Chapitre Quatre // Partie Deux

Mardi 14 Octobre, Alexandre

Lorsque Charlie m'avait annoncé qu'Ezra serait invité à dîner, et que j'étais moi aussi invité (bien sûr, il savait que je ne pouvais pas refuser. Le traître.), j'avais directement commencé à préparer des plans dans ma tête. Étrange, certes, mais pour que je sois un minimum à l'aise avec des gens, je suis obligé d'imaginer tout ce qu'il pourrait se passer, et comment je vais réagir.

Le plus compliqué, dans l'élaboration de ces plans, c'était que je ne savais pas si j'étais près à le pardonner si tôt, après seulement trois semaines. D'un côté, je voulais repartir sur de bonnes bases. Quelque chose s'était passé entre nous au mariage, on s'était bien amusés, ensemble, et je voulais récupérer cette amitié - bon, OK, j'espérais plus que de l'amitié à ce moment là. On va pas se mentir, Ezra est très beau, et vraiment, vraiment attachant. Mais... Il m'a fait du mal. Même si c'était sans le vouloir, j'ai été blessé, et ça, je ne sais toujours pas si je peux le pardonner. Pour cette partie là, je comptais voir comment la soirée allait se passer: si tout se passait bien, peut-être que je le pardonnerais plus facilement, alors que s'il fait le con... Peu importe ce que dirait Denise, je ne pardonnerais pas Ezra.

Puis arriva la fameuse soirée. J'étais arrivé une vingtaine de minutes plus tôt, pour être sûr d'arriver avant le brun. Mais au final, il n'était arrivé que cinq minutes après moi, j'avais à peine eu le temps de saluer mon frère. Je voyais bien qu'il était mal à l'aise avec le fait que je sois arrivé avant lui - puis je me suis souvenu qu'il m'avait dit, au mariage, que comme moi, il faisait des plans à l'avance. Visiblement, il n'avait pas vraiment envisagé que je puisse arriver arriver avant lui.

Dans l'ensemble, le début de la soirée s'était bien passé. Il y avait une certaine tension - Charlie m'a confié qu'il la sentait aussi, pendant que Denise et Ezra étaient partis dans la cuisine. Mais plus le temps passait, plus tout le monde était à l'aise, jusqu'à un moment où il n'y avait plus eu de tension du tout.

Et c'est à ce moment là que je sens un pied sur ma jambe. Ma première réaction est de penser qu'Ezra, en voulant changer de position, a fait bouger sa jambe et que son pied a simplement frôler la mienne. Sauf que le contact persiste. Et c'est la que je réalise: il me fait du pied! Si ça se trouve, il a attendu toute la soirée pour pouvoir faire ça, il avait tout prévu depuis le début.

Bien évidemment, il avait attendu que je sois en plein milieu d'une phrase pour commencer à faire ça. Je m'étouffe un peu, puis, après avoir jeté un regard noir à Ezra, je continue ma phrase comme si de rien était. Je ne veux pas lui donner la satisfaction d'avoir réussi à me perturber... Malgré tout, je recule légèrement ma jambe, en espérant qu'il comprenne le message - qu'il peut essayer s'il veut, que je m'en fiche un peu. Mais visiblement, ce message n'est pas passé: alors que j'étais en train de parler à mon frère, encore une fois, Ezra décide de commencer à bouger sa jambe. Surpris, je bégaye à nouveau, et je peux bien voir que mon frère est surpris. Je finis malgré tout ma phrase, et pendant que Charles me répond, je jette un regard plus noir que jamais au noireau en face de moi. Mais cet imbécile me sourit, fier de son coup. J'ai bien envie de lui faire ravaler sa fierté, mais à la place, je continue de participer à la conversation. Le meilleur moyen pour qu'il arrête, c'est encore que je l'ignore, non? Comme pour les enfants. En tout cas, c'est ce que Tante Martha me disait de faire lorsque Charlie se mettait à m'embêter, lorsqu'on était encore de jeunes enfants.

Mais apparemment, contrairement à ce que je pensais, Ezra ne répond pas comme les enfants. Je sens rapidement son pied monter jusqu'à mon genoux. Je me pétrifie: il n'oserait tout de même pas monter son pied plus haut, pas alors que sa soeur et mon frère sont juste à côté, si? Heureusement pour moi, il ne semble pas vouloir aller plus loin. Peut-être que c'est la peur que mon frère le remarque, j'en sais rien.

Charlie et Denise commencent à débattre entre eux deux, et je me sens un peu... Rejeté, on va dire. Et je commence à m'ennuyer: leur débat n'est pas intéressant, et je ne peux de toute façon pas participer. Je ne sortirai pas mon téléphone de ma poche - je trouve ça extrêmement malpoli lorsque les autres le font, donc pourquoi est-ce que ça serait différent si je le faisais? Mais qu'est-ce que je peux bien faire, pour ne pas m'endormir sur la table?

Le pied d'Ezra continue de faire des allers-retours sur ma jambe, de ma cheville jusqu'à mon genou. Il doit avoir mal, à force de faire ce mouvement. Et si je lui rendais la monnaie de sa pièce? Après tout, ça fait plusieurs dizaines de minutes qu'il me harcèle presque, avec son pied. Et j'ai toujours mon droit de revanche pour les feux d'artifices - j'estime maintenant avoir le droit de pouvoir l'embêter autant que je le veux!

Je dégage rapidement ma jambe, et mon pied trouve directement la sienne. Je pensais avoir rougi lorsqu'il me l'avait fait, mais sa tête est encore plus rouge qu'un feu de circulation, et je dois me retenir pour ne pas éclater de rire. C'est plus qu'hilarant!

Je vérifie que Charles et Denise ne soupçonnent rien, mais ils sont toujours pris dans leur discussion. Alors je me tourne pour faire face à Ezra.

Il me regarde avec un air... Indéchiffrable. Je sais qu'il prépare quelque chose - son sourire en coin ne fait que confirmer mes pensées. Mais il m'est impossible de deviner ce qu'il se passe réellement dans sa tête. Si ça se trouve, il prévoit un truc particulièrement affreux pour moi, même si j'en doute. Je reste tendu, mais je sais qu'il ne me fera rien.

Pendant encore presque une heure, je suis resté dans cet état de semi-stress, où je ne savais pas ce qu'il allait m'arriver. Les discussions allaient encore de bon train, et avec Ezra, on continue de se faire du pied mutuellement. Ca pourrait être gênant, mais en fait, je trouve ça assez relaxant: le rythme du mouvement du pied d'Ezra est réglé comme une horloge, il va toujours au même rythme, c'en est presque hypnotisant. Mon pied s'est naturellement calé sur son rythme, après quelques allers-retours. Après un court moment, nous avions été capable de répondre au débat de Charlie et Denise sans bégayer, ce qui est encore mieux que ce que je ne pensais. Je m'attendais à ce qu'à n'importe quel moment mon frère, ou pire, ma belle-soeur, découvrent ce qu'il se passe sous la table, mais nous sommes assez doués que pour tout dissimuler.

Lorsque la soirée finit par prendre fin, la nuit est déjà bien entamée. C'est moi qui ai suggéré qu'il était temps de partir- je travaille demain, et je dois voir une cliente assez importante, qui veut organiser une fête pour sa fille. Même si je ne veux pas la revoir du tout - elle est très capricieuse, j'ai déjà travaillé avec elle par le passé - je me dois d'être présentable pour la recevoir, et ce n'est pas avec des cernes de deux kilomètres que ça va marcher. Ezra en a profité pour dire qu'il devait partir lui aussi, parce qu'il commençait être fatigué - il faut dire qu'on approchait des 1h du matin. On se retrouve tous les quatre dans le couloir du hall d'entrée, qui est assez étroit, pour les fameuses "Cinq dernières minutes". Mais si, vous savez, au moment du départ, lorsqu'on fini notre dernière conversation, et qu'on dit "Bon, je vais y aller" toutes les cinq minutes, juste avant de se rappeler une histoire qu'il faut "absolument raconter". Nos cinq dernières minutes ont duré presque une demie heure.

Au moment où je sors, je sens Ezra qui passe derrière moi. Je sais que c'est lui à cause de son parfum: clairement masculin, mais pas du tout le style de mon frère. On se retrouve donc tous les deux dehors, alors que Charles ferme la porte. J'ai un présentiment que le moment le plus gênant de la soirée vient d'arriver: est-ce qu'il va essayer de s'excuser de son erreur, comme la dernière fois? Ou s'attend-t-il à ce que moi, je dise quelque chose? Impossible de le savoir. Il y a aussi la possibilité qu'il me fasse simplement la bise et qu'il s'en aille, mais j'en doute un peu.

Je me tourne vers lui, au cas où son visage me donnerait une idée sur ses intentions. Son sourire est revenu. Celui qui m'a fait stresser pendant plus d'une heure, et non pas le beau sourire charmeur qu'il avait utilisé le soir du mariage. Maintenant, j'en suis sûr et certain: Ezra Ramirez prépare quelque chose, quelque chose qu'il ne voulait pas faire devant sa soeur et mon frère. Donc, c'est certainement un truc salace - je l'ai déjà bien cerné, en si peu de temps. Je suis face à un choix: m'enfuir, ou voir ce qu'il va faire. Je pourrais, bien sûr, rester et assouvir mon besoin malsain de savoir ce qui serait arrivé, mais je décide, à la place, de prendre la fuite. Je bégaye:

" — Bon ben.. A- A la prochaine, hein!"

Son sourire s'agrandit encore un peut, et il me répond:

" — Oui, mon petit Alexandre, à bientôt!"

Ce qui aurait pu sonner très... Malsain, mais le ton sur lequel il le dit est assez joyeux pour que ça ne soit pas le cas. Je stresse un peu moins, maintenant que tout est fini, et que je rentre chez moi.

Je me détourne de lui, après un dernier sourire. J'avance de quelques mètres pour rejoindre ma voiture, lorsque j'entends des bruits de pas derrière moi, mais très rapides. Je n'ai pas le temps de me retourner que je sens une claque, pas trop violente, mais pas trop douce non plus, atterrir sur mes fesses. Cette fois-ci, je me retourne violemment, et je reste bouche bée: Ezra se trouve derrière moi, plié en deux, et tordu de rire. Visiblement, il est content de sa petite blague, et moi, je ne sais même pas comment je suis censé réagir. J'ai envie de rire, mais en même temps... Est-ce qu'on est déjà arrivés à ce stade là, après seulement une soirée?

Franchement, des fois, je déteste me poser autant de questions. Ca peut être utile, pour être sûr de ne rien avoir oublié, mais ça m'empêche aussi de vivre le moment présent. Il faut que j'apprenne à me libérer de ces questions, que je vive pleinement ma vie! Alors, dans cette optique, j'attends qu'il aie fini de se moquer de moi, puis, lorsqu'il est calmé, je me détourne et je pars. Je sens son regard effaré dans mon dos, et juste avant de tourner au coin de la rue - j'ai dû me garer dans la rue d'à côté, il y a plus de places pour se garer- je tourne la tête. Ezra est toujours là, les bras pendant à ses côtés; apparemment, il ne comprend toujours pas ce que je fais. Je prend le plus de courage possible au fond de moi, j'en ai besoin, car ce que je m'apprête à faire, jamais je ne le ferais en temps normal.

Avec un sourire sur les lèvres, je lui fait le clin d'oeil le plus provocateur possible, et je m'en vais.

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