chapitre seize

Mairenn ne tenait pas en place. Elle avait convoqué Anneke et Lucia, les deux seules Mères en qui elle avait vraiment confiance. Et surtout les seules à pouvoir, peut-être, l'aider à canaliser Alara. La prestation de la Kharmesi dans la salle des cartes n'était pas du goût de tout le monde. Elle avait agi sans prévenir personne. Entre l'arrivée d'Alan de Lordet et la démonstration de ses pouvoirs, les Mères avaient de quoi s’inquiéter.

Elle laissa Anneke finir d'expliquer ce qu'il venait de se passer à Lucia. La Mère archiviste écoutait attentivement, la tête un peu penchée sur le côté. Elle ne parla pas lorsque l'autre se tut. Elle fixa ses doigts couvert d'encre, comme si les taches pouvaient lui indiquer la marche à suivre. Cette attitude agaçait particulièrement Mairenn. Pourtant, elle savait que l'avis de ce petit bout de femme à l'allure peu engageant lui serait des plus utiles. C'était pour cette raison qu'elle se retenait de la secouer pour qu'elle donne enfin son avis.

Mairenn se servit une nouvelle tasse de thé pour calmer son impatience. Elle en but trois gorgées lentement. Lucia détacha enfin les yeux de ses mains.

— Nous ne devons rien faire, déclara-t-elle.

La Mère Supérieure faillit s'étouffer avec sa quatrième gorgée. Lucia plaisantait, il ne pouvait en être autrement.

— J'espère que tu as une bonne raison de dire ça, intervint Anneke. Nous ne pouvons pas laisser Alara faire ce qu'elle veut. Elle est trop instable.

— Elle n'a rien d'instable, Anneke. Elle est exactement ce qu'elle doit être.

— Elle vient de déclarer la guerre à Aymeric de Lucin, je te rappelle. En brûlant devant lui un bout de papier par sa seule volonté. Et elle n'est pas instable ?

Lucia soupira, énervant un peu plus les deux autres Mères. Pourquoi personne n'arrivait donc à comprendre ce qu'il se passait à part elle ? La Déesse Rouge venait d'adouber Alara bien plus fortement que ce qu'elles n'avaient fait quelques mois plus tôt avec leur cérémonie primitive. La jeune femme usait enfin des pouvoirs de la divinité. Bientôt, il faudrait trouver le moyen de l'ancrer à terre pour ne pas qu'elle perde son humanité. Mais les Mères avaient le temps pour ça. En attendant, Lucia comptait bien faire en sorte que les autres laissent la jeune femme découvrir ce qu'elle était.

Quitte à se mettre sur le chemin de Mairenn et Anneke.

— Alara est la Déesse Rouge. Cela devrait suffire à justifier ses actes. Elle n'est plus l'enfant que vous êtes allées chercher dans sa ferme. Si cela ne vous plaît pas, peut-être devriez-vous revoir toutes les deux votre façon de la voir et de voir vos engagements envers la Déesse.

— Et que proposes-tu ? demanda Mairenn.

— De la laisser faire. Il est grand temps pour nous de faire ce pour quoi notre ordre a été créé. Soutenir la Déesse Rouge et non pas la guider vers ce que nous pensons bon.

Anneke ricana à ses paroles :

— Donc, pour toi, il faut la laisser détruire ce que nous avons mis si longtemps à mettre en place ?

— Ce que nous avons mis en place, nous l'avons fait pour la Déesse Rouge, réagit Mairenn. Alara ne détruira pas tout. Par contre, elle risque de faire des dégâts. Nous ne pouvons pas rester à ne rien faire tant qu'elle n'a pas totalement conscience de ce qu'elle fait. Et je doute, malgré ce que tu dis, Lucia, qu'elle le sache. Si c’était le cas, elle aurait agit d'une autre manière aujourd'hui.

Lucia leva les yeux au plafond. Il allait être compliqué de leur faire entendre raison. Heureusement qu'elle pourrait compter sur la jeune Elvire pour garder un œil sur la Kharmesi et la guider dans la bonne direction.

Elle ne se féliciterait jamais assez d'avoir pu placer sa nièce aussi près d'Alara.