Nous fûmes conduits par cet homme dans une sorte de gigantesque réfectoire. Là, les candidats de certaines autres Provinces plus proches de la citée attendaient déjà, des assiettes pleine auxquelles ils ne touchaient même pas devant eux. A en juger de sa taille, ce réfectoire était fait pour pouvoir accueillir la totalité des candidats au même moment.
Je pensais savoir que nous nous trouvions dans le Palais de Jeux, un édifice gris et moche qui datait du tout début des Jeux du Souvenir où les candidats puis les Champions vivaient avant les Jeux.
— Prenez un dîner et l’on vous indiquera ensuite que faire. dit l’homme au costume.
Alister se pencha vers moi et m'emmena à l’écart :
— Viens. Nous ne dinons pas ici.
— Où, alors ?
— Dans un restaurant. J’ai à te parler. On prend un taxi pour s’y rendre.
— Très bien. dis-je résignée.
Il m’entraina à travers une porte de service à double battant ménagée dans le mur latéral du réfectoire qui débouchait directement sur une petite cour d’immeuble surveillée tout comme le réfectoire lui même par des soldats de la Garde Consulaire où une longue berline noir aux vitres teintées qui n’auraait pas volé le titre de limousine nous attendait déjà, moteur allumé. Un chauffeur appuyé négligemment sur l’aile avant se redressa en nous voyant et alla ouvrir la porte arrière et nous invita à entrer avec un petit geste de la main et un sourire d'obséquiosité.
Sans un mot, Alister lui mit un billet dans la main et me fit rentrer avant lui en me tenant gracieusement par la main. Le chauffeur ferma la portière et alla à son volant, séparé de nous par une cloison insonorisée. Le moteur produisit à peine un léger grondement, aussi feutré que possible, qui respirait autant la puissance de ses seize cylindres en V que le silence, le calme d’un roc sur lequel s’écrasent les vagues dans un coucher de soleil d’été. Son échappement ne laissait qu’un léger sifflement mais nulle pétarade, seulement l'harmonie de cette pièce d'ingénierie et de luxe, d'opulence.
Je n’avais jamais connu ce sentiment que dans un aérotrain, avant la mort de mes parents, et l’idée qu’on puisse concevoir une voiture aussi merveilleuse me dépassait. Le luxe, la dorure intérieur, le cuir, toutes ces choses merveilleuses qui semblaient venir d’une autre planète une fois dans les Provinces.
A hauteur d’homme, la ville était moins impressionante que vue du ciel, mais plus déconcertante. Tout d'abord, ses habitants. Ils étaient visiblement maniérés et il semblait ; rien qu’à les voirs marcher dans les rues, boire à la terrasse des cafés, se dire bonjour ; qu’ils suivaient tout un tas de normes sociales bizarres qui donnerait mal à la tête à quiconque étranger à la Citée Consulaire se donnerait la peine de les apprendre. Ils n’étaient pas si ridicules ou superficiels que ça, à première vue, mais on voyait bien l’attention qu’ils portaient à chaque détail de leur habillement, généralement respirant d’une sensation de luxe et de qualité, et à leur apparence. Un nombre incroyable d’entre eux se recoiffaient ou se remaquillaient en pleine rue, comme si c’était aussi crucial que manger ou boire.
Ensuite, tout semblait avoir été conçu dans un objectif d’image, de beauté, d’impressionner. Tout, du plus somptueux immeuble jusqu’au fond du dernier caniveau était brillant de propreté. C’en était presque agressant.
En résumé, cette ville était faite pour montrer la puissance et la somptuosité du Consulat ; rien d’autre. Ses habitants en profitaient bien, mais la Citée les avaient modelés à son image : obsédés par l’idée de parer des plus beaux atouts possibles ; rien ne comptait plus ; à voir les regards que se jettaient les gens ; que la première impression, le style. Je devinais les heures passé devant les mirroirs et dans les cabines d’essayages par tous ces gens. Décidément, ils avaient du temps à perdre et de l’argent à dépenser.
— Je vois que tu contemples pour la première fois la quintessence de l’apparence humaine et du luxe. dit Alister. Tu les envies, n’est-ce pas ?
Question rhétorique.
— Tu ne devrais pas. Ils sont trop étriqués, empêtrés dans les normes sociales et la bienséance. De plus, comme tu le sais surement, ils sont ceux qui de tout Asden bouffent le plus de propagande. Au bout d’un moment, ça finit par faire fondre la cervelle, tout ça…
Il me fit descendre de voiture devant un restaurant dont la devanture indiquait clairement les prix. À l'intérieur, dans une grande salle tapissée de moquette rouge, un pianiste jouait sur un instrument tout à fait magnifique pour divertir les convives ; son piano à queue était fait d’ébène parfaitement noir et posait une ambiance calme et contemplative, propice à la gastronomie.
Nous nous installâmes dans un coin de la salle, à l’écart, là où personne ne pourrait nous entendre. Alister s’occupa des commandes, car j’aurais été incapable de nommer les plats qu’on nous présentait. Une fois servi plantureusement, il posa ses mains sur la table et ouvrit la bouche.
— Il faut, dit il, que nous mettions au clair tous les détails de notre plan pour remporter les jeux.
Il me regardait intensément, comme s’il s’attendait à ce que je lui en sorte un tout cru, comme ça.
— Et alors ? dis-je. C’est à ça que vous servez, non ?
Il sourit.
— Non, ce n’est pas à ça que je sers.
— A quoi, alors ? demandai-je.
Il prit une inspiration et se redressa.
— J’ai la conviction que les êtres humains n’agissent plus rationnellement dès qu’ils sortent de leur égoïsme. déclara t il. De manière à être le plus efficace possible et à ce que tout se passe toujours pour le mieux dans mon intérêt, j’ai remisé au placard toutes les considérations stupides qu’ont la plupart des êtres humain et décidé d’assumer, tout bonnement et simplement, le fait d’être égoïste.
Je ne le croyait pas capable d’un tel discours philosophique, mais, ça cadrait bien avec le personnage.
— La compassion ? L’amitié ?
— Les expressions les plus vicieuses de l’égoïsme naturel des Hommes avec un grand H.
— Pourquoi ? m’interrogeai-je, estomaquée.
— La compassion, c’est le fait de s’empêcher de voir les gens souffrir trop et trop seuls à notre goût ; une autre manière de détourner les yeux tout en se déculpabilisant. L’amitié, c’est un plaisir ; s’il n’y avait aucun plaisir à avoir des amis, s’en ferait-on ? Mais de toute manière, cet égoïsme est nécessaire à la survie ; et les seuls qui n’en sont pas pourvus, ce sont des fous, des dépressifs qui se laissent dépérir, se suicident. Sans recherche du plaisir, de la richesse ou du pouvoir, l'existence devient ennuyeuse, inutile, vaine. On n’a plus intérêt à vivre, à ce moment là.
— Jusqu’où voulez vous en venir ?
— Je ne sers que mes propres intérêts. Rien, ni personne d’autre.
Je prit une petite pause.
— Vous voulez dire… que vous vous fichez de ma mort ?
— Non. me rassura t il. Non. Elle ne me serait pas profitable, autant sur le plan du plaisir que de la richesse ou du pouvoir. D’ailleur, une victoire de ta part aux jeux pourrait me servir de vengeance à l’égard d’une certaine personne.
— Une vengeance ? lui demandai-je, très intriguée.
— Ne t’inquiète pas de ça. me rassura t il. Sache simplement que si toute autre personne que toi remportait les jeux, je perdrai un certain plaisir vengeur à voir Waltermann.
Je m’étonnai :
— Quel grief ?
Il prit une pause.
— Quelqu’un qu’il a tué, il y a plus de vingt ans, dans ma jeunesse.
Je méditai quelques instants sa réponse avant de me décider à ne pas poser de question et changer de sujet.
— Alors ? dis-je. Comment fait on pour remporter les jeux ?
— Premièrement : ce n’est pas une compétition, pas un sport. On ne gagne que si c’est profitable au Consulat. Et secondement : on ne se fait aucunes idées, et on accepte, tout simplement, que l’on a mille chances de mourir pour une de survivre. Honnêtement, je suis très pessimiste quant à tes chances.
— Mais… vous m’aviez dit que je pouvais gagner.
— C’est possible. Pas probable. Ce serait simplement dans mon intérêt si tu gagnait.
Aucune incertitude, aucune politesse, aucune zone d’ombre. Égoïsme, utilitarisme, cynisme. La sincérité absolue, la dure vérité. S’il avait du me dire qu’il devait m’assassiner dans mon sommeil, Alister l’aurait fait. Il continua :
— Se faire détester du public n’est pas une bonne idée : s’il est vrai que cela amène facilement à l’arène, cela à la même aisance à condamner à mort. Il faut se faire aimer. Or, qu’est-ce que les gens et le Consulat aiment ? Ils n’aiment pas les héroïnes sans défauts, pas les patriotes trop fervents et une femme trop attirante atire la jalousie. Non. Ils veulent quelqu’un d’héroïque, mais aussi humain qu’eux, sombre par certains aspects, qui puisse être idéalisé en même temps. Pour le peuple, il faut admirer et s'identifier, pour le Consulat, il faut faire idéaliser le héros ordinaire, parti de rien, un exemple pour les autres. J’ai un plan pour ça et je t’en parlerai en temps voulu, mais il y a fort à parier que tu seras interviewée avant la fin de la selection des Champions, comme beaucoup de candidats, et alors, tu devra toujours te rappeler de cela.
J’opinai en silence. Satisfait, il s'intéressa à la carte des vins.
On amena de la volaille dans une espèce de sauce orange avec des reflets jaunes. C’était très bon, mais trop élaboré, si bien que je ne pensais pas mon estomac capable de supporter une nourriture aussi compliquée et riche que cela indéfiniment. D’habitude, je ne mangeais en une journée pas le quart de ce qui se trouvait dans mon assiette.
La VIIème Province ne produisait aucune nourriture, rendant celle ci plus rare et pu chère que n’importe où ailleurs dans Asden, sauf peut-être dans la Citée Consulaire, où l’on faisait aussi attention à l’apparence de la nourriture qu’à celle de ses vêtements.
Je me souviens de milliers de jours de puis la mort de mes parents, où, depuis leur maison que j’occupais encore avec Lysan, regardant les milliers de cheminées des usines de métallurgie vomir leurs flammes, dans le lointain. Si moi, ces jours là, j’avais eu quelque chose à vomir, j’aurais été bien heureuse.
De la mort de mes parents jusqu’à ma rencontre avec Kailen, je devais subvenir seule à tous mes besoins et ceux de Lysan. Trop jeune pour prendre un de ces travaux basiques et intéressants qu’on propose à la pelle, mais trop peu éduquée pour en prendre un autre, j’avais, durant les premiers mois, été contrainte à voler.
J’avais toujours choisit soigneusement mes victimes. Riches et trop occupées pour se soucier des petits bien matériels que je subtilisais, ce soin m’avait sans nul doute évité la fusillade. Cependant, un jour, par un concours de circonstances rocambolesques, je me suis retrouvée à m’introduire dans la maison du Préfet de Département, le père de Kailen. Là, comme une idiote, je m’étais endormie dans le premier lit venu, et il m’avait trouvée et réveillée. Il avait décidé étonnamment de me faire sortir de la maison, et, dans les jours suivants, nous nous étions vus plusieurs fois et il était rapidement devenu ami avec moi.
A partir de se moment là, il m’aida à trouver un travail un peu pourri qui me permit de vivre correctement : servir d’assistante au directeur d’une usine, parmis tant d’autres assistantes qu’il avait déjà. Depuis, mon statut n’avait guère bougé, et j’avais vécu sans plus de problêmes que ce à quoi pouvait s’attendre une orpheline sans intérêt pour personne dans ce monde, sous ce régime.
Après s’être goinfré avec toutefois une certaine distinction, Alister m’adressa de nouveau la parole :
— Il y à aussi quelque chose d’autre que tu dois comprendre… dit il, légèrement sinistre.
— Quoi donc ? demandai-je.
— C’est que, dans ta vie de tous les jours, si personne ne s’est encore jamais jeté sur toi pour te tuer, ce n’est que parce qu’ils sont certains de se se prendre une balle dans la tête s’il le font. C’est ne pas tuer ou mourir. Or, dans l’arène, c’est entre tuer et mourir.
J’opinai de la tête. Son ton montrai clairement qu’il voulait en venir à quelques chose de plus important que ce simple constat, Tuer ou Mourir. Il continua :
— Tu auras sans doute du mal à tuer, la première fois c’est toujours difficile, mais d’autres, qui n’auront perdu toutes leurs illusions sur ce monde contrairement à toi qui a vécu des chose que je ne souhaiterai à personne, auront encore la futilité de tenir à la vie — même si elle ne leur est factuellement inutile. Ceux là tueront. Il leur suffira s’un minuscule stimulis de la part du comité d’organisation. Et ceux là veulent vivre ; or, seule la mort peut acheter la vie.
Je regardai consciencieusement l’eau former de minuscules vaguelettes, presque imperceptibles au fond de mon verre. C’était vrai. Mais pourtant… Tuer ou Mourir… Mourir, oui, mais tuer…
Il me regarda quelques secondes avec une sorte de tristesse, de mélancolie, presque, avant de se dresser sur sa chaise et de m’interpeller avec virulence :
— Tu dois vivre, tu m’entends !? haussa t il le ton, avec des accents d’urgence et une expression de quasi- détresse. Il le faut, pour toi, pour ta soeur, et pour cet idiot qui en pince pour toi au point de manquer de finir en antarctique pour te parler cinq secondes à travers une barrière.
— Mais… dis-je. Si je ne vis plus pour moi… alors, y ai-je encore intérêt ?
— Bien sur ! me répondit il. Ne rends-tu pas compte des opportunités que cela t’offrirai de remporter les Jeux ? Tu ne le regretteras pas, caf peut-être ceux que tu aura tués.
Il se recoiffa sommairement du revers de la main avant de reprendre :
— Tu voudra les regretter, mais tu ne le dois pas. J’ai perdu cette capacité humaine, car elle ne me sert nullement dans mon but final ; mais tu devra la garder, comme tu devras tuer. Si tu ne la garde pas, tu ne seras plus réellement quelqu’un d’humain comme il en faudrait plus. Après les jeux, tu n’aspireras qu’à te reposer, tu n’as pas besoin d’être quelqu’un d’efficace. Cesser de regretter les morts rend la vie plus facile, mais cela est dangereux, car achèverait de te corrompre, comme la plupart des gens en ce monde. Tu devras garder ta pureté d’enfant pour ne jamais te bercer d’illusions sur le monde qui l'entoure. S’il y a bien une chose que tu dois comprendre, c’est que les vrais gagnants, ce sont les gens les plus abjects, égoïstes, avares et malhonnêtes. Te trouvant gagnante d’un petit jeu stupide qui n’interresse en réalité qu’à peine le Consulat, tu ne pourra jamais en faire partie. On ne gagne jamais plus d’une fois dans sa vie. Si tu garde ta pureté et ta candeur d’enfant, et que jamais tu ne passe le vrai age adulte ; alors peut être, à l’aide de ta nouvelle popularité, de tes nouveaux amis et nouvelles richesses, que tu pourra améliorer ce monde. Si tu gagne les Jeux, ta victoire ne sera peut-être pas seulement tienne ni seulement celle de tes proches et de moi-même, mais aussi peut-être, si tu t’en donne les moyens, celle de bien des gens. Évidemment, pas tout le monde ; car on ne peut gagner qu’à prendre, mais ceux que tu choisiras. Ce sont les objectifs qui font les hommes ; que les tiens soient suffisamment peu louable tout en en ayant l’air, et dans mille ans, on les verra encore comme tels.
Alister cligna des yeux et se replongea dans son repas. Bientôt on amena le dessert, une coupe glacée au citron partiellement remplie de vodka qu’il avait commandée pour moi et qui me faisait légèrement tourner la tête à cause de l’alcool. Je la dégustai tranquillement, rangeant dans un coin de ma tête sa tirade, même si Alister me houspilla un peu pour que je termine.
Nous nous levâmes de table après qu’il ai payé l’adition et nous nous dirigeâmes vers la sortie. Tandis que nous descendions les marches de pierre blanche du restaurant, un serveur nous fit une petite courbette avec une serviette posée sur le bras.
Alister lui arracha sa serviette des mains et lui fouetta le visage à l’aide de celle ci en lui hurlant dessus :
— Non, vous n’aurez pas de pourboire, pauvre idiot obséquieux !
Le serveur abasourdi le regarda avec des yeux ronds comme des soucoupes et le laissa passer sans rien faire. C’est sur que cela ne doit pas être tous les jours qu’on a un client comme Alister Morlann…
Nous reprîmes une voiture noire conduite par un muet comme à l’allée et Alister me fit descendre devant le Palais des Jeux. Malgré tout, avant de me laisser y entrer comme le Garde Consulaire en faction m’en avait fait signe, il m’arrêta violemment en me retournant par l’épaule.
— Je penses ue tu as oublié les trois quarts de mon baratin, mais, je veux que tu me rapelle quelle est la seule règle dans l’arène, pour me montrer que tu as compris.
Je réfléchis une seconde. J’’hésitais à dire cela. C’était sans doute vrai, mais je ne voulais pas le voir, et le dire l’aurai rendu réel.
Finalement, d’une voix blache, du bout des lèvres, presque en un chuchotement, je le dis, ce principe, qui, à n’en point douter, serai celui qui déciderait de mon sort :
— Tuer ou Mourir.