Tanwen reprit doucement connaissance. Elle se trouvait bâillonnée et accrochée sur une chaise dans une pièce plutôt bien meublée. Son esprit était embrumé et l’arrière de son crâne la faisait atrocement souffrir. Elle ignorait complètement où elle se trouvait, mais les bruits provenant de l’extérieur lui étaient familiers. Je suis encore à Dérios, pensa-t-elle. Elle essaya de se débattre et de dénouer les nœuds qui l’entravaient, en vain. Le boucan qu’elle fit dans sa tentative attira l’attention des gardes et deux hommes entrèrent dans la pièce.
— On est réveillée à ce que je vois ?
Pour toute réponse, Tanwen se contenta d’émettre une suite de plaintes étouffées. L’un des deux hommes s’assit à califourchon sur une chaise en face d’elle.
— Je vais être très bref, je n’aurais qu’une seule question pour toi. Je vais t’enlever le bâillon à condition que tu ne fasses rien de stupide. Compris ?
Tanwen hocha la tête. Il sortit alors une dague et d’un geste vif trancha le bâillon. Pouvant de nouveau s’exprimer, elle lui déversa une pluie d’insultes en le qualifiant de tous les noms.
— C’est bon, tu es calmée ? Demanda-t-il au bout d’un moment.
Il n’avait pas bougé d’un poil pendant qu’elle avait déversé sa rage sur lui. Tanwen les avait reconnus, il s’agissait des soldats contre lesquels elle s’était battue dans l’échoppe. Elle eut un léger sourire lorsqu’elle aperçut la blessure à l’épaule du second homme.
— Qui êtes-vous et que me voulez-vous ? Répondit-elle en leur jetant des regards noirs.
— Non, toi d’abord, tu vas nous répondre. Où as-tu trouvé cela ?
Il lui lança une broche sur les genoux. C’était celle qu’elle avait dérobée durant son escapade nocturne avec Finn.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez.
— Ne joue pas à ça, elle est tombée de ta poche tout à l’heure.
— C’est un cadeau d’enfance, je la garde toujours sur moi.
L’homme soupira.
— Ça va être plus long que ce que je pensais. Écoute, si tu étais vraiment un membre des Brûlés, tu ne nous aurais pas attaqués à vue dans l’échoppe. Donc je reformule ma question, à qui l’as-tu volé ?
— Bon d’accord, je l’ai dérobé dans une villa.
— Et à qui appartenait-elle ?
— Qu’est-ce que j’en sais ? Vous croyez que je retiens les noms de tous ceux à qui j’ai volé quelque chose ?
Le deuxième homme commençait à s’impatienter.
— Bon, ça suffit, si tu ne veux pas parler, l’on va t’y forcer, dit-il en se rapprochant.
— Attends Minos ! L'arrêta son collègue en lui attrapant le bras.
— Vous pouvez me menacer autant que vous voudrez, ça ne sert à rien. De toute façon, après ce que vous avez fait, Lucio vous retrouvera et il vous fera bien pire. Répondit Tanwen en laissant échapper un sourire amer.
— Lucio ?
— Le chef des Kléptars et accessoirement celui du type que vous avez embroché dans l’échoppe. Mais d’où venez-vous ? Il n’y a pas une personne qui ne le connaisse pas, au moins de nom, à Dérios.
— Bon, je crois que j’aurais dû commencer par les présentations.
— Tu en es sûr, demanda le deuxième, comment savoir si on peut lui faire confiance.
— J’en prends le risque, rétorqua-t-il. Je m’appelle Kléo et le type derrière moi qui veut te tuer depuis tout à l’heure, c’est Minos. Nous faisons tous deux partie de l’Ordre des Brûlés.
— Jamais entendu parler, pourtant vous ne m’avez pas l’air si rouge que ça.
— Très drôle. Pour ta gouverne, sache que notre ordre est très ancien. Il fut fondé par les rescapés de Novi-Fyr il y a des siècles de cela.
Tanwen essayait de se remémorer ses quelques connaissances en religion que lui avait dispensées tante Marta, mais c’était il y a fort longtemps maintenant.
— Et donc, en quoi consiste-t-il au juste ? Êtes-vous des preux guerriers inébranlables face à la mort et à l’adversité au point de venir défier Lucio sur ses terres ? Dit-elle avec sarcasme.
— Tu perds ton temps, Kléo. L’on ne peut pas raisonner avec des vauriens, ils n’ont d’intérêt que pour l’argent.
Tanwen lui fit une grimace. Son air droit et supérieur l’irritait et ne venait que confirmer la première impression qu’elle avait eue de lui plus tôt dans l’échoppe.
— Pour faire simple, commença Kléo sans relever la pique, lorsque l’incendie ravagea Aurora, certains survivants décidèrent de partir à la recherche d’Ignis dans l’intention de le faire payer. Ils prirent le nom des Brûlés en mémoire des victimes de l’incendie et le traquèrent sans relâche jusqu’aux confins du monde. Avec le temps, le groupe finit par perdre sa trace quelque part à l’Est. Certains s’en retournèrent à Elanor et d’autres fondèrent des colonies sur ces terres. Avant de se séparer, tous jurèrent de se réunir de nouveau s’ils croisaient la trace d’Ignis. La plupart d’entre nous se rapprochèrent du culte de Pyrel et ceux qui restèrent commencèrent à propager leur foi dans les terres sauvages de l’Est.
— Pourquoi est-ce que l’on n’en a jamais entendu parler ?
— Les contacts entre les peuples vivants de part et d’autre des dents de Vel ont toujours été très limités, cela n’a pas changé. Et après la destruction d’Aurora, l’empire déliquescent fut victime de troubles et d’incursions barbares pendant encore plusieurs siècles avant de totalement disparaître. Les échanges diminuèrent et des routes de jadis furent perdues.
— Je vois, mais tout ça était il y a bien longtemps, que faites-vous à Dérios aujourd’hui ?
Bien que son histoire ne lui était d’aucune utilité pour se sortir de là, elle était curieuse d'en connaître la suite. En même temps que Kléo parlait, elle jetait des coups d’œil à droite à gauche en espérant trouver un couteau, une bouteille, ou n’importe quoi qui pourrait l’aider à défaire ses liens.
— J’y viens, continua Kléo. Au fil du temps, l’Ordre tomba peu à peu dans l’oubli et, générations après générations, plus personne ne continuait vraiment à en faire partie. Il y a à peu près une centaine d’années, des villes commencèrent à brûler à l’Est sans raison apparente. Au départ, il s’agissait de hameaux sans importance, puis des villes entières furent réduites en cendres. Les habitants d’Elanor n’en ont jamais entendu parler, si ce n’est au travers d’histoires de voyageurs qui finirent par devenir des légendes ou des contes. Mais beaucoup de villageois furent marqués par cette nouvelle calamité. Quelques fidèles se réunirent et refondèrent l’Ordre, recrutant massivement parmi les victimes des incendies. Des hommes et des femmes furent envoyés aux quatre coins du monde afin d’établir un réseau de contact et d’informer de toute apparition d’Ignis. La tâche ne fut pas aisée, car au fil des siècles, tout le monde avait oublié à quoi il ressemblait vraiment.
— Attendez, vous êtes en train de me dire que vous traquez depuis tout ce temps un personnage inventé de toute pièce pour faire peur aux enfants ?
Elle se retint de rire tellement leur discours lui semblait alambiqué.
— Ils disent tous ça au début, rétorqua Minos sobrement. Et quand ils voient leur maison réduite en cendres et leur famille brûlée vive, ils ne disent plus rien.
— Ignis existe réellement, ce ne sont pas que des histoires, répondit Kléo avec insistance. On était proche de l’avoir il y a deux ans près de Silos…
Un reflet sombre passa dans son regard et il ne termina pas sa phrase.
— Bon, écoutez, tout ceci est formidable, malheureusement, je ne vois absolument pas ce que je peux faire pour vous. Donc, si vous voulez, je vous rends la broche et vous me relâchez en échange. Qu’en dites-vous ?
— Tu ne comprends pas, lui dit Minos. Si on est ici, c’est qu’Ignis l’est également. Et si on ne l’arrête pas, toute la cité sera rasée.
— Pourquoi ne pas en informer le roi ou la reine ?
— Malheureusement, ils ne nous croiront jamais. Les gens de ce côté du monde ont oublié qui il était réellement. Comme tu l’as dit toi-même, ce n’est rien de plus qu’un personnage inventé de toute pièce à leurs yeux.
— Je ne sais pas alors, je ne peux rien faire pour vous.
— Il y a peut-être quelque-chose. Tu es une cambrioleuse, non ? Demanda Kléo.
— Tu n’y songes tout de même pas ! S’exclama Minos.
— Ignis ne peut pas être tué aussi simplement, continua Kléo. Pyra en personne le protège. C’est pourquoi, il y a des centaines d’années, l’un d’entre nous avait obtenu un objet capable de contrecarrer la magie de la déesse. Il prétendait que Pyrel avait accepté sa requête et lui avait créé un talisman capable de le protéger même des dieux. Malheureusement, il finit par abuser de son pouvoir et quitta l’Ordre. Il prit alors la tête d’une tribu nomade et fonda la cité de Dérios où l’on se trouve aujourd’hui. Depuis, le talisman a dû se transmettre de roi en roi et nous pensons qu’il est quelque part dans les coffres du palais en ce moment même.
— Et après m’avoir assommée et attachée, vous comptez sur moi pour le récupérer ?
— Je t’avais dit que c’était une mauvaise idée de lui en parler, soupira Minos.
— Songes-y bien. Si on échoue, tout le monde en paiera le prix. Aussi bien nous, que toi et que tous les habitants de cette cité.
Tanwen réfléchit à ce que signifiaient ces déclarations. Elle ne croyait pas vraiment à toutes leurs histoires et n’avait pas envie de les aider. Mais s’il y avait une chance infime que ce qu’ils disent soit vrai…
— Bien, et supposons que j’accepte, à quoi ressemble le médaillon ?
— Nous l’ignorons.
— Donc vous cherchez quelque chose sans savoir ce que c’est ?
— Je saurais le reconnaître, il doit représenter un symbole en lien avec notre Ordre.
— Je vois, c’est peu comme information.
— Malheureusement, nous n’avons rien de plus. Est-ce que tu te joindras à nous ?
S’infiltrer dans le palais était bien trop risqué. La zone est immense, truffée de gardes et la salle des coffres est certainement l’endroit le plus sécurisé de toute la cité. En temps normal, elle aurait refusé. Toutefois, Lucio ne la pardonnerait certainement pas d’avoir échoué dans l’échoppe, et puis qu’est-ce que l’idée était alléchante pour une cambrioleuse.
— C’est d’accord, je marche, à condition de pouvoir prendre tout ce que je souhaite à l’intérieur. Et une fois dehors, c’est chacun pour soi, est-ce que c’est clair ?
Kléo acquiesça et lui enleva ses liens.
— Bien, maintenant, il ne nous reste plus qu’à savoir comment s’introduire à l’intérieur du palais.
— Ne vous en faites pas, je connais exactement la personne qu’il nous faut, répondit Tanwen en souriant.
J'ai bien la personnalité de Tanwen aha
Les chapitres sont vraiment devenus chouettes à lire. Les explications par Kléo sur l'ordre des brûlés et Ignis.
Minos derrière qui ne fait pas confiance à la cambrioleuse (logique).
Quelques retours :
"Non, toi d’abord, tu vas nous répondre. Où as-tu trouvé cela ?" -- je mettrai peut-être "et tu vas nous répondre". pour qu'on soit bien dans l'interrogatoire :)
"Très drôle, pour ta gouverne, sache que notre ordre est très ancien" -- un point après "Très drôle." pour marquer la réplique puis repartir sur l'information.
"Songe-y bien" -- "Songes"
"Est-ce que tu joindras à nous ?" -- "tu te" ou peut-être changer la phrase en "Vas-tu nous aider ?" car en soit elle ne va pas les rejoindre mais les aider dans leur quête mais les deux phrases fonctionnent :)
A la suite.