Chapitre IX : Une cité en crise

En début d’après-midi, elle envoya une missive à Daélia pour lui dire qu’elle avait des révélations sur la reine et qu’elle devait à tout prix la rejoindre au temple. Elle essaya de se montrer la plus convaincante possible dans sa lettre et cette dernière accepta. Cependant, elle lui proposa qu’elles se retrouvent dans une heure au cloître du palais. N’ayant pas suffisamment de temps pour refuser, elle accepta et s’y dirigea.

Elinora avait le ventre noué alors qu’elle patientait sur l’un des bancs en pierre du cloître. Daélia avait déjà plusieurs minutes de retard. Peut-être avait-elle senti le piège et ne viendrait-elle pas en fin de compte ? Finalement, après une longue attente, elle arriva à son tour. Daélia alla s’asseoir sur un banc juste en face d’Elinora. Elle lui lançait toujours ce regard hautain qui l’horripilait, mais elle semblait également sur la défensive.

— Pourquoi vouliez-vous me voir ?

— C’est à propos de Théa.

— Oui et bien ? Je vous écoute ?

Elinora réfléchit, tout ce qu’elle avait à faire était de gagner du temps.

— Théa m’a récemment fait part d’une information intrigante. Elle chercherait une nouvelle épouse pour le roi.

En entendant ces mots, Daélia éclata de rire.

— Qu'elle essaie. Elle sait très bien que la patience de tous les nobles sur le sujet est à bout et que jamais elle ne pourra se débarrasser de moi.

— Peut-être pourrait-elle trouver quelqu’un qui prendrait son fils plus en considération.

— Lui ? Laissez-moi rire. Il n’y a pas une seule fille de tout le pays qui l’épouserait pour autre chose que sa couronne. Ceux qui prétendent le contraire sont des hypocrites.

— Et ce n’est pas votre cas, j’imagine ?

— Je n’ai jamais caché mes intentions dès le départ, c’est Théa qui me refuse mon droit.

— Je vois, dans ce cas, j’espère pour vous que cette histoire en restera au stade de projet.

Elinora cherchait un autre sujet sur lequel continuer la conversation, mais à sa surprise, c’est Daélia qui reprit la parole.

— Voyez-vous, Sainte-Mère, je me suis toujours questionné sur votre rôle dans ce palais ? Certes, vous êtes la matriarche d’un culte très respecté dans cette ville, mais quels liens entretenez-vous avec le pouvoir pour que Théa vous rende visite si souvent ? Au départ, je vous ai pris pour une sorte de sorcière ou de médecin qui l’aidait à soigner ses douleurs. Maintenant, je sais que sous vos airs de fausse sainte, vous êtes exactement comme nous.

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire, répondit Elinora quelque peu décontenancée.

— Si. Si, continua-t-elle. Vous aussi, vous complotez. Vous espionnez mes conversations, puis demandez à Théa de me faire surveiller. Vous jouez de votre influence sur elle pour qu’elle accepte la présence de votre fichu Ordre et qu’elle fasse arrêter Ignace, votre concurrent. Et enfin, vous vous infiltrez chez moi afin de trouver des preuves pour me faire chuter moi aussi. Peut-être qu’en fin de compte la couronne vous intéresse plus que votre autel ?

Elinora allait se lever pour protester lorsqu’elle sentit un homme l’attraper par-derrière. Elle se débattit tandis que l’homme sortait doucement une dague de sous sa tunique.

— Au revoir Elinora. Ne vous en faites pas, l’on trouvera le moyen de justifier votre mort auprès de Théa. Votre déesse ne vous aura été d’aucune utilité en fin de compte.

Elinora se débattait en panique, mais c'était peine perdue. Elle n'arrivait pas à se concentrer et l'homme plaqua sa main sur sa bouche, l'empêchant de réciter une prière. Alors qu’elle pensait son heure venue, un couteau fendit l’air et Elinora sentit aussitôt l’étreinte se relâcher. Derrière elle, se trouvait effondré sur le sol, un garde avec un couteau planté dans la gorge. Daélia était aussi choquée qu’elle et toutes deux se retournèrent pour apercevoir Minos qui accourait dans leur direction.

— Baissez-vous ! Cria-t-il.

Elinora réagit au quart de tour et elle se baissa en sentant une lame lui effleurer les cheveux. Minos dégaina son glaive et se jeta sur le soldat. C'est alors qu'elle remarqua d'autres gardes dans les jardins qui fonçaient dans leur direction. Elinora écarta les bras pour faire un bouclier protecteur autour d'elle, tandis que Minos continuait de taillader à tout-va. Elle vit alors Daélia disparaître doucement derrière une colonne pour quitter le cloître.

— Arrêtez-la ! Cria-t-elle à l’attention des autres Brûlés qui venaient de débouler dans le cloître.

Elinora se faufila dans la cohue jusqu’à arriver dans l’un des couloirs adjacents. Elle essaya de courir, mais avec son âge, il lui était impossible de la rattraper. Alors que la distance ne faisait qu’augmenter, elle aperçut Lux bondir à côté d’elle et envoyer la chaîne de son arme en avant. Celle-ci s’enroula autour des genoux de Daélia et la fit tomber à la renverse. Elle essaya de se débattre et Lux tira un coup sec sur la chaîne et elle fut traînée en arrière.

— Où est Lucio ? Demanda-t-elle en accourant auprès de Lux qui la maintenait fermement au sol.

Daélia ne répondit pas. Lux fouilla sans ménagement dans les poches de sa robe et en ressortit plusieurs pièces identiques à celle qu’avait trouvée Elinora.

— Cela ne fait plus aucun doute désormais, dit Lux.

Les combats commençaient à se terminer et plusieurs Brûlés venaient les rejoindre.

— Lâchez-moi ! Cria Daélia en tirant comme une enfant sur le bras de Lux pour espérer se libérer !

— On te relâchera une fois que la reine aura décidé de ton sort, pas avant.

— Aucune trace de Lucio, ajouta Minos qui venait d’arriver en rengainant son glaive. Soit il a fui, soit il n’a pas participé à cette attaque.

— Où se trouve Théa en ce moment ? Lui demanda Lux.

— Elle a une réunion avec plusieurs familles nobles de la ville, je crois. En général, elle les organise directement dans la salle du trône. Dès qu’elle aura fini, l’on pourra lui révéler l’affaire.

— Pas le temps d’attendre, s’empressa-t-elle de répondre. On va les voir maintenant.

Leur groupe se dirigea donc vers la salle du trône en traînant de force Daélia qui ne cessait de protester en criant. Les portes étaient fermées et Lux écarta sans ménagement les deux gardes à l'entrée avant de pénétrer dans le hall, suivi par le reste du groupe. Elinora aperçut la reine Théa affalée sur son trône. Cette dernière afficha aussitôt un air surpris en les voyant pénétrer dans la salle du trône sans même s’annoncer au préalable. À côté d’elle, se trouvait le roi Éléon, toujours impassible dans son fauteuil. Enfin, une ribambelle de notables de la cité étaient regroupés autour d’elle, tous plus désireux les uns que les autres de faire valoir leurs réclamations.

— Qui ose me déranger en pleine réunion ? ! S’offusqua la reine Théa en se levant.

Pour toute réponse, Lux libéra Daélia et la poussa jusqu’au centre de la salle.

— La princesse Daélia a tenté de s’en prendre à la Matriarche des Enfants de Pyrel. Pour ce faire, elle a fait appel aux services des Kléptars et à l’aide d’un certain Lucio qui se cachait dans ses appartements. Cette pièce vous servira de preuve, il y en avait sur chacun des gardes qui l’accompagnaient.

Lux montra à la vue de tous la pièce percée. Sa déclaration provoqua aussitôt un vent de surprise et d’étonnement dans l’assemblée. Théa afficha un air ravi et semblait si heureuse de la nouvelle qu’elle ne fit aucune manière du manque de politesse de Lux.

— Ta chance a fini par tourner, tu ne pourras pas te cacher derrière ton titre cette fois. Cela fait longtemps que j’attends ce moment.

— Ce n’est pas vrai ! Cria Daélia en se libérant de l’emprise d’un Brûlé. Ce sont ces hommes qui…

— Silence ! J’en ai plus qu’assez de toi et de tes complots. D’abord avec Spyr, maintenant avec Lucio. La seule chose que tu auras faite de bien pour cette ville est de donner un héritier à la couronne. Mais maintenant, je pense que tu as accompli ton rôle.

Théa descendit de son trône et s’avança jusqu’à se trouver à quelques centimètres de la princesse.

— Tu n’es plus rien, Daélia.

Il eut un grand silence à l’issue duquel elle éclata de rire.

— Se pourrait-il que vous ne soyez toujours pas au courant ?

— De quoi parles-tu ? répondit Théa en fronçant les sourcils.

— Allez-y, dites-le ! Cria-t-il en s’adressant à la foule de nobles dans la pièce. Dites qui est le véritable père du jeune prince.

Il eut un grand silence dans l’assemblée et tous se mirent à trouver un intérêt soudain pour la semelle de leurs chaussures.

— C’est impossible ! Cria Théa.

— Pourquoi votre fils n’a-t-il jamais réussi à engendrer d’héritier malgré toutes ses prétendantes à votre avis ? Oh, bien sûr, vous l’avez toujours défendu, mais rendez-vous à l’évidence, votre cher petit est stérile. Lucio est le véritable père du prince, il l’a toujours été.

Théa la gifla avec rage.

— Mensonges ! Vous mentez ! Cria-t-elle alors que Daélia éclatait de rire à nouveau. Que l’on m’amène, le jeune prince !

Des domestiques partirent aussitôt à sa recherche.

Elinora ne savait pas vraiment quoi dire. Elle-même avait toujours eu des soupçons sur la paternité du jeune prince. Pourtant, elle n’aurait jamais imaginé que Lucio en serait le père. Elle jeta un regard vers Éléon, toujours assis sur son fauteuil en bois. Il semblait profondément attristé, mais pas surpris par les révélations. Il aurait sûrement eu son mot à dire si on lui en avait laissé l’occasion. Comme d’habitude, personne dans l’assemblée ne lui prêtait la moindre attention.

— Quand je pense que tu as osé forniquer avec une raclure des bas-fonds ! S’exclama Théa à l’attention de Daélia. Tu es pire que tout ce que je pouvais imaginer.

— Et comment était-il censé en être autrement ! Votre fils est incapable de s’occuper de lui-même. Et puis Lucio n’est pas un roturier, il appartient à une famille noble.

— Vraiment ?

— Les Furis étaient une famille qui siégeait autrefois au Conseil de la ligue Akeane… Commença l’un des nobles présents. Théa lui lança un regard rempli de haine et il ne termina jamais sa phrase pour retourner dans le rang.

— Je ne vois qu’une seule solution. Te couper la tête ici et maintenant pour haute trahison.

— Je peux m’en charger, proposa Minos en toute bonne foi.

— Laissez-lui votre place, déclara alors Daélia. Reconnaissez enfin que votre fils ne peut pas être roi et que vous avez passé l’âge d’être reine.

Cette fois, ce fut Théa qui éclata de rire.

— Plutôt mourir que de voir cette cité tomber entre tes mains. Tu n’es qu’une jeune fille capricieuse et lui, un voyou de la pire espèce.

Une domestique entra en trombe dans la salle. Elle était couverte de sueur et son teint était livide.

— Ma… Ma reine ! C’est terrible ! Le je… Jeune prince a disparu !

Il eut un long silence dans l’assemblée avant que Théa n’explose de colère.

— Où est-il ?! Cria-t-elle en saisissant Daélia par le col.

Daélia haussa les épaules en faisant mine de ne rien savoir.

Théa laissa échapper un cri de rage.

— Gardes ! Fouillez chaque recoin du palais ! Inspectez toute la ville ! Elle se retourna vers les Brûlés. Je veux que vos hommes s’y mettent également.

— Abdiquez, tant qu’il vous reste encore un peu de dignité, lui répondit Daélia.

Plusieurs remarques et cris de protestations s’élevèrent alors dans l’assemblée :

— Elle a raison, ma reine. Reconnaissez que votre fils n’est pas apte à porter la couronne.

— Lucio descend d’une famille noble, ce n’est pas un si mauvais parti, s’exclama un second.

— Vous dites cela parce que la moitié d’entre vous a des dettes auprès des Kléptars, répliqua fermement Théa.

— Vous ne pouvez pas la laisser en vie, lui dit alors Lux. Elle a œuvré avec Ignis pour causer votre mort. Qui sait ce qu’elle prévoit de faire par la suite si jamais elle rentre de nouveau en contact avec lui.

— Vous et vos sornettes taisez-vous ! L’on parle de sujet sérieux ! S’exclama Daélia.

Le vacarme devenait insoutenable, chacun essayant d’argumenter dans son sens. Elinora se demanda si elle devait faire appel à Pyrel pour calmer tout ce beau monde, mais elle ne connaissait pas de miracle utile pour l’aider dans cette situation. Alors que les cris et les protestations atteignirent leur sommet, les lourdes portes du hall s’ouvrirent à nouveau. Un émissaire arriva et s’inclina en posant un genou à terre. Deux autres gardes accourent derrière lui et déposèrent un lourd coffre au centre de la pièce.

— Votre majesté, pardonnez mon intrusion, mais j’ai un message urgent de la part du général Balwin.

— Quoi ? ! Cria-t-elle. Vous voyez bien que nous sommes occupés !

— Spyr vous déclare la guerre, Votre Altesse.

Les gardes ouvrirent le coffre et un élan d’émoi parcourut l’assemblée. À l’intérieur, s’y trouvaient les têtes décapitées de Rigas et de son fils.

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Talharr
Posté le 10/08/2025
EH bien quel chapitre ! Une grande révélation dont je m'attendais pas du tout (même si je m'étais posé la question au vu de l'état du pauvre Eleon) mais ça fait un choc. Il faut reconnaitre avec Lucio qu'il sait placé ses pions. Mais je pense que la couronne a été trop passive depuis le début.
ça part dans tous les sens. Le règne de la famille de Théa semble se rapprocher de la fin...
A voir quelles décisions seront prises. Puis comme si ça suffisait pas, la guerre est déclarée.
ça va être intense :)

Quelques retours :

"qui le maintenait fermement au sol" -- "la"

"De quoi parles-tu, répondit Théa en fronçant les sourcils" -- plutôt un point d'interrogation.

"d’hériter" -- "d'héritier"

"Théa le gifla avec rage" -- "la gifla"

Voilà à plus ! :)
Scribilix
Posté le 11/08/2025
Oui, c'est un beau bordel haha. Il sera temps de regler tout cela sur le champ de bataille.
merci pour ta relecture et à la prochaine :)
Scrib.
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