Chapitre Sept // Partie Deux

Notes de l’auteur : CW: Violence domestique, familiale (souvenir, trauma)

Charlie, plus tôt ce jour là.

Je referme la porte lorsqu'Alex ferme la portière de sa voiture. Cet après-midi, je n'ai pas appris une bonne nouvelle. Enfin, bien sûr c'est une bonne nouvelle, mais... Pas pour Aelynn. Parce que mon enfant n'aura pas un nom aussi cool si c'est Denise qui gagne le pari.

Je l'ai vu dans le regard de mon frère, lorsqu'il a reçu ce message. Ses ont commencé à pétiller, et il a sourit. Je ne l'avais jamais vu sourire comme ça auparavant. Puis samedi, lorsqu'il était paniqué pour son rendez-vous.

C'est clair qu'il l'aime bien. Ezra.

J'ai perdu mon pari, bordel. Parce qu'au train où vont les choses, d'ici Noël, il est même possible qu'ils se marient sur un coup de tête!

Il me reste environ une heure pour trouver une raison valable qui pourrait convaincre Denise d'abandonner le pari. Peut-être que je pourrais l'amadouer? Mais comment?

Je vais dans la cuisine et regarde ce qu'il y a dans le frigo et les placards. Bien que Denise sache bien mieux cuisiner que moi, je sais qu'elle aimera ce que je compte préparer.

Je sors tout ce dont j'ai besoin : les ingrédients , les épices, les casseroles, et je me mets au travail, après avoir enfilé le magnifique tablier de ma femme. Ce que je prépare a une base assez simple, mais si je rate ne serait-ce qu'un peu l'assaisonnement, ça sera immangeable. Alors pendant que les ingrédients cuisent, je dois me concentrer pour ne pas mettre trop d'épices.

C'est au moment où je coupe la plaque de cuisson que Denise rentre à la maison. J'entends la porte d'entrée se refermer, et ses clés tinter lorsqu'elle les pose dans le vide-poche. Ensuite, le bruit de ses pas se fait entendre jusqu'à moi, alors qu'elle vient me rejoindre.

Je fais comme si je ne l'avais pas entendue lorsqu'elle se rapproche de moi. Ses bras passent autour de ma taille et elle vient poser ses lèvres dans mon cou, ce qui me provoque un énorme frisson.

— Qu'est ce que tu fais?

Sa voix douce et mélodieuse sonne comme une musique à mes oreilles.

— Tu verras quand ça sera servi!

Je me retourne, toujours dans ses bras, pour me trouver face à elle. Mes lèvres rejoignent les siennes pour une série de baisers, certains plus longs que les autres. Même si cette séance de bisous me fait très plaisir, je dois cependant me détacher de mon épouse pour pouvoir mettre la table. Elle m'aide à le faire, donc en moins d'une minute, tout est dressé. Je tire sa chaise pour qu'elle s'assoie à la table, puis je retourne dans la cuisine où je retire mon tablier. Je prend le temps de servir les assiettes et de les dresser, et je retourne dans la salle à manger, où Denise attend patiemment. Je pose son assiette devant elle, et sa joie explose: elle rit et applaudit de contentement.

— Ça fait tellement longtemps que je n'en avais pas mangé! Comment tu as sû?

Je m'installe à ma place, et prend la parole:

— Il y avait le marché aujourd'hui, quand je suis parti de l'école. Alors j'y suis allé. Le poissonnier venait de recevoir du saumon, et il le vendait pas trop cher, donc j'ai pensé "Tiens, et si je faisais du saumon pour ce soir? Denise adore le saumon!", alors voilà! Je sais que d'habitude c'est le prix qui te dérange, et que c'est pour ça qu'on n'en mange pas souvent. Mais comme tu l'as dit, tu n'en a pas mangé depuis longtemps. Puis quand je vois à quel point tu es heureuse, ça en valait totalement la peine!

Denise tend son bras au-dessus de la table et vient caresser ma joue.

— Merci, mon coeur. T'es adorable.

Je dois dire que je n'ai jamais vu ma femme manger avec autant de plaisir. Ses expressions sont juste fantastiques, ce qui me donne envie de lui acheter du saumon toutes les semaines - ce que je ne ferai pas, elle me tuerait si je faisais une telle dépense. Lorsque nous avons fini de manger, elle déclare:

— Je n'ai jamais rien mangé d'aussi bon, Charlie. Tu t'es vraiment surpassé!

— Merci! C'est la recette que tu m'avais apprise, je l'ai juste un peu modifiée vu que je n'avais pas tout. Je suis content que ça t'aies plu!

— Merci à toi. Vraiment. Je n'avais pas réalisé à quel point ça m'avait manqué, un plat comme celui-ci.

Nous discutons encore un peu cuisine, puis je lui demande:

— Alors, comment était ta journée au magasin?

— Ah! Tu te souviens de la femme dont je t'avais parlé la semaine dernière?

— Celle qui avait déchiré un des vêtements en l'essayant mais qui avait pas voulu payer?

— Exactement! Ben elle a eu le culot de revenir, aujourd'hui. J'ai dû lui demander de partir, j'ai prétendu que je fermais pour l'après-midi pour qu'elle accepte de sortir. Non mais! Il y a des gens qui se permettent tout et n'importe quoi, ma parole!

— Ugh, je déteste les gens comme elle. Surtout qu'elle s'est jamais excusée!

— Mais oui! Aucun respect pour ce que moi, je fais! Et toi, comment c'était, ta journée?

Ah. Le moment de la discussion est proche, visiblement.

— Très bien! Alex est passé dans l'après-midi, il est parti, quoi, une demi-heure avant que tu n'arrives?

— Oh, c'est cool ça! Et qu'est ce qu'il racontait?

— Il m'a parlé de son boulot, principalement. Un peu de ton frère, aussi, mais pas longtemps.

Mensonge, mensonge, mensonge. Pour Aelynn.

— Ah bon? Qu'est-ce qu'il a dit, par rapport à mon frère?

Elle a changé de position. Il y a quelques secondes, elle était détendue, le dos collé au dossier de la chaise. A présent, elle est tendue, penchée au dessus de la table, comme si elle ne voulait pas rater un seul mot de ce que j'allais dire.

— Rien de particulier, je te rassure. Juste que ça s'était bien passé, samedi, qu'ils avaient passé un bon moment. Mais bon, ça, on le savait déjà!

Mensonge, encore. Il ma dit tellement plus!

— D'ailleurs, je voudrais te faire une offre, chaton. Tu te souviens de notre petit pari, n'est-ce pas?

Encore une fois, sa posture change: elle s'est redressée sur son siège.

— Évidemment.

C'est maintenant à mon tour de me pencher au dessus de la table. Ma voix se réduit presque à un chuchotement lorsque je lui dis:

— Tu vas perdre. On ferait mieux de l'annuler. Je sais très bien que tu me râleras dessus si c'est moi qui choisit le nom de notre premier enfant!

Son visage se rapproche fortement du miens, très rapidement. Sa voix est tellement basse que je dois tendre l'oreille pour comprendre ce qu'elle me souffle.

— Non. Si tu dis ça, c'est que tu sais que tu vas perdre. C'est du bluff, Charlie, et tu es très mauvais à ce jeu là. Je vais gagner, c'est à toi d'abandonner. Sophie ne s'en portera que mieux.

Dans ma confusion, je parviens à lui demander qui est Sophie. Denise se recule dans le fond de son siège, les bras croisés sur sa poitrine.

— Notre fille, bien sûr. Parce que j'ai gagné.

J'ai deux options face à moi: j'abandonne, ou je continue le pari. C'est quitte ou double, au final. Car si j'abandonne et que mon frère n'est pas en couple avec Ezra d'ici Noel, j'aurai perdu une magnifique opportunité de nommé mon fils Gadael, ou ma fille Aelynn. Mais de l'autre côté... Sophie est un nom tellement beau. Je ne serais pas déçu si elle venait à s'appeler comme ça.

Je passe mes mains sur mon visage. C'est un choix assez important, que je dois faire. Pourtant, dans ma tête, il est vite fait.

— Tu sais quoi? Tu as raison. C'était totalement du bluff. Alex a des sentiments pour ton frère, j'aurais pas dû mentir comme ça. Alors je me retire de la compétition, tu as gagné le pari.

Le visage de Denise s'illumine de joie.

— Sérieux? Il l'aime bien? Mais c'est trop génial!

Elle tape dans ses mains en rigolant. Seulement, après quelques instants, son regard change et je comprend que ça va barder pour moi.

— Attends, tu m'as menti? Pour un pari? Mais t'es sérieux, Charles?

Elle se lève de sa chaise et se dirige vers moi. Pendant un instant, je crains qu'elle ne laisse sa colère s'échapper en me frappant. Je me ratatine sur moi-même, en me disant que si je me fais le plus petit possible, elle ne me verra plus. Mais ça, ça ne marche que quand on est dans une pièce pleine de monde, pas quand on est tout seul.

Denise se place à quelques centimètres de moi, et se penche au dessus de mon visage. Je n'ai pas peur des gens en temps normal, mais je n'ai jamais vu un tel regard dans les yeux de ma femme. Je déglutis difficilement, et les larmes me montent aux yeux sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit. Mon cerveau envoie des signaux comme quoi j'ai peur, alors que je sais que Denise ne me fera rien. J'ai confiance en elle. Son regard me fusille pendant que j'essaie de me calmer, mes yeux vissés dans les siens. Je prend une inspiration saccadée, puis je parviens à reprendre mon calme.

Elle ne me fera pas de mal. Elle n'est pas comme ma mère. Ce n'est pas elle.

Sa main se pose sur ma joue, aussi douce qu'une plume, alors que je me serais attendu à la violence d'une brique. Son regard n'est plus agressif, maintenant, mais ce que j'y vois me fait encore plus de mal: la déception. En voulant gagner un pari ridicule, j'avais réussi à la blesser et à la décevoir. Je suis un con.

Ma main rejoint la sienne sur ma joue, et je caresse doucement son poignet. Denise ne bouge pas, ne dit rien. C'est à peine si son regard quitte le mien. Ma voix est tremblante, mais je parviens à souffler:

— Je suis désolé. Je n'aurais pas dû, c'était stupide. Je m'excuse.

Elle ne bouge toujours pas. Sous ma main, je sens la sienne s'extirper pour rejoindre ses côtés. Dans ses yeux, je vois le mal que j'ai causé. On ne s'était jamais disputé, avant. En quoi, quinze ans? Nous n'avions jamais eu de réelle dispute. Seulement des chamailleries pour savoir quel film aller voir quand on avait seize ans. Et j'ai tout foiré, pour un pari ridicule. Je suis con.

D'une voix calme bien qu'un peu froide, Denise finit cependant par dire:

— Tu sais quoi? Ce n'est pas si grave. On ne va pas se disputer pour ça, surtout que le problème est réglé. Puis bon, c'est pas un mensonge nous concernant. Ton frère développe des sentiments pour le mien, et il est fort probable que ça soit vrai dans l'autre sens. Mais on n'avait pas à s'en mêler au départ. C'était une bêtise. Il n'y a plus de pari qui tienne, puis c'est toujours mieux de choisir un nom à deux, quand on aura nos enfants.

Toute trace de ce qui venait d'arriver vient de quitter son regard. Maintenant, un sourire berce son visage. Ses mains serrent les miennes, et elle me tire en avant pour que je me lève. J'ai à peine le temps de me mettre sur mes deux jambes qu'elle se jette dans mes bras, et passe les siens dans mon dos. Mes bras à moi passent au dessus de ses épaules, et je la serre contre moi encore plus fort. On reste ainsi pendant plusieurs minutes, où le silence règne.

— Juste... Ne me mens plus, s'il te plaît. Sauf si ça concerne un anniversaire surprise, là tu peux.

Je ris, la tête enfoncée dans son épaule.

— C'est promis, Den. Plus de mensonges.

 

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Saamodeus
Posté le 14/10/2021
J'ai eu tellement peur que Denise fasse l'erreur de lever sa main sur Charlie parce que là c'est moi qui aurait été déçu haha.
Bon même si le pari est fini (un peu triste), j'ai hâte de lire la suite de cette petite famille
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