Une semaine s’était écoulée et pourtant, l’agitation n’était toujours pas redescendue alors qu’Aydan arpentait les rues mouvementées de la capitale. Leur plan s’était déroulé à merveille, toutes les institutions de Spyr étaient maintenant sous leur contrôle. La Flamme de la Guerre était confinée dans ses appartements et celle de la Plume avait connu le même sort en comptant sur les gardes du Palais pour l'escorter hors de la place. Quant au Sénat, il avait été sauvagement renversé par le soulèvement populaire orchestré par Atrius et ses rangs étaient décimés. Les quelques sénateurs hostiles aux Adorateurs du Brasier qui n'avaient pas participé à la cérémonie furent arrêtés directement chez eux. Les légionnaires présents à Spyr n’opposèrent que peu de résistance sans ordre direct de leur hiérarchie et les quelques unités qui se rebellèrent quittèrent la capitale ou furent massacrées les unes après les autres. Moins de deux jours après l’événement, l’entièreté de la ville était passée sous leur contrôle.
Le seul point noir était le discours de Laris qui avait embrasé les foules plus qu’escompté. Visiblement, la Flamme de la Plume s’était largement trompée sur l’effet qu’engendreraient les révélations sur la paternité de Sirius. Alors qu'il devait s'attendre à ce que les Spyriens réclament sa tête, une foule d'habitants demandait au contraire à voir le fils du roi Aurel. Les manifestants avaient envahi le Sénat maintenant désert et ils se pressaient aux abords du palais royal en scandant son nom. Une fraction plus petite de la population, celle-là même qui avait lancé les émeutes, appelait à contrario à supporter le parti des Adorateurs du Brasier et à soutenir Atrius, le seul qui avait toujours servi les intérêts de Pyra et de Spyr. Quoi qu’il en soit, ce jour marqua la fin de la République et l’embrasement de la cité ne tarda pas à se répandre dans tout l’empire.
Alors qu’il effectuait une patrouille dans les rues de la capitale, il croisa Liam à la tête d’un autre groupe de gardes.
— Qui a-t-il ? Demanda Aydan dès qu’il l’aperçut.
— On a besoin d’aide au palais, Atrius compte réunir les Flammes sans plus tarder.
— Et il n’a pas assez d’hommes pour le faire ?
— Il préfère avoir des gardes en qui il a toute confiance, et beaucoup des nôtres retiennent les manifestants à l’entrée.
Aydan soupira, mais il finit par accepter et suivit son ami vers le palais de la cité. Pour contourner la foule, ils décidèrent de passer par les jardins et pénètrent sans soucis à l’intérieur. Ils se réunirent dans l’ancienne salle du trône où un capitaine vint à leur rencontre.
— La Flamme de la Foi veut voir les deux autres Flammes réunis dans la salle du Conseil dans trente minutes. Vous, dit-il en désignant Liam et une poignée de gardes, allez chercher la Flamme de la Plume. Vous autres, vous irez chercher celle de la Guerre. Exécution !
Aydan obéit aussitôt et lui et son groupe se dirigèrent vers les appartements de Sirius.
— Soyez délicats avec le prince, lui lança Liam en plaisantant avant qu’ils ne se séparent.
Aydan sourit, bien qu’il n’accordait que peu d’importance à la véritable identité de la Flamme. C’est vrai que Sirius l’impressionnait autrefois, mais maintenant, il ne lui semblait être qu’un simple homme arrogant et prétentieux. Et puis, peu importe qu’il soit véritablement le fils d’Aurel, il n’avait de compte à rendre que devant Pyra.
Ils entrèrent dans la pièce en ouvrant la porte avec fracas. Sirius était assis sur une chaise et il se leva en vitesse avec un mélange d'agacement et d'inquiétude lorsqu’il les vit débarquer.
— Qu’est-ce que cela signifie ?
Sans prendre le temps de lui répondre, Aydan et un autre garde s’approchèrent pour le saisir. Il se débattit avec hargne et les repoussa.
— Où comptez-vous m’emmener ?
N’ayant pas la patience de perdre du temps en formalités inutiles, Aydan voulut l’agripper par le col pour le traîner de force vers la sortie, mais Sirius s’élança en arrière pour l’esquiver. Au lieu de saisir son col, il agrippa le cordon d'un pendentif que la Flamme portait sous sa tunique et l’arracha par mégarde lorsqu’elle recula. Aydan contempla quelques instants le médaillon, il était entièrement en bois et semblait vaguement représenter une torche. Quel genre de Flamme garderait sur elle un objet aussi grossier ? Se demanda-t-il. Il n’eut pas le temps de se questionner davantage, car Sirius lui sauta aussitôt dessus en criant.
— Rends-le-moi !
Aydan recula surpris et parvint à lui bloquer un bras. Un autre garde vint à leur rescousse, et à trois, ils réussirent à le maîtriser. Sirius continuait de vociférer des insultes et demandait à ce qu’on lui rende son talisman alors qu’on le traînait de force vers la sortie. Aydan ne comprenait pas ce que ce vieil objet en bois difforme avait de si spécial à ses yeux, mais il ressentit un plaisir sadique à voir un aussi glorieux personnage ainsi à sa merci. Il décida donc de garder l'objet et le glissa dans une petite bourse en cuir qu’il avait attachée à la ceinture avant de suivre les gardes vers la salle du Conseil.
Atrius était déjà là, il regardait la ville en contrebas du haut de l’avancée en pierre, les mains croisées derrière son dos. Laris était assis sur son siège, mais son air courroucé indiquait que les gardes n'avaient pas été beaucoup plus tendres avec lui qu'ils ne le furent avec Sirius. L’on força ce dernier à s’asseoir sur son siège en pierre, puis les gardes allèrent se positionner de part et d’autre de la salle en attendant qu’Atrius ne prenne la parole. La clameur des manifestants devant les portes du palais leur parvenait dans un brouhaha de cris confus.
— Et c’est ainsi que le peuple devint foule, déclara Atrius d’un air profond. Je dois dire que votre petit numéro a plus de répercussions que prévu, Laris.
— Les choses ne se seraient pas passées ainsi si vous n’aviez pas vous-même décidé de provoquer les émeutes, répliqua la Flamme de la Plume. Mais tout n’est pas perdu, vous pouvez encore me libérer et convoquer le Sénat. Je suis sûr que l’on pourra oublier ce malencontreux incident.
Atrius éclata de rire.
— Le Sénat ? Quel Sénat ! La plupart de leurs membres se sont fait passer à tabac par la foule et ce qu’il en reste croupi en prison ou dans nos temples. Ce ramassis d’incapables ne constituerait même pas un bon sacrifice pour notre déesse. Non, Laris, il n’y a plus de Sénat. Tout comme il n’y a plus de République. Aujourd’hui, Spyr va connaître un jour nouveau et son empire sera entièrement dévoué à Pyra.
— Pauvre fou ! Jamais vous n’y arriverez. Quand allez-vous comprendre que votre déesse n’est qu’une façade ? Elle ne sert que vous et vos intérêts, et seuls les esprits faibles y croient réellement.
En entendant ceci, Aydan eut aussitôt l’envie irrésistible d’agripper son glaive et d’aller lui trancher la gorge sur le champ. Le sourire d’Atrius disparut également. La Flamme de la Foi s’avança et tendit son visage à quelques centimètres de Laris.
— Je crois que vous n'avez pas très bien compris la situation, susurra-t-il. Vous n'êtes plus rien, Laris.
— Je ne laisserai pas un vulgaire prêtre me dicter, ma… Argh !
Avant qu’il ne termine sa phrase, Atrius sortit en un éclair une dague qu’il planta dans sa main. La Flamme de la Plume laissa échapper plusieurs cris de douleur tandis qu’Atrius s’amusait à remuer la dague dans la plaie avec un sourire sadique. Finalement, il retira la lame et recula, affichant un air satisfait. Il alla ensuite se poster de nouveau au bord du vide et contempla la vue pendant quelques secondes, les bras croisés derrière son dos.
— Mais tu as raison sur un point, dit-il en ayant récupéré son ton calme et serein. Tous ne veulent pas reconnaître la venue de notre déesse. Les événements de Novi-Fyr se sont déjà répandus dans tout l’empire et les signalements de rébellions sont en hausse. Les Astriens contestent de nouveau notre autorité dans leur région, le gouverneur de Mitrium a détourné une légion sous son commandement et menace de marcher sur Spyr, et la cité d’Ansis a entamé les démarches pour rejoindre la ligue Akeane. Ho ! Et bien sûr, Dérios va sûrement profiter de la situation pour nous déclarer la guerre et régler ce contentieux frontalier à Brys. Ils le feront dès qu’ils apprendront que j’ai fait assassiner Rigas et son fils.
— Vous avez fait quoi ! ? Demanda Sirius horrifié.
— C’étaient des parasites qui menaçaient cette cité en complotant pour Dérios. J’ai jugé plus sage de m’en débarrasser, même si je sais que vous l’aviez tous deux pris en affection. Quoi qu’il en soit, les prochains jours seront mouvementés.
— Je vous l’ai dit ! Haleta Laris en se tenant sa main blessée. L’Empire est vaste et jamais ses habitants n’accepteront d’être gouvernés par un prêtre ou une déesse. Vos campagnes militaires n’ont fait qu’éradiquer les foyers païens, mais gagner les cœurs est une mission bien plus compliquée.
Atrius fronça les sourcils, mais il n’entra pas dans une nouvelle crise de colère.
— Peut-être le prince héritier a-t-il quelque chose à ajouter ? Demanda-t-il avec sarcasme.
— Rien qui ne puisse vous aider, lâcha Sirius d’un air las.
Il lui sembla bien plus frêle que lorsqu’ils l’avaient récupéré dans la chambre. Alors qu’il avait fallu trois hommes pour le faire sortir, Aydan se dit qu’un seul homme suffirait à le maintenir sur sa chaise s’il tentait quoi que ce soit. Son teint était plus terne et il avait l’air livide, comme si toute sa vitalité s’était envolée.
— J’ai cependant une question. Comment vous êtes-vous procuré cette lettre, demanda-t-il à l’attention de Laris.
— Moi aussi, je suis curieux d’enfin entendre la vérité, ajouta Atrius en souriant.
— Cela n’est pas vos affaires. Je t’ai gardé sous surveillance après la mort de Prosper, car je savais que tu mijotais quelque chose. Une domestique me l’a simplement fait parvenir sur mon bureau il y a quelques jours.
— Une domestique ? À quoi ressemblait-elle ?
— Bon sang ! Vous croyez que je n’ai que ça à faire ? Il y a une tripotée de servantes dans ce palais. Je lui ai dit de poser cela sur mon bureau et de s’en aller sans lui prêter la moindre attention. Elle avait les cheveux roux il me semble, c’est tout ce que je sais.
— Donc c’est vrai, il est vraiment le fils d’Aurel ? Demanda Atrius.
— La lettre est signée de Prosper et il ne mentirait pas sur quelque chose d’aussi important. Et puis cela ne fait que confirmer ce que je savais déjà. Il me manquait simplement une preuve et la voici.
— Je dois reconnaître que je ne m’attendais pas à ça, dit Atrius. Mais cela ne change rien, ce soir à la tombée du jour, je vais tenir un discours devant la foule. Ralliez-vous à moi afin d’éviter un bain de sang. Sirius, le peuple, scande ton nom et il sera plus qu’enchanté de voir le fils de l’ancien roi se joindre aux Adorateurs. De plus, ton génie militaire nous sera utile pour vaincre les armées rebelles et celles de Dérios. Quant à toi, Laris, tu es une figure de stabilité. Ta présence aidera à rassurer les nobles et les gens fortunés de la capitale. Peut-être que cette simple apparition suffira à restaurer l’ordre dans l’empire. Bien sûr, il y aura quelques changements religieux et j’exigerai de vous votre soumission totale, mais vous pourrez continuer à occuper vos fonctions comme avant. Alors, qu’en dites-vous ?
C’était une offre en or qu’il leur faisait. Si les choses ne tenaient qu’à lui, Aydan se serait débarrassé d’eux immédiatement, surtout, de Sirius. Sa popularité auprès du peuple faisait de l'ombre au Culte de Pyra et il constituait clairement une menace pour les Adorateurs.
— Et comment pouvons-nous te faire confiance ? Demanda Sirius.
— Voyons, voyons, tu sais tout comme moi que je ne te ferais rien sans l’accord de Pyra. Il ne tient qu’à toi de ne pas la décevoir.
Cet argument sembla l’avoir touché, car Sirius baissa la tête perplexe.
— Écoutez-moi, Atrius. Reprit Laris. Vous ne pouvez pas le laisser en vie, c'est trop risqué. Dès que vous lui confierez des troupes, il les retournera contre vous et les légions le suivront. À nous d’eux, nous gouvernerons cette cité. Une fois le peuple calmé, il nous suffira de lui faire oublier tout ça avec du pain et des jeux. Vous pourrez compter sur moi pour vous apporter les soutiens au Sénat.
Atrius fit mine de réfléchir.
— Hum… Encore une fois, il dit vrai. Décidément, ton véritable père complique tout, Sirius. Mais j’ai promis à Pyra qu’il ne t’arriverait rien. En revanche, je ne saurais tolérer d’autres mesquineries politiques.
Il fit un signe de tête aux deux gardes qui s’approchèrent et levèrent de force Laris en le tirant par les épaules.
— Non ! Arrêtez ! Que faites-vous ?
— Je croyais pourtant avoir été clair, il n’y a plus de Sénat !
— Pauvre imbécile ! Je vous maudis, vous et votre Déesse ! Elle n’apportera que la ruine à cette ville !
— Au revoir, Laris Arretius. Puisses-tu enfin étancher ta soif de pouvoir dans l’au-delà.
Les deux hommes le jetèrent dans le brasero au centre de la table. Les flammes doublèrent subitement de volume et commencèrent à s’enrouler autour de lui alors qu’il se débattait et hurlait de douleur. Le corps de Laris fut comme aspiré par le brasier. Au bout de quelques secondes, les hurlements se firent moins vigoureux puis cessèrent définitivement. L’on entendit alors plus que le crépitement des flammes dans la salle du Conseil.
Atrius se tourna alors vers Sirius en attendant sa réponse.
La Flamme de la Guerre accepta la proposition, mais Aydan ne lui faisait toujours pas confiance. D’ailleurs, Atrius l’avait averti que des gardes veilleraient sur lui en permanence et qu’ils avaient ordre de le tuer au premier signe de trahison. Ce dernier avait donc joué le jeu lors du discours devant les foules en prenant ouvertement son parti. Quant à Laris, et bien tout le monde s’accorda pour dire qu’il avait eu ce qu’il méritait. Dans ce fameux discours, Atrius venta comme toujours les mérites de Pyra et mis en garde contre les nombreux défis qui les attendaient. Le Sénat fut également officiellement aboli. Aydan ne savait dire s’il s’était montré suffisamment convaincant, mais il est clair que la vue de Sirius à leur côté avait joué en leur faveur. Le jeune prince allait maintenant reprendre ce qui lui revenait de droit en gouvernant sous les hospices de Pyra. L'union parfaite entre le Culte et la Couronne. Après ce coup de théâtre, les manifestants se dispersèrent dans la fin de soirée.
Mmmh fin de Laris donc... Je suppose que la servante reviendra à un moment.
Aydan toujours de plus en plus froid. Atrius c'est un peu comme mon Erzic ahaa
Manipulateur et manipulé :)
A voir si Sirius va réellement abdiquer. Enfin pour le moment je vois pas les autres choix qu'il aurait.
Juste une petite erreur de forme :
"car je savais que tu mijotais quelle chose" -- "quelque chose"
A la suite :)
Oui, il ne reste désormais plus que deux Flammes.
Concernant la servante, il se peut que tu l'ais déjà rencontrée. Il n'y a pas beaucoup de personnages féminins à Spyr ayant les cheveux roux et conaissant le passé de Sirius :)