Aydan tombait de fatigue. Ils étaient rentrés en pleine nuit de leur mission à Brys et il n’avait pas eu le temps de récupérer. Au vu de l’état des corps, il fut décidé d’organiser une cérémonie en l’honneur des défunts dès le lendemain matin. Deux bûchers funéraires furent dressés rapidement dans l’enceinte même de la caserne et tous les gardes présents à Spyr s’y étaient réunis. Ils portaient leur imposante flamberge ainsi que leur cape rouge et leur casque à crêtes. Un silence lourd régnait dans la cour de la bâtisse et personne n’osait émettre le moindre bruit. Aydan reconnut plusieurs capitaines de la Garde, dont l’instructeur Odric, qui étaient présents. Ils affichaient une mine solennelle et ne bougeaient pas d’un pouce.
Au bout d’un court instant, qui parut très long pour Aydan, la Flamme de la Foi arriva et les troupes se mirent au garde-à-vous. Atrius fit quelques pas en les inspectant, puis fit signe à l’un des hommes de lui apporter une torche. Il alla se positionner devant les bûchers puis commença son discours :
— Vaillants gardes du palais de Spyr ! Cria-t-il. Deux de nos compagnons ont péri aujourd’hui. Tombés sous les coups de lâches et d’assassins n’ayant ni honneur ni patrie. Mais leur sacrifice n’aura pas été vain, car depuis le ventre de la terre jusqu’au sommet des cieux, Pyra veille désormais sur eux. Elle reconnaît leur bravoure tout comme elle reconnaît celle de chacun d’entre vous qui se tient devant moi aujourd’hui.
Il marqua une légère pause avant de reprendre.
— C’étaient des camarades. Des frères. Et bientôt, ils obtiendront justice. Bientôt, ils combattront de nouveau aux côtés de notre déesse et, là-bas, ils se couvriront de bonheur et de gloire. Et lorsque nous les retrouverons, nous leur compterons nos exploits ici-bas. Nous leur montrerons comment, grâce à nous, tout Elanor marchera dans le chemin de la justice et de la vérité. Pour cela, nous ne renoncerons jamais à nous battre. Dès maintenant et jusqu’à l’embrasement des cieux !
— Jusqu’à l’embrasement des cieux ! Répétèrent les hommes tous en cœur.
Alors, Atrius satisfait, mit le feu aux deux bûchers qui s’embrasèrent instantanément. Toute la troupe resta quelques minutes en silence dans l’enceinte de la caserne. Seul le bruit des bannières flottant au vent ainsi que le crépitement des flammes venaient troubler le silence des lieux. Aydan ne les connaissait pas spécialement, c’étaient des gardes plus vieux que lui qu’il n’avait dû voir qu’à l’occasion de quelques entraînements tout au plus. Mais l’esprit de corps jouait un rôle prépondérant au sein de la troupe et tous, lui compris, ressentaient une part importante de tristesse à la disparition de deux des leurs.
Lorsqu’Atrius brisa le silence pour s’en aller, un officier donna la permission de rompre les rangs. Quelques-uns furent chargés de rester afin de surveiller les bûchers et de répandre les cendres des deux hommes dans les plaines avoisinantes. Ceux qui n’étaient pas en fonction avaient quartier libre.
Aydan en profita pour aller rattraper sa nuit. Il ne se réveilla qu’en milieu d’après-midi et il partit faire un tour avec Luke dans la cité pour se changer les idées. À leur retour, ils racontèrent leur exploit à Liam. Comment ils trouvèrent les corps des deux gardes dans le vignoble ainsi que leur combat dans la cabane du bûcheron. Leur capitaine les avait d'ailleurs félicités à leur retour en soulignant le rôle primordial qu'ils avaient joué dans cette mission. Ils discutèrent un long moment dans les dortoirs de leur caserne sans voir le temps passer, jusqu’à ce qu’un autre capitaine ne vienne les interrompre.
— Hé ! Vous trois ! On a besoin d’une relève de la garde à la prison. Vous avez dix minutes pour vous préparer et aller prendre leur poste. Exécution !
Aydan s’équipa en vitesse et se dirigea vers les prisons de Spyr accompagné par ses deux camarades.
Le bâtiment constituait une petite forteresse à lui tout seul. Il comportait une enceinte fortifiée dont la seule entrée et sortie était par une barbacane gardée jour et nuit. À l’intérieur, l’on y enfermait des délinquants ne méritant pas la condamnation à mort pour leurs actes ou des prisonniers politiques que les dirigeants de Spyr souhaitaient garder en vie. Toutes les cellules étaient suffisamment larges pour accueillir une dizaine d’hommes et un système de fours permettait au besoin de faire chauffer le sol de chacune d’entre elles. Ainsi, lorsqu’ils étaient allumés, les prisonniers étaient constamment obligés de sautiller sur le sol brûlant de leur cellule jusqu’à l’épuisement. Dans les faits, le manque de place conduisait bien souvent à condamner directement à mort les nouveaux arrivants.
À leur arrivée, on leur ordonna de se rendre devant la cellule des deux prisonniers que leur groupe avait capturés la veille, les gardiens s’étant débrouillés pour leur faire de la place. Atrius avait explicitement demandé qu’ils ne soient jamais laissés sans surveillance. Comme une grande partie des troupes disponibles était réquisitionnée afin d’assurer la sécurité d’une soirée à l’ambassade de Dérios, c’était à eux que revenait cette ennuyeuse besogne. Pour tuer le temps, ils s’étaient mis à jouer aux dés dans une salle laissée à leur disposition.
— Encore gagné ! S’exclama Luke. Décidément, ce n’est pas ton jour de chance.
— Aydan vient m’aider, je suis certain qu’il triche, demanda Liam.
— Non, merci, la moitié de ma solde y est déjà passée lors du chemin retour.
— Allons, ne sois pas mauvais joueur, continua Luke. Je suis sûr que tu gagneras la prochaine.
Luke lança les dés et obtint l’une des meilleures combinaisons possibles.
— Bon, ça suffit, j’abandonne, dit Liam en se levant. Comment vont les prisonniers ?
Aydan regarda en dehors de la pièce en direction de leur cellule. Les deux hommes étaient assis et affichaient un air dépité. Ils n’avaient presque rien dit depuis leur capture et les seules phrases qu’ils avaient prononcées parlaient d’une histoire d’Ordre et de mission à laquelle Aydan n’avait rien compris.
— Ils m’ont l’air d’aller bien, répondit-il.
— Rhaaa, j’en ai marre ! Se plaignit Liam. Pourquoi est-ce à nous de les surveiller ? Les gardes de la prison peuvent très bien s’en occuper, non ?
La prison de Spyr était d’ordinaire gardée par des troupes régulières et non par les gardes du palais en personne.
— Allons, tu ne veux donc pas remplir ta mission afin que Pyra soit fier de toi, qu’elle ne te couvre de gloire pour ta bravoure et que les portes dorées du ciel ne te soient ouvertes pour l’éternité ! Répondit Luke dans une imitation approximative d’Atrius.
— C’est une demande de la Flamme de la Foi en personne, ajouta Aydan. Tu aurais préféré rester planté devant les portes de l’ambassade toute la soirée ?
— Peut-être qu’il y aurait eu plus d’action. On s’ennuie ferme ici.
— En tout cas, je ne comprends toujours pas pourquoi on doit obéir à ce taré, dit Luke. Et qu’est-ce qu’il va faire avec ces prisonniers d’abord ?
Aydan allait répliquer lorsqu'ils entendirent le bruit métallique d'une porte qui s'ouvre. Il jeta un coup d’œil dans le couloir et vit Atrius escorté par deux autres gardes du palais se diriger dans leur direction. Il fit un rapide signe à Luke qui rangea les dés en vitesse et à Liam qui rajusta son armure.
La Flamme de la Foi s’arrêta et s’adressa à deux gardes de la prison en patrouilles dans les couloirs :
— Vous pouvez prendre congé, messieurs, mes hommes vont prendre votre relève.
Les deux gardes se regardèrent interloqués, et finirent par accepter devant le regard insistant d’Atrius. Une fois qu’ils furent partis, l’un des gardes qui escortait la Flamme bloqua la porte qu’ils venaient d’emprunter. Atrius continua sa route jusqu’à la cellule où se trouvaient les deux prisonniers. Aydan et ses deux compagnons le saluèrent et Atrius se contenta de hocher la tête avant de leur ordonner d’ouvrir la grille.
Aydan remarqua que l’autre garde qui escortait la Flamme posa sur une table un sac lourdement chargé. Il commença à en sortir divers instruments en métal.
— Je vais vous donner une chance de vous repentir pour ce que vous avez fait. Commença Atrius d’une voix calme en s’adressant aux prisonniers. Dites-moi où se trouve le reste de votre Ordre et je vous promets que je vous laisserais la vie sauve. Si vous refusez, croyez bien que je n’aurais d’autre choix que de faire usage de la force.
Le garde sortit un tisonnier de son sac et commença à le faire chauffer à l’aide d’un brasero.
— Toi et ta stupide déesse, vous pouvez crever ! Vociféra l’un des deux hommes.
Atrius s’avança et le gifla.
— Peut-être n’ai-je pas été assez clair. Dites-moi où se trouve votre campement !
L’homme se mit à rire.
— Vous n’êtes qu’un pion pour elle, rien de plus. Elle se débarrassera de vous dès qu’elle aura obtenu ce qu’elle désire. N’allez surtout pas croire que vous avez le moindre pouvoir.
— Pyra saura reconnaître les justes parmi les fidèles et leur accorder sa bénédiction.
— Elle n’en fera rien. Une fois Ignis mort, elle disparaîtra pour de bon.
Atrius explosa dans une colère noire.
— Insolent ! Vermine ! Tu n’es rien face à elle, quand le comprendras-tu ?
Une veine ressortait de son front et il avait les yeux exorbités. Ses mains tremblaient violemment et il était devenu si rouge qu’Aydan se demanda réellement s’il n’allait pas exploser. Il prit le tisonnier des mains du garde et s’avança. Alors qu’il s’apprêtait à le frapper, il se ravisa et fit quelques pas en arrière en déclarant de nouveau d’une voix calme.
— Pyra s’est montré juste envers l’humanité, mais ce sont des hommes comme toi qui l’ont profondément déçue. C’est pourquoi il nous appartient de corriger cette erreur de nos propres mains.
Atrius se tourna alors vers Aydan et ses deux amis restés immobiles devant la cellule. Il leur tendit le tisonnier brûlant en disant :
— Qui parmi vous veut être le premier des braves à rendre justice.
Aydan hésita. Il se savait capable de tuer ces deux hommes au combat, surtout s’ils étaient responsables de la mort de deux des leurs. Il se remémora leur mission dans le sud et le massacre du village païen, cela ne l’avait pas empêché de continuer à servir. Mais la torture, c’était un cap différent. il l avait l’impression que s’il le franchissait, aucun retour en arrière ne serait possible. Un rapide coup d’œil vers Luke et Liam lui fit savoir qu’ils étaient tous les deux aussi hésitants. Ils devaient se dépêcher, vu l’état dans lequel était Atrius. S’ils mettaient trop de temps à prendre une décision, ils risquaient fort d’être considérés comme des lâches et de se retrouver à leur tour à la place des deux malheureux. Aydan allait bafouiller une excuse lorsque Liam prit la parole :
— Moi, votre honneur. Je le ferais.
Aydan et Luke le dévisagèrent avec stupeur, tandis qu’Atrius afficha un sourire ravi et mit une main sur son épaule.
— Liam, c’est ça ? Je me souviens de toi, tu fais le bon choix et Pyra t’en récompensera.
Il lui donna le tisonnier et Liam s’avança d’un pas hésitant.
Le prisonnier lui lançait un regard déterminé comme s’il le défiait de passer à l’acte. Liam leva le bras en tremblant et le temps sembla se suspendre. Un silence pesant régna dans la salle pendant les quelques secondes durant lesquelles les deux hommes se jugèrent l’un l’autre. Puis, subitement, Liam abaissa son bras. L’homme se mit à hurler de douleur alors qu’il maintenait le bout brûlant du tisonnier contre sa peau. Puis il se mit à le frapper encore et encore sous le rictus malsain et satisfait d’Atrius.
— Arrêtez ! Vous allez le tuer ! Cria son comparse.
Liam arrêta alors son geste et recula en titubant, comme lui-même choqué par ce qu’il venait d’accomplir. L’homme qu’il avait frappé baignait dans une mare de sang et ne semblait plus donner signe de vie.
Atrius récupéra le tisonnier des mains de Liam inerte, puis, affichant un air satisfait, il se dirigea vers le second prisonnier.
— Tu connais déjà la question, il me semble. Où se trouve votre Ordre ?
— Vous êtes un monstre ! Jamais je ne vous dirais quoi que ce soit.
— Quel courage ! Rassure-toi, je trouverai un moyen d’obtenir de toi ce que je souhaite. Après tout, la nuit, est encore jeune.
Atrius claqua des doigts et l’un de ses gardes lui apporta aussitôt une pince métallique. Aydan eut du mal à dormir cette nuit-là. Fort heureusement, ils n’avaient pas assisté à la suite de la scène, car Atrius leur avait ordonné de garder la porte et d’empêcher quiconque d’entrer. Mais des cris de douleur avaient raisonné jusqu’à l’aube dans l’enceinte de la prison. Quand Atrius était finalement ressorti de la cellule, il affichait un air satisfait et leur dit simplement que tout était terminé et qu’ils pouvaient quitter leur poste. Liam ne fit pas mention de ce qu’il venait de faire et continua d’agir comme si tout était parfaitement normal. Aydan évita d’en parler, ne sachant trop comment aborder le sujet. Luke aussi ne dit rien, mais dès lors, on pouvait aisément lire le dégoût sur son visage lorsqu’il regardait Liam.
Très bon passage. On y apprend très peu de choses mais on peut penser que les prisonniers pourraient devenir important.
Luke est donc le plus humain. Même si la torture était chose courante. Quelque chose serait-il en train de se casser entre nos 3 amis ?
A voir la suite :)
Petites remarques :
"Atrius se tourna alors vers Aydan et ses deux amis restaient immobiles devant la cellule" -- "qui restaient"
"Mais la torture, c’était un cap différent et il avait l’impression que s’il le franchissait plus, aucun retour en arrière ne serait possible" -- je pense que le "plus" est en trop.
Oui pour une fois je me calme sur les descriptions à ralonge. Je suis content qu'il t'ai plu car je le considère comme l'un des chapitres essentiels de l'histoire il permet de confimer la personalité d'Atrius et de mettre Aydan et ses amis devant un choix qui comme tu l'as vu par la suite va entrainer des fractures dans leur amitié