Point de vue : lui
J'embrasse mes parents une dernière fois avant de rejoindre ma voiture pour rentrer chez moi. Je baisse la fenêtre, j'allume une clope. Je mets le contact. J'attends quelques secondes, juste le temps de jeter un dernier coup d'œil du côté de ma grand-mère.
Je démarre, je fais le tour du rond point avant de me décider à prendre la deuxième sortie. Je continue tout droit pendant quelques kilomètres. Je tourne légèrement à droite pour prendre la route qui traverse la forêt. Je m'arrête quelques mètres plus loin, à gauche de la route. J'ouvre la portière. Je lâche ma cigarette et je l'écrase du pied gauche. Je sors. Je ferme la voiture. Je m'enfonce dans la forêt, attendant de ne plus voir ni la route, ni ma voiture. Je m'assois contre un arbre, musique dans les oreilles, laissant le temps s'écouler petit à petit.
Au loin, on entend le passage des voitures. Tout près, ce sont les bruits de la nature. Je tends l'oreille. Des mouvements dans les feuilles et des frémissements. Une pomme de pin qui tombe, un écureuil bondissant d'arbre en arbre. Un serpent qui arpente les bois, un oiseau qui sautille sur le tas feuilles mortes.
Il y a une voiture rouge sang. Une femme brune, cheveux longs et yeux verts. Ses enfants sont à l'arrière, deux jumeaux aux cheveux noirs et bouclés. L'un porte des lunettes, l'autre non. Elle les amène à l'anniversaire d'un de leurs amis : elle n'en a pas envie mais elle préfère les voir heureux. Dans l'autre sens, un gros 4x4 noir. Un homme aux cheveux poivre et sel, le visage vieilli par le temps et le bras gauche sur le bord de la fenêtre ouverte. Sa petite-fille de cinq ans à côté de lui, sur son siège auto. Elle tourne la tête à droite. Elle regarde loin dans la forêt. Elle jette un coup d'œil vers son grand-père sans pouvoir s'empêcher de crier « Attention ! » de toutes ses forces. Il tourne brusquement son volant. Il freine. Ils se retrouvent au mauvais endroit au mauvais moment.
Je me suis laissé emporté par mes pensées, le temps de quelques instants. J'enlève mes écouteurs. Je rebrousse le chemin. Le son d'un cri strident. Les battements de mon cœur de plus en plus rapprochés. Une voiture qui dérape. Les traces laissées sur le sol. Le choc de deux voitures. La cacophonie des morceaux de ferrailles tombant sur le goudron. J'avance. J'appréhende ce qui m'attends au bout du chemin. Un faon né il y a quelques heures passe à côté de moi, tout tranquille. Je prends mon téléphone pour appeler une ambulance. Histoire d'anticiper le coup. Mais je me ravise quand des sirènes se font entendre.
Ce que j'avais pensé rêver quelques minutes auparavant vient de se produire. La femme sortie de la voiture, a placé deux triangles de signalisation et a pris le petit à lunettes dans ses bras. Elle n'a pas eu besoin de vérifier que l'autre est encore en vie. C'est évident. Elle n'aurait pas eu le courage de toutes manières. Elle a pris la petite par la main. Elle ne peut se résoudre à la laisser à côté du corps sanglant et immobile de son grand-père. J'arrive, tout transpirant. Ils sont assis derrière ma voiture. Elle se retourne. Je lâche, encore tout essoufflé...
« - Vous n'avez rien ?
- Juste quelques égratignures et un petit traumatisme, mais ça va.
- Et les petits ?
- Un y est passé. Les deux autres sont là. On attend les secours. C'est votre voiture ? »
Je hoche la tête. Je m'assois à droite de la petite fille.
« - Je m'appelle Lilly et toi ?
- Andrew.
- Qu'est-ce que tu fais ici, tout seul ? »
Je fixe la cigarette écrasée sur le sol. Mon regard se pose vers la petite, sur mes mains. Je les frotte entre elles, comme si ça pouvait me rassurer..
« - Tu vois, ma mamie est morte la semaine dernière. Tout à l'heure, je suis allé l'enterrer. J'avais besoin de me poser. Je me suis laissé guider par mon instinct, ayant pensé avoir trouvé l'endroit parfait. »
La petite me regarde et sourit. Elle prend ma main, qu'elle serre tout doucement dans les siennes qui semblent si petites dans les miennes.
« - Papy était venu me chercher pour aller faire un tour de manège. Il m'avait promis une glace à la fraise. »
Le silence s'installe. J'ai involontairement choisi des mots crus pour m'adresser à cette gamine de cinq ans. Je sais qu'elle comprend parfaitement ce qui se passe. Je sens les vibrations de mon téléphone. Je regarde. Je peux rendre réel ce que tu as dans la tête. Fais attention : il pourrait arriver quelque chose que tu ne veuilles pas ou que tu ne puisses pas empêcher. N'aie confiance en personne.
Je suis perdu. Complètement perdu. Dois-je répondre ? ignorer ? ou bloquer le numéro ? La dernière option me paraît inutile. Il ou elle trouvera un autre moyen de me contacter. J'essaie de me souvenir et de retourner dans ce rêve étrange que j'ai fait dans l'église. Il y avait ce vieux que je ne connais pas et cette fête d'anniversaire entre étudiants déjà terminée depuis longtemps dans le précédent. Il y a maintenant cette femme et ses deux enfants allant fêter un anniversaire, cet homme et sa petite-fille allant fêter, eux aussi, un anniversaire. Er c'est aussi le mien.
« - Qui c'est ? m'avait demandé le petit curieux caché derrière ses lunettes.
- Je ne sais pas... C'est un numéro inconnu. Je vis des choses plutôt étranges depuis quelques heures. J'essaie de comprendre ce qu'il se passe, de prendre un peu, de recul.
- Tu sais, il y a des fois où on n'a pas besoin d'expliquer les choses. Parfois, il ne vaut mieux pas d'ailleurs. Regarde, il ne vaut mieux pas que je pense à pourquoi je ne suis pas mort. Tu vois, parfois, on vit des choses et on doit quand même les traverser. Elles sont bien souvent dures à vivre mais on n'a pas le choix. On doit faire avec et il ne vaut mieux pas expliquer, ça risque d'être encore plus douloureux. »
Lui commence son apprentissage on dirait ! C'est clair et suffisamment détaillé, sans exagération. L'intrigue se met en place :)
Je pense que le problème vient des dialogues. La femme n'a pas l'air choqué, on ne ressent pas "l'ambiance" d'un accident. Le "Un y est passé" est choquant.
Pourquoi la femme demande-t-elle si c'est sa voiture ? Je croyais qu'il s'en était éloigné.
Le dernier dialogue me paraît un peu surréaliste pour un enfant. À moins que la Mort parle à travers lui ?
L'approche avec la petite fille et le silence qui s'en suit sont bien écrits, on comprend le manque de parole.
Merci beaucoup pour ton commentaire !
Oui, je suis d'accord : les dialogues sont à revoir (merci pour cet éclairage, ça devrait bien m'aider pour la réécriture).
Andrew a rebroussé le chemin juste avant que l'accident ne se passe réellement...sous-entendu qu'il revient près de sa voiture. Si tu poses la question, j'en conclus n'avoir pas été assez clair sur le fait qu'il revenait sur ses pas (donc je vais réfléchir pour étoffer ce passage, peut-être enlever la question qui n'est pas vraiment nécessaire, d'autant plus dans ces circonstances, merci pour la remarque).
Oui, c'est vrai que ça donne l'impression que c'est un adulte qui parle dans un corps d'enfant ! Ce n'était pas l'intention de départ mais ça peut être une interprétation tout à fait plausible (je pense tout de même modifier ce passage surréaliste).
En tout cas, merci beaucoup pour ce commentaire (et les compliments qui s'y sont glisser) : ça m'est d'une grande utilité)
Et c'est vrai que le petit parle trop comme un adulte
En revanche l'effet de surprise sur le fait que Andrew parle en fait à un fantôme est sympa, même si encore, une fois, le héros ne semble pas s'en émouvoir
On est d'accord que ce chapitre doit être revu sur le plan émotionnel, ça ne va du tout !
Il n'y a pas de problème, ce sont des choses qui arrivent !
Merci beaucoup pour tes commentaires !
Le chapitre est très intéressant, elle et lui se rapprochent. L'accident et les messages sont mystérieux, ça donne envie d'en apprendre plus.
Je pense par contre qu'il faut réécrire la scène de l'accident, ça me paraît inconcevable que la mort d'un membre de sa famille laisse aussi indifférent, ils parlent presque froidement avec lui, comme s'il ne s'était rien passé. C'est presque robotique, je doute que ce soit voulu.
Quand la femme dit "un y est passé", on dirait que c'est une policière qui vient d'arriver et qui s'adresse aux journaux. Enfin bref, tu as mon ressenti.
J'ai hâte de voir comment va se dérouler la "rencontre" entre les deux points de vue et de découvrir qu'est ce que la Mort planifie avec "lui".
Bien à toi !
Merci beaucoup !
Oui, c'est tout à fait involontaire ! Je suis tout à fait d'accord (je travaille à la réécriture).
Merci encore !
Je n'avais pas grand chose à dire pour les chapitres précédents, j'aime beaucoup l'alternance des points de vue entre "lui" et "elle" et tout ce que ça implique, et je pense que nous en avons un premier aperçu ici.
C'est une interprétation de lecteur, mais le fait que les personnages gardent un tel sang-froid après cet accident participe au mystère, je trouve. Il y a cette irréalité, cette froideur, quasiment cette déshumanisation des personnages qui rajoutent de la tension et un sentiment d'insécurité. Je ne peux m'empêcher de penser que la Mort regarde Andrew, ricane et pense : "tu vois, tu commences déjà à prendre ma place".
Tu as confirmé à Jonesy que c'était involontaire, et pourtant j'étais persuadé que c'était voulu. Alors, je ne sais pas s'il y a des "forces obscures" derrière cet accident, mais effectivement il y a décalage entre la situation et la réaction des personnages. Il y a un problème de ton, j'ai l'impression. On a le sentiment que la situation est normale, et comme indiqué par Jonesy, on a l'impression que l'enfant est un adulte.
Allez, direction la suite ! :D
Déjà, merci beaucoup ! Je suis super contente que ça te plaise !
Je crois qu'on est d'accord sur le problème de ton et sur le fait que l'enfant soit trop adulte.
Je pense que je vais essayer de garde un Andrew avec du sang-froid et des personnages qui l'entourent un peu plus humain (j'aime bien ton idée sur la réaction de la Mort). Je ne sais pas si ça va marcher mais je vais y travailler !
Merci beaucoup en tous cas !