William ne croyait pas si bien dire, car les heures passèrent une à une, à tel point qu’il ne savait déjà plus depuis combien de temps il était enfermé, après la troisième sieste qu’il accueillait avec soulagement, dès qu’elles surgissaient – comme si ce n’était pas son corps qui les réclamait. D’ailleurs, il n’avait pas faim, ni froid, ni même envie d’aller aux toilettes, après tout ce temps. Suis-je dans une sorte de purgatoire formé par la nachtstein, pensa-t-il, en essayant de se donner l’envie de manger un plat délicieux ou celle d’uriner dans un coin, sans succès, comme si son organisme s’était arrêté. Il ne sentait même plus son cœur battre, bien qu’il se soit assuré que c’était toujours le cas, qu’il vivait encore sans le ressentir. Alors William sentit une lumière se raviver dans son esprit, celle de sa curiosité qui le poussa à méditer sur cet endroit curieux, à cesser de se lamenter, jusqu’à ce qu’il finisse par se convaincre d’aller questionner ses voisins de cellule. Si le Destin le veut, je ne crèverai pas ici, se résolut-il en serrant les poings et en marchant vers les barreaux de sa grille, je dois en apprendre un maximum sur cette foutue prison, pour le Conseil et pour mes camarades de la Cause qui sont peut-être enfermés ici.
Certes, les geôliers avaient dit qu’il était interdit de parler, mais il était déjà dans un purgatoire d’ombre et personne n’avait l’air de les surveiller, toute la prison était plongée dans un silence pesant depuis son arrivée, alors qu’avait-il à perdre maintenant ?
— Hé ! » lança-t-il au hasard, ni trop bas ni trop fort, en tendant son bras droit à travers les barreaux pour agiter sa main et attirer l’attention.
— Tu commences déjà à l’ouvrir ? Un vrai rebelle … » lui répondit une voix moqueuse, suivie par quelques éclats de rires, pendant que William se réjouissait de voir que ses voisins semblaient au moins sains d’esprit – c’était déjà un bon début.
— Quel est cet endroit ? On est où là ? Pourquoi c’est comme ça ?
— Ça s’appelle une prison, ducon ! Une vraie comme à l’ancienne, ce n’est pas comme chez le Kaiser ici ! » s’amusa cette voix, pendant que William tendait fugacement l’oreille aux éclats de voix plus bas dans le puits, des sons plutôt bizarres, des échos de chaînes et de cris auxquels il préféra ne plus prêter attention.
Il avait peut-être trop résumé ses questions, alors il demanda de but en blanc pourquoi cet endroit n’était pas naturel, pourquoi il y trouvait la présence de nachtstein et jusqu’où ce trou descendait.
Cet endroit avait forcément un quelconque rapport avec le LM, puisque la pierre-de-nuit ne se trouvait qu’à proximité des nappes, tout autour d’elle plus exactement, comme si elle était un confinement. Cependant, ses codétenus préférèrent rire de sa naïveté, à plusieurs de ses questions, jusqu’à ce que son voisin de gauche n’accepte enfin de lui répondre plus sérieusement. En vérité, même les geôliers ne savaient pas grand-chose de cet endroit, et aucun des détenus de cet arc-de-cercle n’en savait plus qu’eux. D’ailleurs, 3B ne manqua pas de demander à William s’il avait des informations à partager à propos du RFA, il devait bien avoir commis ou appris quelque chose d’interdit pour finir ici.
Bien sûr, le Saxon préféra répéter sa version de l’espion capturé par méprise stupide, en ajoutant qu’il opérait à l’étranger et ne connaissait rien de cette prison, ni rien de ceux qui s’y trouvaient incarcérés.
— Moi, j’ai été recruté pour chasser les mutants avant qu’ils ne fassent trop de bruits et j’ai déserté après une mauvaise chasse. Je me suis fait rattraper et enfermer par mes anciens compagnons. 6B qui se foutait de ta gueule, c’est un gros bonnet du trafic de LM, et 7B, c’est un savant de la branche militaire qui a trop cherché dans les secrets d’Emil. Voilà plus ou moins qui nous sommes, je pourrais continuer la liste pour les autres, mais ça serait répétitif. Quant à ceux qui sont plus bas … ceux sont tous ceux qui ont … commis des fautes dans la même veine que les nôtres, en plus grave. » détailla-t-il avec un ton fataliste qui résumait l’état d’esprit de tout le monde ici, sauf celui de William qui lui demanda aussitôt de quelles peines ils avaient écopé – ce qui fit encore beaucoup rire ses voisins. « Nos peines sont déjà exécutées ! On ne libère pas des cadavres … Officiellement, nous sommes tous déjà morts, c’est sûrement pour ça que nous sommes ici, que nous n’avons pas faim, ni soif, ni quoi que ce soit qui nous fasse être vivant … Cette prison est comme ça.
— Hem – Pardon, mais à quoi servirait une prison où nous serions tous considérés comme mort ?
— Elle sert à nous laisser l’occasion de servir dans une autre vie, d’une manière ou d’une autre. Nous attendons que le RFA nous confie une mission en échange de notre libération et d’une nouvelle identité … c’est du moins ce qui nous est promis, nous ne pouvons pas en être sûrs non plus. Mais certains sortent de temps en temps, nous croyons entendre leurs pas monter dans les couloirs vers la sortie.
— Ils - Vous ne savez pas ce qu’ils vont faire ou ce qu’ils deviennent une fois retournés dehors, j’imagine ? » s’inquiéta-t-il, craignant d’être destiné au même sort si Ulrich n’avait pas la clémence de le sauver – de sauver sa vie, mais aussi son identité, soit tout ce qui pouvait lui rester au fond de ce trou …
Malheureusement, comme 3B le fit remarquer, il était bien possible que toutes ces promesses ne soient que mensonges, que ça ne soit que des condamnés à mort qui ne sortent pour débarrasser la place de cette prison impossible à agrandir.
La seule chose dont ils étaient certains, c’était que 7B avait découvert l’existence d’un groupe secret composé par les repentis, tous terrorisés à l’idée d’être ramenés à la Vision des Abysses et ce Puits d’Ombre, si bien qu’ils étaient considérés comme l’unité la plus fidèle du RFA. Alors l’espoir de revoir la lumière du jour n’était pas vain, même si cela devait être dans des dizaines d’années, et c’était bien tout ce que William pouvait leur souhaiter. Mais alors qu’il le faisait avec sa voix la plus sincère, un rugissement strident et saturé résonna dans le puits, un hurlement si saisissant qu’il en déglutit instinctivement de peur avant d’interroger sa source. Tel que lui confirma son voisin, ce timbre de voix ne pouvait qu’être celui d’un mutant, seulement personne ne savait exactement ce qu’il y avait dans ces tréfonds inexplorés. Il pouvait y avoir ceux qui y furent jetés, à moins qu’ils n’y soient délivrés par la mort ce qui était fort probable au vu de la profondeur que devait faire le puits. En revanche, il y avait sans aucun doute beaucoup d’échos de LM là-dessous, et c’était probablement eux qui les maintenaient tous dans cette stase.
Cependant, l’Allemand du Conseil était assez lucide pour lui faire remarquer que s’il y avait des échos au point de figer son métabolisme, il devrait les voir à l’œil nu tant ils seraient innombrables, il devrait se sentit baigner dedans - ivre de ses passions, avec tous ses sens poussés à leur paroxysme, ou dotés d’une compréhension supérieure. Pourtant, il y avait une explication selon le chasseur, il s’agissait d’un LM qui ne se trouve que dans les profondeurs de la Terre, d’un LM qui serait invisible, translucide, peut-être trop pâle pour être discerné dans cette obscurité. Dans un soupçon de perspicacité, William proposa bien que ça soit la fameuse nappe polluée d’Innsbruck-01 qui gît au fond du puits mais, là encore, 6B se moqua de lui, puisqu’ils étaient bien plus bas que tous les bassins de la 01. Heureusement, 7B prit la parole pour enfin divulguer à son collègue scientifique ce qu’il avait pu découvrir de cette prison – ce qui l’avait conduit à pourrir ici. Apparemment, seul Emil et ses plus proches agents semblaient au courant de l’origine de cette prison, de ceux qui l’avaient construite ou peuplé, mais il était certain que les premiers détenus s’en étaient échappés bien avant qu’il ne la découvre. Il supposait même que cela ait pu être construit par une civilisation inconnue, des êtres qui en savaient beaucoup sur le LM et les sciences occultes de ce bas-monde. Et 7B aurait bien aimé entendre la voix du second voisin de William, 1B, car c’était un ancien chasseur de trésors. Seulement ce dernier restait silencieux, il avait perdu l’esprit dès son arrivée ici, à moins d’être déjà perturbé lorsque le RFA décida de s’en débarrasser, comme tous ceux qui font ce boulot spécial pour le département.
Enfin, toujours est-il que les discussions semblaient vouées à s’arrêter-là, puisqu’une voix sèche vint soudain annoncer la fin de la récréation.
— Oh ! Ça va ?! Ça discute bien ? Vous voulez qu’on vienne discuter avec vous, nous aussi ? » s’énerva l’un des deux gardes, en défilant devant les cellules avec sa matraque au poing, visiblement en quête d’un coupable à qui faire payer leur déplacement. Mais le Souffle Pourpre était du genre têtu, curieux et un brin audacieux, comme tous ses collègues du Conseil, alors il ne manqua pas l’occasion de voir l’un de ses geôliers descendre pour lui poser directement ses questions. « Tu crois qu’on est descendu pour te faire la causette ?
— Veuillez m’excuser. Mais puis-je être transféré plus bas dans la prison en attendant Ulrich, s’il vous plait ? » tenta William, en espérant pouvoir en apprendre plus sur ses camarades, pendant que ses voisins restaient abasourdis – même 1B arrêta d’en fixer le mur pour tourner le regard vers les barreaux.
Quant au garde, il était tout aussi interloqué, on ne lui avait jamais faite celle-là, il fallait être fou pour vouloir descendre plus bas, et complètement insolent pour oser le demander.
Néanmoins, lorsqu’il s’approcha des barreaux pour voir ce prisonnier qui se croyait tout permis, il eut un moment d’hésitation en reconnaissant le prétendu espion d’Ulrich, un silence fugace qui aurait presque fait sourire William, si le garde n’avait pas repris aussitôt. T’es même pas un chasseur mais t’ouvres quand même ta gueule, s’étonna-t-il, en se dirigeant immédiatement vers l’interrupteur de la cellule 2B, afin d’y entrer avec son collègue et rappeler à tous les règles de cet endroit. Après quelques coups au visage, le Saxon fut vite mis à terre et roué de coups dans les côtes, les jambes ou les bras, de manière à ne pas trop l’abîmer tout en lui faisant bien rentrer le message : ici, c’est pas un putain d’séjour à l’ombre. Et le prisonnier eut beau commencer à cracher son sang sur la pierre noire, le tabassage ne s’arrêta pas pour autant, car les gardes maitrisaient la situation, ils en avaient l’habitude …
Quand ils repartirent, William n’était donc plus qu’en mesure de ramper sur la nachtstein froide, au beau milieu de sa cellule vide. D’autant plus que si les chasseurs pouvaient se faire tabasser pendant des heures après avoir été paralysés, William n’était pas habitué aux coups, il n’était pas aussi résistant à la douleur qu’il ressentait toujours dans ce purgatoire. Ainsi, il retourna s’adosser piteusement contre le mur en gémissant de douleur, partagé entre le désespoir et sa rengaine contre ces sales chiens du Kaiser qui risquaient de lui servir d’invités pour l’éternité. Si Ulrich me punit comme un traître, c’est donc ça la vie qui m’attend, se lamenta-t-il après ce brutal retour à la réalité, en se demandant s’il n’aurait pas mieux fait de se laisser conduire à la 01 devant son ancien professeur. J’ai été encore plus bête de croire m’en sortir, un nationaliste comme lui va faire de moi un exemple, en vint-il même à s’avouer, tandis qu’il essayait de retrouver le sommeil qui ne voulait plus lui revenir, ma ruse était stupide dès le début, je suis encore plus condamné qu’avant. Des heures plus tard, c’est donc dans ce piteux état qu’il vit arriver quatre uniformes austères sur le seuil de sa cellule, quatre silhouettes qui ne lui inspiraient aucun espoir tant elles ressemblaient à des ombres habillées sous cette pénombre.
Pourtant, c’est avec une voix surprise et une mine déconfite que l’une des ombres s’avança, celle de son vice-directeur bavarois, Ulrich.
— Bordel, qu’est-ce qu’ils t’ont fait William ? » lâcha-t-il en se retournant vers les gardes près de lui. « Allez me chercher les surveillants responsables de ses blessures, tout de suite ! Et vous, ouvrez-moi ça immédiatement. » ordonna-t-il sèchement, en faisant visiblement son maximum pour conserver son calme, tandis que William voyait tous ses espoirs réapparaître.
— Ulrich ! J’ai voulu te ramener un cadeau pour nous aider à sauver notre peuple d’une nouvelle invasion française, mais les espions du RFA m’ont soupçonné et ils m’ont enfermé ici. Sauve-moi, je te ramène des informations, le temps pres –
— Ne me prends pas pour un con toi aussi !! Je commence à en avoir marre des casse-couilles comme Emil et toi ! Si tu venais m’apporter un cadeau, nos agents ne t’auraient pas chopé en train de filer par des petites routes ! Et nos agents ont trouvé du LM chez toi ! Ça aussi c’était un cadeau ?! » explosa-t-il de colère, à l’écoute de cet énième mensonge éhonté de William qui ne savait plus où se cacher - lui qui était déjà piteusement adossé au fond d’une cellule sans meubles.
Car Ulrich ne venait pas le sauver en réalité, il venait juste prendre acte d’une nouvelle manœuvre d’Emil, et il ne comptait pas laisser le directeur officiel du RFA continuer à faire ce qu’il voulait.
Apparemment, ce n’était pas la première fois que ce dernier enfermait arbitrairement des importuns, des sujets allemands ou austro-hongrois qu’il condamnait au nom de son bon vouloir. Et tel que William l’avait supposé, les relations entre Ulrich et Emil avaient plus qu’empiré, les deux hommes en étaient rendus à se disputer des prisonniers, des découvertes scientifiques, ou même des stocks de LM que le Pionnier Autrichien détournait on ne sait où. Elles s’étaient tellement aggravées que le vice-directeur n’était même pas surpris qu’un Loup ait été repéré au seuil de la prison, tout comme il n’était pas si étonné de voir que les geôliers avaient tabassé un accusé sans avoir reçu confirmation de sa traîtrise. D’ailleurs, Ulrich croyait fermement au fait que William était un traître, il le soupçonnait déjà, mais il doutait presque tout autant des preuves qu’Emil avait assemblées contre son ancien élève. Il lui semblait invraisemblable que cet idéaliste forcené puisse collaborer avec une entreprise si capitaliste que Solar Gleam, ou qu’il aide la très bourgeoise République Française. À l’inverse, il lui paraissait évident que le directeur cherchait à ramener son disciple sous son emprise, que tout cela n’était qu’une énième manœuvre dans son dos. Alors, s’il y avait bien un traître dans cette affaire, il ne pouvait se contenter de le laisser ici, dans cette cellule, à la merci du retour d’Emil. Il avait donc longuement réfléchi et du mieux qu’il puisse, pour sa propre humanité, pour William, pour leur peuple ou pour leur Kaiser, jusqu’à en arriver à la conclusion que le félon devait revenir dans le droit chemin, au service de l’Allemagne et du vrai RFA.
Ainsi, contrairement à ce qu’avait espéré William, Ulrich ne venait le sortir de cette prison que pour le conduire dans une autre, celle du château de Prague, abritant le siège officiel du RFA militaire. Et même si elle était bien moins dure que ce Puits d’Ombre, ce n’était absolument pas une garantie d’être tiré d’affaire, au contraire, c’était donc par une cour militaire que William serait jugé – selon les lois du peuple allemand qu’Ulrich respectait par-dessus tout. Le vice-directeur préférait être franc, si ce n’était pas le peloton d’exécution qui tombait sur sa tête, ce serait au moins une peine exemplaire, comme un enfermement sans le moindre espoir de remise, car la justice ce n’est pas le marché tel qu’il le rappela sèchement.
Pourtant, l’Allemand du Conseil ne manquait pas d’argument afin de prouver à quel point sa vie était inestimable, à quel point il voulait et pouvait aider son peuple dans les temps rudes qui se profilaient à l’horizon. Certes, il ne venait pas pour ramener des recherches étrangères au RFA, mais c’était parce qu’il les destinait au peuple allemand, à sa Cause tel qu’il l’avoua enfin devant Ulrich, plus que prêt à le croire sur ça. Le Bavarois n’avait aucun doute sur sa sincérité, lorsqu’il lui répétait à quel point il rêvait que cette guerre soit la dernière que son peuple ait à subir, qu’elle prenne sa place de pionnière d’un monde communiste où tous leurs compatriotes seraient égaux et épanouis. Les frontières de la Germanie seraient définitivement fixées et incontestées, l’exploitation de l’AP et la dérive libérale cesseraient, pendant que le RFA deviendrait l’embryon international de ce qu’il aurait toujours dû être : le phare du progrès humain. Il avait donc bien trahi le Kaiser, mais pas son peuple, ni ses idéaux ; il ne trahissait ni pour l’argent, ni par ressentiment, ni même pour un amour. Quant à Emil, il n’allait plus se gêner pour le calomnier, pour confirmer à Ulrich qu’il avait bien raison de se méfier d’un électron libre comme lui. D’ailleurs, puisque le vice-directeur ne savait pas de quoi le professeur et son disciple avaient discuté après leur réunion à la 01, William n’allait pas se priver de lui mentir, de lui répéter à quel point le Pionnier Autrichien était devenu étrange et comploteur. Ce dernier ne l’avait pas seulement déjà menacé, il lui avait ordonné de devenir son espion afin d’obtenir des secrets de l’étranger dans le cadre de recherches toujours plus étranges. En fait, Emil avait encore voulu doubler le RFA et toute la Germanie, là où William n’était qu’un cavalier sans couleur, perdu sur l’échiquier, rêvant de trouver un troisième camp, comme il l’expliqua si habilement aux oreilles du Bavarois - déjà au bord de la colère.
Néanmoins, et bien qu’Ulrich semblât convaincu par la version de son collègue, ce pauvre petit cavalier n’en était que légèrement moins traître au roi. Il n’avait peut-être pas fait fuiter d’informations à destination des ennemis extérieurs du Kaiser, il avait donné des armes redoutables aux rebelles, chose que le vice-directeur ne pouvait tolérer en temps de guerre, d’autant plus qu’il savait bien que les révolutionnaires allemands préparaient quelque chose, sans savoir quoi.
— Mais la Révolution est loin d’être la menace la plus dangereuse à planer sur nous. Au moment où je te parle, les Français approchent du Rhin, le Feld-Maréchal Ludwig a été vaincu par un fou-furieux qui a promis d’assiéger tout l’Empire. » lui confia-t-il, d’un air visiblement nerveux et inquiet, craignant pour les siens et pour sa Bavière natale.
Car s’il était sûr que l’Allemagne défendrait les terres prussiennes jusqu’au dernier homme, il n’en était pas de même pour sa famille ou ses proches, exactement situés sur la route de Vienne pour les armées franco-anglaises.
En clair, le vice-directeur du RFA ne pouvait se contenter d’espérer que les forces allemandes réussissent à inverser le cours de la guerre, il était prêt à faire feu de tout bois pour y contribuer, jusqu’à frayer avec les semi-traîtres comme William. Alors, tout en lui rappelant que seul le RFA était au courant de ses crimes, Ulrich lui proposa un marché très simple : sa vie en échange de celles des ennemis de sa patrie, tous ses ennemis, et sans le droit à la moindre pleurnicherie. S’il voulait échapper au peloton d’exécution, l’Allemand du Conseil allait devoir travailler jour et nuit à la Mondlicht-Turm, avec les précieuses recherches qu’il prétendait amener en cadeau, jusqu’à ce que le RFA puisse se présenter devant le Kaiser avec une thérapie qui inverserait définitivement le cours de la guerre. Ensuite, et seulement après, Ulrich consentirait à suspendre les preuves contre son collègue, avant de potentiellement les annuler lorsque la guerre serait achevée. C’est ça ou la cour martiale, comme il le fit claquer une ultime fois, face à un William déjà si abattu au fond de son purgatoire qu’il aurait été prêt à sacrifier plus. Après tout, il vaut mieux trahir mes idéaux et sacrifier mon temps qu’abandonner définitivement mes amis et mes camarades, s’exaspéra-t-il, en acceptant la vie en sursis qui lui était promise, ai-je seulement le choix de toute façon ?
Ainsi, le Souffle Pourpre remonta du Puits d’Ombre jusqu’à revoir les beaux couloirs de la Mondlicht-Turm dont il ne sortirait pas non plus, et dans laquelle tous le verraient comme l’ignoble traître. À vrai dire, j’espère que mes amis et mes camarades ne m’en voudront pas eux-non plus lorsque je les reverrai, se lamentait-il dès son premier soir, tandis qu’il réfléchissait à un moyen de s’en évader, si seulement je les revoie un jour. Malheureusement, pour l’instant, alors même que la réunion du Conseil n’était plus qu’à quelques mois, les seules choses qui lui rappelleraient ses proches seraient les recherches qu’il se retrouvait forcé de retourner contre eux.
Et comme il l’apprit dans les jours qui suivirent, même les recherches d’Alessia allaient être retournées contre l’Italie, puisque la péninsule venait de déclarer la guerre à l’Alliance tandis que les Ottomans se rangeaient dans le camp inverse. La guerre n’était donc pas prête de s’arrêter, et sa servitude non plus …
Au moins, il allait avoir tout le temps d’en apprendre sur la 00, même si c’est avec un garde toujours dans son dos qu’il passerait ses prochaines années ... Pour la gloire de son peuple tant chéri ...
« Artus ! Qu’est-ce que tu faisais encore chez James ?! C’est encore toi qui l’as inspiré à faire cette bêtise ?! Tu ne réfléchiras donc jamais aux conséquences de tes actes ? Pourquoi faut-il toujours que tu mettes ton intelligence au service de mauvaises choses ?! Et ce n’est pas la peine d’accuser les autres ou de te cacher derrière ta gentillesse, je te connais et je te surveille ! »
Dame Hope réprimandant Arcturus, Londres, 1863.