Chapitre Six : Dans l'escalier

Par Mimi
Notes de l’auteur : Bonjour tout le monde :) C'est le moment où je ne dis rien et je vous laisse à vos suppositions concernant ce chapitre. Mais que va-t-il donc se passer ? :D
Bonne lecture ;) 

Chapitre Six : Dans l’escalier

Depuis le temps qu’elle passe dans le grenier de Chastignac à revoir le programme de première année, Lise n’a que peu repensé à la statue d’Hugo et à sa réaction, s’étant convaincue qu’elle ne pouvait rien en tirer et que de toute façon, ce ne serait pas très sérieux. Les journées se sont succédé, ponctuées par les cloches toutes proches qui lui rappellent l’heure et les déjeuners chez Marga. Sur le chemin qui mène de la route du Clos Tevilo à la rue de l’Eglise, Lise a le temps de penser à ses exercices non résolus et de tester la méthode de concentration de Matthieu.

Parfois, elle quitte la sombre atmosphère de la mansarde pour se balader dans le jardin et parfois, Albert de Chastignac lui tient compagnie, éludant ses réflexions arboricoles et champêtres pour aider Lise à trouver une solution au problème qui la bloque. Si bien qu’au bout d’une semaine, elle passe au programme du deuxième semestre, ne redoutant plus autant l’analyse et ses redoutables intégrales de Riemann.

Quand elle a annoncé à Matthieu qu’elle passerait au programme de deuxième année dans une dizaine de jours, il l’a félicitée en lui conseillant d’accélérer un peu pour avoir le temps de tout revoir une deuxième fois. Ce à quoi elle a répondu qu’elle était déjà en train de travailler le programme une deuxième fois ; seule une bien piètre élève attendrait les grandes vacances pour apprendre ses leçons. Et puis, elle ne travaille que les exercices les plus difficiles, les démonstrations. Le reste, elle l’a de toute façon très bien compris depuis longtemps. Matthieu n’a pas su quoi répondre, surtout lorsqu’elle lui a dit que sa méthode de réflexion était plus fatigante et ennuyeuse qu’une conversation stimulante avec un illustre savant. Pour le même résultat.

Fière de son planning de vacances efficace, ce midi-là, Lise revient de chez Marga, une pile d’énoncés d’algèbre sous le bras, et après avoir bu un café lors d’une conversation stimulante avec Albert de Chastignac, elle remonte à son poste d’étude, sous la fenêtre du grenier d’où tombe la lumière brûlante du soleil de la mi-juillet. Elle se met au travail, emportée par la logique et les lois qui l’emmènent souvent assez loin pour qu’elle ne voie pas le temps passer, sauf si la logique connaît une incohérence dans un raisonnement qui n’était pas absurde au départ.

Cet après-midi-là, cette logique a décidé de lui jouer un tour et l’immobilise en plein milieu d’un exercice face au théorème de Bolzano-Weierstrass. Alors, pour retrouver sa concentration perdue, elle lève les yeux et regarde autour d’elle pour s’accrocher à un point fixe dans le décor et trouver un repère là où elle s’est perdue.

Elle n’a jamais vraiment prêté attention à cette pièce depuis le jour où elle s’y est installée. Le cadre lui est familier sans qu’elle puisse le décrire de manière précise. Elle ne voit plus les vieux meubles usés et poussiéreux. Ni les murs noircis sans fenêtre. Ni l’escalier tortueux… L’escalier ?

Lise se redresse, comme si la table sur laquelle elle s’est appuyée lui avait envoyé une décharge électrique. Une forme humaine est assise dans l’ombre sur le palier, et sans voir instantanément son visage, elle sait très bien qui se tient là. Il la regarde, immobile. Depuis combien de temps… ? Il porte pourtant des vêtements blancs, bien que tachés de peinture – dont elle ne distingue pas la teinte par manque de clarté.

Elle aurait dû le voir.

Elle le fixe à son tour lorsque ses yeux parviennent à dessiner les contours de son visage anguleux. Elle est cependant trop étonnée pour se lever, parler ou s’indigner. Ils s’observent quelques secondes sans ciller. Lise a conscience de son pouls qui s’accélère, de ces grands yeux noirs qui la scrutent et brillent dans l’obscurité. Elle s’apprête à parler, la gorge nouée, bien qu’elle appréhende la réaction d’Hugo et redoute qu’il parle un autre langage qu’elle – avant de se rappeler de son cheveu sur la langue, ce qui manque de la faire rire.

Cependant, il ne lui laisse pas le temps de s’exprimer. Au moment où Lise s’apprête à ouvrir la bouche, il balance ses pieds par-dessus le palier, saute dans l’escalier et disparaît.

Encore sous l’effet de la surprise provoquée par l’apparition inattendue d’Hugo dans la pièce, Lise ne parvient pas à prendre une décision. Faut-il qu’elle rattrape l’artiste et lui demande des explications ? Faut-il qu’elle s’indigne de son attitude envers elle et rentre définitivement chez Marga ? Faut-il qu’elle en parle au professeur de Chastignac ? Lise imagine sans mal la conversation qui s’en suivrait. Il lui recommanderait de ne pas faire attention et lui rappellerait combien il lui serait difficile de comprendre ce que veut Hugo.

Choisissant cette ligne de conduite après l’avoir considérée comme étant le plus sage – elle n’a aucune envie d’être aussi troublée que le lundi précédent après sa visite dans l’atelier d’Hugo – Lise se redresse sur son siège, l’avance de quelques centimètres sous la table et replonge dans les problèmes récurrents des sous-suites introduites par Bolzano et Weierstrass. Elle tapote sur sa calculatrice graphique pour se donner une idée, elle tente de trouver des suites adjacentes à de nombreuses reprises, elle essaye de se remémorer le cheminement de son raisonnement initial. Son regard dévie souvent vers l’escalier sans qu’elle puisse le retenir, ses pensées tournent plus vite que sa réflexion et que la convergence de la sous-suite uφ(n). Au bord de l’exaspération, elle repousse sa chaise du bureau et se lève, poings sur les hanches, pour arpenter la plateforme dans l’espoir de voir surgir les idées, les courbes et les tiroirs de la résolution qu’elle tenait avant de se retrouver coincée.

Elle se balade mentalement dans les allées du jardin avec Albert de Chastignac, à travers la fenêtre qui coule, s’expliquant le phénomène par le caractère de « fluide frustré » du verre, comme l’a défini le professeur de thermodynamique.

Lorsqu’après plusieurs minutes à suivre les ondulations de la vitre crasseuse, elle se rend compte qu’elle n’ira pas plus loin, elle décide de rentrer chez Marga. La concentration ne reviendra pas, sauf si elle daigne de nouveau s’intéresser à Lise sur le chemin du retour ou trouve son compte lors d’une conversation avec Albert de Chastignac. Néanmoins, Lise range méticuleusement son sac, par des gestes bien plus précis qu’à l’ordinaire, décidant qu’elle n’a pas l’intention de revenir avant demain matin.

Elle redescend l’escalier lentement, sur la pointe des pieds, aux aguets, s’attendant à voir les habits blancs d’Hugo surgir de l’ombre à tout moment. Mais rien ne l’arrête dans son avancée avant qu’elle n’atteigne le rez-de-chaussée, de l’autre côté du drap qui la sépare de l’atelier de l’artiste. Un frottement semblable à celui qu’elle a entendu quelques jours plus tôt s’élève derrière le rideau, et la lumière allumée jette sur le drap des ombres fantomatiques de ce qui s’apparente à une sculpture et d’une masse d’épais cheveux bouclés qui s’agite de convulsions. Piquée par la curiosité, Lise s’approche de l’interstice entre le mur et le tissu et soulève légèrement le voile pour voir au-delà.

Hugo est de trois-quarts dos plus loin dans la pièce. Il secoue furieusement son pinceau sur la toile devant lui et Lise voit ce qu’il peint. Si elle pouvait voir son visage, elle ne serait pas surprise de le voir déformé par la rage, mais elle ne voit d’Hugo qu’une longue tresse éclatée par les longueurs différentes de ses cheveux qui barre le dos de sa blouse blanche – plus si blanche que ça d’ailleurs. Lise fronce les sourcils. Dans ses souvenirs, Hugo n’avait pas les cheveux si longs. Les avait-il cachés sous sa veste pour ne pas qu’elle se doute de quelque chose ?

Les soupirs tourmentés d’Hugo dirigent son regard vers la toile. Elle est traversée et lacérée de signes tordus peints en noir sur un fond rouge ; les seules formes lisibles étant les chiffres désorganisés au sommet de la pile de hiéroglyphes, surmontant la tignasse fournie d’Hugo. Le contraste avec la sage gare à bateaux bleutée qui se tient non loin de là est si perturbant que Lise a un frisson en constatant la même colère qui animait la tour de papier. Dans un froissement, Hugo chiffonne et colle à même la toile une boule de cellulose représentant autrefois un étrange dessin rectiligne agrémenté d’une fine écriture au crayon. Son écriture.

Alors les chiffres et les caractères sur la toile prennent leur sens dans l’esprit de Lise. L’écriture quantifiée qu’elle utilise pour ses problèmes de logique. Ils sont partout sur les brouillons qu’elle laisse sur la table du grenier le soir en s’en allant. Elle n’avait en revanche pas remarqué qu’ils disparaissaient au fur et à mesure…

Ainsi, cette colère qui déforme les œuvres d’art d’Hugo lui est adressée personnellement et sans détour ? Lise ne comprend pas qu’elle puisse générer une telle fureur. Elle ne peut même pas se reprocher d’avoir pénétré l’atelier en catimini puisque la première sculpture existait déjà… Et puis, rien n’explique la présence d’Hugo dans le grenier à l’observer il y a moins d’une heure. Que signifie donc toute cette colère ? Tentée un instant d’intervenir pour comprendre, Lise ouvre la bouche pour manifester sa présence et se ravise. Son regard a dévié sur la fameuse œuvre plastique hors d’elle, qui l’a tant fait cogiter la semaine dernière, et qui repose désormais non loin d’elle, en lambeaux au pied de la gare à bateaux. Elle se dit alors en jetant un œil vers l’occupation d’Hugo que lui aussi doit être assez hors de lui pour influer ses œuvres de son humeur et songe qu’elle n’a pas très envie d’être influencée également.

Elle repense malgré tout à ce que lui a dit Albert de Chastignac concernant Hugo. Ne pas essayer de le comprendre. Il est incompréhensible. Elle suppose alors que ces humeurs massacrantes ne sont que l’objet d’une pulsion dont le sens lui échappe. Que ce n’est pas sa faute et qu’il n’y a peut-être pas de vraie raison derrière tout ça. Après tout, un artiste dirait qu’ils ne font pas partie du même monde. Albert de Chastignac dirait qu’ils voient le monde différemment. Elle dirait qu’il ne comprend rien au monde dans lequel il vit.

Alors elle rabat le rideau sur l’atelier, laissant Hugo ruminer sur sa propre frustration, traverse la cour, adresse un signe au vieux professeur qui lui répond depuis une allée du fond du jardin, la cuisine et les couloirs et se retrouve sur le trottoir de la rue de l’Eglise, sans essayer de se concentrer Bolzano, Weierstrass ou sur autre chose, sans pouvoir sortir les évènements de l’après-midi de son esprit.

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vefree
Posté le 11/10/2013
S'il y a une chose qui est indéniable dans ce chapitre c'est que Hugo ne laisse pas Lise indifférente. Quel incroyable personnage ! Et puis ta description à travers les yeux de Lise sont vraiment très bien faites. Hugo est rendu si tourmenté, si terriblement artiste et encore plus mystérieux, tout compte fait. Quelle colère, quels tourments habitent ce garçon ? Faut-il vraiment ne pas essayer de le "comprendre" comme le conseille de Chastignac ? Oh allez, Lise, fais un peu ta curieuse qu'on en sache plus sur lui !!!!
Un rien perturbée, la fille. On le serait à moins pour une matheuse comme elle. Sa vie est réglée comme du papier à musique, les maths c'est un peu sans surprise aussi, alors avec Hugo et ses tourments et de Chastignac et ses envolées philosophiques sur l'art, y'a de quoi être un peu bouleversifiée.
Allez, ce soir, je lis la suite... 
Mimi
Posté le 11/10/2013
Ça c'est sûr, à mon avis il ne ressemble à rien de ce qu'elle ait connu, la pauvre Lise, et elle en est toute chamboulée ^^ Ne t'inquiète pas, elle va s'intéresser un minimum, sinon ce serait dommage :D
Je ne suis pas d'accord, les maths ne sont pas sans surprise ! Il y a beaucoup de choses surprenantes, si tant est qu'on veuille bien se laisser surprendre par elles… Je te remercie encore une fois de ta lecture assidue ! C'est vraiment chouette de recevoir tes retours, en plus tu me dis vraiment des choses très gentilles, alors tu parles si je les aime !!! ♥
Mimi 
Aliv
Posté le 18/05/2013
 Un chapitre trės bien ėcrit avec du mystère autour de hugo. Pour dire la vérité ce personnage me plaît car il est egnigmatique, ces réactions me font peur.  J'ai reperé deux phrases ou j'ai eu du mal.  "La concentration ne reviendra pas, sauf si elle daigne de nouveau s’intéresser à Lise sur le chemin du retour ou trouve son compte lors d’une conversation avec Albert de Chastignac." Je ne comprends pas  trés bien de quoi tu parles quand tu parles de lise. Ce n'est pas clair. " Hugo est de trois-quarts dos plus loin dans la pièce." Je trouve l'expression souligné par trés française. J'ai l'impression qu'il manque un mot. voila pour ce chapitre. à bientôt. alisée  
Mimi
Posté le 18/05/2013
Merci Aliv :) Je suis contente que le personnage d'Hugo te plaît. C'est vrai que c'est un numéro celui-là !
Merci d'avoir relevé les phrases qui passent mal. C'est un bon indicateur pour moi et c'est vrai qu'il y a des choses à revoir je pense. Merci beaucoup ! 
Seja Administratrice
Posté le 17/02/2013
Hinhinhin.
Voilà donc la première "rencontre" :3
Didon, il a l'air super remonté contre les mathématiques, ce brave Hugo xD Quelle violence, vraiment...
La miss est toujours à réfléchir de manière bien bien mathématique. Forcément, comment elle veut arriver à comprendre un artiste si elle persiste dans cette voie ?
Bon, j'espère juste qu'Hugo va pas virer psychopathe et s'attaquer à tout ce qui contient des chiffres. Quoique... ça pourrait être fun x)) 
Mimi
Posté le 17/02/2013
Haha, n'avais-je pas dit quelle était SUPER CHIANTE ? :D Je vois que tu as très bien cerné la personnalité d'Hugo, c'est un vrai spychothape !^^ Il y aura des dommages collatéraux, c'est certain ! (déjà, les scultures en papier peint ne font pas long feu… Hélas, Lise y survivra, je me devais d'annihiler tes espoirs xD mais non, je l'aime ma Lise ♥ enfin… oui, de temps en temps ^^)
Merci d'être fidèle au rendez-vous et de me laisser tes impressions en direct ;) j'apprécie ! À bientôt :) 
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