Chapitre V — Lettre officielle

Notes de l’auteur : N'hésitez pas à me laisser votre avis et vos remarques en commentaire. Si le début de cette histoire vous plaît, la suite n'attend que vous alors faites-le moi savoir.

Elliott s’endormit très vite. L’épuisement pris rapidement le pli sur la surexcitation qui envahissait son cerveau. Ce ne fut pas le cas pour sa cadette. Cette nuit du 11 novembre fut effectivement très courte pour Jana, et surtout très agitée. Elle ne parvenait pas à trouver le sommeil qui pourtant était très proche. Tous les évènements récents et en particulier le déchiffrage de cette série chiffrée repassaient en boucle dans sa tête. Que pouvait bien signifier ce message ? Qui pouvait s’adresser ainsi à elle, jeune collégienne sans histoire assez introvertie ? Elle se répéta plusieurs fois le message décodé Jana, écoute-nous. Jana, écoute-nous, comme si à force de rabâchage une solution apparaitrait comme par magie. Evidemment, à son grand désespoir rien ne se passa. Elle aurait tant aimé pouvoir découvrir un début de réponse à tous ses questionnements.

Finalement après deux heures de cogitation cérébrale infructueuse, Jana finit par s’endormir. Pour autant, cela ne garantissait pas qu’elle se repose vraiment. En effet, à peine était-elle rentrée dans la première phase du sommeil qu’elle fut envahie par le même cauchemar. La même immense forêt, la même course-poursuite, le même incendie, la même vaste plaine jaunie, le même arbre à l’écorce rêche et surtout les mêmes cris stridents et angoissants. Une chose la tira de son sommeil fort peu réparateur. Parmi les cris environnants, elle avait cru percevoir une rengaine bien connue désormais. Des voix semblaient s’être adressées à elle en lui hurlant « Jana, écoute-nous ! ». Ça y est ! Une connexion venait de s’établir entre le message qu’elle avait réussi à décoder et les cauchemars qui la travaillaient depuis cinq mois jour pour jour. Son inconscient avait-il intégré involontairement ce message à l’intérieur de son rêve ? Non, il y avait forcément un lien. Elle en était persuadée.

Afin de ne rien perdre de tous ces détails qui pouvaient un jour ou l’autre l’orienter dans ses recherches, Jana décida de les consigner dans un petit carnet. Elle se leva, fouilla frénétiquement dans les tiroirs encombrés de son bureau, puis sur les étagères qui recouvraient un mur entier de sa chambre d’adolescente. Le nombre impressionnant de livres démontrait que la lecture était une des passions de la jeune fille. Elle dévorait les livres. Des grands classiques de la littérature française comme « Les fourberies de Scapin » ou encore « Germinal » côtoyaient des best-sellers de la littérature de jeunesse au rang desquels trônaient ses préférés : l’intégrale des Harry Potter, celle des Oksa Pollock et les deux tomes de Tobie Lolness. On trouvait également des bandes-dessinées, des documentaires ou encore des magazines. Elle avait la chance d’être la fille de la femme propriétaire de la librairie située au rez-de-chaussée. Cette adoration pour les livres expliquait très certainement son caractère réservé et introverti qui lui valait d’être souvent seule. Après avoir retourné sa chambre, elle trouva, finalement, un petit carnet mauve sur le rayon le plus bas de l’étagère où elle avait pour habitude d’entreposer des fournitures diverses peu ou non utilisées. Les premières pages contenaient déjà quelques annotations et autres dessins pris lors de ses cours d’histoire de l’art. Elle déchira les pages sans importance les unes après les autres en regardant plus ou moins attentivement ce qu’elles comportaient. Soudain, elle tomba sur un croquis de la louve capitoline. Elle ne se rappelait pourtant pas l’avoir un jour dessinée. Son attention fut attirée par le flanc intérieur de la louve. Elle ne parvint pas à distinguer l’inscription bien trop petite pour être lisible. Comment faire pour parvenir à agrandir cette partie du croquis sans loupe ? Jana pensa alors à utiliser son nouveau téléphone portable et sa fonction appareil photo. En zoomant au maximum sur le flanc, la jeune fille aux traits tirés parvint effectivement à lire l’inscription. C’était une très longue série de chiffres. Elle la recopia, sous le croquis, en conservant la même présentation.

          5262,

32688306687. 368363706687.

88060370727073853. 66870766637052.

24372430820664843. 8483045037805043873.

368363706687. 32688306687.

                            337043670784026678368078708687.

Impensable, pensa-t-elle. Ses yeux s’écarquillèrent, ses joues rougirent et son sang ne fit qu’un tour lorsqu’elle comprit, d’après la structure très reconnaissable du texte, qu’elle détenait entre les mains une lettre, certes codée mais une lettre tout de même. Les premières questions qui lui vinrent à l’esprit étaient de savoir depuis quand elle était là, sous ses yeux, dans sa chambre et si elle allait apporter une réponse à toutes les questions qu’elle se posait. Elle s’installa sur le tapis à carreaux et s’adossa au rebord de son lit après y avoir placé son oreiller pour plus de confort. Puis, avant de commencer à déchiffrer le contenu de cette lettre, et ce bien que cela la démangeait vivement, elle prit le temps et le soin de coucher sur le papier tous les phénomènes qui s’étaient succédés depuis son voyage à Rome : les hallucinations, les cauchemars, la marque sur le doigt, la série de chiffres… Elle tacha de ne rien oublier mais préféra par prudence laisser de la place entre chaque évènement pour pouvoir rajouter certains détails qui lui reviendraient. Ce travail de consignation dura une grande partie de cette nuit déjà bien entamée. Alors que Jana relisait ses notes, ses paupières commencèrent à devenir vraiment très lourdes, au point que la jeune fille finit par s’endormir sans même s’en rendre compte, dans la position où elle s’était installée, la tête contre son carnet.

Lorsque Jana se réveilla, seulement trois petites heures après être tombée de fatigue, son réveil indiquait 9h45. Le soleil était déjà levé mais une épaisse couche de brouillard cachait les arbres plantés tout le long du large Cours Franklin-Roosevelt. Le cerveau de la jeune fille était approximativement dans le même état. Cette longue nuit passée à réfléchir et le peu d’heures de sommeil qui avait suivi avaient fait des dégâts. Elle avait une tête effroyable. Ses yeux, plus petits que d’habitude, surplombaient de gros cernes bleuis. Les traits de son visage blafard n’avaient jamais autant été tirés. La profondeur des traces laissées sur le visage de l’adolescente permettait d’imaginer celles, invisibles, tatouées à l’intérieur. Elle mit un certain temps à reprendre ses esprits et à réaliser que ce sur quoi elle avait tant veillé ne reposait plus sur ses genoux. Son carnet mauve avait disparu. Les cheveux ébouriffés, elle se leva d’un bond et fonça dans la chambre de son frère. Personne. Où pouvaient-ils bien être tous les deux ? Elle espérait profondément que le second détenait le premier. Sans prendre le temps de s’arranger un peu, elle dévala les escaliers menant à l’étage du dessous. Elle passa devant le salon. Rien. L’appartement était calme, extrêmement calme même. Les yeux ahuris, la jeune fille affolée déboula littéralement dans la cuisine et tomba nez-à-nez sur sa mère. Prévenue par le vacarme assourdissant provoqué par Jana, cette dernière ne fut pas surprise par cette apparition soudaine. Toutefois, sa stupéfaction fut totale lorsqu’elle aperçut la tête abominable de sa fille.

— Où est Elliott ? demanda Jana sans même prendre le temps d’embrasser sa mère. Maman, où est Elliott ?

— Bonjour quand même Jana ! protesta Lena Lefèvre devant l’attitude sauvagement inhabituelle de sa jeune fille.

— Maman, c’est important ! Vite ! insista Jana sourde à la demande de sa mère adoptive.

— J’insiste Jana, reprit Lena en croisant furieusement les bras pour appuyer son air réprobateur.

— Bon-jour, ma-man ! dit Jana en appuyant chacune de ses syllabes comme pour faire comprendre à sa mère que sa situation actuelle pouvait se passer de politesse. Allez ! Dis-moi où je peux trouver Elliott, s’il te plait.

— Il est sorti de bonne heure, répondit calmement Lena qui préféra ne pas surenchérir sur la provocation verbale de sa fille. Pourquoi ?

— Il ne m’a pas laissé un message ? demanda Jana.

— Non, pas à ma connaissance, répondit Lena très sereinement comme si elle se préparait à assener un coup fatal. Est-ce que je peux t’aider ? Est-ce que tu cherches quelque chose en particulier ?

         Cette dernière question jeta un froid. Jana se figea. Comment sa mère savait-elle qu’elle recherchait quelque chose ? Était-elle au courant ? Si sa mère tombait sur ce précieux carnet et qu’elle lisait son contenu, Jana craignait qu’elle ne la force vraiment à consulter le médecin qu’elle lui conseillait d’aller voir depuis des semaines ou même pire qu’elle la fasse directement interner. La lecture de cette compilation de phénomènes étranges serait de trop pour sa mère déjà très inquiète au sujet de son manque de sommeil et de sa méforme scolaire du moment. Elle le savait et craignait la réaction maternelle. Son regard fit rapidement le tour de la pièce à la recherche de l’objet tant convoité. Bingo ! Son pressentiment se confirma. Ce n’est pas Elliott qui lui avait pris mais bien sa mère. Elle le vit, ouvert, sur le plan de travail de la cuisine, juste devant le robot dernier cri que son mari lui avait offert pour leur dernier anniversaire de mariage. Comprenant mutuellement qu’une rude conversation allait s’engager d’une seconde à l’autre, la mère et la fille s’observèrent un moment. Aucune des deux n’osant attaquer la première, un silence pesant s’installa. C’est Jana qui finit par craquer la première espérant un peu d’indulgence de la part de son vis-à-vis.

— Maman… balbutia Jana ne sachant pas trop comment engager la conversation. Je cherche un petit carnet.

— Celui-ci ? interrogea Lena en montrant du doigt l’objet en question.

— Oui, c’est ça, marmonna Jana qui espérait profondément que sa mère lui tendrait et la laisserait repartir sans la questionner. Euh… Tu peux me le rendre ? J’en ai besoin, s’il te plait.

— Tu penses sérieusement que je vais te le rendre et te laisser partir sans que nous parlions toutes les deux ? demanda Lena avec un ton rageur et réprobateur. Jana, cela ne peut plus durer. Il faut que tu me parles. Je ne voulais pas violer ton intimité mais j’étais trop inquiète pour toi alors j’ai lu ce que tu as écrit.

— Mais maman, tu n’avais pas le droit… dit d’abord Jana avant de se raviser et de choisir une stratégie moins agressive. En plus, tu sais, cela ne veut rien dire. J’ai écrit n’importe quoi… Enfin non ! En fait, c’est notre prof de français qui nous a demandé de rédiger une nouvelle fantastique en se servant de certains éléments de notre vie et en les extrapolant. C’est pour ça que cela te semble bizarre car j’ai utilisé mes cauchemars comme point de départ, mais le reste n’est que pure invention de ma part. Tu comprends ? Voilà c’est tout ! Tu ne dois pas croire ce que tu as lu, tout n’est que pure imagination.

Le visage de sa mère en disait long sur son incrédulité face à aux explications très peu plausibles de la jeune collégienne. Elle n’était pas née de la dernière pluie et savait très bien que sa fille était en train de lui mentir. Jana n’avait qu’une envie : récupérer son carnet mauve et remonter dans sa chambre sans avoir à donner davantage d’explications. Lena était bien décidée au contraire à continuer cette conversation et à la mener jusqu’au bout.

— Tu plaisantes ? dit Lena en fronçant les sourcils. C’est quoi cette histoire de nouvelle ? Tu ne m’en as jamais parlé ! Et puis ces notes dans ton carnet ne constituent pas une nouvelle. Il n’y a pas d’histoire.

         Au moment même où Jana cherchait ce qu’elle allait répondre à sa mère, Elliott, tout souriant, fit irruption dans la cuisine. Il attrapa une pomme dans la corbeille en osier posée sur la table et croqua dedans à pleines dents.

— Ben alors ! dit Elliott la bouche pleine. Je dérange ou quoi ?

— Non, non, nous avions terminé, s’empressa de balbutier Jana. Je remonte dans ma chambre. J’ai des devoirs à finir.

— Jana… cria Lena en direction de sa fille qui tentait de s’esquiver en profitant de l’arrivée d’Elliott dans la cuisine.

         Sans laisser le temps à sa mère de finir sa phrase, Jana fit le tour de la table en direction du plan de travail où était déposé son carnet et s’en empara. Elle le referma et le serra contre elle, rassurée de l’avoir enfin récupéré. Elle quitta la pièce sans adresser un regard en direction de sa mère ou de son frère. Elle ignorait si l’irruption de son frère dans la cuisine était due au hasard ou si ce dernier avait assisté à une partie de la conversion et avait décidé d’y mettre un terme afin de sortir sa sœur de cet embarras, mais elle ne s’attarda pas sur la question. Elle remonta les escaliers quatre à quatre et s’enferma dans sa chambre pour ne pas être dérangée. Même si son frère était intervenu volontairement pour l’aider, elle refusait pour le moment d’entamer une nouvelle discussion sur le sujet. La priorité du moment était la fuite. Elle ne pensait qu’à une seule chose, décrypter la lettre découverte la veille dans ce précieux petit carnet. Alors qu’elle venait tout juste d’échapper à une dispute, un petit sourire s’afficha sur son visage. Elle venait de réaliser que sa mère n’avait pas pu lire cette lettre puisqu’elle ne l’avait pas encore décodée. Elle ouvrit son petit carnet et tourna les pages jusqu’à atteindre celle contenant la lettre codée. Elle commença son travail de déchiffrage avec la même technique que celle utilisée pour décoder le premier message. Sur une autre page de son carnet, elle annota les différentes combinaisons de lettres possibles pour chaque série de chiffres. Puis, au bout de quelques temps, tel Sherlock Holmes, elle parvint à assembler tous les mots décodés et put enfin lire la lettre.

Jana,

Ecoute-nous. Entends-nous.

Tu n’es pas seule. Nous sommes là.

Cherche ta moitié. Vite, il est l’heure.

Entends-nous. Ecoute-nous.

Des gens qui comptent sur vous.

         A la lecture de la lettre, une première réflexion lui vint. Plus elle avançait dans la résolution de l’énigme et plus elle se sentait perdue. Tout s’épaississait un peu plus à chaque fois au lieu de s’éclaircir. Cette impression paradoxale la perturbait énormément. Comment pouvait-elle avancer tout en ayant l’impression de reculer ? Elle se ressaisit, chassa cette pensée et décida de relire la lettre en analysant chaque phrase une par une. La jeune fille écrivit alors son analyse à côté de chacune des phrases.

Jana. Ceux qui m’ont adressé cette lettre me connaissent forcément puisqu’ils s’adressent directement à moi.

Ecoute-nous. Ça faisait déjà partie du tout premier message que j’ai réussi à décoder avec Elliott. Ils sont plusieurs puisqu’ils disent nous.

Entends-nous. La nuance avec la phrase précédente est très mince mais existante comme me le fait souvent remarquer Maman. Quand on entend, on n’écoute pas forcément alors que pour écouter il faut entendre.

Tu n’es pas seule. Je n’ai jamais eu l’impression d’être seule puisque mon frère ne m’a jamais quittée. Est-ce par rapport à mon caractère introverti ???

Nous sommes là. Où ? Sont-ils invisibles ?

Cherche ta moitié. Ils me donnent une mission. Elliott parle d’Ava en utilisant ce mot. Je dois trouver un copain ???

Vite, il est l’heure. Apparemment c’est urgent. Est-ce que j’ai un temps limité ?

Entends-nous. Ecoute-nous. Même remarque que tout à l’heure mais les deux phrases sont inversées.

Des gens qui comptent sur vous. Mes expéditeurs sont des humains. Ils comptent sur nous donc je dois d’abord trouver cette moitié pour continuer la mission.

Après analyse, rien ne fut vraiment plus clair. Au contraire. Le mystère s’épaississait encore. Il devenait même bizarrement glauque. Jana n’avait que quatorze ans et l’idée de se chercher un petit copain la gênait franchement. La jeune fille introvertie qu’elle était ne faisait pas partie de ces jeunes adolescentes qui papillonnent et tombent amoureuses tous les quatre matins. Pour l’instant, trouver l’amour n’était pas en tête de la liste de ses priorités. Cette mission-là ne l’intéressait pas. Vraiment pas !

Perturbée par cette tâche qu’elle trouvait limite, la jeune fille pris la décision de mettre tout cela entre parenthèses quelque temps. Elle décida ne pas révéler à son frère ses dernières trouvailles. Elle ne lui montra ni la lettre, ni le décryptage auquel elle était parvenue. Même si l’adolescente souhaitait faire une pause, elle ne voulait pas et ne pouvait pas laisser son carnet à la vue de tous et en particulier de sa mère. Aussi, pour s’assurer que personne ne tombe sur son petit carnet mauve à l’avenir, elle confectionna une petite pochette qu’elle glisserait désormais discrètement sous ses vêtements et qu’elle ne quitterait en aucune circonstance. Même quand elle irait prendre sa douche, le petit sac l’accompagnerait dans la salle de bains.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez