Chapitre Six // Partie Trois

Ezra, 25 Novembre, 17h05

Je dois l'avouer, j'ai toujours envie de rire de la situation. On a tous les deux stressé pour la même raison, et je ne sais toujours pas si c'est un rencard ou non. Et Alexandre a l'air d'être tout aussi confus que moi, même maintenant, alors que nous buvons tous les deux le contenu de nos tasses.

— Alors, il est comment le chocolat chaud?

La voix d'Alexandre me sort de mes pensées. Je rattrape ma tasse par instinct, et répond:

— Il est excellent! J'en ai jamais bu un aussi bon. Tu veux goûter?

Je lui tend la tasse, et il la prend, peu sûr de lui.

— Je ne prend jamais de chocolat chaud, pourtant ça fait des années que je viens ici!

Il boit une gorgée, et son visage s'éclaire presque instantanément.

— Mais il est trop bon! Quand j'en aurai marre du café, je prendrai définitivement ça, c'est sûr!

Je ris un peu face à sa réaction, et il me rend ma tasse. D'un geste de la tête, il me propose de goûter au contenu de la sienne, mais je décline:

— Je déteste le café. J'ai testé pleins de différent, avec ou sans crème, avec du sucre, j'ai même testé les trucs de chez Starbucks. Mais y'a rien à faire, j'aime pas ça du tout!

C'est maintenant à son tour de rire un peu.

— Ca se comprend. Tout le monde n'est pas fait pour le café! Personnellement j'en bois depuis que j'ai, quoi, 16 ans? Depuis que j'ai commencé, je n'ai jamais su m'arrêter. J'ai besoin de ma tasse le matin, et j'en bois plusieurs autres au boulot.

Il prend une gorgée de sa tasse, puis continue.

— Mais à partir de 16h je suis obligé d'arrêter la caféine, ordre du médecin. Du coup, dit-il en levant sa tasse, je bois du décaf'!

Un silence s'installe, mais je le brise assez rapidement.

— Et du coup, ça fait longtemps que tu viens ici?

— Hum... Alors j'ai 25 ans, je viens depuis que j'en ai 16... Du coup ouais, ça va faire dix ans que je viens!

— Dix ans! C'est énorme! Et comment tu as découvert?

Il lui faut quelques secondes de réflexion avant de pouvoir répondre.

— Si je me souviens bien, c'était un jour où j'étais parti de chez moi après m'être fâché avec mes parents. Je me suis perdu, et j'ai fini ici. Je suis entré pour demander mon chemin, et une jeune femme m'a aidé. Je voulais la remercier, mais je n'avais pas d'argent sur moi, alors je suis revenu le lendemain, j'ai pris un café et je lui ai donné un énorme pourboire pour m'avoir aidé. Il s'avérait que le café était très bon, et pas trop cher, donc j'ai continué de venir! Maintenant, j'y viens plusieurs fois par semaine, et comme ils font aussi boulangerie-pâtisserie, je leur passe commande lorsqu'un des gars de mon équipe a son anniversaire.

— Mais c'est trop génial ça! Et donc après dix années, y'a rien qui a changé?

— Nope! C'est toujours le même propriétaire, qui utilise les mêmes ingrédients. Il y a seulement le personnel qui change, car il aime bien engager des étudiants, qui partent à l'obtention de leur diplôme. Il est vraiment cool comme patron, de ce que j'ai entendu dire!

Nous changeons de sujet de discussion, encore et encore, si bien que plusieurs heures plus tard, un vieux monsieur doit venir nous interrompre:

— Je suis désolé, messieurs, mais je vais devoir vous demander de partir... Vous voyez, le magasin est fermé depuis plus de vingt minutes maintenant, et je n'ai plus rien à ranger, alors je voudrais rentrer chez moi...

Je regarde Alexandre, le regard ébahi. Nous étions restés aussi longtemps? Je n'avais même pas réalisé! Nous nous confondons en excuse auprès du monsieur, et nous rhabillons en quatrième vitesse. En passant près du comptoir, je prend soin de laisser un généreux pourboire, et Alex fait de même. Je m'excuse encore une fois auprès du propriétaire des lieux, puis passe la porte.

Dehors, le soleil est déjà très bas. En fait, il fait plus nuit que jour. Je me tourne vers Alexandre, et déclare:

— Je me sens trop mal, comment est-ce qu'on a fait pour pas remarquer que c'était fermé?

Un sourire tendre berce ses lèvres, et il me répond:

— Ne t'en fait pas trop pour ça, Ez'. Il m'est arrivé un nombre incalculable de fois de rester après la fermeture, et à chaque fois, Monsieur Raymond m'assure que ça ne le dérange pas, et que, justement, ça le rassure qu'il y ait quelqu'un avec lui pendant qu'il range.

Nous nous avançons dans la rue, sous les lampadaires à peine allumés.

— La première fois que c'est arrivé, il m'a raconté qu'une fois, il s'était fait cambrioler alors qu'il fermait. Un homme est arrivé pendant qu'il nettoyait, il était armé. Ce jour là, Monsieur Raymond a eu la peur de sa vie. Alors même si j'étais encore très chétif à l'époque, il me laissait rester un peu plus longtemps. Ca nous arrangeait tous les deux: lui était rassuré, et moi, je passais moins de temps chez moi, où mes parents me prenaient la tête.

Il baisse la tête , comme s'il avait honte.

— Depuis que j'ai commencé à travailler, par contre, je n'ai plus vraiment le temps de passer pour la fermeture. Je me rattrape sur mes jours de congés, ou dès que j'en ai la possibilité. Mais ces derniers temps, j'ai un peu négligé tout ça...

Je comprends directement ce qu'il se passe.

— C'est parce que tu venais me voir au bar, c'est ça?

Il se tourne vers moi.

— Oui. Mais il n'y a pas que ça. J'ai eu beaucoup de travail, donc je devais aussi travailler certains samedis, pour être sûr que certains projets soient finis à temps.

Alexandre donne un coup de pied dans un caillou, et conclu.

— Je me sens coupable, mais en même temps... Je n'ai pas vraiment le choix, tu sais? Puis, maintenant, son petit-fils l'aide aussi, la plupart du temps. Il lui arrive de faire la fermeture. Alors je ne m'en fait pas trop: Monsieur Raymond n'est plus seul, maintenant.

Sans un mot, je place mon bras autour de ses épaules en signe de réconfort. Après quelques dizaines de pas, j'interromp le silence, encore une fois.

— Tu as quelques choses de prévu, pour ce soir?

— Pas que je sache, pourquoi?

Je me place devant lui, interrompant donc brutalement sa marche.

— Cool. Je voudrais t'inviter à dîner chez moi.

Alexandre a l'air particulièrement confus, et très surpris.

— Je... Ouais, d'accord! Pourquoi pas!

Mes lèvres s'étirent à m'en faire mal aux joues tellement je suis content. Doucement, nous reprenons notre marche.

— Génial! Alors, je te préviens déjà, je suis loin d'être un aussi bon cuisinier que Denise. En fait, je crois que je vais garder tout ça très simple. Tu as des allergies?

— Nope, mais si je mange trop de produits laitiers, j'ai très mal à l'estomac. Ça ne m'empêche pas d'en manger hein, mais bon!

— Je prend note!

La route jusque chez moi n'est pas longue du tout, étant donné que j'habite à dix minutes du parc où l'on s'était donné rendez-vous au départ. Nous y arrivons sans problèmes, et nous montons les escaliers sans croiser aucun de mes voisins. En revanche, je sais très bien ce qui va arriver lorsque nous arriverons à l'étage.

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Saamodeus
Posté le 21/09/2021
OMG !!!! Sacrée tournure que prend se rencard pas rencard. C'est très plaisant de voir les deux petits qui progressent. Ça fait du bien à lire, je suis si heureux pour eux deux
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