Chapitre V : Disparition en Brysie

L’aube pointait à peine et une dizaine de gardes du palais étaient déjà rassemblés dans la cour de la caserne prêts au départ. Aydan n’avait que peu dormi et se remettait difficilement de la soirée un peu trop arrosée de la veille. Luke et lui avaient été réveillés en pleine nuit pour participer à une mission spéciale sans en savoir plus. Il était frigorifié et pensait avec jalousie à Liam qui était rentré tard dans la nuit et n’avait même pas été réveillé par le boucan qu’ils avaient fait en se préparant à la hâte. Au bout d’une dizaine de minutes, un capitaine de la garde vint les rejoindre et leur fit un bref compte-rendu :

— Messieurs, vous avez été choisis pour participer à cette mission, soyez en fiers ! L’objectif est de se rendre dans la ville de Brys pour enquêter sur la disparition de deux des nôtres. Bien évidemment, vous n’êtes pas sans savoir que cette ville se trouve dans le territoire de Dérios. C’est pourquoi j’attends de vous avant tout de la discrétion. Pas de tenue officielle, pas de signe distinctif, rien ne doit pouvoir vous relier à Spyr.

L’homme énonça encore quelques règles, puis le groupe se mit en route. On leur avait fourni des chevaux pour leur escapade, ce qui leur permit de rejoindre rapidement la frontière nord en profitant du réseau de relais de poste de l’empire. Une fois entré dans le royaume de Dérios, il n’était plus possible de changer de monture. De là, il leur fallut moins d’une journée pour rejoindre Brys. C’était une ville de grande taille située à proximité de l’Ydra, une rivière puissante qui venait marquer la séparation entre les deux pays. Elle était réputée pour ses forêts de chênes et son calme reposant, mais surtout pour la dispute frontalière qu’elle entraînait entre Dérios et Spyr depuis des années. La Brysie était une région qui avait vu de nombreuses guerres par le passé et si Dérios en contrôlait le chef-lieu, le sud de la région était encore revendiqué par Spyr.

Cela n’empêcha nullement Aydan de s’émerveiller devant les forêts majestueuses et la végétation luxuriante de la région. Dès qu'ils arrivèrent à proximité du village, un campement de fortune fut dressé dans une clairière et ils se séparèrent en petit groupe pour investiguer la ville. Aydan emprunta avec Luke le chemin en direction du marché pour essayer d’y glaner des informations.

— Toi qui espérais te la couler douce, te voilà déjà en mission, dit Luke en plaisantant.

Ils ne s’étaient pas beaucoup parlé depuis le départ de Spyr. Il faut dire qu’il régnait une ambiance pesante au sein du groupe. Les hommes étaient tendus et le capitaine lui-même ne semblait pas vraiment sûr de la raison de leur présence ici.

— Rigole, mais en attendant, tu es dans le même bateau. Au moins, tu dois être satisfait, toi qui voulais voyager, répondit Aydan.

— Je sais, cela m’amuse juste de voir ta mine dépitée depuis notre départ.

— Dépêchons-nous d’en finir et l’on sera vite de retour. Crois-moi tous les soirs, je rêve de mon lit qui m’attend bien sagement à Spyr.

— Mouais, n’empêche, ils ne craignent pas de déclencher une crise diplomatique. Dit-il en changeant de sujet. Pourquoi n’ont-ils pas demandé directement à Dérios d’enquêter plutôt que de nous envoyer ici sans rien dire ?

— Ils doivent se méfier des hommes de Dérios, j’imagine. Raison de plus pour ne pas traîner ici. 

Ils arrivèrent sur la place du village et commencèrent à interroger les villageois sur des récentes disparitions et s’ils avaient aperçu des hommes de Spyr de passage dans la région. Malgré toutes leurs tentatives, ils n’obtinrent que des réponses négatives ou approximatives et sans intérêt. Aydan sentit qu’ils commençaient à attirer l’attention et ils quittèrent la place pour des quartiers moins fréquentés. Après avoir fait le tour de quelques habitations sans grand succès, ils prirent la direction du campement. Leur sortie était un échec complet et ils n’avaient pu glaner aucune information utile pour leur enquête. Sur le chemin du retour, ils aperçurent une cabane de bûcheron légèrement à l’écart du village et décidèrent de tenter une dernière fois leur chance. Un vieil homme était assis sur un banc en bois adossé contre un mur. Il leur jeta un regard inquiet lorsque Aydan et Luke s’approchèrent.

— Bonjour, l’on recherche deux personnes, peut-être savez-vous quelque chose à leur sujet ? Demanda Luke.

— Je vous écoute.

— Il s’agit de deux hommes en armes portant une cape rouge et un casque à plume ? Cela ne vous dit rien ?

L’homme sembla hésiter un instant avant de répondre et jeta un rapide coup d’œil derrière lui.

— Vous… Vous n’êtes pas les premiers à m’avoir demandé ça aujourd’hui. Deux hommes sont passés plus tôt dans la journée et m’ont donné à peu près la même description. Je leur ai indiqué la direction d’un vieux vignoble en ruine tout près d’ici. Je ne sais pas si vous y trouverez quoi que ce soit, mais en général, c’est là où les types louches du village préparent leurs sales coups.

— Deux hommes comme nous ?

— Ho oui, oui ! Ils avaient l’air assez pressés et ne se sont pas attardés davantage.

Aydan crut apercevoir du mouvement à l’intérieur de la cabane.

— Et vous vivez seuls dans cette cabane ? Demanda-t-il.

— Malheureusement, oui, ma femme m’a quitté l’hiver dernier. J’ai un chien qui me tient compagnie. Il n’est pas très actif, ce paresseux passe le plus clair de son temps à dormir.

— Je vois, l’on ne va pas vous déranger plus longtemps dans ce cas. Où se trouve le vignoble ?

L’homme leur indiqua la direction du vignoble et ils le remercièrent avant de se remettre en route.

— Alors qu’en penses-tu ? Demanda Luke.

— Je ne sais pas, il avait l'air un peu mal à l'aise. Je propose d’aller y jeter un œil. Ça nous évitera peut-être de rentrer bredouille, qui sait ?

— Très bien, allons-y dans ce cas.

En suivant la direction que leur avait indiquée le vieux bûcheron, il ne leur fallut que quelques minutes de marche avant de rejoindre le vignoble. Celui-ci était en ruine, les cultures étaient ravagées par les insectes et plusieurs poutres en bois du bâtiment étaient pourries et pouvaient s’effondrer à tout instant. Aydan et Luke firent une brève inspection aux alentours avant de pénétrer à l’intérieur. L’endroit était désert et ils passèrent quelques minutes à fouiller chaque recoin sans succès.

— Il n’y a rien ici, c’est une perte de temps, dit Luke.

— Attends, il reste une dernière chose que je voudrais faire.

Aydan se dirigea vers une cuve en céramique et l’inclina légèrement. Du vin en déborda et il y plongea sa gourde pour la remplir.

— Vraiment ?

— Il n’y a pas de raison de gâcher ça, répondit-il. Et personne ne le saura.

— Le capitaine te tuera s’il l’apprend.

— C’est pourquoi je compte sur toi pour garder le secret, dit Aydan en souriant, l’air complice.

Luke soupira, avant de se diriger à son tour vers une grande cuve en bois. C’est là-dedans que les anciens travailleurs devaient fouler le raisin afin d’en obtenir le jus. La cuve était remplie de raisins à moitié écrasés baignant dans un liquide rougeâtre et une odeur nauséabonde s’en échappait. Luke eut un haut-le-cœur et s’écarta brusquement.

— Attends ! Cria-t-il.

Aydan qui s’apprêtait à boire s’arrêta net et lui jeta un regard interrogateur. Luke renversa alors le contenu de la cuve sur le côté et un corps s’en échappa. Aydan, surpris, laissa tomber sa gourde par terre et inspecta l'intérieur de la cuve. Avec horreur, il vit quelque chose en dépasser, c’était un visage humain à moitié décharné et dont les yeux avaient comme fondus dans le liquide. Il renversa sa cuve avec dégoût en réalisant qu'il avait failli boire cette immondice et un second corps glissa hors de la cuve. Tous deux se mirent alors à inspecter les autres cuves une à une et ils trouvèrent un dernier cadavre qu’ils ramenèrent au centre de la pièce. Trois personnes au total. Deux d’entre elles avaient encore des morceaux de leurs tenues et ils reconnurent tout de suite les capes et les armures de la garde. En ce qui concerne la dernière, en revanche, c’était plus compliqué. Le corps avait été entièrement brûlé et il ne restait que des lambeaux de tissus ayant pour partie fusionné avec une peau carbonisée. C’est comme si l’on s’était acharné sur lui en priorité.

— Je pense qu’on les a trouvés, commenta Aydan en réprimant un haut-le-cœur.

— En effet, mais qui est le troisième ?

— Aucune idée, rentrons au campement et informons le capitaine. L’on viendra les récupérer plus tard.

— Tu comptes les laisser comme ça ? Il ne vaudrait pas mieux les dissimuler ?

Aydan acquiesça. Ils trouvèrent une cuve vide dans laquelle ils y placèrent les trois corps puis sortirent du bâtiment.

La nuit commençait à tomber lorsqu’ils arrivèrent au campement et une légère pluie s’était mise à les harceler sur leur trajet. Tous les soldats étaient là et s’affairaient à préparer le repas du soir. Aydan et Luke allèrent directement trouver le capitaine qui discutait de la suite des opérations ainsi que des zones du village qu’ils devaient encore explorer.

— Mon capitaine ! Nous les avons retrouvés, annonça Aydan.

— Vraiment ? Où sont-ils ?

— Ils sont morts, on a trouvé leurs corps dans un vignoble en ruine non loin d’ici, compléta Luke.

— Je vois, c’est ce que je craignais. Vous pouvez nous y emmener ?

Ils hochèrent la tête tous les deux à l'unisson. 

Le capitaine laissa une demi-douzaine de soldats pour monter la Garde puis les suivit au travers de la végétation. La pluie devenait de plus en plus forte alors que le groupe se dirigeait vers le vignoble. Ils arrivèrent en vue de la bâtisse et Aydan les dirigea jusqu’à l’endroit où se trouvaient les corps. Il souleva le couvercle en bois et découvrit avec stupeur que la cuve était vide.

— Je ne comprends pas, on les avait mis ici avant de partir !

— Tu en es sûr ?

— Certains !

Le capitaine donna l’ordre aux hommes de fouiller le bâtiment, mais ce dernier était vide. En observant l’extérieur, l’un des soldats remarqua des traces de pas dans la boue qui se dirigeait vers la forêt.

— Il n’y a rien ici, quelqu’un a dû passer les récupérer avant nous, énonça le capitaine.

— Qui ? Des hommes de Dérios ! S’exclama Aydan.

— Je l’ignore, mais l’on peut encore le découvrir.

Le groupe se mit à remonter les traces qui s’enfonçaient dans les bois. Or, chercher dans l’obscurité sans torche et avec la pluie qui redoublait d’intensité était chose ardue. Ils finirent donc par perdre leur piste et durent continuer les recherches à l’aveuglette. Alors qu’ils étaient sur le point de renoncer, ils aperçurent une grande cabane à l’orée de la forêt.

— C’est la cabane du bûcheron qui nous a indiqué le vignoble, expliqua Luke. Peut-être a-t-il aperçu ceux qui ont volé les corps ?

— Ou bien peut-être est-il celui qui est allé les chercher, répondit le capitaine.

D’un signe de la main, il ordonna à ses hommes d’encercler la bâtisse, tandis qu’avec Aydan et Luke, ils s’approchèrent et toquèrent à la porte. L’homme de tout à l’heure vint leur ouvrir, dévoilant une petite pièce dans laquelle se trouvait une table, un lit et tout le rudiment nécessaire pour y vivre.

— Encore vous ? Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? Demanda-t-il en reconnaissant les deux gardes.

— Pas vraiment, répondit Aydan. L’on a été surpris par l’averse.

— Je sais que cela n’est pas très courtois, mais accepteriez-vous d’offrir le refuge à trois hommes en peine ? Commença le capitaine. Notre campement est encore loin et avec ce fichu temps, pas moyen de retrouver son chemin.

Le bûcheron hésita un instant, mais finit par céder devant l’insistance des gardes.

— Je vous en prie.

Ils pénétrèrent à l’intérieur et se mirent aussitôt à inspecter les lieux du regard.

— Et donc vous vivez seuls ici ? Interrogea le capitaine. Et malgré votre âge, vous êtes bûcheron.

— Oui, j’ai vu de nombreux printemps. Fort heureusement, des jeunes gens de Brys viennent souvent m’apporter leur aide.

— Vous n’aviez pas dit que vous aviez un chien ? Ajouta Luke.

— Ho oui, bien sûr, ce bon à rien a profité de la pluie pour aller courir dans les bois. Il adore se rouler dans la boue, vous savez.

La tension était palpable et Aydan ne pouvait s’empêcher de serrer le manche de son épée en même temps qu’il observait la pièce. Il remarqua alors des traces de boue dans un coin près du lit et en profita pour demander :

— Vous êtes sorti récemment ?

— Oui, j’étais parti aller fendre quelques bûches, et j’ai également été surpris par l’averse. Écoutez, je suis désolé de ne pas pouvoir plus vous aider, mais je ne sais vraiment pas où sont ceux que vous recherchez.

Ils cherchèrent encore quelques minutes sans rien trouver. Comme l’averse s’était arrêtée, le capitaine se dirigea alors vers la sortie et déclara :

— Je vous remercie pour votre aide, grâce à vous, nous ne serons pas trempés jusqu’aux os. Encore désolé de vous avoir importuné.

Aydan allait lui emboîter le pas lorsqu’il remarqua que trois tasses étaient posées sur un plateau dans un coin de la pièce.

— Une dernière chose, vous n’aviez pas dit que deux autres personnes étaient à leur recherche ?

— C’est exact, ils m’ont posé les mêmes questions.

Aydan s’approcha des tasses et sentit qu’elles étaient encore tièdes.

— Et comment étaient-ils ? S’enquit Luke.

— Ho, euh, je n’ai pas vraiment prêté attention à leur allure, bredouilla-t-il. Ils avaient de longues capes comme vous.

Aydan s’approcha des traces de boue près du lit et entreprit de frapper du pied le parquet en bois. Il lui sembla qu’il raisonnait creux.

— Et ces soldats, vous ont-ils dit pourquoi ils les recherchaient ?

— Hum… C’est-à-dire que…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’une trappe s’ouvrit dans le sol et qu’un homme en sortit, glaive à la main. Il portait une longue cape noire et surtout une armure de bronze avec une large épaulette. Il tenta d’abattre sa lame sur Luke qui para le coup in extremis. Un second sortit alors de la trappe et fonça vers la sortie. Après un bref échange de lames, le capitaine réussit à désarmer l’individu et Luke le plaqua au sol. De son côté, Aydan gardait le bûcheron sous sa lame. Des cris provenant de l’extérieur lui firent comprendre que le fuyard avait également été arrêté. Les gardes postés dans la forêt accoururent et attachèrent les deux hommes. Ils fouillèrent alors la cave et y trouvèrent les cadavres de tout à l’heure. Après avoir fait le tour, le capitaine leur demanda :

— Qui êtes-vous et pourquoi avez-vous volé les corps ?

— Relâchez-nous, vous êtes en train de commettre une grossière erreur, lui répliqua l’un des deux hommes.

— Ça ne répond pas à ma question ?

— Qui vous envoie ? Pyra elle-même ? Ça ne sert à rien, nous ne vous dirons rien.

Le capitaine frappa l’homme au visage et se tourna vers ses soldats.

— Embarquez-les, on les interrogera à Spyr.

Il jeta ensuite un coup d’œil au bûcheron resté silencieux durant tout ce temps.

— Pourquoi nous avoir menti, vieil homme ?

— Ils m’ont fait promettre de ne rien vous dire et je leur avais donné ma parole.

— Ils t’ont acheté, tu veux dire, dit-il en désignant une bourse que l’homme tentait tant bien que mal de dissimuler sous sa tunique. Je me disais bien que cette maison était trop spacieuse pour un vieillard solitaire. Depuis combien de temps œuvres-tu avec eux ?

— Je ne les connais pas, l’implora le vieil homme. Ils m’ont simplement proposé de l’argent, et vous savez comme les temps sont durs en Brysie. Je vous en prie…

Aydan sortit de la cabane avec les derniers gardes en transportant les prisonniers et les corps à l’extérieur. Il entendit un bruit métallique et le son lourd d’un corps heurtant le sol. Quelques secondes plus tard, le capitaine sortit en rengainant son glaive et ils prirent la direction de leur campement. Le chemin était boueux et les prisonniers se débattaient souvent, ce qui compliqua leur retour. Une fois arrivé à destination, le capitaine donna immédiatement l’ordre de partir alors que l’on était au beau milieu de la nuit. Un soldat lui demanda ce qu’il fallait faire des corps et il sembla hésiter.

— On ramène les nôtres à Spyr, ils méritent une cérémonie en bonne forme. Pour ce qui est du troisième corps, enterrez-le ici. Nous n’avons pas la place de tous les emporter de toute façon.

Un trou fut creusé à la va-vite et l’on y déposa le cadavre entièrement brûlé. Les hommes levèrent le camp en vitesse et les chevaux filèrent à toute allure au travers de la nuit.

 

 

 

 

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Talharr
Posté le 14/07/2025
J'aime beaucoup suivre Aydan avec ses camarades, en l'occurence Luke.
Le chapitre se lit rapidement, avec les informations nécessaires. On se doute bien que le vieil homme n'avait pas dit la vérité dès le départ et sa mort sans que l'on sache qui sont réellement les hommes arrêtés...

Les petits retours, comme d'habitude :) :

"Ils hochèrent la tête tous les deux en cœur" -- peut-être mettre "Tous deux hochèrent la tête en cœur."

"Et malgré votre âge, vous êtes bcheron" -- juste le "u" qui a disparu .

"de serrer la manche de son épée en même temps qu’il observait la pièce" -- "le manche"

Voilà sinon j'ai trouvé que le tout était très fluide :)

A la suite.
Scribilix
Posté le 15/07/2025
Merci beaucoup, j'apporte les corrections nécéssaires :)
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