Les paupières d’Halima étaient lourdes. Elle souffrait, mais elle ignorait où. Tout son corps semblait être supplicié. Elle tenta de bouger une main.
Au prix d’un terrible effort, elle réussit à la soulever. Elle la porta à son visage et rencontra quelque chose de plastifié. Une sorte de tuyau. Un frisson lui parcourut l’échine.
Elle laissa errer ses doigts sur son corps et toucha un autre tuyau implanté à l’intérieur du coude. Ça la démangeait. Que lui avait-on fait ?
Enfin, avec une peur mordante dans le ventre, elle ouvrit les yeux. Les murs, le lit, les draps blancs, la chemise de nuit bleutée qu’on lui avait enfilée lui permirent de comprendre où elle était : à l’hôpital.
Une larme roula sur ses joues et elle n’eut ni la force de la retenir ni celle de la chasser.
Elle baignait dans une forte lumière et tout resplendissait faisant éclater la propreté des lieux.
De la fenêtre ouverte s’échappaient des rayons qui venaient toucher son visage. Halima promena ses doigts dans le faisceau lumineux, puis prit une grande inspiration et souffla sur les poussières et les microparticules. Celles-ci voltigèrent, s’éparpillèrent dans la pièce et certaines finirent leur valse sur son corps, comme si elles y avaient toujours eu leurs places.
La petite fille, rassérénée, par le spectacle tourna la tête pour examiner plus amplement la pièce.
Un second lit semblait disposé à côté du sien. Un rideau le cachait en partie. Elle ne devinait que les pieds du patient. Une femme vêtue d’une blouse passa près d’elle sans remarquer qu’elle était réveillée puis dégagea le rideau pour avoir une meilleure luminosité dans la pièce et examiner l’homme. Il paraissait assez jeune. Ses bras étaient recouverts de bleus, un masque transparent lui aspirait la bouche comme une sangsue, de multiples tuyaux s’échappaient de son corps semblable à des tentacules. Il n’était pas effrayant. Le matériel médical l’était un peu, par contre. L’enfant prit la décision arbitraire de l’appeler l’homme aux bleus cela lui rendait la vision de cet homme plus agréable.
La doctoresse la remarqua enfin. Elle tira le rideau et se rapprocha. D’un certain âge, elle possédait de grands yeux verts et des cheveux fins et gris enroulés dans un chignon.
— Comment vas-tu Halima ? lui demanda-t-elle.
Le son de sa voix l’apaisa.
— Ça va. Mais qu’est-ce que je fais là ?
— Hé bien, tu es malade. Ton corps est malade… Il faut qu’on le guérisse.
— Qu’est-ce que j’ai ?
L’infirmière s’assit sur le lit.
— Je voulais t’en parler une fois tes parents près de toi…
— C’est si grave que ça ?
— Non, tu vas t’en sortir, ne t’en fais pas. Mais tu étais très faible à ton arrivée. Tu n’avais pas assez mangé. Nous t’alimentons donc avec ce tuyau. Tu ne dois pas le retirer. C’est d’accord ?
— Ah. Très bien. Mais il y a de la nourriture dans ce tuyau ? Je ne la vois pas…
— Ce n’est pas exactement des aliments. Ce sont des nutriments, ce que contient la nourriture.
— D’accord.
— Je te laisse un instant, je vais appeler ta mère pour qu’elle puisse nous rejoindre.
La doctoresse sortit de la pièce. Le silence lui parut étouffant, seuls les bips des machines brisaient la torpeur ambiante. Elle se mit mentalement à compter les moutons. Elle arrivait à 8220 lorsque sa mère arriva dans la chambre suivis de la femme à la blouse blanche.
Sa mère l’enlaça et l’embrassa sur le front. Halima ne lui fit aucun sourire. Après tout, c’était de sa faute, si elle était ici. A cause de ces mensonges. Sa mère lui adressa un flot de paroles en arabes où se mélangeait des questions sur sa santé, des reproches et des prières. Halima lui lança un regard noir. Pourquoi ne parlait-elle pas en français ? Elle fit un geste de la main pour arrêter sa mère et plongea son regard dans celui de la doctoresse.
— Pourquoi je suis là, madame ?
La femme en blanc hésita puis déclara :
— Tu es anorexique. C’est quand tu prives ton organisme de ce qui est essentiel pour lui. Quand tu ne te nourris pas assez, ton corps ne peut pas se développer et ne fonctionne plus correctement. C’est ce qui est arrivé. Tu t’es évanoui à ton cours de danse, car ton organisme n’avait plus de force.
— C’est grave ? demanda-t-elle d’une petite voix.
— Tu vas devoir rester avec nous pendant un petit moment. Il va falloir te réalimenter.
— Mais je ne veux pas manger. Après je serai trop grosse et trop nulle en danse.
— Je comprends, on ne t’obligera pas à manger beaucoup mais ce n’est pas en te privant de nourriture que tu progresseras, au contraire, tu vas t’affaiblir…
La main rassurante de la femme vint se poser sur son bras dans un geste réconfortant.
— Si je ne m’entraîne pas, je vais perdre mon niveau et après je ne pourrai pas entrer à l’opéra Garnier.
La doctoresse esquissa un sourire.
— Si tu suis bien notre programme et que tu nous écoutes bien, tu pourras reprendre tes entraînements dans six mois.
SIX MOIS ?
Les larmes lui montèrent aux yeux. C’était une ETERNITE !
— Bon nous reparlerons de tout ça plus tard. Repose-toi pour le moment, c’est important.
Halima hocha la tête. La doctoresse sortit de la chambre, la laissant seule avec sa mère. La petite fille lui tourna immédiatement le dos. Les souvenirs remontaient et elle sentit qu’elle se refermait comme un escargot.
— Je veux pas te voir, mama. Va-t’en. C’est ta faute tout ça.
— Kouli chouia…
— Non ! Va-t’en !
Son ordre cinglant provoqua l’apparition de larmes sur le visage de sa mère. Celle-ci finit par obéir et elle disparut dans le couloir. Elle l’entendit discuter dans le couloir. Une femme lui répondit qu’elle devait lui donner du temps, que cela irait mieux dans quelques jours.
Non, pensa Halima, ça n’irait jamais mieux. Ses parents lui avaient menti, ils lui avaient caché la mort de son frère depuis plusieurs semaines. On ne doit pas mentir à sa fille, c’est mal. Elle était capable de l’entendre. Elle l’avait deviné, depuis le jour où son père était revenu sans Malik. Mais non. On lui avait servi des excuses, on avait tenté de la noyer sous un océan de raisons. Mais elle avait compris, elle n’était pas bête. Elle était même très mature pour son âge, sa maîtresse le répétait souvent.
Alors que sa mère et l’infirmière quittaient la chambre, la petite fille sentit un immense chagrin l’envahir. On lui avait pris son frère et maintenant on lui prenait la danse. Que lui restait-il ? Pourquoi était-il si long de guérir de l’anorexie ?
Halima laissa son regard se perdre dans le ciel bleu à l’extérieur. Les minutes puis les heures passèrent. On lui apporta de l’eau, mais pas de nourriture. Une autre infirmière l’informa qu’elle était nourrie par intraveineuse. Ce qu’elle ne comprit pas, mais n’eut pas le courage de lui demander d’expliquer. Elle finit par s’endormir. Lorsqu’elle s’éveilla, un nouveau son résonnait dans la pièce. Celui d’un crayon noircissant des pages. Il provenait de sa droite. Elle jeta un coup d’œil vers l’homme aux bleus, toujours caché par le rideau. Une femme écrivait en face de lui. Halima la trouva jolie, car elle était mince et très grande, comme les danseuses étoiles. Ses cheveux courts laqués en arrière lui renvoyaient encore plus cette image. Seules les danseuses se laquaient les cheveux. Leurs regards se croisèrent. La femme ne parla pas. Aucun bonjour. Elle replongea immédiatement dans ses notes comme si elle n’existait pas. Halima esquissa une moue déçue et chercha dans la pièce le moyen d’avoir l’heure. Rien. Aucune horloge. Que pouvait-elle faire pour passer le temps ? Les minutes passèrent aussi longues que des heures.
Alors que l’ennui la dévastait, son regard se posa sur la télévision éteinte. Elle chercha des yeux la télécommande et remarqua qu’elle était posée sur une petite commode à la droite de la femme qui veillait l’homme endormi.
— Bonjour, dit-elle d’une petite voix.
La danseuse étoile ne répondit pas, ne leva même pas les yeux. Peut-être n’avait-elle pas entendu ?
— Bonjour ! Je m’appelle Halima et vous ?
Toujours aucune réponse. Peut-être était-elle sourde ?
— S’il vous plaît, madame… Pouvez-vous me donner la télécommande ?
La femme la regarda enfin et soupira :
— Y’a pas écrit pigeon sur mon front, rétorqua-t-elle d’une voix sèche. Sonne une infirmière.
— J’ai dit ça pour savoir si vous pouviez parler, répondit Halima avec un haussement d’épaules.
Ce n’était pas tout à fait vrai, mais sa réponse surprit la danseuse qui fronça les sourcils. Peut-être s’attendait-elle à ce qu’elle pleure ?
— Tu as quel âge ? Six ans ? finit-elle par demander.
— Non. J’ai neuf ans et demi, répondit Halima. Mais on me donne souvent moins. Ça ne me dérange pas.
La femme se concentra à nouveau sur ses écrits.
— Vous êtes écrivain ?
Aucune réponse.
— C’est votre mari ?
Toujours rien.
— Vous n’êtes pas très bavarde comme personne, remarqua Halima.
— Quelle perspicacité ! Tu vas aller loin dans la vie !
La petite fille comprit que l’adulte se moquait d’elle. Généralement, cela la dérangeait, elle n’aimait pas quand les autres élèves le faisaient en classe. Mais cette femme était une adulte. Souvent, ils évitaient de se moquer des enfants. Elle était étrange… Elle ne devait pas avoir l’habitude de parler aux enfants.
— Vous auriez des livres à me donner ?
— T’aimes Rousseau ?
— C’est qui ? Moi j’aime beaucoup Michael Morpurgo. Il a écrit le roi de la forêt des brumes. C’est un très beau livre. Sylvie la bibliothécaire me l’a recommandé. Elle me recommande toujours de bons livres.
— Écoute gamine, je vais être clair avec toi. J’aime pas les enfants. J’ai rien contre toi, mais j’ai pas envie de te parler. Donc juste tais-toi. Et là, je suis gentille. J’aime le calme et le silence.
Halima referma la bouche et arqua les sourcils. Bon, elle n’était pas sympathique du tout. Elle lui rappela sa professeur de danse qu’elle n’avait pas du tout appréciée au début, car elle était directive et sèche. Par la suite, elle était devenue gentille. Peut-être qu’il en serait de même avec cette femme ?
L’enfant se mit à regarder le plafond et essaya de compter mentalement des moutons pour s’endormir. Cela ne fonctionna plus, les troupeaux avaient diparus. Elle se mit à l’observer en se demandant ce qu’elle pouvait bien écrire. Toute l’après-midi, elle était restée près de l’homme aux bleus. Elle attendait qu’il se réveille, certainement. Parfois, elle plissait les draps, elle l’entendait lui murmurer quelques mots doux. C’était beau tout de même. Étrangement, la petite fille ne voyait plus la danseuse, mais une personne perdue et amoureuse. Elle se mit à imaginer mille raisons à leur séparation et commença à construire une romance dans sa tête.
— Arrête de me fixer, ça m’empêche d’écrire, s’exclama-t-elle subitement. Regarde la fenêtre.
— Une fenêtre ne parle pas, rétorqua Halima du tac au tac.
— Putain, tu as décidé de me faire chier en fait ? Tu comprends pas le français ?
L’enfant la fusilla du regard, choquée par la dernière réflexion. C’était cruel et raciste, mais elle n’allait pas se laisser faire.
La petite fille sonna une infirmière. Celle-ci après quelques minutes entra dans la pièce et s’approcha d’elle.
— Qu’y a-t-il Halima ? Tu veux quelque chose ?
— Je voudrais me plaindre.
L’enfant fixa la fausse danseuse avec affront. Celle-ci se leva immédiatement, la mâchoire crispée, récupéra la télécommande et la lui tendit.
— Tiens ta télécommande. J’avais pas compris que tu la voulais maintenant.
L’infirmière les dévisagea tour à tour.
— C’est bon ?
— Oui, oui, merci. C’était un malentendu… assura-t-elle.
Halima sourit. Un malentendu, mais bien sûr. L’infirmière disparut et l’enfant alluma la télévision. Elle choisit un dessin animé aux voix très aiguës, mit le son au maximum puis adressa un sourire angélique à la femme de l’homme aux bleues.
Celle-ci la fusillait du regard.
Elles allaient bien s’entendre.
C'était un chapitre dynamique ! Halima et Carla ont toutes deux un fort tempérament ! J'espère que la petit va aider le personnage de Carla à progresser, devenir plus doux...
Cela serait chouette de les voir devenir amies, s'épauler l'une l'autre dans leur malheur. En tout cas c'est parti du mauvais pied ! J'ai hâte de voir comment tout cela va évoluer.
Hâte aussi de retrouver Arthur.
En tout cas, la cohabitation avec Carla promet, je sais pas pourquoi, mais mon petit doigt me dit qu'une nouvelle chaise risque de passer par la fenêtre haha. J'aime beaucoup les pov de Halima je dois dire, ils sont délicats et forts à la fois, jeunes et matures. Bref, c'est le deuxième et je me prends déjà à attendre le suivant avec plaisir
"Halima est vraiment super touchante" => oui <3
"Je me demande ce qui lui est arrivé, et si ça a un lien avec Justin (oui, peut-être haha, je préfère n'écarter aucune hypothèses)" => Je ne dirai rien ;)
"J'aime beaucoup les pov de Halima je dois dire, ils sont délicats et forts à la fois, jeunes et matures." => Super, c'est ce que je coulais transmettre :D
"Bref, c'est le deuxième et je me prends déjà à attendre le suivant avec plaisir" => Je ne comprends pas ta phrase...
Nouveau chapitre et nouvelles informations. Halima est donc hospitalisée à cause de son anorexie et on apprend que son frère serait mort! Est-ce vraiment ça ? Comment ça lui est arrivé ? Pourquoi ses parents le lui ont caché ? Encore plein de questions soulevées :)
J'ai adoré la rencontre entre Halima et Carla. Carla est comme on la connaît, même avec les enfants mais n'est pas violente ni si méchante. Et j'adore Halima qui l'idéalise au premier abord en l'imaginant comme une danseuse. Et j'ai envie de croire à l'une de ses phrases : comme sa professeure de danse au début, elle trouve Carla pas très sympathique mais pense que cela peut changer, que dans le fond, Carla a peut être un côté sympa ;)
Enfin, voilà un chapitre qui nous en apprend plus sur Halima et sa personnalité. Hâte de lire la suite
ça me fait très plaisir que tu continues ta lecture (alors que moi je suis trop en retard dans les miennes :( )
Comme toujours, je suis hyper contente de lire tes ressentis !
"Est-ce vraiment ça ? Comment ça lui est arrivé ? Pourquoi ses parents le lui ont caché ? Encore plein de questions soulevées :)" => Tu le sauras bientôt ;).
En effet, ce chapitre met en place les premiers échanges entre Carla et Halima, c'est une relation très importante dans le livre.
Ah le côté "sympa" de Carla, le verra-t-on ? Mystère ;)
Merci pour ton petit message, je file répondre à ton autre commentaire <3
Alors je ne reviens pas sur les autres commentaires mais je suis d’accord avec eux, la seule chose que j’ajoute, Tu comprends pas le français? ça n’a rien d’une réflexion raciste, c’est une chose qu’on dit plus comme réveil toi, genre y a quelqu’un!
Je trouve que c'est tout de même une réflexion raciste. Carla voit qu'Halima a des origines, elle aurait pu dire tout à fait dire autre chose ;). De plus, nous sommes en narrateur interne avec Halima et du coup c'est ce qu'elle pense !
A bientôt ;)
Makara
Quand l'infirmière dit à Halima qu'elle est anorexique => j'ai trouvé ça un peu rapide, rude même, de dire ça comme ça à une enfant de 9 ans. Et puis je ne suis pas sûre que dans la réalité ce soit aux infirmières de donner un diagnostic, et pour une mineure les parents devraient être avec elle non ? Ce ne sont que des broutilles hein mais ça m'a fait tiquer.
A bientôt pour la suite !
Merci de ta lecture rapide <3
"Mais j'ai bien aimé que Halima ne se laisse pas démonter par l'antipathie de Carla. " => Oui, elle a de la réserve la petite^^ ahaha.
"Une femme qui parle comme ça à mon enfant je lui mets une tarte direct !! XD" => T'inquiète je ferai pareille^^
" Et quoi quoi quoi le petit frère est mort ?? Pourquoi ? Comment ? :'(" => Oui, c'est un peu abrupt, j'hésite à la placer un peu plus tard, je verrai...
Je note sur ton doute que ce soit plus le medecin qui fasse le diagnostic d'anorexie accompagné par la mère. Tu as raison, je pense que je vais changer ça^^, ça me semble plus logique !
A bientôt pour la suite :p