CHAPITRE IV - Une tempête d'étoiles entre les arbres - Maria et Alessia - Partie 4

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Pourtant, ils n’avaient pas bénéficié des traitements de Maria, ils en avaient simplement entendu parler, certains régiments avaient été traités en priorité mais pas le leur, aucun de ceux qui défendaient ce bois. Visiblement, Gabriel savait pertinemment qu’il ne servait à rien de dépenser des efforts pour ces sacrifiés, comme le comprenaient quelques-uns des soldats, là où les plus jeunes le gardaient en travers de la gorge. Alors Jasper s’apprêtait à consentir sobrement, lorsqu’une sensation lui traversa l’esprit, sans qu’il n’arrive à la saisir.

Et dans la foulée, un hurlement terrible retentit, comme si un homme leur criait sa rage et sa douleur à plein poumons, juste au ras de leurs oreilles, suffisamment fort pour qu’elle paraisse saturée, emplissant toutes les plaines ravagées pendant une dizaine de secondes.

— Putain de merde ! Qu’est-ce que c’est que ça ?! C’est votre saloperie qui fait un cri comme ça ?! » paniqua l’un des soldats, tandis que des coups de feu prenaient le relais de l’écho pour donner une direction aux chasseurs : exactement de là où ils venaient, vers les abris allemands.

— C’est notre proie. Nous allons partir sur-le-champ ! Vous savez par où vous replier si vous le souhaitez les gars, mais je peux rien vous garantir sur la suite. Bonne chance ! » en conclut rapidement Jasper, pour aussitôt remettre son équipe en chasse, laissant simplement le temps à Alessandre de reprendre sa gourde de vin des mains de l’un des soldats qui se contenta de lui répéter qu’il fallait éviter le Démon de Verdun à tout prix – sans que le Provençal n’en paraisse plus inquiet que ça, comment un homme solitaire pourrait être plus dangereux qu’un mutant ?

 

En accourant en direction des cris, les mercenaires de Maria retrouvèrent sans mal la crête occupée par les Allemands, à une trentaine de mètres. Mais ces derniers n’étaient plus qu’une poignée, fuyant un prédateur que ni Jasper ni ses compagnons ne voyaient encore.

C’est alors qu’une brutale implosion d’échos rouges dévasta le sommet de la crête, propulsant planches et gravats dans les airs pour ne laisser qu’un dôme de cendres fumantes. Puis, une étrange silhouette humanoïde se releva calmement des poussières de l’abri, nimbée des fumées qui l’obscurcissaient et des fins rayons de la lune qui dessinaient son contour en contrejour, ne laissant apparaître qu’une ombre toisant la plaine. Pourtant, elle semblait étrangement calme, tournant paisiblement son visage d’un point à l’autre du champ de bataille, humant le vent venu chasser la poussière, jusqu’à ce qu’il la révèle aux yeux de Jasper et ses compagnons. Ce mutant faisait un peu moins de deux mètres et ne conservait plus qu’une image effroyable de son humanité, juste assez pour que les chasseurs comprennent qu’il ne s’agissait ni de l’Archère des tranchées, ni du Démon de Verdun, mais toujours d’un ancien humain …

À cause de la mutation ou de l’effondrement de cet abri dans les flammes, sa peau était entièrement brûlée, laissant ses muscles, ses os et ses tendons à vifs, fumants et crépitants dans le suintement des flux organiques presque portés à ébullition, progressivement recouverts par la poussière grisâtre venu s’y coller. De ses omoplates dénudées, deux grandes et puissantes ailes avaient jailli, sans épiderme ni muscle, telles de simples armatures abandonnées par leur créateur. Bien évidemment, elles n’étaient pas faites pour voler, chacune de ses rémiges articulées s’allongeaient sur plus d’un mètre, à l’exception de celles qui achevaient chaque aile, deux fois plus grosses. Ainsi, ces vastes ailes osseuses offraient de véritables griffes dorsales à la créature, suffisamment impressionnantes lorsqu’elle les dépliait sur ce paysage lunaire pour figer les chasseurs sur place, comme s’ils faisaient face au Diable lui-même. Pourtant, elle restait étonnamment calme, apaisée, le menton haut pour humer les dernières fumées partant vers le ciel, comme si elle se sentait libérée d’un poids sur ses épaules.

Malheureusement, elle n’eut qu’à poser le regard sur Jasper pour céder à une colère noire, puis s’élancer vers le groupe en poussant un cri strident, horriblement aigu, comme si ses poumons n’avaient plus assez d’air pour hurler. Ce rugissement était même si terrible que les Français en restèrent saisis, et la créature n’était déjà plus qu’à une quinzaine de mètres lorsqu’ils réagirent dans la panique, sauf l’Alsacien. En effet, Jasper était si choqué par cette horreur, qu’il se contenta de reculer en sortant sabre et revolver, tandis qu’elle fondait sur lui, et sur lui seul, protégée des balles par ses ailes formant tel un couloir entre elle et sa proie. Dès qu’elle le put, elle projeta seize de ses rémiges osseuses devant elle, comme autant de lances se rabattant avant la charge pour empaler Jasper, et ses pointes allaient presque transpercer son visage, lorsqu’il se décala assez pour qu’elles glissent le long de ses cheveux, laissant la bête être emportée par sa propre course. Mieux encore, il fut le premier à verser le sang, puisqu’il brandit son canon en pleine esquive pour tirer une balle dans le dos de la créature, avant que celle-ci ne fasse volte-face pour encaisser le déluge qui suivit. Théo, Raphaël et Alessandre réussirent à la toucher, presque autant que Jasper qui avançait résolument face au monstre, le bras tendu avec son revolver vidant son barillet sur ce cauchemar, déterminé à le faire cesser.

Seulement si le mutant encaissait les balles par rafale, en hurlant des cris stridents, en vacillant sous les impacts à bout portant, il refusait de tomber, et encore moins de fuir.

— Jasper ! Recule ! » cria Théodose en voyant son ami approcher dangereusement du monstre, pendant que les munitions de chacun s’épuisaient inexorablement, jusqu’à ce que le silence ne résonne enfin sur cette plaine dévastée.

 

Par un coup du destin, toutes les armes s’étaient tues en même temps, laissant leurs canons fumer à l’image des chairs crépitantes de la créature qui se tenait toujours devant Jasper, inflexible.

Et ses blessures s’étaient même déjà refermées, lorsque sa respiration haletante s’interrompit pour émettre un nouveau cri perçant. Aussitôt, elle rattaqua Jasper pour essayer de le transpercer de ses ailes ou le lacérer de ses larges ongles si humains. Armé de son sabre et de sa seule vivacité, il essayait bien de rivaliser au corps-à-corps avec elle, mais il était réduit à la défensive et à l’esquive face à tant de fureur. Néanmoins, une ouverture parut soudainement se dessiner dans ce déluge et, au détour d’un coup de griffe, il saisit sa chance sans hésiter pour abattre son sabre sur la gorge de la bête. Mais les rémiges osseuses s’abattirent brutalement pour bloquer la lame, ainsi que pour enserrer Jasper à la manière d’une pince, de l’épaule gauche à la hanche droite, avec assez de force pour le soulever. Il avait beau se débattre jusqu’à s’en faire craquer les os, il ne touchait plus le sol, il ne pouvait plus bouger ses bras sous la pression, il ne pouvait plus rien faire pour se protéger de la seconde aile qui se mettait en position pour le transpercer. Et les piques de la créature s’apprêtaient à traverser sa gorge, lorsque son aile fut tranchée à la base par Théo, puis qu’Alessandre sauta sur son dos pour la larder de coup de couteau. Évidemment, le mutant se débattit bien mieux que Jasper, il tournoya d’un grand coup en écartant ses ailes et en projetant les deux compagnons dans le sable, afin de se tourner vers l’Aquitain, venu l’affronter au sabre et au revolver. La perte d’une aile n’avait pas blessé la bête le moins du monde, mais Théo ne se laissait pas déstabiliser pour autant, il parvint même à la faire reculer jusqu’à ce que son camarade provençal ne revienne à la charge, surgissant sur son côté droit pour la transpercer au flanc, presque au cœur. Mais elle ne tombait toujours pas, et le jeune mercenaire dut abandonner sa lame pour survivre aux ripostes de la bête ivre de rage.

Heureusement, l’acharnement des trois Francs de Saigon avaient payé, ils avaient gagné le temps nécessaire au rechargement de leurs trois autres camarades, déjà prêts à couvrir le repli d’Alessandre pendant que Théo se précipitait vers Jasper – toujours au sol.

— Ça va, mon gars ? » s’empressa-t-il de lui demander, sous le vacarme des coups de feu auquel vinrent s’ajouter les deux pistolets du Provençal.

— Ça pique un peu mais je survivrai ! Immobilisez-le, les gars ! J’envoie une grenade ! » ordonna-t-il à ses compagnons qui encerclaient le monstre, avant de la dégoupiller et de commencer à compter à voix haute, dès que Théo revint au contact de leur cible pour lui donna le signal.

 

Quelques secondes plus tard, le petit explosif atterrit aux pieds du monstre et l’Aquitain s’écarta du plus vite qu’il puisse, non sans se jeter pour échapper à la détonation.

Aussitôt, la créature disparut dans un fracas de poussière et de cris stridents, tandis que sa silhouette parut s’effondrer au sol. Mais les chasseurs purent à peine sourire face à ce rideau de débris, quand ils la virent se relever difficilement, se régénérer douloureusement, avec une expression de rage gravée sur son visage aux veines scintillantes. Ce n’était pas comme la médecine de Maria, de Solar Gleam ou du Conseil, c’était aussi rapide que de la magie, et il ne fallut pas plus d’un instant pour que les chairs et les os mutants reprennent leur forme. Pourtant, ce n’était que le début de leur surprise, puisqu’un autre cri, bien plus inhumain que ceux de ce mort-vivant ailé, résonna dans les environs, juste de l’autre côté de la crête fumante.

Et lorsqu’ils se retournèrent aussi sec, des coups de feu et des hurlements d’hommes retentirent de l’autre côté, tandis que des projectiles osseux fusaient à la vitesse d’un carreau d’arbalète par-dessus la crête fumante.

— Il y en a un autre ! C’est celui que l’on cherche ! Il ne doit pas s’échapper ! » s’exclama Raphaël, en accourant vers le monticule qu’il commença à escalader, sous les exhortations de Jasper qui refusait de voir le groupe se séparer.

— Va avec lui, Jasper ! On s’occupe de celui-là ! » lui lança pourtant Alessandre, avant qu’il ne soit obligé de se répéter. « On est déjà séparé ! Allez, Jasper, va avec lui ! » s’énerva-t-il en se relançant de lui-même au contact des os aiguisés du mutant.

— Faites attention à vous ! » finit par se reprendre l’Alsacien, avant de se ruer à la poursuite de Raphaël.

 

Seulement, à peine ce dernier eut-il atteint le sommet, qu’il dut esquiver instinctivement l’une des pointes osseuses filantes autour de lui, jusqu’à même se jeter dans la pente pour survivre au grand bond de la créature qui apparut devant Jasper.

Il s’agissait bien du premier mutant que le groupe chassait : un grand quadrupède aussi large que long, plus monstrueux qu’humain, avec un visage difforme pendant sous son thorax d’insecte. L’Alsacien finissait alors tout juste de recharger son revolver lorsque cette dernière tourna son horrible tête vers lui, afin d’écarter soudainement les mandibules de sa gueule difforme et cracher une série de trois aiguillons. Et si deux d’entre eux frôlèrent Jasper, rasant ses vêtements ou son visage, l’un parvint à le transpercer entre l’épaule et le pectoral, jusqu’à le faire vaciller sous la douleur brûlante qui grimpa brutalement dans ses chairs, irritées par le poison. Heureusement, la thérapie de Maria était perfectionnée, suffisamment pour juguler le gros de la douleur, pour sublimer l’adrénaline, éveillant pleinement l’instinct de chasseur qui sommeillait en lui. Ainsi, quand la bête vint le charger, Jasper l’esquiva d’un grand pas de côté, et quand elle retourna son horrible tête pour lui donner un coup de patte arrière sans l’attendre, il se jeta en arrière en brandissant son canon droit vers la gueule de cette horreur. Aussitôt, la balle fusa en pleine tête, arrachant une arcade et un œil à la créature qui hurla sa souffrance, sans mourir elle non plus. D’ailleurs, elle était même prête à riposter, en ouvrant de nouveau sa gueule face au chasseur qui se relevait en urgence, lorsqu’elle se transforma en un brasier hurlant. Raphaël venait de lui jeter un explosif incendiaire, et le très fin pelage couvrant sa carapace s’embrasa en un instant, sous les yeux surpris de Jasper qui sentit l’air chaud parcourir son visage, accompagné de cette odeur grillée qui raclait jusqu’au fond de la gorge. Cependant, Raphaël regretta très vite son geste, lui qui tenait à accomplir sa mission par-dessus tout. Car, traumatisée par les flammes qui l’enserraient, la bête fuit alors en dévalant le raidillon pour prendre la direction des trous d’obus - où les soldats français se trouvaient peut-être encore. Dans la foulée, les deux hommes se mirent donc à la poursuite de cette grande torche rugissante dans la plaine dévastée, en espérant ne pas avoir tout gâché. Mais les chasseurs de Maria avaient beau filer plus vite que des athlètes, elle les distançait lentement par ses petits sauts de puces, si bien qu’ils atteignirent les trous d’obus sans avoir pu la rattraper.

Au grand soulagement de Jasper, les soldats avaient tous décampé, et plus heureux encore, leur proie s’arrêtait enfin pour disparaître dans le creux qu’ils occupaient. Seulement quand ils approchèrent du trou, ils virent l’éclat des flammes s’éteindre sous les fumées et la poussière, et se figèrent d’hésitation quand ils virent les deux imposantes pattes s’enfoncer lourdement dans la cendre. Lentement, difficilement, la créature ressortit du creux en balbutiant d’étranges gémissements, sa tête calcinée et partiellement arrachée claquant des mandibules de façon menaçante.

Elle s’était comme reconstituée avec la terre, et le trou dans son crâne paraissait déjà refermé, sans que cela ne semble choquer Raphaël, là où Jasper n’en croyait pas ses yeux – tous les mutants sont-ils aussi increvables ?

— Il va falloir lui trancher la tête, Jasper.

— Facile à dire ! Il faut que l’un de nous l’immobilise ! » lui répondit-il, l’adrénaline plein le cœur déformant sa voix et sa respiration - tout l’inverse de son camarade, à se demander s’il n’était pas un mutant lui aussi.

 

Pourtant, Raphaël avait une bonne raison d’être serein, puisqu’il avait ce que Jasper n’avait pas : une idée.

S’il ne gardait que peu de souvenir de sa vie d’avant, il avait un certain talent en chimie classique comme nouvelle, et il avait beaucoup observé sa patronne. Alors il demanda à Jasper d’occuper la bête, afin qu’il puisse poser sur elle l’un des nouveaux explosifs adhésifs qu’il avait confectionnés, spécialement dans le cas où il devrait affronter un spécimen de ce genre – avec du LM filtré directement depuis son propre sang puisque cette dernière n’en donnait pas hors des thérapies. Bien sûr, si cela pouvait abattre la créature à coup sûr, il l’aurait déjà suggéré à son chef, seulement rien n’était sûr avec cette charge qu’il n’avait jamais pu tester, il n’était même pas certain qu’elle détonne. Cependant, c’était largement assez d’espoir pour que Jasper s’élance de lui-même vers l’Archère des tranchées, fermement campée sur ses quatre pattes, grognant ses petits cris sinistres, prête à réagir aux prochains mouvements de ses prédateurs. Dès la seconde suivante, elle projeta deux nouvelles séries de pointes osseuses qu’il esquiva habilement, filant entre elles jusqu’à arriver au contact, le revolver en main. Traumatisée par cette arme qui avait failli lui arracher la tête, la créature préféra donc abaisser sa posture pour protéger son point vital, et repousser l’attaque du chasseur avec ses puissantes pattes arquées. Ses coups s’enfonçaient alors dans la poussière tels des rochers s’écrasant sur l’eau, soulevant la terre qu’elle transperçait aisément à chaque impact, mais ils étaient si prévisibles que son prédateur les évitait sans ciller, et sans se risquer. Après tout, son but n’était pas d’attaquer la bête, c’était de temporiser et d’accaparer son attention.

Ainsi, durant une vingtaine d’intenses secondes, il rivalisa seul avec elle, afin que son compagnon puisse approcher discrètement des arrières de leur proie. Puis, sans se démonter, Raphaël bondit sur l’échine de la créature même, plaça sa charge adhésive sur son thorax, l’arma tandis qu’elle se débattait, avant de sauter en s’aidant d’une convulsion de la créature pour se jeter le plus loin possible, le travail maintenant accompli.

— C’est bon ! Prépare-toi ! » cria-t-il à son compagnon qui faisait de nouveau retentir son pistolet pour capter l’attention du monstre – déjà prêt à punir l’audace de Raphaël.

 

C’est ainsi que son collègue déclencha son explosif, faisant jaillir un nuage de flammes sur la bête en écrasant brutalement son thorax et sa tête contre le sol poussiéreux, à tel point qu’elle en chancelait encore lorsque Jasper saisit sa chance.

Alors qu’elle titubait sonnée, gémissant de douleur sans savoir où elle se trouvait, le chasseur chargea entre ses pattes pour plonger violemment sa lame en travers de cette gorge déjà fragilisée. Et sitôt tranchée, il s’écarta juste à temps pour ne pas finir coincé sous le corps qu’ils laissèrent s’écrouler au sol, en convulsant piteusement sur ses quatre membres. Les deux hommes restèrent ensuite à la regarder durant l’espace de quelques secondes, hésitant à la vue du cadavre tremblotant, jusqu’à ce qu’elle s’arrête enfin de remuer, sous les sourires soulagés des chasseurs.

— Ah ! Si notre maîtresse nous avait vu ! Ça, c’est de la chasse ! » s’exclama Raphaël, en écartant les bras comme s’il comptait enlacer Jasper en se rapprochant de lui. Seulement l’histoire à parfois des blagues récurrentes, et une balle transperça brutalement Raphaël au poumon droit, tout comme Maxime neuf ans auparavant, sous les yeux tout aussi impuissants de Jasper qui voyait son compagnon s’effondrer, avant qu’une voix ne l’interpelle de là où semblait avoir été tiré le projectile.

— Décidément ! Les Français sont des gens tellement négligents ! » lança un homme vêtu d’un long manteau aussi sombre que le masque à gaz intégré à son casque, avançant à une trentaine de mètres avec le canon fumant et la lame au clair.

 

Mais Jasper n’avait ni l’envie, ni le temps de répondre aux moqueries de l’intrus, et il s’élança du plus vite qu’il put vers lui, la rage au cœur.

Les lames se croisèrent alors dans un fracas terrible, grinçantes dans la plaine silencieuse pour lui laisser le temps de voir le visage du meurtrier. Il s’agissait d’un grand blond, aux yeux d’azur luisant fêlés de rouge, parlant l’allemand avec un fond d’accent alsacien lui aussi, arborant un curieux symbole : un aigle à trois têtes noires auréolées de blanc, au corps doré et aux ailes écarlates, tenant en son bec un serpent gris aux yeux rouges et un rameau d’olivier en ses serres. C’était le symbole du RFA qui avait agi contre Maria, c’était le Démon de Verdun qui avait terrorisé les soldats français, c’était un véritable chasseur de mutants et d’hommes …

— Enchanté de te rencontrer, chasseur ! Tu dois être l’Alsacien dont m’ont parlé les soldats ! » lui sourit l’Allemand, en repoussant Jasper et sa lame d’une force surhumaine, tandis que ce dernier tiquait à cette réplique, qu’il lui demanda de quels soldats ils parlaient. « Ceux que tu as aidé à fuir et que j’ai tué jusqu’au dernier bien sûr ! »

— Je vais te crever ! Sale taré ! » reprit le Français en frappant avec d’autant plus de vivacité et de haine, sans pour autant réussir à passer la garde sereine de son adversaire.

 

Il avait beau tout donner, enchaîner les bons mouvements et les feintes, c’était toujours la lame de l’ennemi qu’il trouvait pour contrer la sienne, quand il ne la laissait pas filer dans le sillage de ses esquives, avec autant de dédain qu’en aurait eu Maria.

Malgré tout, Jasper ne se laissait pas abattre, quand bien même la douleur résiduelle de son épaule résonnait à chaque mouvement, toujours plus furieux que le précédent, porté par le crépitement du LM qui s’excitait à faire survivre son hôte. Il ne sentait plus la fatigue, ni ses muscles froissés par les ailes du premier mutant, tout juste ce poison l’aidant à rester lucide dans l’ivresse d’adrénaline qu’il sentait monter en lui. Seulement, il ne parvenait toujours pas à arracher le sourire malsain de son rival, visiblement très amusé de pouvoir enfin affronter un autre chasseur dans un combat à mort, à tel point qu’il lui lâchait parfois quelques ricanements au nez.

D’autant plus qu’avec le mutant abattu, le Démon de Verdun n’avait plus rien à faire ici, hormis interroger ces curieux mercenaires de la Croix-Rouge avant de les tuer - c’était son petit plaisir sur le chemin du retour au bercail en somme …

— J’aime bien m’amuser en travaillant ! Et je veux bien prendre mon temps avec toi, j’ai beaucoup de choses à te demander. Qu’est-ce que tu fais ici, où sont tes autres amis ? Ils sont morts eux-aussi ? » s’amusa-t-il, ce qui ne fit qu’accroître l’ardeur de Jasper et le rendre plus insultant, même lorsque l’Allemand menaça de lui forcer la main. « Ah ! Le courage est stupide après tout. » lâcha-t-il sans en perdre son sourire, lorsqu’il balaya Jasper d’un coup horizontal si puissant que le Français partit s’écraser dans la poussière, avec son sabre fissuré et son moral brisé, sonné par la douleur du choc qui résonnait encore dans tout son corps. « Alors ? Je suis un vrai chasseur de mutant mon grand ! Qu’est-ce que tu crois pouvoir faire avec ta camelote ? » ricanait-il en avançant vers sa proie qui peinait encore à se relever. « Tu ne peux rien contre moi, dans aucun domaine. C’est scientifique tu vois, t’es pas un chasseur, t’es qu’un traîne-savate qui a mal choisi son pays. Moi, je suis l’un des premiers humains à avoir tué des mutants, à avoir été entraîné dans ce but et celui d’écraser tous mes ennemis, j’ai choisi le RFA ! Toi, tu es encore un singe, mais moi, je suis l’avenir, l’homme nouveau. Je suis l’évolution ! » se vantait-il lorsque Jasper sortit brusquement son revolver pour tirer sa dernière balle en magasin, et pour espérer arrêter la marche en avant de son adversaire. Il n’était plus qu’à cinq ou six mètres de lui lorsqu’il ouvrit le feu, visant en plein torse, à bout portant. Et la balle fusa en un éclair mais la silhouette du chasseur ne s’évanouit pas, elle l’évita d’un simple geste, sous le regard abasourdi du Français, incapable de croire à ce qui venait de se passer. « Tu ne peux rien, je te l’ai dit. Tu vois les fines stries rouges dans mes yeux ? C’est le signe que toi et moi ne jouons pas dans la même catégorie. J’espère que tu es prêt à mourir ici, après m’avoir tout avoué pour ne pas trop souffrir … » lui lança-t-il, avec un sourire empreint de fierté, avant qu’une balle ne faillisse le transpercer à la gorge.

 

Jasper tourna aussitôt la tête vers la direction du tir, pour apercevoir Théo et Alessandre accourant vers eux du plus vite qu’ils le pouvaient malgré les blessures apparentes au travers de leurs vêtements, avec le Provençal en tête de file.

Et plus que n’importe lequel de ses compagnons, Alessandre était maintenant envahi par l’ivresse du LM qui le poussait en avant, plus vite que jamais, si ardemment qu’il fonça écraser sa lame contre celle du chasseur. Malheureusement, ce dernier le repoussa aussi aisément que Jasper, et de la même manière, sans imaginer que le cadet des Francs de Saigon était une teigne pareille. Car dès qu’il retoucha le sol, alors même qu’il était en plein vol, Alessandre trouva un appui pour s’élancer dans les airs, dans une voltige aussi instinctive que soudaine, durant laquelle il brandit son revolver afin de cracher deux coups de feu sur le démon souriant qui le regardait valser. À la surprise du chasseur du RFA, la première balle s’inséra violemment dans son épaule, et ce n’est qu’un réflexe qui sauva sa tête de la seconde. Et sans attendre, Alessandre revint au contact en quelques grandes foulées, mu par son élan furieux, tandis que Jasper lui criait de ne pas essayer de parer le sabre de son adversaire - bien trop puissant pour eux. Mais le Provençal semblait déjà bien au fait de la différence de force brute qu’il y avait entre lui et son adversaire. Il suffisait de voir la poussière que chacun de ses coups soulevait pour s’en rendre compte, à tel point qu’il déstabilisait presque Alessandre sans le toucher, simplement par l’énergie qu’ils dégageaient. Fort heureusement pour le Français, il avait une vivacité exceptionnelle, il restait aussi insaisissable qu’agressif pour le démon qui finit même par reculer devant une cette fougue.

Pourtant, il continuait à rire, amusé de cette digne opposition qu’il avait recherché toute la nuit, ivre du LM bouillant en lui, avide des sensations que lui offrait la délicieuse chasse à l’homme.

— Ça te fait marrer de te faire défoncer ? » grogna aussitôt Alessandre, sans que ça ne dérange particulièrement son adversaire.

— Ça me rappelle surtout l’entraînement avec des camarades du RFA, on les appelle les Aigles. Ceux sont tous des petits teigneux comme toi ! » se réjouit-il, sous les regards inquiets de Raphaël qui sentait enfin ses poumons lui revenir grâce au remède que Théo lui injecta.

— Théo, Jasper … Si c’est vraiment un chasseur du RFA et qu’il est tout seul … nous pouvons le vaincre. » leur confia-t-il, pendant qu’ils se redressaient pour aller reprendre le combat, avec assez de confiance pour lui répondre qu’ils n’en doutaient pas. « Ben vous devriez. Ils sont bien plus forts que nous. Mais, selon les renseignements obtenus par notre maîtresse, ils agissent en groupe de trois habituellement, ils sont censés être complémentaires. » leur informa-t-il, en espérant que ses alliés comprennent qu’il faille découvrir le point faible de cet ennemi s’ils voulaient le vaincre.

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