Tanwen galopait à toute vitesse à travers la campagne spyrienne. Aydan, assis derrière elle, jetait des regards inquiets dans leur dos. Deux gardes du Palais les poursuivaient à une dizaine de mètres derrière eux et ils gagnaient progressivement du terrain à mesure que leur monture s’épuisait. Ils avaient volé un cheval dans les écuries avant de quitter la ville, mais dans la précipitation, ils n’avaient pas pris soin de choisir le plus vaillant. Ils s'étaient ainsi retrouvés avec un vieil animal fébrile et ayant tout juste assez de chair sur les os pour les porter tous les deux. Après leur évasion, il n’avait pas fallu attendre longtemps avant que des hommes ne soient lancés à leurs trousses, et ces derniers eurent tôt fait de les rattraper.
— Attention ! Lui cria Aydan.
Tanwen tira sur la bride et le cheval s’écarta sur la droite, évitant de justesse une lance qui alla se planter dans le sol.
— Ces gars n’abandonnent jamais ?
— Je te rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, tu étais comme eux, dit-elle en frappant des talons pour faire accélérer son cheval déjà épuisé. L’on ne va pas pouvoir continuer comme ça très longtemps !
— Que proposes-tu ?
— De leur faire face !
Tanwen stoppa son cheval et le fit partir dans l’autre sens avant qu’Aydan n’ait le temps de protester.
Elle dégaina son arme et charga vers le premier cavalier. L’homme s’était penché pour récupérer sa lance et ne s’attendait pas à un revirement aussi brusque. Il n’eut pas le temps de se repositionner et Tanwen le frappa à pleine vitesse. Son armure encaissa le choc, mais il fut propulsé en arrière et s’écroula lourdement sur le sol. Le second cavalier réagit plus rapidement et prépara son attaque. Sa lance transperça leur monture et ils furent à leur tour projetés à terre. Tanwen fut sonnée par le choc et elle mit un moment à se relever et à reprendre ses esprits. Mais ce n’était pas le cas d’Aydan qui se précipita aussitôt vers la lance qu’avait lâchée le premier homme. Alors que le cavalier revenait à la charge, il se mit en position lance levée. Au dernier moment, il fit un pas de côté et s’élança en avant. L’arme de son adversaire passa à quelques centimètres de son visage, tandis que la sienne lui transperça le ventre au travers d’une faille dans son armure. Le second garde s’écroula lui aussi.
— Je crois que c’est fini, lâcha Aydan essoufflé.
L’homme qu’il avait transpercé se releva aussitôt, la lance encore plantée dans l’abdomen, tandis que le premier garde se dirigeait dans leur direction en boitant.
— Comment ? Comment peuvent-ils encore bouger ?
— C’est la magie de ta déesse, répondit Tanwen qui avait déjà assisté à la même scène à Ortie. Elle fait de vous ses esclaves tant que vous respirez.
Elle se précipita en avant et agrippa la lance avant de la retirer d’un coup sec. L’homme grimaça de douleur et laissa échapper un grognement. Sans en tenir compte, Tanwen l’acheva en le transperçant à la gorge. Pendant ce temps, Aydan alla s’occuper du second garde, qui ne fut pas une grande menace. Dès que ce fut terminé, ils nettoyèrent leurs armes, prirent tout ce qu’ils pouvaient et cachèrent les corps du mieux qu’ils purent dans un fossé sur le bas-côté de la route.
— Il va bientôt faire nuit, dit Aydan. Il nous faut trouver un endroit où camper. Les villes sont trop dangereuses, mieux vaut les éviter.
— J’aimerais m’éloigner le plus vite possible de Spyr avant ça.
— Et bien, faisons encore quelques lieues, l’on verra si l’on trouve un endroit convenable sur la route.
Fort heureusement, les chevaux des deux hommes n’avaient pas profité de l’agitation pour s’enfuir et ils eurent chacun leur propre monture pour continuer leur périple. Après encore une bonne heure de chevauchée, ils s’arrêtèrent à l’orée d’une forêt dense et profonde. Ils n’étaient pas encore en Brysie, mais il s’était mis à pleuvoir depuis plusieurs minutes et la nuit commençait à tomber. Ils s’enfoncèrent dans le bois jusqu’à trouver une sorte de petite grotte qui leur servirait d’abri alors que l’averse redoublait d’intensité. Ils attachèrent leurs chevaux et passèrent de longues minutes à essayer de démarrer un feu avec le peu de bois encore sec qu'ils purent trouver. Vu le temps qu’il faisait, il était inutile d’espérer chasser quoi que ce soit ce soir et ils devraient se contenter des maigres rations de nourriture qu’ils avaient dérobées aux deux gardes. Finalement, à force de persévérance et en frottant une pierre contre son arme, Aydan réussit à obtenir des étincelles puis des flammes. Ils auraient le ventre vide, mais au moins, ils passeraient la nuit au chaud.
Exténuée, Tanwen se laissa tomber au sol et s’adossa contre le mur de la caverne en face du feu.
— Il va nous falloir planifier la suite de notre trajet pour demain, dit Aydan qui était assis de l’autre côté.
Elle ne lui faisait toujours pas confiance. Certes, il l’avait sorti de prison, mais cela ressemblait un peu à un coup de tête, car il n’avait rien prévu pour la suite. Et puis, elle avait encore en mémoire le nombre de fois qu’ils avaient croisé le fer ainsi que la mort de Luke. Cependant, elle reconnaissait que quelque chose avait changé en lui. À force d’avoir côtoyé des gardes pendant plusieurs jours, elle s’était rendu compte que ces derniers étaient insensibles et ne ressentaient rien, si ce n’est le besoin impérieux de remplir la mission que Pyra leur avait confiée. Aucune empathie ni sentiment ne se lisait sur leurs visages. Nul doute qu’Aydan était comme eux autrefois. Pourtant, il avait changé et semblait maintenant plus humain. Ce retournement si brutal la laissait sceptique, elle se demandait ce qui avait pu se produire dans la tête de ce dernier alors qu’il était encore prêt à tuer son ancien ami quelques semaines auparavant.
— Il faut que l’on gagne la Brysie, dit-elle. De là, il nous sera facile de rejoindre Brys et de gagner Dérios.
— Je n’en suis pas si sûr. Spyr contrôle la plupart des ponts sur l’Ydra et puis la région est remplie de troupes en prévision d’une guerre contre Dérios.
— C’est vrai ? Demanda-t-elle. Une guerre va éclater ?
Elle n’avait connu la guerre qu’au travers des histoires que lui avait raconté tante Marta et quelques vétérans avec lesquels elle avait travaillé à Dérios. Elle avait du mal à réaliser que cela pouvait se produire à nouveau, bien que la bataille d'Ortie ne lui en ait donné un avant-goût pour le moins effrayant.
— Je ne sais pas, Novi-Fyr a été une vraie révolution et beaucoup de choses ont changé. D’après les dernières informations que j’ai obtenues au sein de la Garde, Atrius avait l’air de vouloir en découdre.
— Comment allons-nous faire pour rejoindre Dérios dans ce cas ?
— L’on pourrait passer par Laxis. L’Ydra y est moins puissante là-bas et l’on peut même traverser le fleuve à la nage. En se dépêchant, l’on devrait y être dans deux jours. Mais il faut faire vite, des légions de tout l’empire sont sûrement en train de faire route vers le nord pour gagner la Brysie.
Il eut un léger silence où l’on entendit que le crépitement des flammes se mêlant au fracas de la pluie.
— Et donc votre ordre veut arrêter Ignis, c’est bien ça ? Demanda-t-il.
— Oui, je sais, soupira-t-elle. Ça peut sembler absurde, mais c’est la vérité. Moi aussi, au départ, je trouvais cela stupide jusqu'à ce que je sois confrontée à lui directement et aux miracles des prêtresses de Pyrel.
— Pourquoi avoir rejoint l’Ordre dans ce cas ?
— J’avais besoin de leur aide pour régler mes propres problèmes, dit-elle en pensant à Lucio.
— Je vois, en tout cas, je les crois.
— Vraiment ?
— Oui, je vois les choses plus au clair à présent. Pyra s'est servi d'Atrius et des Adorateurs du Brasier pour prendre le contrôle de la Garde, puis de Spyr et de son empire tout entier.
— Mais je ne comprends pas. Pourquoi pousserait-elle Spyr et Dérios à entrer en guerre ?
— Je l’ignore, elle doit avoir ses raisons. Pour l’avoir aperçu discuter avec Atrius, je peux t’assurer qu’elle ne reculera devant rien pour arriver à ses fins.
— C’est vrai ? Toi, tu as vu une déesse ? Fit-elle avec étonnement.
— Bien sûr que oui ! Pourquoi cela ne pourrait pas être le cas ? Répondit-il l’air offensé.
— Et bien, les dieux ne sont censés se montrer qu’aux mortels promis à une destinée hors du commun. Permets-moi d’avoir quelques doutes te concernant.
— Tu dis ça parce que tu n’en as jamais vu, c’est tout.
— Très bien, dans ce cas, à quoi ressemblait-elle ?
Aydan se lança dans une description détaillée, trait pour trait de Pyra, en abordant les moindres contours de son visage ainsi que le mélange de beauté, de grandeur, mais également de cruauté qui la composait. Il raconta que son regard suffisait à terrifier n’importe quel mortel et que sa robe pouvait s’enflammer quand elle le désirait. Ses ennemis étaient réduits en cendres rien qu'en la regardant, et lorsqu'elle s'énervait, ses cheveux s'embrasaient. Il grossissait volontairement son discours pour le rendre plus impressionnant, mais donnait surtout un effet comique. Tanwen écouta tout attentivement en souriant, tant Aydan était lui-même emporté par la description qu’il faisait de la déesse. Finalement, il termina son monologue et il eut un grand blanc à l’issue duquel tous deux éclatèrent de rire.
— Si tous les prêtres étaient comme toi, les temples seraient pleins plus souvent, dit-elle en riant.
— Je pense surtout que je ne tiendrai pas deux jours avant de me faire renvoyer pour avoir raconté n’importe quoi à la moitié de la cité, répondit-il en souriant à son tour.
Ils parlèrent encore un long moment en se racontant chacun leur vie respective. Tanwen fut amusé devant la réaction perplexe d’Aydan lorsqu’elle lui racontait les diverses missions qu’elle avait accomplies à Dérios. De même, elle fut ravie d’en apprendre plus sur Spyr ainsi que sur les missions qu’il avait faites avec Luke durant leur entraînement, lorsque tout était encore simple.
La mention du nom de leur ancien ami provoqua un nouveau silence. C’est à ce moment que Tanwen remarqua qu’Aydan portait un médaillon autour du cou.
— Qu’est-ce que c’est ? Dit-elle en pointant le bout du bois grossier du doigt. On dirait que ça a été fait par un enfant.
Aydan hésita avant de répondre.
— Je l’ignore, dit-il. Je l’ai pris à la Flamme de la Guerre lorsque j’étais encore garde. Pour une raison que j’ignore, ça me rassure de le porter.
— Je ne sais pas ce que c’est censé représenter, mais j’espère que ce n’est pas Pyra, sinon toute ta description est à revoir.
— Non, je ne pense pas, fit-il en souriant. J'ai l'impression d'y voir une sorte de torche, même si c'est difficile à dire tant la sculpture est grossière.
Comme la nuit était déjà bien avancée, ils décidèrent d’en rester là pour ce soir. Tanwen eut du mal à trouver le sommeil. Bien que, pendant toute la durée de sa captivité, elle n'avait montré aucun signe de faiblesse à ses geôliers, pour ne pas leur faire le plaisir de la voir terrifiée, au fond d’elle, Tanwen avait vraiment trouvé sa situation désespérée. C’est pourquoi la décision d’Aydan l’avait d’autant surprise qu’elle avait passé les derniers jours à relâcher sa rage et sa frustration sur lui. Pourtant, elle gardait encore des séquelles de ces nuits courtes à la prison, et même si elle était dehors, elle savait qu’elle ne serait vraiment tirée d’affaire qu’une fois arrivée à Dérios. Elle se demandait comment allaient les autres. Si l’Ordre était enfin parvenu à stopper Ignis et Lucio, mais aussi ce que devenait Finn. Elle finit par s’endormir bercée par le crépitement des flammes.
Ahh un chapitre que j'attendais aha
Enfin on revoit le véritable Aydan, heureusement qu'il était pas trop tard comme pour Anakin Skywalker :,(
En tout cas duo très sympa, c'était agréable à lire, surtout au moment où Aydan raconte à quoi ressemble Pyra aha
Les quelques retours :
"il n’y avait pas fallu attendre longtemps" -- je crois plutôt "Il n’avait pas fallu attendre longtemps"
"prirent tout ce qu’ils pouvaient prendre" -- je pense que le prendre n'est pas nécessaire.
"Elle n’avait connu la guerre qu’au travers des histoires que lui racontait tante Marta et quelques vétérans avec lesquels elle avait travaillé à Dérios" -- "avait raconté" plutôt.
"Bien sûr que oui, pourquoi cela ne pourrait pas être le cas, répondit-il l’air offensé" -- le point d'interrogation ahaa
Je continue ^^
J'ai corrigé les erreurs et j'ai également rajouté quelques phrases sur le garde dans la conversation entre Elinora et Théa comme tu me l'avais conseillé :)
Je vais aller voir ça :)