Chapitre V

Par Nini24

_ Prête, Lyana ?

Elle acquiesça. Deux jours étaient passés depuis sa virée au bureau de poste de Nechssek pour envoyer sa lettre à Ellie et Lilia. Elle avait eu tout le temps d’explorer les principales rues de la ville et pouvait s’y repérer presque aussi bien qu’à Tiliinhamé. Adamo avait réussi à contacter le responsable de l’entraînement auquel Lyana souhaitait prendre part. Il avait proposé de commencer dès le surlendemain, soit le lendemain de la réunion du conseil d’administration, à laquelle elle devrait prendre part dans quelques minutes.

Le commandant Adamo se tenait devant elle, prêt à pousser les portes.

_ On entre, alors.

Sur ces mots, il poussa les battants de bois et ils pénétrèrent dans une grande salle circulaire. Les murs étaient blanchis à la chaud et le plafond formait un dôme de verre duquel pendait un magnifique lustre en cristal, brillant de mille feux à la lumière du soleil couchant, qui filtrait à travers le plafond transparent. Une longue table en bois, qui épousait les courbes des murs, était dressée au centre de la pièce et occupait efficacement tout l’espace. Autour de la table, six personnes étaient assises, trois hommes et trois femmes ; les membres du conseil d’administration de la Guilde des Aventuriers.

_ Viens, lui chuchota Adamo. Reste impassible. Assieds-toi là.

Lyana et le commandant s’assirent l’un à sa place attitrée, et l’autre sur une chaise qui avait été rajoutée à son intention. Une femme aux cheveux d’un noir de jais pris la parole.

_ Tout le monde est là ?

Les six autres membres acquiescèrent.

_ Nous pouvons donc commencer. Aujourd’hui, le conseil d’administration s’est engagé à examiner le cas de Lyana Terrin, à la demande expresse du Commandant Adamo. Ce dernier veut-il dire quelques mots ?

Le commandant se leva de sa chaise.

_ Lyana, ici présente, vient déposer sa demande d’émission d’une autorisation de visite des archives. Je vous prie d’écouter son histoire, qu’elle vous contera elle-même, même si c’est un récit des plus singuliers. Je passe la parole à l’intéressée, pour qu’elle vous explique comment et pourquoi elle en est arrivée là.

Le commandant s’assit et jeta un regard insistant à Lyana, qui réalisa qu’en mentionnant « l’intéressée », Adamo parlait d’elle. Elle se leva et toute appréhension la quitta. Elle soutint le regard de la femme aux cheveux de jais et entama son récit, tel qu’elle l’avait conté au Commandant Adamo lors de leur première rencontre, quatre jours plus tôt.

Lorsqu’elle eût fini, elle prit une grande inspiration, heureuse d’avoir enfin franchi cette étape. Puis Lyana se reprit, défiant du regard les six personnes assises autour de la table. Dans les yeux de la plupart d’entre elles, elle ne décela que de la compassion, de l’estime ou d’autres sentiments positifs.

Seulement, lorsqu’elle plongea son regard dans les yeux de l’un de l’homme qui occupait une place à l’extrémité opposée de la table, elle fût confrontée à des prunelles aussi grises que de la cendre. Un regard froid, méprisant, sceptique.

_ Excusez-moi, mademoiselle, mais qu’est-ce qui nous prouve que ce récit est véridique ?

Pendant qu’il disait cela, un sourire narquois qu’elle seule perçut se dessina sur ses lèvres. Le Commandant Adamo se renfrogna.

_ Qui est-ce ? – elle glissa tout bas au commandant en se rasseyant.

_ Silas, c’est un aventurier de très haut rang. Et il a cette fâcheuse habitude de toujours aller à l’encontre de mes décisions. – dit-il en serrant les dents.

_ Effectivement, rien ne nous prouve que ce qui est inscrit dans le journal est véridique. Ou que mademoiselle ne nous ment pas. – dit la femme aux cheveux de jais.

_ Et elle ? – demanda Lyana au commandant.

_ Naima, elle aussi une aventurière qui a grimpé les échelons. C’est elle qui préside le conseil.

Il reprit, à voix haute cette fois.

_ Non, rien ne nous prouve que Lyana ne nous dise la vérité. Mais rien ne prouve qu’elle ne mente non plus. Qu’est-ce que cela vous coûte de lui faire confiance ? De plus, Lyana s’est inscrite au prochain examen d’admission pour rejoindre la Guilde. N’est-ce pas là une preuve de bonne foi ? Et que sommes-nous si nous sommes incapables de faire confiance à nos propres effectifs ?

Un silence pesant s’installa sur l’assistance. Grâce à ces quelques phrases, Adamo avait réussi à instaurer la culpabilité entre les membres du conseil.

_ Quelqu’un d’autre souhaite se prononcer ? – demanda Naima.

Les autres semblaient s’intéresser que superficiellement à la bataille d’arguments qui opposait Lyana et le Commandant Adamo à Silas, et dont le seul juge était Naima, la présidente du conseil d’administration de la Guilde des Aventuriers.

Silas, dont le sourire s’était effacé lorsqu’Adamo avait parlé, prit à nouveau la parole :

_ Très bien, admettons que nous lui fournissions une autorisation. Ne reste-t-il pas un risque que les archives n’en sortent dégradées ? Vous devez admettre, commandant, que tous les aléas ne sont pas écartés.

_ Si c’est le seul problème qui vous retient, Silas, nous pouvons dès maintenant rédiger l’autorisation. Il suffit de placer des gardes à l’intérieur pendant qu’elle effectuera ses recherches, même si je trouve ces mesures quelque peu radicales.

C’était la première fois que Naima exprimait son opinion, et, tout de suite, Lyana sut qu’elle était de son côté. Avec sa remarque aussi tranchante que la lame du poignard récemment aiguisé, elle avait coupé court aux arguments de Silas.

Elle saisit une plume et la trempa dans un encrier, puis déroula un rouleau de parchemin. Puis elle déclara, à mesure qu’elle écrivait :

_ En présentant ce rouleau de parchemin à l’entrée de la salle des archives de la Guilde des Aventuriers, le conseil d’administration de ladite Guilde confère l’autorisation de visite des archives à Lyana Terrin.

_ Un instant, Naima, la coupa Silas. J’accepte de signer cette autorisation avec deux conditions. La première, que mademoiselle ne puisse visiter les archives pendant certaines périodes. Je propose de midi à minuit, mais vous pouvez décider d’autres horaires, ce n’est pas vraiment important. La deuxième, qu’il lui soit interdit de pénétrer dans la salle des archives sans quatre gardes choisis avec soin.

_ Quatre ?! – s’exclama Naima.

_ Bon, deux, si vous préférez.

_ Commandant Adamo, Lyana, cela vous convient-il ?

Ils acquiescèrent. Naima termina de rédiger l’autorisation avec les conditions de Silas, puis la fit signer par chacun des membres du conseil et par Lyana, avant de sceller le rouleau par le cachet de cire de la Guilde et de le remettre à sa destinataire.

Lyana referma ses mains autour du rouleau si précieux à ses yeux. Elle avait obtenu ce qu’elle voulait. Elle remercia vivement le conseil et Naima la congédia pour que la réunion se poursuive. Elle remonta les escaliers jusqu’à son dortoir, où Callum l’attendait.

_ Alors ? – demanda-t-il, impatient de connaître l’issue de la réunion à laquelle son amie avait pris part.

Elle lui montra le rouleau avec un sourire éblouissant. Callum lâcha un cri de surprise et se leva d’un bond. Il saisit Lyana par la taille et la souleva au-dessus de sa tête en la faisant tourner. Leurs éclats de rire fusèrent tandis qu’ils dansaient dans leur allégresse commune. Lorsque leurs souffles se firent plus courts, ils s’assirent sur leurs lits, le sourire aux lèvres et la joie dans le cœur.

_ Comment ça s’est passé ? – demanda Callum.

Lyana lui raconta toute la réunion dans les détails. Pour l’occasion, et vu qu’ils étaient les seuls occupants du dortoir, il avait rapporté un copieux repas qu’ils pourraient manger sur place. Cette fois, leur dîner fût animé par leur conversation et leurs éclats de rire et de bonheur. Callum était heureux pour Lyana, pourtant, quelque chose plombait son cœur. Bientôt, il devrait repartir en mission. Et alors, rien ne pourrait lui garantir qu’ils se reverraient.

_ Dis, demanda-t-il à un tournant de la conversation, comment je ferais pour te contacter dans le futur ?

Lyana réfléchit une seconde, puis nota sur un morceau de parchemin à l’adresse de l’Ordre d’Illonius.

_ Voilà mon adresse à Tiliinhamé, il te suffira d’envoyer tes lettres là-bas. Mais si je suis ici, à Nechssek, la Guilde des Aventuriers fera l’affaire.

Rassuré, Callum put profiter pleinement de la soirée et plus rien ne vint gâcher leur joie.

Le lendemain, Lyana se leva d’excellente humeur. Aujourd’hui, et les jours à venir seraient bien chargés. Le matin, elle devrait se lever tôt pour se rendre à son entraînement. A midi, elle se rendrait en ville pour déjeuner. A l’issue de ce programme, elle rentrerait au dortoir pour prendre une douche et emmener les affaires nécessaires à ses recherches. Puis elle se rendrait à la salle des archives et les huit heures suivantes seraient consacrées à fouiller de fond en comble tous les documents présents. A minuit, quand elle devrait quitter la salle des archives, elle mangerait un morceau puis s’écroulerait de fatigue dans son lit.

Après avoir fait ce planning mental, elle se dépêcha de se rhabiller ; Alis, le responsable de l’entraînement, ne l’attendrait pas. C’était un très bon professeur, même si le Commandant Adamo l’avait prévenue que ses méthodes étaient parfois un peu strictes. Pourtant, Lyana était heureuse de pouvoir enfin se remettre en forme. Quoique le jour de l’examen approchait. Réussirait-elle à le passer ? Plus que onze jours d’entraînement…

Lyana prit un morceau de pain qui restait du dîner de la veille et le mangea sur le chemin de la cour de la Guilde, un espace pavé à ciel ouvert entre les quatre bâtiments qui constituaient l’ensemble, et où elle avait rendez-vous avec Alis. Il l’attendait.

_ Bonjour ! – dit-elle joyeusement.

_ Bonjour, répondit-il. Tu es en retard.

Voyant son expression inquiète, Alis la rassura avec un sourire :

_ Seulement de quelques minutes, cela ne change rien. Nous pouvons commencer ?

Lyana acquiesça.

_ Suis-moi, alors, dit Alis en se mettant en route.

En route vers où, exactement ?

Elle lui emboita le pas et lui posa tout de suite la question.

_ Vers un endroit plus propice à l’entraînement que j’ai sélectionné pour toi.

_ Ce qui veut dire ?

_ Tu es bien curieuse.

_ Vous ne voulez donc pas me le dire ?

_ Non. Tu sauras le moment venu, et celui-ci ne saurait se faire attendre.

Ils marchèrent d’un pas régulier à travers Nechssek, parcourant les rues rapidement. Sur le chemin, Lyana détailla un peu mieux Alis. Il avait de profonds yeux noirs un peu bridés et une peau claire, des cheveux poivre et sel et lisses, perpétuellement noués en un chignon rond au-dessus de son crâne, et une épaisse barbe recouvrait une grande partie de son visage. Elle avait appris de la bouche d’Adamo qu’Alis venait d’une famille originaire de l’Est, qui avait migré jusqu’au Centre depuis quelques générations, mais qui conservaient tout de même les traits caractéristiques de cette région d’Asgjë. Sa famille, dont le commandant n’avait pas jugé utile de mentionner le nom, était assez connue en ville pour le restaurant qu’ils tenaient depuis une soixantaine d’années, et qui servait les plats typiques de leur région natale, dont ils conservaient les recettes grâce à un livre écrit par leurs ancêtres.

Alis aurait dû travailler au restaurant, mais un avenir de chef cuisinier ne l’enthousiasmait guère, et ses parents le savaient. Ils léguèrent alors le restaurant à son frère jumeau, âgé d’à peine une quinzaine de minutes de plus. Celui-ci lui avait ensuite tourné le dos, vexé que son frère ait choisi une autre voie, rompant ainsi leurs promesses d’enfance. Alis, ayant perdu ses parents et son frère à peu de temps d’intervalle, avait fait tenir quelques objets utiles dans son sac et s’était expédié aux quatre coins du monde.

Il avait visité les quatre grandes régions : le Nord, l’Est, le Sud et l’Ouest. Il avait tout vu et apprécie le voyage. Quand il était enfin rentré à Nechssek, il avait fait la paix avec son frère, qui acceptait enfin ses choix. Alis s’était engagé dans la Guilde des Aventuriers et avait eu une grande renommée, grimpant les échelons jusqu’au conseil d’administration.

Pourtant, quelques années auparavant, il avait exprimé son désir de se retirer, et on lui avait proposé ce poste, qui faisait partie du secteur de récupération. Il avait accepté, et c’est Silas qui l’avait remplacé au conseil. C’est peu dire que le commandant préférait le précédent occupant de ce poste.

Pendant qu’elle repassait ces informations, cette véritable biographie d’Alis dans sa tête, ils traversèrent toute la ville, passèrent par la porte principale pour sortir et grimpèrent sur la crête d’où Lyana avait observé Nechssek pour la première fois, la nuit de la fête en l’honneur de Mère Terre.

Alis s’assit en tailleur sur un rocher plat. Lyana l’imita.

_ Avant l’examen d’inscription à la Guilde, il te reste onze jours d’entraînement. Pour que cet entraînement te soit le plus bénéfique possible, j’ai besoin de savoir de manière plus détaillée ce qu’il t’est arrivé sur le plan physique jusque-là. Le Commandant Adamo ne m’a mis au courant que d’une partie de l’histoire.

_ En gros, je me suis réveillée sur une plage à trois jours de marche de Tiliinhamé, sans aucun souvenir de qui j’étais. Après ces trois jours, je me suis restaurée pendant une semaine en ville, avant de marcher sept jours jusqu’ici. Et cela fait neuf jours aujourd’hui que je suis à Nechssek.

_ Quand tu t’es réveillée, tu te sentais comment ?

_ Heu… somnolente.

 _ Sur le plan physique.

_ Ah ! Heu… je me suis sentie très affaiblie. Au début, je ne pouvais même pas tenir sur mes jambes. J’ai pourtant réussi à me hisser hors d’un trou à la seule force de mes bras. Mais après, j’ai fait quelques mètres en rampant sur le sable, et puis je me suis écroulée de fatigue.

_ Un affaiblissement plus prononcé au niveau des jambes que des bras… Continue.

_ Ça se complique encore plus, parce que, après, cette faiblesse a disparu. J’ai marché trois jours sans avoir mangé, et j’ai escaladé plusieurs cocotiers pour avoir de l’eau. C’est comme un engourdissement qui se serait dissipé.

Alis lui faisait réaliser une myriade de choses auxquelles elle n’avait pas accordé d’importance. Comment pourrait-elle retrouver Ayden et découvrir ce qui était arrivé à leur expédition avec ce genre d’inattentions ? Comment pourrait-elle dénouer ce mystère à elle seule ? Comment avait-elle pu croire une seule seconde à sa réussite ? C… comment ?

Des larmes roulaient sur ses joues. Toute la pression des évènements qui lui étaient arrivés ces derniers jours explosaient d’un coup. Elle s’étouffait avec ses propres pleurs et se mit à hoqueter en silence. C’était incontrôlable. Elle avait besoin d’expulser tout cela.

Mais pas devant Alis.

Ne pleure pas. Ne pleure pas…

Elle se fit violence et cessa de hoqueter. Elle sécha ses larmes mais ne put les empêcher de couler toujours plus.

_ Ne t’inquiète pas, Lyana. – dit Alis avec une voix réconfortante.

Il se rapprocha et la serra dans ses bras. Lyana se laissa faire et se blottit tout contre la chaleur du corps d’Alis.

_ Pleure autant que tu veux. Hurle si tu en as envie. Ici, il n’y a que toi et moi pour t’entendre.

Elle continua de retenir ses pleurs de toutes ses forces.

_ Vas-y. Ça te fera du bien.

_ M…mais ça ne peut p…pas s…auver mon fr… frè… re… - dit Lyana.

A ces mots, ses larmes redoublèrent. Alis la regarda dans les yeux et hocha la tête.

Pour la première fois depuis qu’elle s’était réveillée sur cette plage, Lyana laissa libre cours à ses émotions.

Pour la première fois depuis longtemps, elle ressentit ce profond désespoir qui venait gratter et rouvrir les plaies, écorcher les entailles à peine refermées d’un cœur meurtri par les coups de la vie.

Ses larmes coulaient encore et encore, et la chemise d’Alis se mouillait peu à peu. Lyana se sentait impuissante, et elle détestait cela. Bientôt, les cris stridents de son âme franchirent ses lèvres et un hurlement déchirant envahit la crête. Ce cri, c’était toutes ses douleurs qui s’exprimaient d’un coup. Toute cette culpabilité.

Elle se sentait coupable.

Coupable d’être là à perdre son temps.

Coupable de ne pas se souvenir de la suite de l’histoire.

Coupable de ne rien savoir d’autre sur son frère.

Coupable d’avoir eu ces moments d’inattention.

Coupable de ne pas être à la hauteur.

Coupable.

Coupable…

*

Ils restèrent là longtemps encore. Lorsque le cœur de Lyana se calma, Alis sécha ses larmes et planta son regard dans celui de la jeune fille.

_ Lyana, il n’y a aucun mal à exprimer ses émotions. Il ne faut pas laisser des sentiments, surtout quand ils sont négatifs s’installer dans ton âme. J’ai commis cette erreur, jadis, et je n’en suis pas vraiment fier.

Elle essaya ses larmes une dernière fois et se répéta les mots d’Alis jusqu’à les graver profondément dans son esprit. Elle leva la tête vers le ciel et le contempla, si beau dans son immensité bleue. Parfois, elle aurait voulu pouvoir voler, loin de tous soucis, traverser cet océan de nuages une centaine de fois pour échapper à ses problèmes.

Ils redescendirent la pente jusqu’aux portes de la ville, doucement pour profiter encore un peu de l’atmosphère calme et du silence qui enveloppait la crête, comme une bulle écartée du brouhaha de Nechssek. Une nouvelle fois, ils traversèrent la rue principale et passèrent devant la cathédrale aux magnifiques vitraux avant d’arriver à la Guilde des Aventuriers.

_ C’est ici que nous nous séparons, dit Alis. Retrouve-moi dans la cour intérieure tous les jours à la même heure. Et tiens, prends ça. Ça devrait t’aider à réviser pour ton examen.

Il lui tendit un livre plutôt épais, à la couverture de cuir ornementée de fils argentés.

_ C’est un exemplaire du « Guide de l’aventurier ». Il recense tout un tas de connaissances utiles pour les apprentis aventuriers, expliqua Alis. Je dois y aller maintenant. Bonne chance, Lyana ! Et prends soin de toi ! – lança-t-il en s’éloignant.

Lyana serra le livre dans ses bras et remonta les escaliers jusqu’au dortoir.

_ Salut, dit-elle à Callum, qui était occupé à ranger ses affaires. Tu pars demain, n’est-ce pas ?

Callum se redressa. Il arborait une mine renfrognée.

_ Oui, je m’en vais demain.

Elle soupira, triste à l’idée que son ami devait partir.

_ On s’écrira.

Il acquiesça.

_ Heu… désolée, il faut que j’y aille, mais on parlera ce soir si tu veux.

Lyana se dirigea vers la salle de bain et se glissa sous la douche. En sortant, elle s’empressa de prendre ses affaires et de quitter le dortoir pour fuir l’atmosphère pesante qui y régnait à cause du départ de Callum. Elle redescendit les escaliers et traversa le hall dans l’autre sens, se dirigeant vers la salle des archives. Depuis qu’elle était arrivée, il y a presque une semaine, elle avait eu le temps d’explorer chaque recoin de la Guilde, notamment le couloir qui menait aux archives, dans lequel elle avait flâné de longues minutes.

Une fois arrivée devant la porte, un garde l’interpella :

_ Bonjour. Que puis-je faire pour vous ?

_ J’aimerais visiter les archives.

_ Votre autorisation ?

_ La voilà.

Elle lui tendit le rouleau de parchemin scellé par le cachet de cire de la Guilde. Le garde brisa le sceau et déroula le parchemin. Il le parcourut des yeux et vérifia l’heure sur une horloge derrière Lyana. Puis il déclara :

_ Vous êtes autorisée à entrer dans la salle des archives, mais seulement accompagnée de deux gardes. Attendez un peu ici, le temps que j’aille chercher les gardes qui vous suivront à l’intérieur, voulez-vous ?

Elle acquiesça et s’appuya contre le mur tandis que son interlocuteur s’élançait dans le couloir d’un pas rapide, laissant Lyana sous la surveillance de son collègue aux yeux perçants. Quelques minutes plus tard, trois ombres se dessinèrent sur le mur, projetées par les silhouettes des gardes illuminées par les torches aux flammes tremblotantes ; puis le bruit de leurs pas parvint à leurs oreilles.

Lyana se redressa et reprit son sac entre ses bras. Elle salua les gardes d’un bref mouvement de tête, qu’ils lui rendirent aussi silencieusement. Elle s’apprêtait à entrer lorsque le garde qui l’avait surveillée pendant que son collègue partait chercher des renforts glissa quelques mots à l’oreille de ce dernier. Il acquiesça et le premier la suivit dans la salle des archives, accompagné d’un de ses collègues, et referma la porte derrière eux.

_ Je suis Kawa, dit le garde aux yeux perçants. Mme la présidente Naima du conseil d’administration m’a chargé personnellement de vous accompagner dans vos recherches. Libre à vous d’étudier les documents entreposés ici, je suis à votre disposition si vous avez besoin d’aide pour quoi que ce soit.

_ Merci beaucoup, Kawa. Je garderai cela à l’esprit.

Il hocha la tête et tendit la main vers les dizaines d’étagères.

_ Allez-y, je ne vous retiens pas plus longtemps.

Lyana acquiesça et déposa son sac sur un banc, devant une table en bois ciré et bien entretenu. Elle sortit son plan de travail, du papier, une plume et un encrier, et prit une grande inspiration.

Plus jamais elle ne laisserait passer le genre de petits détails qui pourraient lui épargner des complications. Elle était prête. Elle se sentait prête à se lancer dans le vif du sujet. Enfin, elle avait son autorisation, et les outils pour commencer la rédaction d’un début de réponse.

Kawa lui livra une brève explication du système d’organisation des archives, classées par époque, et ensuite par type de document et par sujet. Lyana l’interrogea sur l’existence d’une liste de tous les aventuriers.

_ Il y en a bien une, mais je serais incapable de vous dire où la trouver. Je peux vous aider à chercher si ça peut être utile.

_ Oh, si ça ne vous dérange pas.

_ Non, non, aucunement.

Ils s’échangèrent un sourire, puis se mirent à l’ouvrage. Ils passèrent au peigne fin la quarantaine d’étagères qu’il y avait. Les différentes étagères représentaient les époques, et chacune d’entre elles s’étendait sur environ une décennie. Ils commencèrent par explorer les plus récentes, jusqu’au plus anciennes. Au bout de trois heures de recherches, ils avaient amassé sur la table un nombre de rouleaux de parchemins équivalent au nombre d’étagères. Une liste par décennie, ça semblait logique.

_ Ça fait pas mal d’aventuriers en environ trois siècles et demi d’existence, commenta Kawa.

Lyana ne répondit pas. Elle savourait intérieurement d’avoir trouvé ce qu’elle cherchait aussi vite. Initialement, elle avait prévu plusieurs jours de recherches pour rassembler les différents fragments d’une seule grande liste de tous les aventuriers n’ayant jamais existé.

_ L’objectif, c’est de trouver le nom d’une de ses huit personnes : Lyana, Ayden, Iaya, Dael, Celena, Adan, Mahalia ou Django, dit-elle en lisant le passage de son journal de voyage qui citait les noms. L’idéal serait de trouver les huit, et ensuite nous localiserons l’époque à laquelle ils ont vécu.

Kawa acquiesça et ils se mirent au boulot, parcourant des yeux des centaines, des milliers de noms de personnes décédées, retraitées ou toujours actives. Cinq heures de plus s’écoulèrent. Un petit sablier, installé ici à cause des limitations de temps de Lyana, indiquait que huit heures avaient déjà filé. Le bas du sablier était rempli aux trois quarts du sable doré, qui brillait à la lueur des bougies.

Huit heures, et ils n’avaient même pas épluché le quart des documents. Une heure, puis deux s’écoulèrent vers le bas du sablier. Il était à présent dix heures du soir, et Lyana se sentait vide de toutes ses forces. Ils étaient assis au même endroit dans la même position depuis presque huit heures d’affilée. Elle peinait à garder les yeux ouverts.

Finalement, la jeune fille capitula lorsque le sablier entama sa dernière heure. Elle remercia Kawa et lui dit qu’elle reviendrait le lendemain, et le surlendemain, et le jour suivant, jusqu’à ce que les archives répondent à toutes les questions qu’elles le pourraient.

Elle poussa la porte du dortoir en traînant les pieds. Sur son lit étaient assis Callum, toujours réveillé à cette heure tardive.

_ Salut, dit-elle.

_ Salut, lui répondit-il

_ Qu’est-ce que tu fais debout à cette heure ?

_ Je t’attendais, dit-il.

Lyana se rapprocha, hésitante. Elle posa une main sur l’épaule de Callum. Puis, elle le prit dans ses bras, dans une étreinte qu’elle voulait réconfortante. Il lui rendit son étreinte et posa la tête sur son épaule. De longues minutes s’écoulèrent ainsi, sans que l’un ni l’autre n’ait envie de bouger. Au bout d’un moment, elle sentit une minuscule larme s’écraser contre son dos.

_ Tu es une des seules personnes en qui j’ai vraiment confiance.

Callum renifla, mais Lyana ne fit que le serrer un peu plus fort.

_ Un jour, il y a eu un incendie chez moi, au beau milieu de la nuit… Toute ma famille est morte pour me sauver.

L’aventurier commença à hoqueter, de plus en plus fort, en des tremblements de plus en plus incontrôlables.

_ Tu n’es pas obligé de tout me dire. Je ne veux pas que tu te sentes obligé de revivre de telles horreurs, dit-elle doucement.

Il se reprit :

_ Si, si, j’ai besoin de te raconter ça.

Brève pause.

_ Quand l’incendie s’est terminé, j’ai été dans les décombres pour voir si quelqu’un d’autre avait survécu. Je n’ai trouvé que… que des… os carbonisés. Alors seulement, j’ai réalisé que j’étais le seul survivant. Là, j’ai pleuré pendant trois jours, m’arrêtant seulement lorsque je tombais de fatigue. Et puis, j’ai décidé de me mettre en route vers la capitale de la Région Ouest : Nechssek. A mon arrivée ici, je n’avais pas d’argent, pas de quoi manger, pas de famille ni d’amis pour me protéger. J’ai vécu à la rue pendant quelques mois, jusqu’à ce que j’entende parler de l’examen d’inscription à la Guilde des Aventuriers. Tout de suite, j’ai rempli le formulaire et passé l’épreuve haut la main. Et voilà.

_ Je suis sincèrement désolée, Callum.

_ Tu n’y es pour rien. Ce que je veux dire, c’est que je suis devenu un aventurier pour pouvoir protéger ceux que j’aime la prochaine fois que la mort frappera.

Lyana laissa ces paroles s’imprégner en elle, et sentit que l’histoire déchirante de Callum faisait métaphoriquement miroir à la sienne.

_ Moi aussi, c’est pour ces raisons que je vais devenir aventurière à nouveau.

_ Non, toi c’est différent.

Elle soupira.

_ J’ai perdu mon frère, la seule famille qu’il me restait, et tout ce que je connaissais. Maintenant, je suis incapable de me souvenir de quoi que ce soit concernant mon passé, et tout ce que je sais provient d’un journal de voyage, qui pourrait même être un faux.

Elle fit une pause pour laisser ses paroles faire effet :

_ La seule différence est qu’à moi, il m’est donné une chance de retrouver mon frère, alors que toi, tu as la certitude que les tiens ne sont plus. Mais je suis sûre qu’un jour, tu reconstruiras une famille, et que, d’ici là, et même après, je serais là pour toi.

Les soubresauts de Callum se calmèrent et ils s’écartèrent.

_ Viens, passons ensemble cette dernière soirée, dit Lyana pour clore le sujet.

Il acquiesça et ce soir-là fut inoubliable. Callum et Lyana se souviendraient toute leur vie du moment où il lui avait proposé un verre d’alcool, qu’elle avait gentiment refusé avant de lui raconter ses antécédents avec la bière, le soir des festivités en l’honneur de Mère Terre. Ils retournèrent dans le même restaurant que le premier soir, prirent la même table sur la terrasse du premier étage et commandèrent deux soupes de radis, comme la première fois qu’ils avaient dîné ensemble, à cause de Callum, qui détestait dîner seul. Mais cette fois, le vide fut comblé par leur conversation ; ils avaient tant de choses à se dire maintenant que le dernier moment était venu. A un tournant de la conversation, Lyana prit un air solennel et déclara :

_ Messire Callum, je vous jure de toujours partager vos dîners lorsque vous serez seul !

Et ils pouffèrent tous les deux de rires devant ce serment absurde, qui était plus une promesse, et Callum laissa ces mots réchauffer son cœur si triste de quitter son amie.

Lorsque le clocher sonna quatre heures du matin, ils décidèrent que la soirée se terminait assez tardivement à leur goût , ils rentrèrent au dortoir pour leur dernière nuit ensemble.

Quelques heures plus tard, le soleil pointait à l’horizon. Les lueurs orangées, roses, jaunes et violettes traversaient le ciel d’un noir d’encre. Peu à peu, le jour se levait, et il fut bientôt l’heure pour Callum de rejoindre le hall de la Guilde, le point de départ de sa mission, et pour Lyana de retrouver Alis dans la cour intérieure pour commencer leur entraînement.

Ils remontèrent sur la crête où ils avaient été la veille. Mais cette fois, l’entraînement fut beaucoup plus ardu : sautant d’un poteau de bois profondément planté dans le sol à un autre, courant plusieurs kilomètres en compagnie d’Alis, et le frappant de toutes ses forces, elle avait du mal à comprendre comment un vieillard parvenait à être aussi souple, rapide et fort alors qu’elle parvenait à peine à tenir la cadence. Elle comprenait maintenant pourquoi le commandant parlait de méthodes strictes.

Quand le soleil atteint le centre des cieux et qu’Alis déclara que l’entraînement était terminé, Lyana était étendue sur le sol, et tout son corps lui faisait mal. Elle peinait à se relever, alors qu’Alis était en équilibre sur un pied au sommet d’un des poteaux de bois.

Elle le salua brièvement avant de descendre tant bien que mal vers la ville, tous ses muscles endoloris. Malgré la douleur, la joie dans son âme reflétait son bonheur de reprendre des exercices physiques qui exigeaient d’elle toute sa concentration.

En traversant la rue principale, elle s’arrêta dans l’auberge où elle avait pris un petit-déjeuner cinq jours plus tôt, en face du restaurant où elle et Callum avaient mangé la nuit passée. Nostalgiquement, elle se demanda où était son ami à présent et se rendit compte qu’il ne lui avait donné aucun détail concernant la mission qu’il accomplirait.

Lyana commanda de quoi déjeuner, et emporta le petit paquet rond avec elle.

Tout à coup, elle eut un mauvais pressentiment. Que faisait Callum ? Et si la mission qui lui avait été assignée était une mission-suicide, comme celle qu’avait dut accomplir la Lyana du passé ? Et si…

Et si on lui avait assigné une mission dangereuse en rapport avec l’accident qui avait tué sa famille ?

Soudain soucieuse du sort de Callum. Lyana se mit à courir malgré ses muscles douloureux. Elle devait consulter les missions en cours. Mina devrait pouvoir l’aider sur ce point-là.

Elle monta quatre à quatre les marches et pénétra dans le hall de la Guilde.

Contrairement à la première fois qu’elle y était entrée, il n’y avait qu’une dizaine de personnes venues déposer des missions. Lyana fit rapidement la queue pour parler à Mina.

_ Bonjour, que puis-je pour v… Oh, Lyana !

_ Salut Mina. Est-ce que tu pourrais m’aider ? J’ai un service à te demander .

Elle lui expliqua rapidement la situation.

_ En gros, j’aurais besoin de savoir quelle mission a été adressée à Callum.

_ Très bien, je vais voir ce que je peux faire pour toi. Normalement, il est possible de consulter ce genre de données.

_ Merci beaucoup Mina ! – dit-elle, reconnaissante.

Mina sourit et Lyana s’en fut, laissant la jeune femme faire son travail. Le grattement de sa plume sur le papier reprit.

Elle monta les marches menant au dortoir, vide à présent. Sans Callum, ses soirées lui paraîtront si moroses… Remarque… Elle serait trop occupée à alterner entre ses recherches, l’entraînement et sa préparation pour l’examen pour se rendre compte de l’absence de son ami.

Pendant qu’elle déballait le contenu du paquet, Lyana décida de commencer la lecture de l’épais livre à la couverture de cuir qu’Alis lui avait prêté : le Guide des Aventuriers. Peut-être la lecture l’aiderait à apaiser un peu son inquiétude pour Callum et les pensées stressantes qui l’envahissaient.

Elle ouvrit l’ouvrage sur le bureau et commença sa lecture en mordant à pleines dents dans un morceau de pain.

« Guide de l’aventurier

Par Indy Riesgo

INTRODUCTION

On a longtemps porté des regards accusateurs sur ce projet. J’ai entendu des centaines de fois des : « Tu crois que les aventuriers ne savent pas ce qu’ils font ? » et des « Jamais personne ne voudra lire un livre pareil ! ». Mais le fait est que, pour une vieille personne comme moi, qui plus est une aventurière retraitée, il est important de transmettre son savoir à la prochaine génération, pour leur épargner de faire les mêmes erreurs et leur permettre d’atteindre plus vite leurs objectifs. Etant donné que je n’ai jamais eu d’enfant (et je n’en ai jamais voulu, mon choix ne suscite aucun regret), j’ai décidé de mettre tout le savoir que j’ai acquis au cours de dizaines d’années de dur labeur, de tout consigner dans ce manuscrit. Et si jamais personne ne désire le lire, cela ne me pose aucun problème, puisque je serais probablement déjà morte quand ce livre verra le jour aux yeux du reste du monde.

Tout ça pour dire que je vous souhaite une bonne lecture et un bon apprentissage, mes futurs petits aventuriers !

Indy Riego

PARTIE I :

Géographie de l’Asgjë

CHAPITRE 1 : Région Centrale

Notre merveilleux continent se nomme « Asgjë », qui signifie « néant » (pour mieux comprendre l’histoire de e nom, reportez-vous à la Partie II : Histoire, ou au premier tome du Livre des Légendes, consacré à la ville de Nechssek et aux origines du monde). Il est divisé en cinq régions principales, elles-mêmes divisées en plusieurs sous-régions, qui sont peu connues. Les cinq régions principales sont : le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest et la Région Centrale.

La Région Centrale est la plus importante des cinq, car c’est là où se localisent les capitales des quatre autres régions. Chaque région est associée à une divinité supérieure, une puissance élémentaire. La ville de Tiliinhamé, capitale du Nord, est associée à la Dame des Eaux. Nechssek, capitale de l’Ouest, porte l’étendard de Mère Terre. Sourrayin, capitale du Sud, voue un culte au Maître des Flammes, tandis que Lénya, capitale de l’Est, suit les directives du Sage des Vents.

(Pour plus de détails, voir plus loin.)

Mentionnées plus tôt, les sous-régions sont également très importantes. Dans la Région Centrale, chacune d’elles entoure une des capitales, et leurs contours sont définis par le paysage naturel, qui s’apparente à celui de la région dont la ville qu’il entoure est la capitale. Par exemple, autour de Tiliinhamé, les fleuves et les rivières s’entremêlent en motifs compliqués. Autour de Nechssek, les pics déchiquetés des montagnes tentent d’attraper le soleil lorsqu’il chute derrière leurs dents acérées. Lénya est localisée dans une lande, ouverte à tous les vents, et les habitants de la région utilisent ce paysage plat pour cultiver le riz, le blé et le maïs. La sous-région qui entoure Sourrayin est souvent considérée la plus hostile, pourtant la végétation n’est pas rare, et elle est caractérisée par des bouquets de fleurs écarlates. Grâce au feu, les habitants sont devenus maîtres dans l’art des forgerons. La jonction des quatre frontières invisibles est connue comme le point central ou l’Oasis du Néant. En ce lieu quelque peu magique, ce sont les quatre divinités qui entrent en harmonie. Il y a été construit un sanctuaire, et c’est aujourd’hui un lieu sacré, où il est coutume de se réunir quatre fois par siècle, soit tous les vingt-cinq ans, en pèlerinage.

Voilà ce qu’il en est des caractéristiques générales de la Région Centrale. Il est souvent demandé aux aventuriers de bas et moyen rang de fournir une escorte à des marchands qui voyagent d’une ville à l’autre, donc les lignes qui suivent pourront être très utiles à ces derniers.

La ville de Tiliinhamé, aussi connue sous le nom de Capitale du Nord ou de cité des Eaux, se situe dans la sous-région qui lui correspond, au nord-ouest du point-central. Là-bas, l’Ordre d’Illonius est chargé de faire régner l’ordre. Les Chevaliers de cette organisation sont chargés de protéger la ville et la Région Nord, et ils sont répartis un peu partout dans la région, mais ils sont basés à Tiliinhamé. La ville est construite sur une île au centre d’un immense lac d’eau cristalline. Surplombant toute la ville, on peut apercevoir la magnifique statue de marbre de la Dame des Eaux, qui a mis plusieurs années à être construite.

Nechssek, elle, est nichée dans une cuvette montagneuse. Tout autour des murailles qui protègent la ville, des terrasses permettent l’irrigation des terres qui permet l’agriculture dans ce territoire montagneux. Réputés pour leurs talents culinaires et l’ambiance festive qu’ils font régner dans les rues, les habitants sont pourtant très assidus et efficaces. Si jamais vous avez la chance de voir les festivités en l’honneur de Mère Terre, profitez-en ! Elles n’ont lieu qu’une fois par an et sont connues comme une des meilleures fêtes dans tout l’Asgjë. »

Avant de pouvoir lire la partie sur Lénya et Sourrayin, Lyana avait fini de manger et une heure de l’après-midi avait déjà sonné. En retard, elle se dépêcha de passer sous la douche et de prendre ses affaires. Elle partit au pas de course vers la salle des archives, où Kawa et les autres l’attendaient.

_ Bonjour ! Désolée pour le retard, dit-elle en saluant les gardes. On peut entrer ?

L’un d’eux acquiesça et ouvrit les portes pour laisser passer Lyana, Kawa et son collègue. Celui-ci s’empressa d’allumer les bougies qui illuminaient la pièce pour qu’ils puissent y voir plus clair. Sur la table où ils s’étaient assis la veille, la pile de documents n’avait pas bougé. Kawa retourna le sablier et les grains de sable commencèrent à s’égrainer. Leurs recherches reprirent. Les heures continuèrent de s’écouler sans qu’il n’y ait aucune avancée dans le projet.

_ Cette fois sera la bonne ! – lançait Kawa à chaque nouveau parchemin qu’il déroulait. Et chaque fois, il l’enroulait après l’avoir parcouru, avec une mine exaspérée. Et puis il recommençait.

Lyana, elle, s’efforçait de lire en silence. Plus la pile de documents diminuait, plus elle désespérait d’y trouver son nom et celui des autres membres de l’expédition.

Vint un moment où elle ne put s’empêcher de vérifier le sablier plusieurs fois dans la même minute. Lyana et Kawa commençaient à s’impatienter.

Lorsque quatre heures furent passées, elle déclara :

_ Je vais faire une pause. Tu viens Kawa ?

_ Non, je reste encore un peu. Je te rejoindrais après.

Elle haussa les épaules et quitta la salle des archives d’un pas las. Lyana remonta les escaliers jusqu’au hall de la Guilde. Là, elle choisit des marches au hasard et laissa ses jambes la mener n’importe où, sans trop réfléchir à la destination. Quelques minutes plus tard, elle pénétra dans un grenier et ouvrit une trappe dans le toit. Puis elle sortit à l’extérieur.

L’air frais lui fit du bien. Au ras du sol, la légère brise soulevait des nuages de poussière épars, mais en hauteur, sur le toit de la Guilde en l’occurrence, le vent était aussi pur et frais qu’à Tiliinhamé. La douce chaleur du soleil sur sa peau, le bruissement des feuilles des plantations, le murmure du ruisseau, tout ça l’aidait à s’ancrer dans le monde. A échapper, quelques minutes au moins, à ce frustrant désir de découvrir quelque chose, ce sentiment déroutant d’avoir cette chose à portée de main, mais d’être incapable de la saisir, ni de savoir de quoi il s’agit. Lyana est à deux doigts de découvrir quelque chose de crucial, elle le sait ; elle le sent. Au plus profond de son âme.

Mais pour le moment, elle se sent incapable de retourner dans la salle des archives, sombre et froide. Elle préfère rester encore un peu ici, à l’air libre. Respirer un peu. Prendre une grande inspiration libératrice pour renouveler l’air de ses poumons une bonne fois pour toutes, puis retourner à la lecture de vieux documents.

Elle ferma les yeux un instant, s’abandonna à la douce chaleur qui l’enveloppait peu à peu…

*

_ Lyana ! Lyana Terrin ! Où êtes-vous !

Une voix crie son nom.

« Lyana… »

Elle crie son nom dans l’obscurité. Elle le crie si fort…

_ Bon sang ! Où peut-elle bien se cacher…

Ah, cette voix veut savoir où elle est ? Très bonne question.

« Où suis-je ? »

D’un coup, elle ouvre les yeux.

Le soleil frappe fort, elle est aveuglée pendant quelques instants par sa lumière éblouissante.

Puis elle voit. Elle voit et elle comprend

_ Par ici ! Je suis sur le toit !

Lyana se releva lentement. Au-dessus de sa tête, le ciel est parsemé de nuages. Le sol de pierre est dur, et tout son corps lui fait mal sous l’assaut constant des courbatures.

_ Ah, vous êtes là Lyana ! – dit la voix.

Elle lève les yeux. Derrière elle se tient un collègue de Kawa, les mains sur les genoux pour reprendre son souffle. Lyana se redressa. Elle réalisa qu’elle avait dû s’endormir sur le toit, et le contact de la pierre froide s’écartant de son corps fut pour elle comme une bénédiction.

_ Vous me cherchiez ? – demanda-t-elle au garde.

_ Oui… Kawa m’a dépêché auprès de vous… Il… il a fait une découverte…

_ Quoi ?! Kawa a trouvé quelque chose ?!

Sans attendre la réponse du garde, Lyana sauta dans le trou que formait la trappe ouverte, atterrit dans le grenier et ouvrit la porte en haletant. Elle s’élança dans le dédale de couloirs de la Guilde, en direction de la salle des archives.

Elle n’en revenait pas : Kawa avait trouvé ce qu’ils cherchaient ! Elle regretta amèrement de ne pas être restée auprès du garde, elle aurait pu prendre part à la découverte… Mais bon, cela n’avait plus d’importance maintenant : elle allait savoir. Enfin quelque chose pourrait apporter les réponses dont elle était si avide.

Elle dévala les marches qui menaient au sous-sol et passa en coup de vent dans le couloir illuminé de torches. Elle bouscula les gardes qui gardaient l’entrée (et ne manqua pas de s’excuser rapidement) et débarqua en trombe dans la salle des archives, celui qui l’avait averti loin derrière elle, sans doute toujours sur le toit à récupérer de sa course effrénée.

_ Alors, Kawa ? On m’a dit que tu avais trouvé quelque chose ?

Elle s’approcha du garde, qui lui tournait le dos, prostré sur un rouleau de parchemin. Par-dessus son épaule, elle put lire, notés dans une écriture bien nette, les noms :

« Lyana Terrin

Ayden Terrin »

Et à quelques lignes d’intervalle, les noms de tous les autres membres de l’expédition.

Une immense vague de soulagement, de joie, d’excitation traversa Lyana. Ils avaient trouvé ! Son nom était là, écrit noir sur blanc !

Elle regarda Kawa, l’allégresse peinte sur le visage.

Mais à la mine grave de celui-ci, ce fut l’inquiétude qui prit le dessus.

_ Qu’est-ce qu’il y a ? – demanda-t-elle, sur ses gardes.

Il se contenta de balancer la tête de droite à gauche, de la pitié dans les yeux, résigné.

Elle scruta les yeux de Kawa, confuse.

Puis elle comprit.

_ Kawa… De quand date ce parchemin ?

Elle se crispa, dans l’attente de son sort. Le garde cessa de hocher la tête et de fuir son regard. Il se mordit la lèvre inférieure et balbutia :

_ D’avant la reconstitution de la Guilde…

Pas assez précis. Lyana se raccrocha au mince fil d’espoir qu’il lui restait encore. Elle arracha le parchemin des mains et regarda la date inscrite tout en haut de la liste.

La vérité la frappa comme la foudre ; et ce choc fut sans doute aussi douloureux que si elle avait été électrocutée. Peut-être même plus.

Mais les faits étaient là, sous ses yeux, les preuves étaient irréfutables.

Elle n’avait pas dormi quelques jours, des semaines, des mois.

Non.

Lyana Terrin s’était endormie pour ne se réveiller que longtemps plus tard, sans aucun souvenir d’elle-même.

Pour ne se réveiller que…

… 100 ans plus tard.

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