta un regard derrière elle pour apercevoir tout un contingent de gardes foncer sur eux. Elle allait prévenir les autres lorsqu'elle fut emportée dans un raz-de-marée humain. C’est maintenant que commençait la phase la plus complexe de leur plan. Ils devaient exfiltrer Lux jusqu’à une petite fontaine à l’Est de la cité qui leur servait de point de rendez-vous. Mais ils avaient peut-être sous-estimé le barrage que pouvait constituer une foule en colère. Tanwen fut violemment bousculée et manqua à plusieurs reprises de perdre l’équilibre, ce qui lui aurait valu une mort certaine. Son casque tomba dans la mêlée et sa belle cape rouge fut réduite en lambeaux.
Les soldats étaient complètement submergés et se faisaient emporter dans le mouvement par la foule qui semblait se diriger avec avidité vers les promontoires en bois. Le bon côté des choses était que les gardes du Palais avaient stoppé leur charge pour former une ligne de défense autour des Flammes. Mais ils n’étaient pas assez nombreux pour également défendre les gradins en bois des Sénateurs et ceux-ci furent renversés par la foule.
En jouant des coudes, Tanwen commença peu à peu à s’extirper et à progresser plus en avant. Elle avait été séparée et elle n’arrivait pas à savoir où étaient passés les autres. Elle tourna la tête dans tous les sens et son regard finit par croiser celui d’un des gardes du Palais quelques mètres plus loin. Elle le reconnut instantanément. Elle s’était battue contre lui à plusieurs reprises et elle avait gravé son visage mauvais et perfide dans son esprit. Il la remarqua également et rompit sa ligne pour se lancer à sa poursuite.
Tanwen accéléra l’allure autant qu’elle le pouvait et elle finit par sortir de la masse compacte de citadins. Ses problèmes n’étaient pas terminés pour autant. Les rues étaient encore pleines de monde et des patrouilles de soldats paniqués convergeaient à toute vitesse vers la place. Voyant que son équipement ne faisait qu’attirer l’attention sur elle, Tanwen l’enleva rapidement et poursuivit sa route jusqu’à leur point de rendez-vous. Malheureusement, si elle connaissait Dérios comme sa poche, elle avait beaucoup de mal à s’orienter dans Spyr. Les maisons de briques et de marbres lui semblaient toutes identiques et la cohue environnante n’aidait pas vraiment. Elle se trompa plusieurs fois de chemin et fit des détours avant d’apercevoir la fontaine au bout d’une ruelle.
Lux et les autres Brûlés étaient près de celle-ci et reprenaient leur souffle. Ils avaient réussi et elle-même avait du mal à y croire. Tanwen voulait crier de joie. Elle s’apprêta à leur faire signe lorsqu’elle fut plaquée au sol. Le choc lui coupa le souffle et son crâne heurta lourdement les pavés de la chaussée. Bien que sonnée, elle reconnut le garde de tout à l’heure qui se tenait au-dessus d’elle, son regard était rempli de haine.
*
Tout était tombé à l’eau. La révélation de Laris avait enflammé la foule et celle-ci se dirigeait vers eux. Sirius ne savait pas si c'était pour l'acclamer ou réclamer sa tête. N’attendant pas de le découvrir, il descendit rapidement de son promontoire en bois alors que les gardes du Palais faisaient leur possible pour tenir la ligne. Il devait gagner une caserne, là, il serait à l’abri et aurait des hommes pour le protéger. En jetant un rapide coup d’œil derrière lui, il vit les gradins être renversés et plusieurs sénateurs se faire emporter par la foule. Alors qu’il s’apprêtait à quitter la place, la voix de Laris retentit derrière lui.
— Attrapez-le ! Il ne faut pas qu'il s'échappe ! Arrêtez ! Que faites-vous ?
Sirius ne s'en préoccupa pas et accéléra la cadence. Après s’être frayé un chemin au travers des ruelles pleines à craquer, il tomba nez à nez sur une patrouille de soldats qui se dirigeait vers la place.
— Je suis la Flamme de la Guerre ! Cria-t-il. Je vous ordonne de m’escorter jusqu’au palais.
La demi-douzaine de légionnaires se regardèrent un peu perdus, puis ils finirent par accepter et raccompagnèrent Sirius en direction du palais.
Il était soulagé. Une fois dans ses appartements, il serait à l’abri. Il pourrait alors donner des ordres en sécurité et s’assurer que Laris paie pour ce qu’il venait de faire. Sirius ne savait pas comment il avait eu accès à cette lettre, mais cela le mettait hors de lui. S’il voulait survivre, il devait prendre le pouvoir par la force et se débarrasser de lui à tout prix.
Alors que son groupe arrivait en vue du palais, ils se retrouvèrent face à un mur de gardes qui les empêchèrent d’avancer.
— Laissez-moi passer !
Ne voyant aucune réaction, il répéta :
— Je suis la Flamme de la Guerre et je vous ordonne de me laisser passer.
— Et ils n’en feront rien !
Sirius se retourna pour voir Atrius arriver dans son dos, escorté par d'autres gardes.
— Ne me dites pas que vous vous êtes ralliés à Laris ! Cette vermine a conspiré avec Dérios et il comptait se débarrasser de nous deux aujourd’hui. S'il m'attrape aujourd'hui, vous serez le prochain à tomber !
— Ne vous en faites pas pour Laris, je me suis occupé de ses hommes. Et sans le Sénat, il n’est rien. Or, ce dernier est actuellement en proie avec le peuple et je doute qu'il soit disponible avant un moment. Évidemment, il n’avait pas anticipé que de telles révélations bousculeraient la foule à ce point.
— Ne me dites pas que c’est de votre fait ?
— Moi ? Non ! Disons que je n’ai fait que donner quelques garanties pour être certain que les choses suivent leur cours. Mais je n'étais pas le seul à avoir des agents dissimulés dans la plèbe, visiblement. Quoi qu'il en soit, désormais, le Sénat n'est plus et les Spyriens sont divisés. Ils ont besoin d'une figure forte et stable que seul le Culte du Brasier est en mesure de leur donner. Même si je dois dire que je ne m’attendais pas à un tel revirement. Le fils d’Aurel en personne ! Je comprends que Laris souhaitait votre mort, vous représentez une réelle menace pour cette cité.
À ses mots, tous les gardes dégainèrent leurs armes et les pointèrent en direction de Sirius.
— Mais pour une raison qui m’échappe, Pyra semble considérer que vous avez encore un rôle à jouer dans cette histoire. J’espère qu’elle a raison, car s’il ne tenait qu’à moi, je me débarrasserai de vous sur le champ.
— Et votre sacrifice religieux, tout cela n’était que du vent ?
— Non, cette sorcière doit mourir, et c’est bien ce qui m’inquiète. Il semblerait que j’aie bâclé le travail et que ses amis de l’Ordre soient venus la secourir. Mais une seule chose à la fois, vous allez gentiment rejoindre vos quartiers sans faire de résistance et vous y resterez jusqu’à ce que la situation soit sous contrôle. Les gardes du Palais vous escorteront pour votre propre sécurité.
Il fit signe à ses hommes de s’avancer. Les soldats de Sirius se regardèrent puis ils baissèrent leurs armes en voyant qu’il ne servirait à rien de lutter à un contre vingt. Sirius voulut se débattre, mais deux gardes lui saisirent fermement les bras et l’emmenèrent de force vers ses appartements.
*
Aydan courait à en perdre haleine. La fille qu’il avait vue était une Brûlée, il en était certain. Il en avait informé Liam et s’était élancé à sa poursuite sans attendre sa réponse. Il serait certainement sermonné pour avoir ainsi rompu la ligne, mais s’il parvenait à la rattraper, elle le conduirait directement vers les siens. Il partit donc en courant en se frayant tant bien que mal un chemin dans la foule. Lorsqu’il s’en extirpa, il continua sa course dans le dédale de ruelles de la capitale. Malheureusement, il avait été trop lent et il avait perdu sa cible de vue. Aydan ne voyait pas par quel miracle il pouvait la retrouver. Alors qu’il allait renoncer et rentrer bredouille auprès des siens, il la remarqua courir en ligne droite dans une ruelle juste devant lui. C'était un miracle et cela ne pouvait être qu'un signe de Pyra. Il se précipita vers elle et bondit en avant pour la plaquer au sol. Il batailla un moment pour la maîtriser, car la Brûlée se débattait dans tous les sens. Quand il y parvint enfin, une voix s'éleva dans son dos :
— Attends !
Il tourna la tête et aperçut Luke. Son ancien ami revêtait sa tenue de garde du palais. Il tenait dans sa main droite son casque à plume et il avait même récupéré sa flamberge qu’il tenait mollement dans l’autre.
— Toi ! Cria-t-il. Comment oses-tu encore porter cette armure ?!
— Calme-toi, Aydan, je ne suis pas ton ennemi.
— Menteur ! Tu n’es qu’un traître ! Tu ne mérites que la mort pour tous nos camarades tombés au Tertre blanc.
Luke soupira.
— Tu sais quoi, tu as gagné ! Je ne perdrai plus mon temps à te parler. Laisse là partir et viens régler ça avec moi.
Il prit son arme à deux mains et la brandit devant lui.
Voyant que sa captive commençait à se débattre, Aydan la releva et il sortit une dague qu’il plaça sous sa gorge.
— Et moi, j’ai une meilleure idée. Tu baisses ton arme sinon la fille meurt.
— Je savais que tu n’avais aucun sens de l'honneur, mais regarde ce que Pyra a fait de toi. Tu es tombé bien bas, Aydan.
— Arrête de parler ! Tu ne comprends pas ! Tu as quitté la garde, tu n’es plus l’un des nôtres ! Tu n'es plus rien !
Au fond de lui, Aydan ne voulait pas faire du mal à son ami. Bien qu’il ne comprenait toujours pas sa décision d’avoir rejoint les Brûlés, il éprouvait encore la nostalgie de leurs premières missions passées ensemble. D'ailleurs, en le voyant dans son armure, il avait presque l'impression que rien n'avait changé et qu'ils étaient toujours les mêmes. Mais il ressentait également une soif de sang insatiable. Sa déesse avait besoin de sang et son appel lui crispait le bras, presque comme s’il n’avait plus le moindre contrôle sur sa propre arme.
Il se prit la tête en hurlant et envoya la jeune femme s'écraser contre le mur avec une force surprenante avant de charger vers Luke. Leurs armes s'entrechoquèrent pendant plusieurs secondes. Il avait beau assaillir son ami de coup puissant, Luke parvenait à tenir le rythme et aucun d'entre eux n'avait l'avantage. C'est alors qu'il crut voir une ouverture et, aveuglé par la rage que Pyra insufflait en lui, il se précipita en avant. Luke fit un rapide pas de côté et le frappa durement au foie avec le pommeau de son arme. Aydan sentit la douleur lui irradier le corps. Il lâcha son arme et tomba à genoux en se courbant en deux.
— Je suis désolé, Aydan, j’aurais aimé que cela se finisse autrement.
Son ami leva son arme et Aydan lui lança un regard où s'y mêlaient rage et désespoir. Celui de Luke ne reflétait que le regret. Alors qu'il allait abattre son arme, une lame lui transperça le ventre et il hoqueta de surprise. Un léger filet de sang s’échappa de sa bouche, ses yeux devinrent vitreux et il s’effondra sur le sol. Derrière lui, Aydan reconnut Liam qui se tenait debout, sa flamberge ensanglantée entre les mains.
La Brûlée cria et voulut se jeter sur lui, mais d’autres gardes la maîtrisèrent et l’embarquèrent avec eux. Aydan resta quelques secondes sous le choc à contempler le visage inerte de son ancien ami. Finalement, c’est la voix de Liam et ses secouements frénétiques sur son épaule qui le firent sortir de sa torpeur.
— Aydan ! Aydan ! Est-ce que ça va ?
— Je… Oui, ça va. Juste, je ne voulais pas qu’il meure.
— Pourquoi ? Tu le connais ?
Il fut déboussolé par sa question.
— Son… Son visage. Il ne te rappelle vraiment pas quelqu’un ?
Liam dévisagea le corps sans vie de Luke.
— Non pas que je sache, répondit-il. Pourquoi ?
— Pour rien.
Liam l’aida à se relever et tous deux prirent la direction de leur caserne.
Nan la dernière scène est dur... bravo :)
Et Sirius qui se fait balader par Atrius mais quand même une petite info sur Pyra qui semble avoir besoin des deux flammes. Pourquoi ? A suivre aha :)