Chapitre Neuf // Partie Trois

Le temps que je parle à mon frère et Denise, le reste de la ville avait eu le temps de commencer à se réveiller. Il y avait plusieurs personnes en train de se balader sur les trottoirs, et quelques voitures me sont passé devant. Je marche devant le parc où Ezra m'avait retrouvé pour notre rencard-pas-rencard, et j'entends le bruit des enfants jouant à la plaine de jeux. J'envisage un instant de faire le tour de l'endroit, simplement pour me balader et profiter de la belle matinée, mais j'ai plus important à faire: découvrir pourquoi Ezra m'ignore. Il en a le droit, mais j'ai besoin d'une raison, sinon je risque de me briser à nouveau. Comme avec Ophélia, et pourtant de façon différente. Elle n'avait pas arrêté de me parler du jour au lendemain, mais m'a fait tout aussi mal, si pas plus. Et je ne veux pas revivre ça une nouvelle fois.

J'arrive finalement devant le bon immeuble. Sous la clarté du jour, il est beaucoup plus accueillant que de nuit, où seule la lumière des lampadaires nous permettait de voir où nous mettions nos pieds. Je passe la porte et m'engage dans les escaliers, jusqu'à ce que j'arrive à l'étage. Le palier est exactement pareil que dans mon souvenir, bien que ce dernier soit encore jeune. Une odeur de frais monte à mon nez, et j'inspire une grande quantité d'air pour en profiter. Le ménage a été fait il n'y a pas longtemps, il n'y a aucun doute. Je lève la main pour toquer à la porte d'Ezra, mais une voix me suspend dans mon geste.

— Il ne risque pas de vous ouvrir, vous savez...

Je me retourne et tombe nez à nez avec la porte entrouverte de la voisine.

— Ah! Bonjour. Madame Ramiro, c'est ça? Ezra m'a beaucoup parlé de vous, je suis content de vous rencontrer en bonne et due forme

— Oui, mon garçon. Et moi je me souviens de toi, Alejandro. Mais ce n'est pas le sujet. Il ne t'ouvrira pas.

Je me retiens de la corriger. Ce n'est pas exactement le bon moment pour débattre de mon prénom. Et puis, Alejandro c'est assez cool à entendre!

— Qu'est ce que vous voulez dire?

— Je veux dire qu'il est... C'est quoi, le mot? Déprimé. Il s'est passé quelque chose, je peux le sentir. Depuis vendredi il est étrange, et il refuse tout ce que je lui propose. Ça ne sert à rien de frapper à la porte.

— Ah...

C'est pire que ce que je ne pensais. J'ai réussi à le faire déprimé, je ne suis qu'un con. Plus jamais je ne boirai d'alcool, il y a beaucoup trop de conséquences, qui ne sont visiblement pas toutes positives.

— Merci beaucoup, Madame Ramiro. Je vais quand même essayer, qui ne tente rien n'a rien, après tout!

— D'accord, Mijo. Mais je n'espérerais pas trop, si j'étais toi!

Elle referme sa porte aussi discrètement qu'elle l'avait ouverte, sans un bruit. Lorsque j'entend le bruit de la clé qui tourne dans sa serrure, je me retourne vers la porte qui m'intéresse: celle d'Ezra.

Je donne une petite série de coups secs, et j'attends. J'entends du bruit à l'intérieur, donc je sais qu'il est réveillé, au moins. Ou il a quelqu'un chez lui? Je doute que Madame Ramiro n'aurait rien dit si elle avait été au courant. Et elle est au courant de tout, apparemment! Non, il est seul, c'est évident.

J'attends qu'il vienne m'ouvrir.

Et j'attends.

Et j'attends.

Une dizaine de minutes passent avant que je n'ose frapper à nouveau à la porte. Cette fois-ci, c'est plus fort, plus longtemps. Je n'ai plus aucun doute quant au fait qu'il m'ait entendu. Son appartement n'est pas si grand que ça, et la porte n'est pas blindée. Si ça se trouve, même ses voisins m'ont entendu toquer.

Cette fois je n'attends que quelques dizaines de secondes avant de recommencer à frapper. Je perds patience, donc je ne m'arrête pas. Cette fois-ci ça marche, car la porte s'ouvre violemment sur Ezra.

Et elle se referme tout aussi rapidement, sans que je n'aie l'occasion de voir son visage en entier.

Oh. Donc il ne veut définitivement plus me voir.

Je recommence à toquer jusqu'à ce qu'il revienne. Cette fois, il n'ouvre pas la porte totalement, de la même façon que Madame Ramiro. Juste assez pour me laisser voir son visage, mais pas en entier. Je remarque directement ses yeux, qui sont gonflés et un peu rougis, et en dessous d'eux trônent des poches dues à la fatigue. Son visage entier a l'air d'être à bout, il est clair qu'il a besoin de dormir.

— Qu'est ce que tu veux?

Le ton de sa voix n'est pas agressif, contrairement à ce que je pensais. Il a juste l'air... Las.

— Oh, je...

Je suis incapable de formuler ma phrase. Pourtant, j'avais eu le temps d'y penser, vu ce que j'ai attendu.

Ezra commence à fermer la porte, mais je la bloque avec la pointe de ma chaussure.

— Je voulais savoir comment tu vas. Tu ne me répond pas, tu ne réponds pas à Denise non plus, et on s'inquiète beaucoup.

La pression sur le bout de mon pied augmente, sans que son visage ne montre une quelconque émotion. Je mets plus de poids sur cette jambe et place mes mains sur le bois pour l'empêcher d'avancer plus.

— Si tu m'en veux pour vendredi, je suis désolé. J'étais complètement bourré. D'ailleurs, je ne me souviens même pas de la soirée.

Mon pied glisse sur le sol fraîchement nettoyé, et la porte se referme encore un peu plus. Il n'y a toujours aucune émotion sur son visage, et il ne prononce pas un seul mot. Je n'aime pas faire ça, mais je force sur la porte pour l'ouvrir en grand. Ezra montre maintenant de l'étonnement, et probablement un peu de peur. Il se recule dans le couloir, alors que moi, je reste les bras le long du corps.

— Je veux juste discuter, Ez'.

— Mais discuter de quoi, hein?

Sa voix éclate, rauque et forte. Je me fais la réflexion que Madame Ramiro ne doit pas manquer une seule miette de ce moment, collée derrière sa porte.

— Du fait que tu m'as balancé que t'avais des sentiments pour moi? Ou du fait que tu te sois barré juste après, dans les bras d'un autre? Ou même, je sais pas moi, que tu ne m'aies même pas laissé en placer une ?

Ses cris résonnent sur le palier. D'instinct j'ai envie de me reculer, mais je me retiens. Je n'ai pas envie d'avoir peur d'Ezra. A la place, je m'avance dans son appartement et referme la porte derrière moi. C'est une discussion entre nous deux, ses voisins n'ont pas à nous entendre.

— Je suis désolé si je t'ai blessé, je ne le voulais pas. Je n'étais pas entièrement conscient de ce que je disais. Jamais je ne t'aurais annoncé... ça, aussi brusquement, si j'avais été sobre.

Je résiste à l'envie de me rapprocher de lui. Il passe ses mains dans ses cheveux et les tire.

— Tu ne comprends vraiment pas, hein?

Sa voix est pleine de détresse, et je suis complètement paumé.

— C'est pas ce que tu m'as dit, qui m'énerve. C'est que je n'ai même pas eu l'occasion de te parler, tu es directement parti avec un autre. On aurait pu en parler. J'aurais pu te dire que, moi aussi, je t'aime bien. Mais tu m'as même pas laissé parler, et tu t'es barré en disant que tu t'en foutais de si je t'aimais pas. Bordel, Alex. On en serait pas là, maintenant, si tu étais juste resté!

Ses bras retombent. Il me regarde à présent droit dans les yeux. Les siens sont embués de larmes, qu'il essuie rageusement d'un coup de manche.

— Je t'en veux parce que t'as fuit.

Je dois m'acôter au mur pendant un instant. Mes yeux se remplissent de larmes alors que je me souviens de ce qu'il s'était passé vendredi soir. Des images se forment dans ma mémoire.

— Je... Je me souviens de pourquoi j'ai bû autant.

Même s'il m'en veut, Ezra me regarde, curieux.

— Je devais aller aux toilettes. Je t'ai vu au bar, je m'apprêtais à venir te saluer. Mais t'étais avec quelqu'un, et tu as commencé à l'embrasser. J'ai eu mal. Très mal. C'est comme ça que j'ai compris que je t'aime bien, je crois. Et j'ai bu jusqu'à oublier tout ça, sauf que ça a pas fonctionné.

Son visage change totalement. Il a l'air de s'en vouloir.

— Alex, je... Je suis désolé. J'avais pas réalisé que c'était moi qui t'avait mis dans un tel état.

Il repasse sa manche sur son visage et renifle.

— Le gars avec qui j'étais, c'était mon meilleur ami. Il ne s'est jamais rien passé entre nous, et il ne se passera jamais rien. Ce que tu as vu au bar, c'était seulement un jeu d'alcool.

Je me laisse glisser le long du mur, jusqu'à ce que je sois assis par terre. Je ferme mes yeux pour retenir mes dernières larmes.

Tout ça pour... Ça? Un simple malentendu?

— Je suis con.

J'entends du bruit près de moi.

— Non, tu ne l'es pas, Alex.

Je sens la main d'Ezra serrer la mienne, et je me décide à rouvrir les yeux. Il est assis à mes côtés, contre le mur, dans la même position que moi.

— J'ai tout fait foirer, perso je trouve que c'est très con quand même...

— Sauf que t'as rien fait du tout. Disons qu'on a tous les deux un peu foiré, vendredi.

Je laisse un rire étouffé s'échapper de mes lèvres.

— J'en tire quand même du positif, tu sais. Même si c'était merdique.

— Ah bon?

Je serre sa main, qui est toujours dans la mienne.

— Ouais. T'as dit que tu m'aimais bien aussi. Ca, c'est cool.

Je le regarde, alors qu'il devient rouge jusqu'à ses oreilles.

— Ce qui est moins cool, c'est que je te l'ai dit alors qu'on se disputait...

— Certes. Mais je préfère voir le verre à moitié plein. Puis je te l'ai dit en étant bourré, c'est pas mieux...

On laisse un silence s'installer entre nous. Nos mains sont toujours scellées, et j'aimerais rester comme ça pour toujours. Seulement, il y a encore un point que je voudrais éclaircir.

— En fait, la personne avec qui je suis parti du bar... C'était Alix, un ami de Tom. Je venais de le rencontrer, j'ai dû faire une très bonne impression. Mais iel m'a juste ramené chez moi, il ne s'est rien passé d'autre. Je veux juste pas que tu te fasses des idées, ou quoi que ce soit... Iel est sympa, mais pas vraiment mon genre.

— Ah, me répond-t-il. C'est bizarre, mais j'ai l'impression que je suis rassuré? Iel est quand même pas mal, j'avais l'impression d'être en compétition quand je l'ai vu.

Je ris à nouveau, plus franchement.

— Ouais, nan . Y'a pas de compétition à avoir, iel est pas du tout mon style. Et je ne pense pas être le sien non plus, en fait. Tom m'avait mentionné qu'Alix est aromantique et asexuel, il y a quelques années. Iel aime bien flirter, cependant, et je l'ai vécu en direct!

— C'est cool, vous avez l'air de bien vous entendre tous les deux!

— Je pense que oui, mais je lui ai principalement parlé hier matin, et on n'a pas spécialement eu le temps de réellement discuter... Aussi, je ne veux pas trop m'immiscer entre iel et Tom. Ils se connaissent depuis tellement longtemps, j'ai pas envie de briser leur duo.

Un nouveau silence prend place, et il dure bien plus longtemps que le précédent. Cette fois-ci, c'est Ezra qui le brise.

— Alors... Du coup, on en est où, toi et moi?

Je prend le temps de réfléchir. Je n'y avais pas pensé, avant de venir ici. Après tout, je pensais qu'il me haïssait, je ne pensais pas que ça allait se finir comme ça.

— Eh bien, on s'aime bien mutuellement, c'est déjà une bonne chose. Je pense aussi qu'on peut dire qu'on s'est réconciliés, au final. Quant à "nous"... Je crois qu'il est trop tôt pour en dire quoi que ce soit. Personnellement j'ai réalisé mes sentiments de façon assez violente, je crois que j'ai juste pas encore réalisé.

A côté de moi, Ezra relâche sa respiration.

— Bien. Parce que c'est pareil de mon côté, en fait. La nuit de vendredi à samedi, je n'ai pas dormi, je n'arrêtais pas de penser à toi et d'essayer de définir ce que je ressentais. Je suis d'accord avec toi, il est trop tôt pour qu'il se passe quelque chose entre nous. Je propose qu'on continue simplement comme avant, qu'on se parle et qu'on se voie de la même façon, mais en même temps différemment? Enfin, je veux dire... Ca sera plus comme avant, pour des raisons évidentes, mais...

Je l'interromps avant qu'il ne se lance dans une spirale sans fin.

— Tu veux dire qu'on prenne juste notre temps, qu'on ne précipite pas les choses?

— Voilà!, dit-il, en lâchant un souffle soulagé. Exactement ce que j'essayais d'expliquer. Merci.

— Mais de rien. Ah, et aussi, il y a un dernier truc dont on doit parler. Qu'est-ce qu'on dit à Charles et Denise?

Un court silence suit ma question. C'est vrai qu'elle est compliquée, au fond. D'un côté, je veux tout leur raconter, exposer mon bonheur, pouvoir en parler librement avec eux. Mais de l'autre... Et si ça ne marchait pas entre nous? Et si on leur donnait de l'espoir, avant de les réduire en miette?

— Je pense, commence Ezra, qu'un bon début serait de leur dire que je vais bien, et que tout va bien entre nous. A partir de là... Je pense que c'est à l'instinct? On n'est pas obligé de "tout" leur raconter non plus, après tout, ça reste notre vie privée, mais on peut quand même leur raconter certains trucs!

— Personnellement, ils savent déjà que j'ai des sentiments pour toi. Je suis allé chez eux avant de venir ici, pour savoir si Denise avait eu des nouvelles... Et j'ai dû leur raconter toute cette histoire.

— C'est bien! Ca veut dire que je pourrai parler de ça avec Denise. Pour le reste, je pense qu'on verra au fil du temps ce qu'on est près à partager. D'accord?

Il me tend sa main, celle qui n'était pas encore piégée dans la mienne. Je tend ma main libre et lui serre.

— D'accord.

 

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Saamodeus
Posté le 14/10/2021
Oh là là, mes petits, mes précieux, mes tendres Alex et Ezra, que d'émotions.
J'ai tellement eu peur quand Ezra à pas voulu ouvrir, et je lui en veut un peu de reprocher à Alex d'être parti alors que bon le boug est mort bourré.
M'enfin maintenant ils vont mieux et leur relation aussi. Quel excellent choix qu'ils ont pris en se disant de se laisser le temps et de pas se forcer à dire "oui on est en couple". J'espère qu'avec Noel qui approche (et le titre du roman) on aura de belles surprises (un bisous svp)
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