Chapitre Six // Partie Quatre

Notes de l’auteur : CW: crise d'angoisse, alcool (consommation), homophobie, transphobie

 

La porte de Madame Ramiro s'ouvre dès que je pose un pied sur le palier. Alexandre arrive directement après moi, et les yeux de ma voisine se posent sur lui sans perdre une seconde. Instantanément, sa voix résonne dans le couloir:

— Mon petit Ezra! Tu ramènes enfin quelqu'un, ça faisait longtemps!

Sur le ton de la confidence, mais tout de même assez fort pour qu'Alex puisse l'entendre, elle continue:

— Tu sais, je commençais à m'inquiéter pour toi, hein. Pour un beau jeune homme comme toi, ça ne doit pas être compliqué de trouver d'autres hommes tout aussi beau. La preuve avec celui que tu as ramené!

Je m'empourpre. Je ne sais pas dire si elle dit cela pour m'humilier, ou si elle pense réellement m'aider en disant cela. En fait, je ne veux même pas le savoir. Je déclare:

— Merci, Madame Ramiro. Je vais vous laisser, d'accord? Passez une bonne soirée!

Je prend la main d'Alexandre et le tire dans mon appartement. Dès que nous sommes tous les deux à l'intérieur, je ferme la porte. Cependant, je parviens quand même à entendre ma voisine dire "De nous deux, je crois que tu vas passer une meilleure soirée que moi!", et je ne doute pas du fait que mon invité l'a aussi entendue.

En fait, je sais qu'il l'a entendue. Car dès que je me tourne vers lui, il éclate de rire. Tellement fort, qu'il est plié en deux, accoté au mur du couloir. De mon côté, je suis toujours écarlate, et je doute que ça parte avant un certain temps. Je reste le dos collé à la porte, et je me laisse glisser contre la paroi jusqu'à être presque au sol. Je cache mon visage de mes mains, en espérant que la honte s'évaporera si je me cache. Le rire d'Alex résonne toujours, mais il se calme peu à peu. Peu après, j'entends qu'il se rapproche de moi, mais je ne veux pas retirer mes mains malgré tout. Ce sont les siennes qui me font sursauter lorsqu'elles me touchent. Ses doigts prennent délicatement les miens et, doucement, il les écarte de mon visage. Ses mains sont d'une douceur infinie, mais comme ce sont les siennes, ça ne m'étonne même pas. Mon visage est à présent découvert, mais je n'ose pas ouvrir les yeux. Cependant, après quelques instants, je les laisse s'entrouvrir, et mon regard tombe dans celui d'Alexandre. Son visage est tellement proche du miens que, si je décidais de me pencher de quelques millimètres, nos lèvres se toucheraient. Mais je ne le ferai pas, pour des raisons évidentes.

— Je suis désolé pour... Ca.

Ma voix n'est qu'un murmure, pourtant je ne doute pas du fait qu'il m'aie entendu.

— Et moi, je m'excuse d'avoir rigolé. C'était marrant, mais je ne voulais pas te mettre dans l'embarras. Excuse-moi.

Son souffle caresse ma joue. Ses mains tiennent les miennes plus fermement et, tout en se relevant, il me remet sur mes pieds.

— J'aime bien ta voisine, cependant. Elle a l'air de vraiment t'aimer. Elle a une drôle de façon de le montrer, par contre!

Je prend son manteau, et l'accroche auprès du miens. Nous marchons ensemble vers la cuisine.

— Oui, elle est adorable, lorsqu'elle n'essaie pas de me foutre la honte. D'habitude, elle n'est pas comme ça du tout!

Je me place derrière le plan de travail et laisse Alexandre se placer sur le tabouret en face de moi. Je reprend:

— Bon. C'est une chose de t'inviter à manger chez moi, mais je ne sais pas quoi faire, moi. T'as une idée?

Je lis sur son visage que non. Ça aurait été trop simple, sinon. Je me tourne vers mes placards et les ouvre. Il n'y a pas grand chose. Alors, je vais voir dans le frigo, et je n'ai pas plus de succès.

— Hmm. J'ai plus grand chose, il faudra que j'aille faire les courses lundi... Du coup, on va improviser, ça te va?

Il acquiesce, et me rejoins de mon côté de la cuisine. Nous sortons ce qu'il y a dans les placards et le frigo, et on étale tout sur le comptoir. Alexandre se frotte le menton, en pleine réflexion.

— Alors... Je crois que le plus simple serait de partir sur des pâtes, car c'est un truc quasiment impossible à rater. Il y a un pot de sauce tomate, on peut l'utiliser. Et on pourrait rajouter les carottes et les poivrons à la sauce, comme ça tu dois pas les jeter, parce que les pauvres doivent arriver à la fin de leur vie. Ca te va?

Je souris et, impressionné, je répond:

— Carrément! Allez, on se met au boulot!

Je sors une planche à découper et indique à Alexandre où trouver les couteaux. Pendant qu'il découpe les légumes, moi, je mets l'eau des pâtes à chauffer, ainsi que la sauce. Il faut quelques minutes pour que l'eau commence à bouillir, et j'y mets les pâtes. Les légumes rejoignent la sauce bien rapidement, et on les laisse mijoter pendant que les pâtes cuisent. Pendant ce temps, Alexandre retourne s'asseoir derrière le comptoir, et moi je dresse la table. Je laisse mon invité seul quelques instants pour me rendre dans le couloir, dans lequel se trouve un placard à balais. Dedans, je trouve sans mal ce que je cherche: une bouteille de vin rouge, qui ira parfaitement avec la sauce. Elle traînait là depuis des années, et je n'avais encore jamais eu l'occasion de l'ouvrir, alors je vais en profiter!

Lorsque j'arrive dans la cuisine, Alexandre écrit sur son portable. Son expression est étrange. Il le range lorsqu'il remarque mon retour. Même si je n'ai pas envie d'être indiscret, je demande:

— Est-ce que tout va bien?

Son visage se recompose directement, et il me répond:

— Oui oui, tout va bien! Charlie m'a envoyé un message, alors je lui ai répondu.

— Oh, okay!

Je ne pousse pas la discussion plus loin.

— J'ai retrouvé cette vieille bouteille de vin, tu en veux? Apparemment, il est très bon avec de la tomate!

— Bien sûr!, répond-il après une courte hésitation. Je ne dois pas reprendre la voiture, donc je peux me le permettre.

Je sors deux verres à vin de l'armoire, et les lave rapidement. Je ne les utilise pour ainsi dire jamais, donc ils ont légèrement pris la poussière. Puis, je nous sers deux verres, et pose le sien devant Alex. Il le prend doucement, comme s'il avait peur de casser le verre juste en l'effleurant. Il boit une petite gorgée de la boisson, puis fait une tête satisfaite.

— Il est vraiment top, j'aime beaucoup le goût! Je ne suis pas un grand fan de vin au départ, mais honnêtement, je trouve celui-ci vraiment bon. C'est quoi le nom?

Je lis le lieu sur l'étiquette à voix haute. C'est un vin provenant d'un endroit dont je n'ai jamais entendu parlé, et l'image d'un château illustre le bout de papier, je suppose donc que c'est un bâtiment de cette région.

— Hmm. , commence Alexandre. je n'en ai jamais entendu parlé. Mais comme je l'ai dit, je ne bois pas beaucoup de vin, donc ce n'est rien d'étonnant!

Il reprend une gorgée de son verre, et moi j'entame le mien. Moi non plus, je n'en bois pas souvent. Mais je dois reconnaître qu'en effet, il est vraiment très bon!

— Pour être honnête, je ne sais même pas où je l'ai eu. Cette bouteille traînait dans mon placard depuis des années. C'est probablement quelque chose qu'on m'a offert, vu que je n'en bois quasiment pas, ce n'est certainement pas moi qui l'ai acheté. En tout cas, je suis content de l'avoir ouverte avec toi!

Je tend mon verre vers Alexandre, et il approche le sien jusqu'à ce qu'un petit «ding» résonne lorsqu'ils s'entrechoquent. Pile à ce moment là, la minuterie des pâtes commence à sonner. Je l'éteins rapidement, puis prend la passoire, et égoutte les pâtes. Lorsque les pâtes sont de retour dans la casserole, j'y rajoute la sauce et mélange le tout. Je ramène le plat au niveau de la table, où Alexandre me rejoint et s'installe. Je l'invite à se servir, comme je ne sais pas quelle quantité il mange d'habitude, puis je me sers à mon tour.

Pendant plusieurs minutes, il règne un silence de plomb, brisé uniquement par le bruit des couverts s'entrechoquant avec les assiettes. C'est bon signe, n'est-ce pas? Ça veut dire qu'on se concentre pleinement sur notre nourriture, histoire de savourer.

Alors que j'arrive à la fin de mon assiette, Alexandre déclare:

— Je suis désolé si je ne dis rien, j'avais juste trop trop faim. Ça va mieux, maintenant. C'est trop bon! On a vraiment bien géré!

Il me sourit, et je comprend qu'il ne ment même pas.

— Oui, c'est vrai que les carottes et les poivrons ont vraiment changé la sauce, je ne m'y attendais pas. Merci pour l'astuce, je la retiendrai pour la prochaine fois!

— Figure toi que c'est un truc que ta soeur m'a appris une fois où elle était à la maison, tout le mérite lui revient!

Étonné, je répond:

— Vraiment? Raconte! J'ai trop envie de savoir ce qui forcerait Denise à ne pas suivre une recette!

Alexandre rit un peu, puis commence son récit, qu'il termine en prenant une bouchée de pâtes.

Il finit son histoire, et prend une bouchée de pâtes.

— Waw. Elle ne m'avait jamais raconté, ça! D'ailleurs, elle ne m'avait jamais dit que ta mère la détestait, ça me surprend quand même. Mais en même temps, Denise n'est pas du genre à se plaindre des gens, même lorsqu'ils sont infects avec elle!

— Ouais! Elle n'a jamais mal parlé de ma mère, que ce soit avec mon frère ou moi. Pourtant, elle savait qu'elle ne risquait rien avec nous, parce qu'elle était chiante avec nous aussi. Mais non, elle était toujours polie, et elle n'a jamais dit d'insulte ou quoi que ce soit! Tout ça pour que ma mère ne l'aime toujours pas!

— Hmm. N'empêche, elle a vraiment pas l'air commode, ta mère.

Alexandre fini de manger, et il déclare:

— Nope, elle ne l'est pas du tout. Disons que je n'ai pas été l'enfant qu'elle voulait, hormis quand j'étais encore petit. Dès que j'ai eu dix ans, ça a commencé à dégénérer, et j'ai commencé à éviter d'être chez moi. Ça valait mieux pour tout le monde, car quand j'étais là, ben ma mère me hurlait dessus, et Charlie me défendait, alors ça criait encore plus. J'ai pas eu la meilleure enfance, et à cause de moi, celle de Charlie était nulle aussi. Yay. Dès que j'ai été majeur, je suis parti, et depuis je ne les ai plus vu. D'ailleurs, je les évitais, au mariage!

— Je suis désolé que tu aies dû vivre tout ça... Je compatis, vraiment.

Ses yeux se relèvent vers moi.

— Et toi, tes parents? J'ai cru comprendre que toi aussi, tu les évitais, au mariage. Enfin, je crois. Et tu n'es pas obligé d'en parler, évidemment. On peut chan-

Je l'interromps, avant qu'il ne se lance dans une spirale d'excuses.

— Non, ne t'inquiète pas, ça ne me fait rien d'en parler. Disons que mes parents ne sont pas tolérants du tout. Tu vois, il y a certaines personnes religieuses qui acceptent que leurs enfants ne soient pas hétéros, cisgenres, tout ça tout ça. Ben mes parents n'en font pas partie. A quatorze ans, je leur ai annoncé que je suis homosexuel, parce que je me sentais en confiance. Parce que, tu sais, "Dieu t'as fait comme tu dois être", c'était une phrase que j'entendais tous les jours avec ma abuela. Et ça s'est retourné contre moi. J'ai eu droit au discours comme quoi l'amour, c'est entre un homme et une femme, qu'au départ c'était Adam et Eve et que ça doit rester comme ça. Bref, un bon ramassi de connerie. Denise était la seule à me soutenir. J'ai fugué, avec son aide, et j'ai rejoins ma grand-mère en train et à pieds. Les tickets ont bouffé mes économies, mais je ne pouvais pas rester là-bas. Étonnement, ma grand-mère était bien plus tolérante, et je suis resté chez elle pendant plusieurs années. Je n'ai jamais regretté d'être parti. Par contre, ma soeur me manquait beaucoup, même si on se voyait clandestinement. Voilà. Mon enfance a été relativement cool, mais l'adolescence... Vraiment bof, comme expérience.

Alexandre m'a écouté jusqu'au bout, sans dire un mot. Lorsque, finalement, je lève mes yeux, je remarque que les siens sont embués. Il lève son verre vers moi, et dit:

— Tu sais quoi? Que nos parents aillent se faire foutre. Ils sont trop nuls.

Je lève mon verre, et l'entrechoque avec le sien.

— Amen, Alex. Amen.

*

*                 *

Le reste de la soirée passe bien trop vite à mon goût. Nous avons mangé de la glace en dessert, et nous avons beaucoup parlé, en évitant soigneusement le sujet des parents. A mon avis, ce n'est pas un sujet dont on parlera souvent ensemble. Par contre, nous avons beaucoup parlé de Charles et Denise! J'ai pu apprendre à connaître mon beau frère sous un autre jour, ce qui était vraiment drôle. Par exemple, maintenant, je sais qu'il avait peur de l'eau lorsqu'il était petit. Ce qui sera tellement, mais tellement, utile lorsque je voudrai lui faire des farces. J'ai aussi appris que leur mère lui donnait le surnom le plus ridicule, c'est à dire "Mon Charlinounet". Vous vous doutez bien que dorénavant, je l'appellerai comme ça. Je suis obligé, je n'ai pas d'autre choix.

J'ai aussi pu me rendre compte qu'Alexandre est bien plus sage que moi. Au lieu de me demander des informations gênantes sur ma soeur, il a préféré me demander son type favori de fleurs, ce qu'elle préfère manger, des trucs du genre. Donc , je sais que je ne pourrai pas lui demander de l'aide pour faire une blague à Denise. Enfin, si, vu que c'est son job d'organiser des trucs, il pourrait m'aider! Mais ce n'est pas lui qui ira, volontairement, faire une farce. Je crois.

Minuit est passé depuis quelques minutes déjà lorsque qu'Alexandre déclare:

— Bon, je vais devoir rentrer, moi. Ronron doit m'attendre. Enfin, non, je reformule: il doit attendre que je vienne lui mettre sa nourriture, surtout. Je vais y aller!

Nous nous rendons ensemble dans le couloir de mon appartement, où je l'aide à mettre son manteau. On se fait la bise, sans qu'il n'y aie de tension comme la dernière fois. Cette fois-ci, tout se fait naturellement. Il quitte mon appartement, et je reste accoté à ma porte jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la cage d'escaliers. Avant de refermer ma porte, je dis à voix haute:

— Alors, votre soirée, Madame Ramiro?

La porte de ma voisine s'entre-ouvre, et j'aperçois son regard malicieux. D'une voix rieuse, elle me répond:

— Probablement moins intéressante que la tienne, mijo. Je ne t'ai pas vu sourire autant depuis longtemps! Allez, va te coucher, maintenant. Il se fait tard.

Sa porte se referme, tout comme la mienne juste après. Je ne l'avais pas remarqué mais, en effet, je souriais à pleine dents.

Mon téléphone vibre, dans la poche de mon pantalon. Deux vibrations, donc c'est un message. Je l'ouvre, et je lis:

Alexandre, 00:15

Du coup, ça , ça comptait comme rencard? ;)

Je traverse mon appartement plus rapidement que jamais, et me jette sur la fenêtre qui mène à mon balcon. Je l'ouvre, et regarde frénétiquement après la silhouette d'Alexandre dans la rue.

— HEY!

Il s'arrête, et se retourne. Même de loin, j'arrive à voir qu'il est surpris grâce à la lumière diffuse des lampadaires.

— C'EST UN OUI DE MON CÔTÉ, ET TOI?

Il me pointe son téléphone puis le regarde. Il tape quelque chose dessus. Je sors le miens, et reçois un message instantanément:

Alexandre, 00:16

C'est un oui pour moi aussi, bonne nuit Ezra! Et évite de crier dans la rue, la prochaine fois!

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Saamodeus
Posté le 21/09/2021
*Inspire profondément*
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
Les enfants grandissent si vite, ça me met une larme à l'œil purée.
C'est aussi très cool d'en savoir plus sur leurs enfances même si pour les deux elle fut pas cool
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