Chapitre VIII : Mondanités et coups fourrés

Rigas était l’ambassadeur de Dérios à Spyr. Il occupait cette fonction depuis plusieurs années déjà et s’était fait une certaine réputation dans la cité. Il s’arrangeait toujours pour être lié à n’importe quel événement ou affaire qu’il jugeait opportun, outrepassant parfois son domaine de compétence. Il avait récemment fait venir son fils Claude auprès de lui pour qu’il apprenne les rouages du métier s’il devait un jour occuper son poste. Si Rigas avait organisé cette cérémonie au sein de la somptueuse ambassade et convié la moitié des sénateurs de la cité, ce n’était pas uniquement dans le but de soigner ses relations. Certes, il était loyal au roi Éléon, mais il profitait allègrement de sa position pour négocier et se procurer tous les petits plaisirs de la vie à même de compenser sa grande dévotion envers son pays.

Dès leur arrivée, Sirius et Prosper furent pris en charge par des serviteurs venus leur apporter des rafraîchissements. On les accompagna jusque dans la salle où se déroulait la soirée. De nombreux sénateurs avec leurs épouses étaient déjà arrivés et discutaient entre eux. D’autres, allongés sur des divans, dégustaient des mets raffinés parmi la quantité folle mise à leur disposition. Lorsqu’ils entrèrent dans la pièce, on leur jeta des regards curieux et plusieurs convives se mirent à parler à voix basse. Rigas mit fin à une conversation pour aller les accueillir avec le sourire.

— Voyez-vous ça ? Ce sacré Prosper ! Toujours en forme à ce que je vois.

— Ravi de vous voir, Rigas, répondit-il avec moins d’entrain.

Il ne sembla nullement s’en offusquer et s’adressa à Sirius avec tout autant de sympathie.

— Et vous êtes Sirius, la fameuse Flamme de la Guerre. Ce n’est pas souvent que l’on vous voit en dehors de votre armure. Je vous imaginais, comment dire, plus brutal.

Bien qu’il fût une Flamme depuis quelques mois, Sirius ne lui avait jamais adressé la parole. D’ordinaire, il laissait le soin à Laris de s’occuper de ce genre de choses.

— Je réserve ma brutalité lors des champs de bataille, expliqua-t-il. Ici, je n’en ai nul besoin.

— Haha, cela est bien vrai, mais ne vous y trompez pas, vous êtes au beau milieu de l'un d'eux en ce moment même. Simplement ici, les mots et les apparences prévalent sur l’épée et la lance.

Satisfait par sa mise en garde, il invita d'autres convives à se joindre à leur discussion sans se départir de son sourire. Laris, qui était dans la pièce, se joignit au groupe pour saluer les nouveaux arrivants. Il était un grand compagnon et rival de Prosper lorsque ce dernier occupait encore la fonction de Sirius. Et de manière générale, les familles Aretius et Dometor avaient toujours historiquement cherché à se renverser l’une et l’autre.

Il ne dit pas un mot à Sirius et s’adressa directement à son père :

— Prosper.

— Laris.

C’était un échange formel de politesse qui ressemblait bien plus au salut de deux bretteurs avant le début d’un duel.

— Bien, maintenant que tous les convives les plus importants sont réunis, nous allons pouvoir commencer, dit Rigas en claquant des doigts. Aussitôt, un groupe d’aèdes monta sur une estrade en bois et entonna une ballade avec un air envoûtant. Les autres invités qui s’étaient tut reprirent leurs discussions et les serviteurs s’activaient pour qu’ils ne manquent de rien.

— Atrius ne viendra pas ? Demanda Sirius.

— La Flamme de la Foi est malheureusement retenue au Temple. Selon lui, ses obligations envers sa déesse priment sur ses besoins humains. Lui répondit Laris.

Sirius ne put s’empêcher de sourire en regardant les torches et les bougies disposées aux quatre coins de la salle. S’il savait que Pyra était là en ce moment même…

— Tant que je suis avec vous, je voudrais vous interroger au sujet d’un fâcheux incident, continua Rigas. Votre incursion à Brys n’est pas restée inaperçue et a beaucoup froissé la reine. Et ce, d’autant plus que nous avions convenu d’un accord concernant cette histoire de gardes disparus, il me semble.

Laris se racla la gorge.

— En effet, je tiens à m’excuser pour le comportement d’Atrius. Ce dernier a agi sans nous en avertir au préalable. Il sera sanctionné par le Sénat en conséquence, soyez-en assuré.

— Bien, j’attendrai de vos nouvelles dans ce cas.

L’ambassadeur échangea encore quelques formalités, puis le groupe se sépara. Prosper prit son fils par le bras et l’emmena dans un coin de la pièce.

— Tu te souviens de ce que je t’ai dit, ne quitte pas Laris des yeux. Et aussi, fait tout ton possible pour faire bonne impression.

Sirius acquiesça et Prosper s’en alla rejoindre un nouveau groupe d’invités.

La soirée battait son plein, Sirius tournait de convives en convives, tous désireux de lui cirer les bottes pour en tirer un quelconque bénéfice. Un tel souhaitait savoir s’il pouvait lui trouver un poste d’officier pour son fils, une autre avançait les nombreuses qualités de sa fille prête à être mariée. Sirius en eut marre au bout de la quinzième fois que quelqu'un s’étonna de sa tenue en disant qu’il l’imaginait plus grand. Il faut dire qu’il faisait peu d’interventions en public et que les gens se faisaient une idée de lui, surtout au travers des histoires et exploits à son sujet.

Il s’écarta un peu de la foule et inspecta la pièce du regard. Son père et Rigas avaient disparu de la salle et il ignorait où ils étaient allés. Cela n’était pas grave tant qu’il ne perdait pas Laris de vue. Ce dernier discutait toujours dans la pièce, un verre à la main.

La musique devenait de plus forte et de plus en plus envoûtante. Au cours de ses discussions, il avait appris que c’était une troupe d’aèdes venue spécialement des provinces du sud de l’empire. Ils interprétaient un air typique de cette région qui était très prisé par les tribus nomades du désert.

Sirius souhaitait sortir prendre l’air sur une terrasse, lorsqu’il fut intercepté par Claude, le fils de l’ambassadeur. Il ne l'avait jamais rencontré, et Sirius sut tout de suite à quel genre d’énergumène il avait affaire. Affublé de vêtements raffinés qu'il portait avec négligence, ses cheveux étaient en bataille et sa barbe rasée en vitesse. Il empestait un mélange de vin aux herbes et de parfums luxueux et n’en était pas à son premier verre, car il s’adressa à lui bruyamment :

— Je ne vous connais pas, vous, vous êtes encore un autre de ces nobles venus lécher les bottes de mon père ?

— Je m’appelle Sirius, je suis l’un des dirigeants de cette cité, se contenta-t-il de répondre.

— Sirius ? Sirius Oh oui, cela me revient, mon père a organisé cette soirée, car il tenait absolument à vous rencontrer.

— Vraiment ? Et je peux savoir pour quelle raison.

Claude se gratta l’arrière du crâne, l’air gêné.

— Prosper lui a parlé de vous comme étant le meilleur général qui ait jamais existé et il souhaitait savoir si vous en aviez l’étoffe.

— C’est me faire bien d’honneur et je peux savoir ce qu’ils ont dit d’autres ?

— C’est que… Je n’ai pas très bien compris. Quelque chose en rapport avec la République et le nombre de Flammes, je crois qu’ils voulaient le réduire.

— Réduire le nombre de Flammes ? Comment ? Par une prise de pouvoir ?

Il n’eut pas le temps d’en demander davantage que Laris arriva et les interrompit.

— Sirius, je tenais absolument à vous parler en privé.

Il lança un regard noir à Claude qui en profita pour déguerpir sans demander son reste.

— Pour être franc, j’aurai presque eu du mal à vous reconnaître dans cette tenue.

Voulant éviter d’autres remarques sur son accoutrement, Sirius entra directement dans le vif du sujet.

— Est-ce encore au sujet des tests à l'atelier, demanda-t-il avec suspicion ? Ou bien souhaitez-vous évoquer le cas d’Atrius.

— Non, non, nous verrons cela une autre fois. Et pour Atrius, le Sénat se chargera de le punir. Je voulais simplement savoir comment s’étaient déroulés les entraînements aujourd’hui.

— Plutôt bien, malgré quelques difficultés au départ, les résultats sont concluants. Nos légions sont pleinement opérationnelles. Mais vous n’êtes pas juste venu échanger des banalités, n’est-ce pas ?

Laris sourit.

— Non, c’est exact. Je vais être direct. Qu’est-ce qu’est venu faire Prosper ce soir ?

— Pourquoi ne serait-il pas invité ? Après tout, il fut la Flamme de la Guerre durant de nombreuses années.

— Allons, vous et moi savons très bien qu’il n’est pas du genre à assister à une soirée juste pour le plaisir. J’imagine que vous devez certainement savoir ce qu’il mijote en compagnie de Rigas.

— Au risque de vous décevoir, je ne suis au courant de rien.

— Je vois, c’est fort regrettable. Se pourrait-il qu’il ne vous ait toujours rien dit après tout ce temps ?

— Je vous demande pardon ?

— Non, rien, profitez de la soirée. Sirius, nous nous reverrons demain au palais.

Il s’en alla sans rien ajouter. À chaque fois qu’il lui parlait, Sirius sentait bien qu’il ne connaissait rien de lui. Laris avait à peu près le même âge que son père, il était marié et avait plusieurs enfants, sénateurs pour la plupart. Il appartenait à l’ancienne génération et traînait certainement son lot d’affaires sombres et de scandales peu glorieux. Prosper ne lui avait jamais rien dit à son sujet, si ce n’est de s’en méfier comme d’un ennemi héréditaire de la famille. Il ignorait tout de cette haine ancestrale et détestait la façon qu’il avait de s’adresser à lui. Sirius avait l'impression qu'il pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert.

Il partit prendre l’air quelques minutes. Lorsqu’il rentra à l’intérieur, un spectacle venait tout juste de commencer. Les invités s’étaient réunis en arc de cercle autour du groupe de musiciens qui jouaient toujours leur air si envoûtant. Soudain, une musicienne déposa son instrument, s’empara de deux torches et commença à jongler sous les yeux ébahis de l’assemblée. Toute la foule était comme hypnotisée par sa performance et Sirius n’y faisait pas exception.

Elle redéposa les torches et quelqu'un lui apporta une barre en métal dont les deux extrémités brûlaient intensément. Elle la prit et commença à danser, virevoltant sur scène et dessinant des cercles de flamme dans les airs. Au bout d’un moment, elle mit l’une de l’extrémité du bâton devant sa bouche et cracha un gigantesque jet de flammes au-dessus d’elle, comblant les spectateurs d’admiration.

Cela ne dura qu’un bref instant. Un instant durant lequel Sirius crut voir le visage de Pyra se dessiner au travers des flammes. Il cligna des yeux plusieurs fois pour vérifier qu’il n’avait pas rêvé, car personne d’autre dans l’assemblée ne semblait l’avoir remarqué. Cette vision le fit sortir de sa torpeur et il s’éloigna de la foule tandis que le spectacle continuait. Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui, Laris avait disparu !

Il bouscula les invités pour sortir de la pièce et se mit à arpenter les couloirs de l’ambassade dans l’espoir de le retrouver. Il était inquiet et s’en voulait de l’avoir laissé s’échapper aussi facilement de sa vigilance. Il explora toutes les salles et tous les couloirs à sa portée sans trouver la moindre trace de Laris. Finalement, alors que Sirius s’apprêtait à retourner dans la salle centrale, il l’aperçut sur l’un des balcons. Il était en compagnie de Claude et semblait lui tendre un sac en disant quelque chose. Il voulut s’approcher pour en savoir plus lorsqu’une voix familière retentit dans son dos.

— J’espère que vous trouvez la fête à votre goût ?

Sirius se retourna. Rigas et Prosper, accompagnés par plusieurs autres sénateurs, se tenaient debout derrière lui.

— Très bien, oui. J’étais parti à votre recherche, Père. Je commençais à m’inquiéter pour votre santé.

— Qu’est-ce que je vous disais, mon propre fils veut déjà m’enterrer, répondit Prosper en riant d’un rire forcé.

Sirius se retourna et jeta un regard vers le balcon, mais ce dernier était vide.

— Très bien, dans ce cas, si tout va bien, je vais vous laisser.

— Non, nous en avions justement terminé, rétorqua Rigas. Ce fut un plaisir d’enfin vous rencontrer, Sirius.

Ils s’en retournèrent dans la grande salle. Le spectacle était terminé et les invités commençaient à rentrer chez eux.

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Talharr
Posté le 17/07/2025
passage plus lent mais avec de nouveaux personnages dans l'adéquation dont Claude avec Laris.
A voir ce qu'ils mijotent.

Deux petits retours :
"Larcis se racla la gorge" -- un petit c en trop je crois

"Il s’en alla sans rien ajouter. À chaque fois" -- Je pense que le "A chaque fois" tu peux le mettre à la ligne pour aérer :)

je continue :)
Scribilix
Posté le 18/07/2025
Re,
Oui, c"est dans la continuité de la partie précédente. Cette soirée permet surtout de mettre en commun les élites poilitiques de Dérios et spyr.
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